Le dernier ouvrage des Éditions du Cercle Guimard est à présent disponible dans quelques excellentes librairies de Paris et d’ailleurs dont nous vous donnons la liste ci-dessous.
Librairie le Cabanon : 122 rue de Charenton, 75012 Paris
Librairie du musée d’Orsay : esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Librairie du Camée : 70 rue Saint André des Arts, 75006 Paris
Librairie Galignani : 224 rue de Rivoli, 75001 Paris
Librairie Mollat : 15 rue Vital-Carles, 33000 Bordeaux
Et toujours disponibles dans les mêmes librairies :
Le livre sur Georges Malo est aussi proposé dans les librairies suivantes :
Librairie Zenobi : 50 avenue Pierre Larousse, 92240 Malakoff
Librairie Eyrolles : 57-61 boulevard Saint Germain, 75006 Paris
Des détails et des extraits de ces ouvrages sont disponibles en page d’accueil du site internet.
Très bonne lecture à toutes et tous !
Les auteurs, Frédéric Descouturelle et Olivier Pons ainsi que toute l’équipe du Cercle Guimard ont le plaisir de vous annoncer la sortie du livre « La Céramique et la lave émaillée » dont la souscription lancée en début d’année a été un véritable succès.
L’ouvrage est à présent disponible au prix public de 30 €. Pour éviter les frais de port, vous avez la possibilité d’une remise en main propre dans nos locaux du Castel Béranger (75016 Paris) sur rendez-vous. Il sera également distribué dans plusieurs librairies spécialisées dont nous fournirons la liste prochainement.
Si vous souhaitez vous le procurer ou pour tout renseignement, merci d’envoyer un mail à l’adresse suivante : infos@lecercleguimard.fr
Il ne vous reste plus que quelques jours (jusqu’au 7 mars) pour participer à la souscription du livre en le commandant au prix exceptionnel de 20 € (au lieu de 30 €, prix définitif). Si vous désirez récupérer votre exemplaire à l’occasion de la signature organisée au Castel Béranger, signalez-le nous en n’envoyant que le montant hors frais de port.
Les auteurs, Frédéric Descouturelle et Olivier Pons, ainsi que l’équipe du Cercle Guimard vous recevront au rez-de-chaussée, dans l’ancienne agence de Guimard, avec entrée fléchée par le hameau Béranger.
Dès ses premières créations architecturales, Guimard a utilisé la céramique et a très rapidement créé de nouveaux modèles dont certains ont été édités. Toujours moderne, il a traduit dans ce matériau l’évolution radicale de son style et a créé des décors et des objets qui figurent parmi les chef-d’œuvres du patrimoine. En employant la lave émaillée dès le Castel Béranger il a magnifié ce matériau rare aux propriétés étonnantes.
Pour la première fois, un ouvrage rassemble et commente toute la production et l’utilisation par Guimard de ces matériaux en les resituant dans leur contexte historique.
L’ouvrage comporte 152 pages, plus de 380 illustrations en grande majorité inédites et une couverture souple rempliée (larg. 26 cm, haut. 32 cm).
Pour commander le livre, il vous suffit de nous renvoyer le bon de souscription en pièce jointe accompagné de votre règlement. Si vous souhaitez régler par virement, merci d’envoyer un message à l’adresse suivante : infos@lecercleguimard.fr.
En attendant, vous trouverez ci-dessous quelques pages du livre à feuilleter :
Dès ses premières créations architecturales, Guimard a utilisé la céramique et a très rapidement créé de nouveaux modèles dont certains ont été édités. Toujours moderne, il a traduit dans ce matériau l’évolution radicale de son style et a créé des décors et des objets qui figurent parmi les chef-d’œuvres du patrimoine. En employant la lave émaillée dès le Castel Béranger il a magnifié ce matériau rare aux propriétés étonnantes.
Pour la première fois, un ouvrage rassemble et commente toute la production et l’utilisation par Guimard de ces matériaux en les resituant dans leur contexte historique.
L’ouvrage comporte 152 pages, plus de 380 illustrations en grande majorité inédites et une couverture souple rempliée (larg. 26 cm, haut. 32 cm). Le Cercle Guimard vous propose d’acquérir ce livre au prix de 30€.
Pour commander le livre, contactez nous à l’adresse infos@lecercleguimard.fr
Ci-dessous quelques pages du livre à feuilleter :
Le livre est disponible dans les librairie suivantes :
Librairie le Cabanon : 122 rue de Charenton, 75012 Paris
Librairie du musée d’Orsay : esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Librairie du Camée : 70 rue Saint André des Arts, 75006 Paris
Librairie Mollat : 15 rue Vital-Carles, 33000 Bordeaux
La rencontre de l’architecte avec ce chef d’entreprise réceptif à son style a sans doute été stimulante pour l’un comme pour l’autre. Si Guimard n’a sans doute pas édité de nombreux modèles chez Gillet, il a pu exercer ses talents de coloriste avec un atelier rompu aux colorations les plus délicates comme les plus percutantes. Quant à Eugène Gillet, il a sans doute été conquis par la nouveauté des décors de Guimard qui lui offrait une alternative à sa production éclectique et la possibilité d’une certaine visibilité au sein des milieux modernistes.
Comme souvent chez les fabricants, les locaux sont décorés avec les productions de la maison, un peu à la façon d’un catalogue commercial. C’est ainsi qu’au 9 rue Fénelon on retrouve dans les parties communes de l’immeuble et dans la cour plusieurs décors de style néo-médiéval ou néo-Renaissance,
François ou Eugène Gillet. Décor d’une paroi du couloir de l’immeuble sur cour du 9 rue Fénelon par des carreaux en lave reconstituée émaillée. Photo auteur.
Un ensemble comprenant un plafond, deux parois et une arcade est dévolu au style mauresque.
François ou Eugène Gillet. Carreaux de lave reconstituée émaillée.
Hall de l’immeuble sur rue du 9 rue Fénelon. Photo auteur.
Dans la cour sont scellées plusieurs compositions dont une grande plaque de style japonisant.
Eugène Gillet. Plaque de lave naturelle émaillée.
Cour du 9 rue Fénelon. Photo auteur.
Deux autres panneaux attestent qu’Eugène Gillet s’est aussi essayé au style Art nouveau naturaliste.
Eugène Gillet. Plaque de lave naturelle émaillée (détail). Cour du 9 rue Fénelon. Photo auteur.
Une plaque émaillée au motif de noisettes relève de la même veine stylistique.
Eugène Gillet. Plaque de lave émaillée au motif de noisettes. Coll. part. Photo auteur.
Mais c’est sa collaboration intense avec Hector Guimard qui a engendré toute une production dans le « genre Guimard ». Une photographie ancienne, conservée par la famille Gillet, montre Benjamin Geslin (beau-frère d’Eugène Gillet) posant avec son épouse et ses enfants dans l’atelier d’Eugène Gillet. Sur le mur du fond, du coté gauche, des plans et des dessins sont disposés ; alors que du coté droit ce sont des plaques de lave réalisées. En plus de deux grandes plaques où un décor de style éclectique entoure des scènes reprises des maîtres hollandais, on retrouve à gauche et à droite des modèles d’un style influencé par celui de Guimard. Le cliché n’est pas daté, mais l’âge approximatif des enfants permet de penser qu’il a été pris vers 1901.
Dans l’atelier d’Eugène Gillet, le pharmacien Benjamin Geslin, son épouse Julie, sœur cadette d’Eugène Gillet et leurs deux fils, Henri (né en 1899) et Marcel (né en 1894).
Tirage photographique sur papier. Coll. part.
Tout à droite de la photographie, on voit partiellement une grande plaque que nous avions pu acquérir auprès d’un brocanteur il y a quelques années et qui a été émaillée dans une gamme de tons bleus et gris. Il s’agit vraisemblablement d’un modèle destiné à un lambris de vestibule comme Gillet en produit quelques exemplaires. Elle ne porte pas de marque au verso et n’est pas datée. Une plaque de grande dimension comme celle-ci (140 cm) est nécessairement sciée dans la lave naturelle puis sculptée et non estampée en lave reconstituée.
Eugène Gillet. Plaque de vestibule en lave naturelle émaillée, avec partie centrale en taille sabrée, vers 1901.
Haut. 144 cm, larg. 65 cm, ép. 3 cm. Coll. part. Photo auteur.
Le même motif a été adapté à une plaque de plus petite dimension que nous retrouvons au sein d’un lot de quatre mesurant 65 cm de haut (soit la largeur de la grande plaque) dont l’une est émaillée recto-verso, une difficulté technique qui restera longtemps une spécificité de la maison Gillet.
Eugène Gillet. Plaques en lave naturelle émaillée, avec parties en taille sabrée, vers 1901, l’une émaillée recto-verso. Haut. 65,4 cm, larg. 36,2 cm. Ancienne collection Lloyd et Barbara Macklowe, vente Sotheby’s New York 2/12/1995. Photo Sotheby’s.
On peut aussi trouver sur le site internet d’une galerie New-Yorkaise une plaque de hauteur semblable dont plusieurs surfaces sont traitées en « taille sabrée » et qui est émaillée recto-verso (avec un décor floral partiel au revers). La galerie américaine qui la vend (au prix modique de 60 000 $) depuis très longtemps l’attribue bien sûr à Guimard et la donne comme faisant partie du décor de la maison Coilliot, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Eugène Gillet. Plaque en lave naturelle émaillée avec parties en taille sabrée, haut. 64,3 cm, larg. 35,5 cm. Au revers, un décor partiel de pavots. Coll part. Photo tirée du site internet historicaldesign.com.
Sur la photographie de la famille Geslin prise dans l’atelier d’Eugène Gillet, on distingue encore une petite plaque, ainsi qu’un élément de frise. Nous n’avons pas pu les retrouver, mais nous connaissons deux productions assez proches de la plaque.
Tout d’abord une plaque en lave reconstituée qui a été montée en table basse avec une armature en fer.
Eugène Gillet. Plaque de lave reconstituée émaillée montée en table basse. Coll. part.
Et une plaque émaillée recto-verso. On décèle sur ces dernières œuvres une certaine unité stylistique faite de lignes ondoyantes superposées avec une symétrie de la composition, le tout étant suffisamment différent des productions de Guimard pour ne pas entretenir de confusion.
Eugène Gillet. Plaque en lave naturelle émaillée, émaux mats, recto, vers 1901. Haut. 66,5 cm, larg. 46,5 cm. Coll. part (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
En revanche, le verso de cette même plaque a un décor tout autre qui fait penser au travail du graphiste viennois Adolf Böhm, mais aussi à la façon dont des vitraillistes comme Jacques Gruber traitent les ciels nuageux.
Eugène Gillet. Plaque en lave naturelle émaillée, émaux brillants, verso, vers 1901. Haut. 66,5 cm, larg. 46,5 cm. Coll. part. (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Du coté gauche de la photographie de la famille Geslin figure aussi un dessin pour une cheminée que nous avons vue il y a quelques années chez un antiquaire des Puces de Saint-Ouen[1] et qui a été émaillée dans une gamme de tons beiges et roses. Elle est constituée de trois gros blocs de lave reconstituée (signe qu’une série a été éditée) et d’une tablette. Si le dessin qui décore son rétrécissement est très proche du travail de Guimard, les lignes enveloppantes et fluides du reste du manteau en sont un peu plus éloignées. Les replis des coins supérieurs sont même assez proches du style de Victor Horta.
Eugène Gillet. Manteau de cheminée en lave reconstituée émaillée, vers 1901. Photographiée en 2005 dans la galerie Choses et autres choses aux Puces de Saint-Ouen. Coll. part. Photo auteur.
Eugène Gillet. Manteau de cheminée en lave reconstituée émaillée, vers 1901. Photographiée en 2005 dans la galerie Choses et autres choses aux Puces de Saint-Ouen. Coll. part. Photo auteur.
La vue de l’intérieur du manteau montre que celui-ci est conçu avec une structure alvéolaire équivalente à celle des cheminées en grès éditées à l’époque par différents fabricants.
Eugène Gillet. Manteau de cheminée en lave naturelle émaillée, vers 1901. Photographiée en 2005 dans la galerie Choses et autres choses aux Puces de Saint-Ouen. Coll. part. Photo auteur.
Un modèle identique mais malheureusement incomplet a appartenu à la collection Plantin. Il a été émaillé dans une gamme de gris-bleu. Il comportait la traverse supérieure du trumeau du miroir placé au-dessus de la cheminée.
Eugène Gillet. Manteau de cheminée en lave naturelle émaillée, vers 1901. Haut. 115 cm, larg. 136 cm, prof. 44,5 cm. Catalogue de la vente Plantin, Art Auction France, 23/11/2015. Photo Art Auction France.
Toujours au 9 rue Fénelon, quatre plaques de vestibule scellées à un mur dans la cour évoquent nettement, sans les copier, les plaques émaillées recto-verso des édicules et des pavillons du métro de Paris. On est ici si proche du travail de Guimard que le doute sur l’attribution à Gillet est permis.
Eugène Gillet. Plaque de lambris en lave naturelle scellé dans sur un mur de la cour du 9 rue Fénelon à Paris. Vers 1900. Photo auteur.
Cette plaque présente une particularité qui n’est que partiellement utilisée pour celles du métro et qui est décrite dans le brevet déposé par Eugène Gillet en 1897. En utilisant les aspérités résultant de la « taille sabrée » on peut faire varier sa couleur selon l’endroit d’où on la regarde. Il suffit de vaporiser une couleur d’émail en oblique dans un sens puis une autre couleur en oblique dans l’autre sens pour obtenir des dépôts différents sur les versants gauche et droit des reliefs.
La plaque vue du coté gauche est majoritairement bleue-verte.
Photo auteur.
La même plaque vue du coté droit est majoritairement beige.
Photo auteur.
Le nombre d’exemplaires de ces productions de Gillet dans le genre Guimard semble relativement réduit et il est donc probable que leur succès auprès du public et des architectes est resté assez confidentiel. Faute de signature, le nom de leur auteur s’était entre-temps perdu.
Nous ignorons si Guimard a apprécié ou non que Gillet se lance dans la production de certains modèles qui ressemblaient beaucoup à son propre travail. Aucune correspondance n’est connue à ce sujet. Est-ce pour cette raison que Guimard se détournera progressivement de la lave émaillée ? Ou est-ce parce que Gillet ne pouvait lui offrir de réelles possibilités d’édition industrielle et de diffusion de ses créations ?
Gillet poursuivra néanmoins ses créations modernes pendant quelques années puisqu’il existe — toujours au 9 rue Fénelon — une plaque de lambris de vestibule d’un style de transition entre Art nouveau et Art déco qui ne doit plus grand chose à Guimard.
Eugène Gillet. Plaque de lambris en lave naturelle émaillée dans le vestibule de l’immeuble sur rue du 9 rue Fénelon à Paris. Photo auteur.
Deux autres petites plaques très séduisantes ont un décor assez déroutant et difficilement datable. Elles prouvent que les recherches d’Eugène Gillet se sont étendues dans différentes directions.
Eugène Gillet. Plaques en lave naturelle émaillée. Haut. 10,3 cm, larg. 8 cm. Coll. part (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Peu avant la Première guerre mondiale, Eugène Gillet réduit sa production en vendant l’activité industrielle à Seurat en 1913. Celui-ci poursuit l’exploitation de la lave émaillée dans son usine à Saint-Martin, près de Riom. L’entreprise Seurat travaillera notamment pour la Samaritaine, lui fournissant sa table d’orientation en 1929. Elle fermera dans les années soixante-dix. Après cette cession, l’activité décorative et artistique de la maison Gillet se poursuit encore pendant une décennie à l’usine de La Briche, jusqu’à la fermeture définitive en 1923.
Eugène Gillet se consacre alors à des travaux de bibliophilie en amateur.
Eugène Gillet en 1927. Tirage photographique sur papier. Coll. part.
Frédéric Descouturelle
[1] Nous remercions M. et Mme Serre de la galerie Choses et autres choses pour nous avoir aimablement permis de photographier cette cheminée.
Un matériau et une technique de nos jours encore peu employés — la lave émaillée — ont beaucoup intéressé Guimard dans la première partie de sa carrière moderne. Il s’est pour cela adressé à l’entreprise Gillet qui est historiquement liée à sa découverte et à son exploitation. Au-delà de l’exécution des modèles commandés par Guimard, Eugène Gillet a eu sa propre production de lave émaillée moderne, dans un style proche de celui de Guimard.
Nous réservons à une publication plus importante la relation de l’invention française de la lave émaillée, de l’historique de ses réalisations les plus marquantes, ainsi que le catalogue de ses utilisations par Guimard. Dans ces deux articles, nous nous contenterons de montrer le passage du style de Guimard chez son fournisseur, Eugène Gillet.
L’initiative de l’utilisation de la lave naturelle des volcans d’Auvergne revient à Gaspard Chabrol, originaire de Volvic et préfet de la Seine de 1812 à 1830 (de Napoléon 1er à Charles X). Il en pave tout d’abord certaines rues puis songe à l’utiliser pour les plaques et les numéros de rue. Parmi les chimistes qui découvrent le moyen d’émailler la lave, Ferdinand Mortelèque (1773- 1842) se distingue et parvient en quelques années (de 1826 à 1830) à peindre sur lave de véritables tableaux aux couleurs nuancées dont la principale qualité est une remarquable résistance aux intempéries, au gel et aux acides.
Portrait de Ferdinand Mortelèque par François Gillet. Médaillon en lave émaillée mate sur la façade du 9 rue Fénelon à Paris. Photo auteur.
Parallèlement à son utilisation « administrative » ou utilitaire, la lave émaillée va aussi s’inscrire dans la recherche d’une durabilité des œuvres d’art et en particulier de celles décorant les églises. Quelques premières commandes sont ainsi passées par Chabrol avant la chute de Charles X en 1830. L’intérêt de l’État se maintient cependant grâce à l’architecte Jacques Ignace Hittorff (1792-1867) qui voit dans la lave émaillée le moyen de concrétiser ses ambitions d’architecture polychrome moderne dans la ligne de sa théorie de la polychromie des monuments grecs antiques. Il travaille alors sur le chantier de l’église Saint-Vincent-de-Paul (1831-1844) pour laquelle il prévoit dès 1833 un important programme décoratif dont le décor du porche par d’immenses tableaux en lave émaillée.
Pendant cette période, une première entreprise ayant pour but l’exploitation du procédé de lave émaillée est fondée en 1831 par Pierre Hachette, le gendre de Mortelèque. Elle est remplacée en 1833 par une nouvelle société dont Hittorff lui-même assure la direction jusqu’en 1841. Le décor du porche de Saint-Vincent-de-Paul, peint sur lave par Pierre-Jules Jollivet (1794-1871) assisté par Hachette n’est achevé qu’en 1860… et déposé l’année suivante à la demande insistante du clergé pour « immodestie ».
Le Péché originel (détail). Porche de Saint-Vincent-de-Paul, peint sur lave en trois plaques par Jules Jollivet assisté de François Gillet, 1859. Photo auteur.
Entre temps, après le décès de Hachette en 1847, son élève et associé François Gillet (1822-1889) a repris l’entreprise et ouvert un nouvel atelier au 9 rue Fénelon, tout près de l’église Saint-Vincent-de-Paul.
François Gillet vers 1860. Tirage photographique sur papier. Coll. part.
Malgré l’échec du porche de Saint-Vincent-de-Paul, les commandes de grands décors religieux se poursuivent et vaudront à François Gillet une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878. En dehors de quelques copies de tableaux anciens, il poursuit également une activité plus rentable et moins aléatoire de production décorative : intérieurs de cheminée, plateaux de tables, carreaux et frises pour les décors de vestibules, de façades, de salles de bain ou de jardins d’hiver, ainsi que tous éléments architecturaux, jardinières, fontaines, etc.
Carreau en lave naturelle émaillée, au chiffre du commanditaire. Dim : haut. 7 cm, larg. 23,5 cm. Coll. part (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Mais il a aussi une activité plus industrielle avec les plaques et les numéros de rue de nombreuses villes, règlements de police scellés en extérieur, échelles d’étiage pour les canaux et les ports, tables émaillées pour les laboratoires, cuves à acides, sanitaires, etc.
En 1882, François Gillet innove en créant la lave reconstituée pour laquelle il dépose un brevet. Le procédé consiste à broyer de la lave naturelle (dans la proportion de deux parties) et d’y ajouter des fondants (une partie) et de l’argile (une partie) pour obtenir une pâte plastique qui peut être moulée par estampage avant cuisson et émaillage. Si la lave naturelle reste indispensable pour les surfaces planes importantes, l’estampage de la lave reconstituée permet d’obtenir à bon compte des carreaux et des cabochons en relief qui entrent en concurrence avec ceux produits en faïence émaillée (Loebnitz, Boulenger, Sarreguemines et bien d’autres) et surtout ceux produit en grès émaillé qui seront progressivement industrialisés après 1889 par Muller puis Bigot.
Carreau de lave reconstituée émaillée, recto. Présence dans les creux d’un relief imitant la trame d’un tissus. Haut. 20 cm, larg. 19 cm. Coll. part. (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Son brevet d’invention comprend aussi la présence au recto des pièces d’un « peigne » imprimé en creux et en contre-dépouille qui facilite le scellement des pièces.
Carreau de lave reconstituée verso. Présence d’un « peigne » en creux et en contre-dépouille. Tampon rond « Breveté/F. Gillet/Paris/matière volcanique/Rue Fenelon 9 ». Haut. 20 cm, larg. 19 cm. Coll. part. (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
En 1885 l’entreprise Gillet achète l’usine de La Briche, située dans une zone industrielle de Saint-Denis où les fours déménagent. Ne restent rue Fénelon que le siège social et quelques ateliers.
En 1889, François Gillet décède pendant l’Exposition Universelle où il recevra trois médailles d’or. C’est son fils Eugène Gillet (1859-1938) qui est appelé à reprendre l’entreprise.
Portrait d’Eugène Gillet vers 1878. Tirage photographique sur papier. Coll. part.
Contrairement à son père, Eugène Gillet a reçu une formation artistique académique en étant élève de l’École des Beaux-Arts de Paris. Il participe au Salon en 1878 et devient sociétaire du Salon des Artistes Français en 1884. Il poursuit la même activité que son père en perfectionnant les procédés de la maison. Il dépose en particulier un brevet en 1897 améliorant le rendu de l’émaillage. Sa formation artistique l’a mis en relation avec plusieurs personnalités. L’une d’entre elle revêt une certaine importance : au vu de l’existence de son portrait en médaillon exécuté par Jean-Désiré Ringel d’Illzach et daté de 1891, il est certain que tous deux se connaissent au moins quatre ans avant le décor du Castel Béranger où ils interviendront l’un et l’autre.
Médaillon du profil d’Eugène Gillet par Ringel d’Illzach, plâtre,
daté 1891. Coll. part.
Dans l’état actuel de nos connaissances, la lave émaillée semble absente des premières œuvres de Guimard pour n’apparaître qu’avec l’aménagement intérieur du Castel Béranger, vers 1897-1898. Les décors extérieurs de cet immeuble de rapport ainsi que ceux du vestibule et certaines cheminées des appartements font en effet appel au grès émaillé et ont été demandés à l’entreprise d’Alexandre Bigot. Il est donc probable qu’avant 1895, Guimard n’est pas en rapport avec Eugène Gillet, même s’il a pu le côtoyer au sein de l’ENBA. Dans la mesure où Ringel D’illzach avait son atelier rue Chardon Lagache, dans le XVIe arrondissement parisien et à proximité de la zone d’action de Guimard, il est possible que ce soit à lui que Guimard ait eu recours en premier en lui confiant l’établissement de certains modèles du Castel Béranger. Et c’est peut-être Ringel d’Illzach qui a ensuite fait connaître Eugène Gillet à Guimard.
Une autre possibilité de rencontre entre Gillet et Guimard est la présence de ce dernier à l’Exposition des Arts du feu qui se tient de mai à septembre 1897 au Palais des Beaux-Arts au Champ de Mars.
Dans l’Album du Castel Béranger[1], la lave émaillée n’apparait que pour une « cheminé de salon » à la fin du portfolio, juste avant les planches consacrées à des exemples de réalisations qui ne sont pas destinées au Castel Béranger.
Planche 62 de l’Album du Castel Béranger (détail). 1898. Coll. part.
Sur cette cheminée en fonte bronzée, la lave émaillée est présente sous la forme de trois plaques sculptées en haut-relief puis émaillées avant d’être insérées derrière des ouvertures ménagées dans le linteau et les deux niches latérales. Photographiée en dehors de tout contexte architectural, cette cheminée sera employée par Guimard, non pas dans un salon, mais dans son agence d’architecture aménagée aux alentours de 1898-1900.
Cheminée de l’agence d’architecture de Guimard au Castel Béranger. Carte postale ancienne, série Le Style Guimard, éditée en 1903. Cliché pris aux alentours de 1900 (détail). Coll. part.
Son équivalent (ou peut-être la même) sera mis en place au Castel Henriette (1899-1903).
Cheminée du Castel Henriette, état actuel, détail du panneau central en lave émaillée. La fonte présente des traces de dorure. Coll. part. Photo auteur.
Pourquoi Guimard opte-t-il pour la lave sculptée et émaillée pour cette cheminée, alors qu’il aurait pu obtenir un résultat assez proche avec le grès émaillé ? Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Tout d’abord, grâce à la sculpture, les blocs de lave s’ajusteront parfaitement aux ouvertures dans la fonte, sans les aléas entrainés par la déformation du grès à la cuisson. Ensuite, le fait qu’une édition en série ne soit pas recherchée entre sans doute en ligne de compte. Pour un ou deux exemplaires la sculpture n’entraînera pas de trop importants surcoûts. De plus, elle permettra des effets de relief comme le fond granuleux et une précision des lignes plus difficiles à réaliser par l’estampage du grès. Enfin, les procédés développés par François Gillet dans son nouveau brevet du 26 mai 1897 intéressent sans doute Guimard. Plutôt qu’une véritable invention, Gillet y expose une manière de procéder par vaporisation d’émaux de tonalités voisines dans des directions différentes qui permet de renforcer les reliefs et les creux, sans empâtements et sans coulures comme cela se produit sur le grès émaillé. L’émaillage de panneaux de cette cheminée paraît effectivement très fin et renforce l’effet de la lumière sur les reliefs.
Dès lors l’intérêt de Guimard pour ce matériau va devenir très vif et il l’emploie presque immédiatement sur la façade de l’hôtel Roy en 1898, avant de s’occuper de deux importants chantiers où la lave émaillée va intervenir de façon massive.
La première commande est le décor extérieur et intérieur et la maison du négociant en céramique Louis Coilliot à Lille. Un premier projet de façade en brique émaillée est modifié vers août 1897 pour revêtir le rez-de-chaussée de lave émaillée. C’est à ce moment qu’intervient Eugène Gillet et il est probable que c’est par son intermédiaire que Guimard se voit appelé à concevoir un remodelage complet de la façade entière en lave émaillée avant mai 1898. Les tableaux des plaques de lave naturelle utilisées en parement de cette façade présentent un relief obtenu par taille « sabrée » ou « rustiquée » avec un émaillage vert accentuant le relief selon le procédé décrit dans le brevet de 1897.
Hector Guimard et Eugène Gillet. Façade de la maison Coilliot, détail du couronnement, lave naturelle émaillée, 14 rue de Fleurus à Lille. 1898-1900.
En plus de la façade, sur une répartition des espaces intérieurs qui lui échappe sans doute, Guimard obtient de Louis Coilliot la décoration intérieure fixe, notamment celles du vestibule au rez-de-chaussée, de l’escalier et de l’appartement du premier étage.
Hector Guimard et Eugène Gillet. Vestibule de la maison Coilliot, détail d’un panneau en lave naturelle émaillée avec rustiquage, 14 rue de Fleurus à Lille. 1898-1900.
La seconde commande d’importance faisant intervenir la lave émaillée est celle du métro de Paris (1900-1903). Son utilisation y sera étroitement liée à la façon donc Guimard s’en est servie dans le vestibule et sur l’enseigne de la maison Coilliot.
Hector Guimard et Eugène Gillet. Panneau d’édicule en lave naturelle émaillée, face externe. Photo auteur.
Hector Guimard et Eugène Gillet. Panneau d’édicule en lave naturelle émaillée, face interne. Photo André Mignard.
Enseigne de l’édicule de la station Porte Dauphine, signée « Hector Guimard Archte ».
Photo André Mignard.
La seule signature de Gillet connue pour le métro de Paris est présente en bas et à gauche de l’enseigne placée au dessus de l’escalier de descente du pavillon voyageur de la Place de l’Étoile avec la mention « M Gillet Lave Emaillée ».
Enseigne du pavillon voyageurs de la place de l’Étoile. Détail de la photographie de Charles Maindron prise le 29 avril 1902. Négatif au gélatino-bromure d’argent sur verre 18 x 24 cm. Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
Au total, la CMP aura commandé à Gillet 236 panneaux pour les pavillons et les édicules dont 5 sont de dimensions et décors spéciaux placés au milieu des grandes portes des pavillons. Elle commande aussi 112 enseignes « METROPOLITAIN » pour les différents types d’entrées et 5 plaques d’inscription « Entrée » et « Sortie » aux édicules des stations Saint-Jacques et Place Mazas.
Guimard utilise aussi la lave émaillée pour certaines de ses œuvres architecturales notamment pour les plaques d’enseignes de ses villas.
Plaque de la porte d’entrée du Chalet Blanc à Sceaux, vers 1909 (initialement placée sur le Chalet Blanc à Cabourg en 1903). Photo auteur.
Pour la décoration intérieure, ce sont surtout sur les cheminées que Guimard utilise la lave, pour de simples rétrécissements de foyer avec des plaques planes en lave naturelle ou pour des manteaux aux volumes plus complexes créés au moyen de lave reconstituée.
Hector Guimard et Eugène Gillet. Cheminée du salon de la maison Coilliot, lave reconstituée émaillée. 14 rue de Fleurus à Lille. Vers 1901. Photo Felipe Ferré.
Jusqu’au salon des Artistes Décorateurs de 1907, il expose régulièrement des modèles de cheminées avec ce matériau. Après cette date, il semble cesser d’en présenter, sans doute pour mieux mettre en valeur ses créations en fonte.
Alors qu’il s’est très vite préoccupé du problème de l’édition en série, Guimard a bien sûr utilisé tous les matériaux traditionnels qui étaient à sa portée tels que le plâtre, le ciment, la céramique ou le bronze. Mais il en a aussi volontiers expérimenté de nouveaux tels que la pierre de verre Garchey, le fribrocortchoïna ou le lincrusta Walton, pourvu qu’ils présentent un caractère relativement économique et surtout qu’ils puissent recevoir l’empreinte du Style Guimard. Il était donc bien certain que notre architecte n’avait pas pu négliger le produit phare de l’entreprise d’Eugène Gillet : la lave reconstituée. La possibilité qu’elle offrait de produire en série — donc à bon compte — des décors d’architecture a dû être mise en balance avec l’édition de tels modèles par l’un ou l’autre des diffuseurs du grès émaillés. Les modèles de céramique architecturale de Guimard édités par l’entreprise Muller et Cie à Ivry l’ont été en faïence émaillée ou en terre cuite rouge et leur collaboration s’est arrêtée avant la construction du Castel Béranger. S’il a ensuite passé commande de nombreux de modèles en grès émaillé à Bigot, Guimard ne semble pas avoir les avoir fait éditer chez lui. Quant à l’entreprise Gentil & Bourdet, plus tard apparue sur le marché, ses catalogues ne contiennent aucun modèle de Guimard. Eugène Gillet ne semblant pas pour sa part avoir eu de catalogue imprimé, les deux modèles de cabochons qui sont scellés sur deux immeubles de Guimard, (l’immeuble Jassedé et son hôtel personnel) ne pouvaient révéler avec quel matériau ils avaient été moulés ni par quelle entreprise.
Cabochon sur l’immeuble Jassedé, 142 avenue de Versailles, 1903-1905. Dim. non connues. Photo Nicolas Horiot.
Cabochon sur la corniche de l’hôtel Guimard, 122 avenue Mozart, 1909-1911. Photo Nicolas Horiot.
Par chance, nous avons pu entrer en possession d’un tirage du modèle de cabochon présent sur l’hôtel Guimard, cette fois revêtu d’un émaillage bleu. Il provient des descendants d’Eugène Gillet et n’a jamais été scellé. À sa face postérieure, son aspect et la présence du « peigne » en creux prouvent qu’il s’agit de lave reconstituée. Il ne comporte pas de mention de fabricant, mais même si (comme beaucoup de créations de Guimard) ce modèle a eu très peu de succès, il a bien été édité par Gillet.
Hector Guimard, cabochon en lave reconstituée émaillée, modèle édité par Eugène Gillet. Dim : haut. 12 cm, larg. 12 cm. Coll. part (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Son motif tourbillonnant est une variante de plusieurs autres motifs du même genre comme celui du papier peint des chambres du Castel Béranger en 1895-1896,
Hector Guimard, papier peint des chambres du Castel Béranger (détail), Le Mardelé, Bibliothèque Forney. Photo auteur.
celui des cartouches en fonte des entourages secondaires du métro vers 1902.
Cartouche en fonte d’entourage secondaire du métro (détail).
Photo auteur.
On est plus près encore du cabochon en lave émaillée avec le modèle de carreau édité en « Pierre de verre Garchey »[2] quoique celui-ci ait un faible relief,
Carreau en Pierre de verre Garchey, modèle de Guimard. Dim : haut. 9,7 cm, larg. 9,7 cm. Provenant de la salle de bain du Castel Henriette. Coll. part. Photo auteur.
Ces carreaux en Pierre de verre Garchey ont été utilisés vers 1900 par Guimard pour la salle de bain du Castel Henriette, situé rue des Binelles à Sèvres. Et c’est précisément sur le premier modèle du vase des Binelles, présenté sur le stand de Guimard à l’Exposition Universelle de Paris en 1900, que l’on retrouve ce motif, cette fois avec un fort relief.
Premier modèle du vase des Binelles (détail). Stand Guimard à l’Exposition Universelle de Paris, 1900.
On peut donc penser que le carreau Guimard en lave émaillé a été conçu à la même époque. Il n’est pas pour autant étonnant de le trouver sur l’hôtel Guimard près d’une décennie plus tard dans la mesure où Guimard a intégré à son décor intérieur et extérieur des éléments anciens comme autant de jalons de sa carrière de novateur.
Eugène Gillet va également créer un modèle de cabochon au motif tourbillonnant assez proche de celui de Guimard, avec moins de relief et un aspect plus symétrique.
Eugène Gillet. Cabochon de lave reconstituée émaillée. Haut. 12 cm, larg. 12 cm. Coll. part (provenant de la famille Gillet). Photo auteur.
Le résultat est très réussi et, à notre avis, plus intéressant que le modèle en grès émaillé de la maison Bigot qu’on retrouve sans difficulté sur de nombreuses façades.
Cabochon Bigot, façade du 25 passage d’Enfer à Paris, architecte André Arfvidson, 1911. Photo auteur.
Ce dernier est très proche d’un autre modèle édité par le céramiste Charles Gréber à Beauvais.
Cabochon Gréber, présent sur la façade de la maison Gréber,
63 rue de Calais à Beauvais. Photo auteur.
Frédéric Descouturelle
[1] Ce portfolio est annoncé au printemps 1898 et finalement publié en novembre 1898. Guimard y inclut l’entreprise Gillet dans la liste extensive qu’il donne des différents entrepreneurs qui ont collaboré avec lui.
[2] Carreaux de verre de récupération chauffé et compressé.
En raison de la circulation d’informations contradictoires, on nous presse de toute part de donner notre opinion sur ce point crucial. Nous nous exécutons bien volontiers, d’autant plus que nous avions négligé d’apporter des nuances à l’opinion par trop tranchée que nous avions émises dans les deux ouvrages parus en 2003 et 2012 et qui ont établi une étude sérieuse sur le métro de Guimard[1]. La découverte récente d’une photographie en couleurs prise dans les années 60 est venue à point pour conclure notre article.
Pour définir les pièces de verre de forme mouvementée qui terminent les candélabres des entourages découverts des accès du métro de Paris de Guimard, nous avons adopté le terme employé à l’époque par la CMP (Compagnie du Métropolitain de Paris), celui de « verrine », plutôt que celui de « globe » qui renvoie à une image de sphère[2]. En raison de la faible luminosité de leur ampoule électrique entièrement recouverte par la verrine, il s’agit bien d’une fonction de signalisation nocturne et non d’éclairage. Cette dernière fonction, qui n’avait pas été prévue par Guimard, puisqu’elle n’avait pas été demandée[3], a été progressivement assurée par des lampes non recouvertes installées par la CMP sur les édicules et sur certains entourages découverts. Les entourages des accès supplémentaires[4], qui servaient alors uniquement à la sortie, n’avaient ni signalisation lumineuse, ni éclairage.
Originellement, ces verrines étaient en verre. Pour une étude plus complète, nous renvoyons le lecteur à notre dossier Hector Guimard, Le Verre pp. 20 à 23, publié en format pdf, en 2009, et toujours accessible sur notre site. Nous en redonnons ci-après certains éléments.
Nous connaissons le fournisseur de ces verrines grâce à quelques rares archives. La première est un document comptable de la CMP, du 12 septembre 1901, répertoriant les noms des différents fournisseurs et les frais engagés auprès de chacun d’entre eux pour le premier chantier de Guimard, c’est-à-dire la construction des accès en surface de la ligne 1 et de deux tronçons supplémentaires des futures lignes 2 et 6. Intitulé « Travaux des édicules/M. Guimard Architecte », ce document répertorie en fait les frais engagés à la fois pour les édicules et pour les entourages découverts. À l’avant-dernière ligne du document, on trouve : « Stumpf, Verrines […] 900 ».
Détail d’un décompte des dépenses des accès de surface du premier chantier du métro de Paris. Document RATP.
Cette entreprise, plus connue sous le nom de « Cristallerie de Pantin », s’appelle alors Stumpf, Touvier, Viollet et Cie depuis 1888. Elle a été fondée à La Villette en 1851 par E. S. Monot puis transférée en 1855 à Pantin. Elle a rapidement prospéré, devenant, après la guerre de 1870 (et le passage de la cristallerie de Saint-Louis en territoire allemand), la troisième cristallerie française (après Baccarat et Clichy). Elle sera absorbée en 1919 par la verrerie Legras (Saint-Denis et Pantin Quatre-Chemins).
Le montant de 900 F-or correspond à 30 verrines à 30 F-or pièce, soit 13 paires de verrines pour les 13 entourages découverts du premier chantier, plus 4 pièces supplémentaires en cas de bris. Ce prix à l’unité est confirmé par un autre document comptable de la CMP concernant la ligne 2, non daté, établissant à 60 F-or le prix des deux verrines de chacun des entourages du tronçon allant des stations Villiers à Ménilmontant. Il y est bien précisé que ce prix est identique à celui fixé pour les entourages du premier chantier. Cet engagement de la Cristallerie de Pantin auprès de Guimard et de la CMP sur le maintien du prix des verrines pour les entourages de la ligne 2 fait également l’objet de trois documents (un manuscrit et deux dactylographiés) de novembre 1901 à janvier 1903.
Il y a eu 103 entourages Guimard sur le réseau et donc un nombre double de verrines mises en place sur leurs candélabres. Elles étaient encore en place en 1960 au moment du tournage du film de Louis Malle Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau.
Catherine Demongeot pour Zazie dans le Métro en 1960, photo promotionnelle ou photo de plateau pour une scène non incluse dans le film. Les verrines présentent à leur pointe le bouchon caractéristique des modèles en verre. Coll. part.
Les prêts précoces (ensuite transformés en dons) d’entourages Guimard, complets ou non, ont permis la préservation de leurs verrines. C’est ainsi que le portique de l’entourage découvert de la station Raspail, installé en 1906, est entré en 1958 au Museum of Modern Art de New York. Il en est de même pour l’entourage de la station Bolivar, installé en 1911 et entré en 1960 dans les collections du Staatliches Museum für Angewandte Kunst à Munich (non exposé).
Portique de l’entourage découvert de la station Raspail au Museum of Modern Art de New York. Le portique comprend des verrines en verre rouge. Droits réservés.
Le musée national d’art moderne de Paris a lui aussi obtenu en 1961 un entourage complet, l’un des deux de la station Montparnasse (installés en 1910). Reversé au musée d’Orsay, il est visible à l’occasion d’expositions thématiques.
Portique d’entourage découvert du musée d’Orsay, prêt (puis don) de la RATP en 1961 au musée national d’Art Moderne de Paris, provenant de la station Montparnasse (1910) à l’exception de l’enseigne en lave émaillée (avant 1903). Les verrines sont en verre. Photo D. Magdelaine.
Peu après, en 1966, la RATP a fait don d’un entourage Guimard complet (sans porte-enseigne) à la compagnie de métro de Montréal. Cet entourage de sept modules en longueur et cinq en largeur a été composé à partir d’éléments puisés dans les réserves et résultant des démontages de certains accès. Il comprenait deux verrines en verre.
L’entourage découvert Guimard destiné à la station Victoria du métro de Montréal, entreposé avant son expédition en 1966. Photo RATP.
C’est donc plus tard, à une date qu’il est encore difficile de préciser, que la RATP a remplacé les verrines en verre par des équivalents en matériau de synthèse, de couleur rouge, moins chers, moins fragiles, mais bien moins beaux. Cependant, symptôme du long désintérêt de la RATP pour cette période de son histoire, les verrines qui avaient ainsi pu être récupérées lors de ces échanges ont par la suite mystérieusement disparu de ses réserves, si bien qu’elle n’en possédait plus une seule à la fin du XXe siècle.
Par chance, à l’occasion des travaux de restauration de l’accès de la station Victoria à Montréal, la compagnie de métro STP a eu la sagesse de remplacer elle aussi ses verrines en verre, déjà un peu endommagées, et d’en redonner une à la RATP en 2003[5].
Verrine en verre d’un entourage découvert de Guimard, provenant de l’entourage découvert offert en 1966 à Montréal et redonnée à la RATP en 2003. Photo F. D.
Nous avons aussi eu connaissance de l’existence de verrines en verre[6], également rouges, sur une copie d’entourage Guimard en bronze se trouvant aux États-Unis. Cette présence inattendue, attestée par un rapport d’état[7] rédigé en 2002, confirme l’existence d’une filière de sorties frauduleuses de pièces du métro de Guimard vers les États-Unis.
Copie d’entourage en bronze disposé autour d’un bassin à Houston dans les années 2000. Photo Artcurial.
Pour la fourniture des verres spéciaux destinés aux vitres et aux toitures des édicules et des pavillons, nous disposons du contrat liant la CMP, la Compagnie de Saint-Gobain et le verrier Charles Champigneulle. Ce contrat précise bien la couleur des verres prescrits. En revanche, pour la fourniture des verrines, nous n’avons pas trace d’un contrat initial qui nous aurait sans doute permis de connaître la couleur originellement envisagée par Guimard. Au vu de la couleur des verrines en verre connues, toutes rouge orangé, nous avions logiquement pensé qu’elles l’étaient toutes. Cette opinion était confortée par le fait que sur certains clichés anciens en noir et blanc, en tenant compte du reflet de la lumière, les verrines semblent bien être foncées, ce qui est compatible avec une couleur rouge.
Entourage découvert de la station Rome, mis en place en 1902. Photo Charles Maindron (1861-1940) photographe de la CMP. Tirage au gélatino-chlorure d’argent développé le 5 juin 1903. École Nationale des Ponts et Chaussées, Direction de la documentation, des archives et du patrimoine.
Cependant cette opinion a été remise en cause par plusieurs faits.
Le premier, auquel nous aurions dû prêter une plus grande attention, est le cliché autochrome (donnant donc les couleurs réelles) de la station Porte d’Auteuil daté du premier mai 1920 et conservé dans la collection du musée départemental Albert-Kahn. Nous n’avions pas pu reproduire ce cliché dans le livre Guimard, L’Art nouveau du métro en raison de l’opposition du musée à sa publication. Depuis, ayant été inclus dans une exposition, il a été rephotographié par des visiteurs et se trouve ainsi accessible à tous grâce à Wikipédia.
Entourage découvert de la station Porte d’Auteuil. Photo Heinrich Stürzl, d’après une plaque autochrome de Frédéric Gadmer, cliché pris le 1er mai 1920. Collection musée départemental Albert-Kahn (inv. A 21 126). Source Wikimedia Commons.
On voit clairement sur ce cliché que les verrines ne sont pas rouges mais blanches. Pour l’instant et à notre connaissance, nous ne disposons pas d’autres clichés autochromes d’époque. À notre sens, les cartes postales colorisées telles que celles de la série « Le Style Guimard » éditées en 1903 à l’initiative d’Hector Guimard, ne peuvent servir de référence fiable puisque le procédé consiste, à partir d’un cliché en noir et blanc, à en atténuer le contraste et à y superposer des aplats de couleurs transparents qui, s’ils sont souvent vraisemblables, sont parfois différents de la réalité.
Carte postale ancienne « Le Style Guimard » publiée en 1903. Coll. part.
Ensuite, l’existence d’un entrefilet paru en 1907 dans le quotidien conservateur Le Gaulois remet définitivement en cause cette certitude d’une exclusivité de la couleur rouge des verrines. Cet article de presse nous avait échappé en 2003 et en 2012. Nous devons sa découverte à un auteur dont nous ne citerons pas le nom.
Anonyme, « Échos de partout », Le Gaulois, 18 septembre 1907.
Cet article donne tout d’abord la raison pour laquelle la couleur rouge a été préférée à la blanche : une signalisation nocturne plus efficace. Il semble aussi régler la question de la mutation en établissant qu’en août 1907 la CMP a procédé à un essai de verrines rouges sur l’entourage découvert de la station Monceau (ligne 2) et qu’un mois plus tard, en septembre 1907, sept stations supplémentaires en étaient pourvues. Dans le même temps, sur les autres entourages de Guimard, la CMP avait obtenu une couleur rouge en plaçant des ampoules rouges dans les verrines blanches. Notons au passage que l’auteur justifie cette mesure provisoire par la « [sauvegarde] de l’allure harmonieuse des portiques que les globes rouges eussent gâtés, dans la journée ». Cette justification est d’autant plus étrange que le rouge, agissant comme une couleur complémentaire du vert des fontes, est plus satisfaisant à l’œil que le blanc. Le journaliste aurait-il recopié un « élément de langage » communiqué par la CMP ?
En 1907, les verrines rouges étaient donc destinées à remplacer progressivement les blanches. Et pourtant, il est fort probable que l’entourage de la station Rome, photographié de façon certaine en 1903 comportait déjà des verrines rouges comme on le voit sur cet agrandissement du cliché de Charles Maindron.
Entourage découvert de la station Rome (détail), mis en place en 1902. Photo Charles Maindron (1861-1940) photographe de la CMP. Tirage au gélatino-chlorure d’argent développé le 5 juin 1903. École Nationale des Ponts et Chaussées, Direction de la documentation, des archives et du patrimoine.
Et au contraire, ce sont bien des verrines blanches qui apparaissent sur la plaque autochrome de l’entourage de Porte d’Auteuil. Il s’agit pourtant d’un des tout derniers entourages Guimard à avoir été posé par la CMP, sur la ligne 10 en 1913[8]. Il aurait donc logiquement dû recevoir des verrines rouges. À un moment où il était sans doute question d’abandonner définitivement la mise en place d’accès Guimard, il est probable que ce sont des verrines blanches provenant des échanges antérieurs qui ont été utilisées.
Pour conclure cette petite étude, nous avons enfin eu l’occasion de découvrir l’image d’une verrine blanche grâce au fonds photographique que notre ami Laurent Sully Jaulmes a légué au Cercle Guimard. Elle n’est qu’un détail d’un cliché très étonnant pris en Allemagne en 1967 et sur lequel nous reviendrons un jour. La verrine était à cette occasion utilisée comme lustre.
Verrine blanche utilisée comme lustre. Photo Laurent Sully Jaulmes (détail), 1967. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
Nous ne désespérons donc pas de voir arriver sur le marché de l’art dans les prochaines années des verrines en verre car nous ne pouvons pas croire que la quasi intégralité de celles qui ont été originellement mises en place ont été détruites par la suite. Au contraire, un nombre suffisant d’entre elles doit encore être stocké chez des particuliers. Avec le renouvellement des générations, elles vont immanquablement ressurgir, ce qui nous permettra sans doute d’admirer de plus près ces magnifiques vaisseaux de verre, qu’ils soient rouges ou blancs.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Descouturelle Frédéric, Mignard André, Rodriguez Michel, Le Métropolitain de Guimard, éditions Somogy, 2003 ; Descouturelle Frédéric, Mignard André, Rodriguez Michel, Guimard, L’Art nouveau du métro, éditions de La Vie du Rail, 2012.
[2] Un des premiers dessins d’entourage à fond arrondi, le projet n° 2, non validé par les autorités, montrait des verrines de forme globulaire, enserrées dans une mâchoire de fonte, cf. notre article Un porte-enseigne défaillant sur les entourages découverts du métro.
[3] Pour les entourages découverts, le concours de 1899 (auquel Guimard n’avait pas participé) prescrivait la présence d’un poteau indicateur, sans faire mention d’une source lumineuse. Cependant, la plupart des candidats en avait intégré une à leur proposition.
[4] Entourages bas à cartouches implantés sur le réseau à partir de 1903-1904.
[5] L’autre verrine a été confiée au Musée des beaux-arts de Montréal.
[6] L’une des verrines est alors remisée et remplacée par un équivalent en matériau de synthèse.
[7] Ce constat d’état, effectué chez le propriétaire de la copie d’entourage à Houston, a été rédigé le 27 juin 2002 et signé par Steven L. Pine, decorative arts conservator attaché au musée des Beaux-Arts de Houston, spécialiste de la conservation des métaux. Il fait référence à un précédent constat du l6 juin 1999.
[8] Il partageait d’ailleurs avec l’entourage de la station Chardon-Lagache une singularité dans l’accrochage des écussons, signe, peut-être, d’un changement dans les équipes de montage.
En 2019, au seuil d’une série d’articles dédiés à la céramique, nous avons consacré une petite étude au panneau en haut-relief du chat faisant le gros dos du Castel Béranger. Nous apportons aujourd’hui une nouvelle piste pouvant éclairer la présence de ce félin sur le premier immeuble de rapport de style Art nouveau construit en France.
1-Le Castel Béranger de Guimard
Ce panneau en grès émaillé a été modelé par le jeune sculpteur Xavier Raphanel (probablement selon les directives ou un croquis de Guimard), produit par Gilardoni & Brault[1] et inséré en 1897 à un emplacement stratégique du Castel Béranger : sous la fenêtre de l’oriel à l’angle du bâtiment entre la rue La Fontaine et le hameau Béranger.
Le Castel Béranger, à l’angle de la rue Jean-de-la-Fontaine et du hameau Béranger, Paris, XVIe. Photo F. D.
Panneau au chat faisant le gros dos au Castel Béranger, c. 1897, grès émaillé par Gilardoni & Brault, placé sous l’oriel à l’angle gauche du second étage du bâtiment sur rue. Photo F. D.
Panneau au chat faisant le gros dos au Castel Béranger, c. 1897, grès émaillé par Gilardoni & Brault, placé sous l’oriel à l’angle gauche du second étage du bâtiment sur rue. Photo Nicholas Christodoulidis.
Par rapport à notre article paru en 2019, nous devons ajouter que, grâce à Dominique Magdelaine, nous avons depuis appris l’existence de deux autres tirages[2] de ce panneau sur la villa Thouvenel, une belle maison malheureusement non datée qui surplombe la gare RER de Fontenay-aux-Roses.
Villa Thouvenel à Fontenay-aux-Roses. Les panneaux au chat se trouvent de part et d’autre du balcon central, entre les fenêtres du rez-de-chaussée et celles du premier étage. Carte postale ancienne, coll. part.
Panneau au chat faisant le gros dos, c. 1897, grès émaillé par Gilardoni & Brault, d’une paire (l’autre panneau étant inversé), placé sur la villa Thouvenel à Fontenay-aux-Roses. Photo F. D.
Ces deux exemplaires (dont l’un est inversé) ont reçu un émaillage aux nuances brun-vert beaucoup plus soutenues que sur celui du Castel Béranger. On remarque que les parties latérales de leur cartouche sont plus développées que celles du Castel, mais qu’en revanche, à la partie supérieure, les indentations présentes sur l’exemplaire du Castel n’existent pas. Autre différence, la queue du chat, harmonieusement arrondie sur les panneaux de la villa, se trouve coudée à angle droit à deux reprises sur le panneau du Castel. Dans la mesure où les panneaux de la villa sont placés sans contraintes sur la façade, nous pouvons supposer qu’il s’agit du tirage commercial tel qu’il était proposé par Gilardoni & Brault.
En revanche, le panneau du Castel a dû s’insérer dans un emplacement ménagé dans la maçonnerie. Les plus anciens plans d’élévation du Castel, datés du 16 mars 1895, montrent un oriel d’angle sur deux niveaux (les second et troisième étage) et ne comprenant pas de panneau décoratif. Après les transformations entreprises par Guimard à partir de 1895, le premier niveau de l’oriel a été vitré, en continuité avec la grande baie en encorbellement du salon donnant sur le hameau. Puis le panneau au chat a été placé dans l’allège de l’oriel, entre la corniche du premier étage et l’appui de la fenêtre, encadré par deux montants en pierre. S’il avait désiré l’y placer initialement, Guimard aurait adapté la largeur de ces montants en pierre. Or c’est le contraire qui s’est produit : alors que l’allège de l’oriel était probablement destinée à être remplie par un panneau de brique, comme celle de la baie en encorbellement du salon, c’est le panneau au chat qui a dû être adapté. Il est également possible qu’au lieu d’un simple panneau en brique, Guimard ait initialement songé à placer à cet endroit bien particulier un décor ou une enseigne aux dimensions bien définies, avant d’opter pour l’adaptation de son panneau au chat qui s’est retrouvé un peu plus développé en partie supérieure, mais surtout réduit sur ses parties latérales, obligeant le modeleur à couder la queue de l’animal.
L’oriel du Castel Béranger. À gauche : détail du plan d’élévation de la façade sur la rue La Fontaine du Castel Béranger, daté du 16 mars 1895, Archives de Paris. À droite, vue en perspective de l’angle entre la rue La Fontaine et le hameau Béranger, détail de la planche 1 du portfolio du Castel Béranger, paru en 1898, coll. part.
Cette modification a été effectuée chez Gilardoni & Brault à un moment où cette entreprise a confié à Guimard la réalisation de son stand à l’Exposition de la Céramique et de tous les Arts du Feu en 1897[3]. Il a saisi cette occasion pour y édifier un large porche d’immeuble en grès émaillé qui lui permettait tout à la fois de présenter au public les produits de la tuilerie et son nouveau style. Le panneau au chat destiné au Castel Béranger y a été intégré, avant de prendre sa place définitive sur la façade de la rue La Fontaine une fois l’exposition close.
Stand Gilardoni & Brault par Guimard à l’Exposition de la Céramique et de tous les Arts du feu en 1897 au Palais des Beaux-Arts. Carte postale « Le Style Guimard » n° 7 éditée en 1903. Coll. part.
En 2019, nous donnions comme origine à ce chat tout d’abord la tradition médiévale interprétée par Viollet-le-Duc, en particulier au château de Pierrefonds.
Viollet-le-Duc, chat faisant le gros dos, sculpté sur une lucarne de la cour du château de Pierrefonds. Photo F. D.
Ensuite, nous évoquions l’existence du cabaret du Chat noir[4], tout en signalant que ce lieu dédié à la fête et à l’esprit fin de siècle des zutistes, fumistes et autres hydropathes, était alors bien passé de mode et avait même dû fermer en 1896.
Chapeau de la revue Le Chat Noir, 14 janvier 1882, photo internet, droits réservés.
Si une réminiscence des représentations du Chat noir était possible sur le panneau du Castel Béranger, il est quand même peu probable que Guimard ait voulu sciemment faire la publicité du cabaret déclinant. Il faut plutôt voir dans ces deux chats, deux clins d’œil historiques, parallèles mais décalés d’une décennie dans le temps.
2- La maison d’Anatole de Baudot
Cette très intéressante maison, également sise dans le XVIe arrondissement et plus précisément dans le quartier Dauphine, à l’angle entre la rue de Pomereu (une voie privée ouverte en 1889) et la rue de Longchamp, comporte un élément du décor sculpté qui pourrait être le chaînon manquant entre les chats de Viollet-le-Duc à Pierrefonds et le panneau du chat faisant le gros dos du Castel Béranger de Guimard. Construite en 1892 par l’architecte Anatole de Baudot pour son usage personnel, à peu de distance du Trocadéro où il enseignait, elle nous est tout d’abord connue par la notice biographique rédigée par Marie-Laure Crosnier-Leconte[5] qui s’appuie sur les dessins présentés dans la section d’architecture au salon de la Société Nationale des Beaux-Arts (SNBA)[6] au palais du Champ de Mars[7]:
« […] au Salon de la Société nationale des Beaux-arts à Paris en 1893, petite Habitation Parisienne, emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration, en coll. avec Delaherche, Delon[8] et Guérard[9], […] »
Maison d’Anatole de Baudot, façade à l’angle de la rue de Longchamp et de la rue de Pomereu (à droite), Paris XVIe, 1892, dessin aquarellé exposé au salon de la SNBA en 1893. Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, réf. : APMH0193679, reproduit dans Anatole de Baudot 1834-1915, Rassegna, n° 68, 1996-IV.
Maison d’Anatole de Baudot, façade arrière dans la rue de Pomereu, Paris XVIe, 1892, gravure, La Construction Moderne, 1893-1894, reproduit dans Anatole de Baudot 1834-1915, Rassegna, n° 68, 1996-IV.
Cette section d’architecture venait d’être créée conjointement par Anatole de Baudot et Frantz Jourdain. Le Génie Civil du 15 juillet 1893[10] en a fait le compte-rendu :
« Dès l’entrée, nous avons d’abord remarqué les dessins relatifs à l’habitation parisienne, que M. de Baudot a construite pour son propre usage. Certains détails témoignent d’une complète entente des besoins et de la manière d’y donner satisfaction. » [11]
Anatole de Baudot (1834-1915) a tout d’abord été formé à l’École Centrale des Arts et Manufactures en 1853[12], puis a été brièvement élève d’Henri Labrouste à l’École nationale des Beaux-Arts en 1855, avant d’entrer dans l’agence d’Eugène Viollet-le-Duc[13] dont il est devenu l’élève préféré. Après son décès, il a assuré la transmission de ses idées, par ses écrits et en contribuant à l’ouverture de l’École spéciale d’architecture en 1865 aux côtés de nombreuses personnalités avancées dans le domaine de l’architecture et des techniques, comme les centraliens Émile Muller ou Eugène Flachat. Architecte diocésain, puis inspecteur général des édifices diocésains, il a été nommé en 1887 professeur d’architecture française du Moyen Âge et de la Renaissance au musée de sculpture comparée au Trocadéro (actuelle École de Chaillot) où il a animé jusqu’à sa mort un cours d’architecture très suivi. Malgré son intitulé, la modernité était bel et bien présente dans ce cours avec lequel Baudot ambitionnait d’étudier « l’Art national français »[14] du XIe siècle à l’époque contemporaine.
Pourvue de deux étages, sa maison se distingue par son importante toiture en ardoise, cintrée pour augmenter le volume du second étage qui est entièrement mansardé[15]. Par rapport au dessin présenté au salon de la SNBA de 1893, elle a été prolongée de trois travées sur la rue de Pomereu, en englobant l’entrée piétonne et le mur du jardin.
Maison d’Anatole de Baudot, à l’angle de la rue de Longchamp et de la rue de Pomereu (à droite), Paris XVIe, 1892. Photo F. D.
Sur la façade de la rue de Pomereu, au premier étage, à gauche de la travée de la porte d’entrée, juste au-dessus de la corniche, figure une sculpture de chat dans une position acrobatique. À l’origine, avant la prolongation, il marquait l’angle droit de la façade. Son auteur ne nous est pas connu, à moins qu’Henri Guérard qui compte plusieurs dessins de chats dans son œuvre, n’en ait donné la maquette.
Sculpture de chat au premier étage de la façade de la maison d’Anatole de Baudot, 1 rue de Pomereu, Paris XVIe. Photo F. D.
Ce chat « de gouttière », tête en bas, a sans doute à voir avec la reconstruction du château de Pierrefonds par Viollet-le-Duc. D’une part, il rappelle la présence des nombreux chats sculptés sur les lucarnes de la cour du château (cf. plus haut), et d’autre part, il évoque par son attitude les trois sauriens qui servent — précisément — de descente d’eau dans la cour du château.
Une des trois descentes d’eau dans la cour du château de Pierrefonds, sculptées d’après un plâtre de Viollet-le Duc. Photo F. D.
Mais l’originalité de la maison de la rue de Pomereu réside surtout dans le fait d’avoir employé des « procédés nouveaux de construction et de décoration ». Les « procédés nouveaux de construction » désignaient l’utilisation du ciment armé[16] employé pour les planchers et pour la toiture cintrée, un matériau dont Baudot s’était fait le champion. En effet, un an plus tôt, en 1891, il avait fait la connaissance de Paul Cottancin qui venait de déposer en 1890 le brevet de son système constructif en ciment armé. Séduit et y voyant en quelque sorte le moyen de prolonger par un nouveau matériau les théories de Viollet le Duc, Baudot s’en est immédiatement servi pour des travaux de restaurations d’édifices anciens mais aussi pour plusieurs bâtiments neufs dont le plus connu est l’église Saint-Jean de Montmartre, construite de 1894 à 1904.
Paul Cottancin (1865-1928) a lui aussi été élève de l’École Centrale des Arts et Manufactures, dont il est sorti diplômé en 1886. Son système constructif était hybride et consistait à enrober par le ciment (ou le béton si on utilise des graviers) un treillis métallique sans solution de continuité en le rigidifiant par des nervures. Les éléments porteurs étaient constitués de briques noyées dans le ciment et renforcées par des armatures métalliques.
Dessin d’un pilier de l’église Saint-Jean de Montmartre (1894-1904) par A. de Baudot, dessin aquarellé. Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie. Réf. AP72P00632, reproduit dans Anatole de Baudot 1834-1915, Rassegna, n° 68, 1996-IV.
Ce système intuitif, mettant en œuvre des cloisons minces et donc légères, a rapidement été concurrencé par celui développé au même moment par l’entrepreneur en maçonnerie François Hennebique[17] et qui, plus apte aux calculs de résistances, a eu un bien plus large développement.
Le 10 novembre 1894, en rendant compte des avantages du système Cottancin, Le Génie Civil s’est à nouveau intéressé à la maison de la rue de Pomereu et a publié des dessins des nervures du système Cottancin utilisé pour ses plafonds, en indiquant aussi que, pour son vestibule, Baudot avait choisi d’encastrer des morceaux de verre émaillé dans les plages de ciment entre les nervures[18]. Il élaborait alors un projet de plafond proche pour le préau du lycée Victor Hugo à Paris (cf. plus bas).
Plans, coupe et vestibule de la maison d’Anatole de Baudot, 1 rue de Pomereu, Paris XVIe, 1892, dessin aquarellé exposé au salon de la SNBA en 1893. Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, reproduit dans Anatole de Baudot 1834-1915, Rassegna, n° 68, 1996-IV. La vue en perspective montre que les murs sont doublés en intérieur par une cloison en brique emprisonnant un matelas d’air. Les parements externes sont vraisemblablement en ciment aggloméré.
Nervures des plafonds de la salle à manger et du salon de la maison d’Anatole de Baudot, rue de Pomereu. Le Génie Civil, 10 novembre 1894, p. 25. Source Gallica.
Quant aux « procédés nouveaux de décoration », outre la possibilité de décorer les plages de ciment par du verre ou de la céramique, ils faisaient aussi sans doute référence à l’emploi du grès émaillé en façade et en intérieur. En effet, pour cette maison, Baudot a reçu la collaboration du céramiste Auguste Delaherche[19], auteur des métopes posés sur les allèges des fenêtres et en bandeau sous la toiture. De prime abord, le choix de Delaherche peut paraître surprenant car cet artisan est plus connu pour sa production de vases en pièce unique ou en petites séries (souvent non avouées). Mais cette époque, l’offre industrielle en matière de céramique architecturale en grès était réduite. Si Muller & Cie en produisait déjà, ce n’était pas encore le cas de Gilardoni & Brault. Quant à Alexandre Bigot, il n’en était qu’au tout début de son activité. Ce choix de Delaherche, s’explique d’une part par le facteur relationnel qui existait entre ces novateurs et d’autre part, par le fait qu’il produisait lui-même des éléments décoratifs architecturaux, simples pastilles colorées ou motifs floraux géométrique.
Sculpture de chat et allège de fenêtre constituée de métopes en grès émaillé par Delaherche au premier étage de la façade de la maison d’Anatole de Baudot, 1 rue de Pomereu à Paris. Photo F. D.
Métopes et frises en grès émaillé par Auguste Delaherche, en bandeau sous la corniche de la maison d’Anatole de Baudot, 1 rue de Pomereu à Paris. Photo F. D.
Les grès émaillés étaient également présents à l’intérieur de cette maison, comme le montre une planche de la Revue des Arts Décoratifs de 1893-1894 où figure un entourage de foyer pour un manteau de cheminée par Delaherche.
Manteau de cheminée de la maison d’Anatole de Baudot, 1 rue de Pomereu à Paris, Revue des Arts Décoratifs, tome XIV, 1893-1894, photo extraite du blog « Le pays d’Yveline ».
À la même époque, outre l’église Saint-Jean de Montmartre, Baudot a projeté plusieurs bâtiments avec ce système de construction et ces décors en grès émaillé. En effet sa notice biographique[20] mentionne aussi l’exposition au salon de la SNBA en 1894 d’une « […] Grande Habitation Parisienne : composition basée sur l’emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration […] ». Là aussi, cette date est sans doute antérieure d’une année à la date de construction réelle.
Dessin aquarellé d’une maison à Paris, XVe arrondissement, c. 1893, exposé au salon de la SNBA en 1894. Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie. Réf. : AP73N00242.
Un dessin plus détaillé d’une travée de ce bâtiment est reproduit dans une coupure de presse [21] datée (de façon manuscrite) 1894, avec pour légende : « Projet d’habitation parisienne. Composition basée sur l’emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration. (Chauffage par des murs creux.) Détail d’une baie avec encadrements […x] perforés en ciment et céramique renfermant des tuyaux de chauffage destinés à combattre le refroidissement des vitres. » On remarque sur ce dessin la présence de métopes, d’un tympan et de chambranles probablement exécutés en céramique. Nous ignorons si ce bâtiment a réellement été construit à Paris ou s’il a été détruit par la suite.
Dessin sans référence bibliographique, extrait du blog « Le pays d’Yveline ».
On pourrait rapprocher ce dessin de l’immeuble du 2 rue de la République à Rambouillet[22] qui comporte aussi des céramiques à grosses fleurs et boutons de fleurs, très proches de celle du manteau de cheminée de la maison d’Anatole de Baudot et qui sont donc probablement de Delaherche.
2 rue de la République à Rambouillet, photo extraite du blog « Le pays d’Yveline ».
On note aussi une analogie de composition entre le dessin de la « grande habitation parisienne » de 1894 et la façade du lycée Victor Hugo, débuté la même année, rue de Sévigné à Paris à Paris. Les métopes posées en diagonale au premier étage sont probablement dues à Delaherche. Comme pour Saint-Jean de Montmartre, le parement est en briques.
Façade du lycée Victor-Hugo, à Paris, rue de Sévigné, au début du XXe siècle, phototypie sur carte postale ancienne. Source : Wikimédia Commons.
Pour son projet du préau de ce lycée, Baudot a utilisé son système de voûte en ciment armé système Cottancin en insérant des lanterneaux hexagonaux garnis de briques de verre Falconnier au sein des plages de ciment entre les nervures.
Dessin aquarellé d’un projet pour le préau du lycée Victor Hugo à Paris, exposé au salon de la SNBA en 1895. Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie. Réf. AP72P00603.
Dans ces quatre exemples, à un moment où l’Art nouveau ne s’était pas encore exprimé en France, Baudot travaillait dans un style partiellement éclectique, alors que la maison de la rue de Pomereu, avec son décor plus sobre, semble plus moderne.
3- L’immeuble de la rue Spontini de Bénouville
Le troisième immeuble parisien qui nous intéresse est cette fois plus connu des amateurs d’Art nouveau. Il s’agit d’un immeuble de rapport de Léon Bénouville (1860-1903).
Immeuble à l’angle de la rue Spontini et de la rue du Général-Appert, Léon Bénouville architecte, 1899-1901. Photo F. D.
Cet architecte que nous avons rencontré à plusieurs reprises au cours des articles publiés sur notre site[23] a tout d’abord été diplômé de l’École Centrale des Arts et Manufactures en 1884, puis est devenu architecte diocésain, exerçant à Perpignan et Lyon. Il a été architecte des Monuments Historiques, membre de la Société centrale d’Architecture et membre du jury de l’Exposition universelle de 1900[24]. Lors de l’ouverture de la section d’architecture au salon de la SNBA, dont il a été question plus haut, Baudot avait incité plusieurs jeunes architectes de ses élèves à y participer. Bénouville était au nombre de ceux-ci et y avait alors présenté une « grande habitation rurale […] avec sa curieuse cheminée en brique »[25].
Son activité d’architecte diocésain et sa mort précoce en 1903 ne lui ont pas laissé le temps de beaucoup construire pour le secteur privé. Il a néanmoins été l’un des plus précoces acteurs du style Art nouveau en France avec un immeuble au 34 rue de Tocqueville dans le XVIIe arrondissement, en 1897, voisin et contemporain de celui de Charles Plumet au 36 rue de Tocqueville. Son mobilier, avant tout rationnel et économique, est pourtant méconnu car, depuis des décennies, son nom est accolé à la production d’un atelier de mobilier du faubourg Saint-Antoine, celui de Léon Brouhot[26].
L’immeuble qui nous intéresse se situe lui aussi dans le XVIe arrondissement, à l’angle du 46 rue Spontini et du 2 rue du Général-Appert, à proximité de la rue de Pomereu. Construit entre 1899 et 1901, il se distingue par une tour d’angle polygonale[27] reposant sur de fortes consoles arquées au premier étage. Son décor de style Art nouveau, sans être exubérant, est présent à de nombreux endroits : sculpté sur les consoles de la tour d’angle ainsi que sur la tourelle aux 5e et 6e étages, sur les ferronneries des portes, des fenêtres et des balcons, ainsi que pour l’aménagement de la boutique à l’angle du rez-de-chaussée.
Immeuble à l’angle de la rue Spontini et de la rue du Général-Appert, Léon Bénouville architecte, 1899-1901. Photo F. D.
Ce magasin du rez-de-chaussée était, dès l’origine, une boulangerie.
Magasin de l’immeuble à l’angle de la rue Spontini et de la rue du Général-Appert, Léon Bénouville architecte, 1899-1901. Menuiserie par la maison Le Cœur, vitraux par Félix Gaudin. Porfolio Menuiserie et Charpente modernes, Charles Schmid éditeur, c. 1905, pl. 17. Coll. part.
Les tympans des fenêtres sont en grès, édités par le céramiste Alexandre Bigot (1862-1927), avec un motif de sagittaires pour les second et troisième étages, avec un motif linéaire dû au décorateur belge Henry Van de Velde (1863-1957) au quatrième et cinquième étages.
Tympan des fenêtres par Bigot au second étage de l’immeuble à l’angle de la rue Spontini et de la rue du Général-Appert, Léon Bénouville architecte, 1899 -1901. Photo F. D.
Il comprend aussi une allée carrossable intérieure coudée permettant de passer d’une rue à l’autre. Son plafond montre clairement sa structure métallique et ses murs sont revêtus de grandes plaques en grès émaillé aux motifs de sagittaires éditées par Bigot. À l’origine, au-dessus de ces plaques, les murs et les pilastres recevaient un décor peint par Félix Aubert.
Allée carrossable entre la rue Spontini et la rue du Général-Appert de l’immeuble de Léon Bénouville, 1899-1901. Plaques en grès émaillées éditées par Bigot sur une hauteur de 1,60 m. Photo F. D.
Et c’est encore un chat qui est sculpté au premier étage au niveau de la retombée du dernier arc joignant les consoles de la tour d’angle du côté droit. À nouveau, presque à la verticale, accroché à un banchage, il tient un oiseau dans sa gueule. Nous ne connaissons pas le nom de son auteur.
Sculpture de chat au niveau du premier étage de la façade sur la rue Spontini de l’immeuble de Bénouville, 1899-1901. Photo F. D.
Ce chat de la rue Spontini pourrait être vu comme un clin d’œil de Léon Bénouville à son maître Anatole de Baudot dont la maison était toute proche.
4- D’autres chats
Bien entendu, nous ne prétendons pas que toutes les sculptures de chats qui ont décoré des immeubles modernes autour de 1900 sont le signe d’une filiation avec Viollet-le-Duc par l’intermédiaire d’Anatole de Baudot. Le chat de gouttière sculpté sur la souche de cheminée de l’immeuble Biet construit à Nancy en 1901-1902 était lui aussi probablement une réminiscence des chats des lucarnes du château de Pierrefonds. L’immeuble avait été construit par le jeune architecte Georges Biet (1869-1955) élève de Victor Laloux à l’ENBA et diplômé en 1896, mais la présence du chat était plutôt due au menuisier Eugène Vallin (1856-1922) qui avait modelé la façade et qui était un fervent lecteur de Viollet-le-Duc.
Immeuble Biet, par Biet et Vallin, 22 rue de la Commanderie à Nancy, en 1901-1902, premier état de la façade (détail). Portfolio Nouvelles Constructions de Nancy, pl. XIII, Charles Schmid éditeur, s.d. [c. 1905]. Coll. part.
On retrouve également un chat prédateur sur l’extension du 97 rue Charles III à Nancy qui a été construite deux ans plus tôt par le même architecte et dont Vallin a très certainement aussi été le concepteur. Sa source serait ici plus ancienne encore puisqu’elle poursuivrait la tradition de la satire médiévale[28].
Façade du 97 rue Charles III à Nancy (détail). Photo F. D.
Il existe bien sûr bien d’autres exemples de chats en façade de cette époque, qu’ils soient sculptés ou en céramique ornant des tuiles faîtières. Ils n’avaient d’autre fonction que décorative et l’on voit que cet animal, aimé entre tous, a eu largement les faveurs des architectes et des décorateurs sans qu’il soit besoin de lui assigner à présent une signification. En voici quelques exemples.
À Paris, au 170 rue de la Convention, le chat sculpté en façade qui semble se hisser sur la plaque du numéro de l’immeuble a plutôt l’aspect d’un chat de salon bien élevé. L’architecte de l’immeuble (primé au concours de façades de la ville de Paris en 1900) était Paul Legriel (1866-1936) élève de Gustave Raulin à l’ENBA et diplômé en 1895, qui a eu un parcours des plus académiques. Il faut toutefois noter qu’il a construit deux immeubles aux 64 et 66 rue Spontini, donc proches de celui de Léon Bénouville et que le vestibule du 170 rue de la Convention fait grand usage de grès d’Alexandre Bigot.
Façade du 170 rue de la Convention à Paris (détail), architecte Paul Legriel, 1900. Photo F. D.
On retrouve également de nombreux chats sur les immeubles parisiens de l’architecte d’origine catalane, Jean Falp.
Fronton du cinquième étage de la façade du 6 rue Dorian à Paris, architecte Jean Falp, 1909. Photo F. D.
Au 76 et 78 rue Mademoiselle à Paris, perchés de part et d’autre des portes de deux immeubles de l’architecte A. M. Turin, un chat en céramique et son pendant canin scrutent les passants.
Chat en grès émaillé sur le chambranle de la porte du 78 rue Mademoiselle à Paris. Étant donné que les carreaux aux lézards sont d’Alexandre Bigot, il est probable que les chats et les chiens aient également été produits par ce céramiste. Photo F. D.
Près de Paris, à Saint-Maurice, en bord de Marne, l’architecte Georges Guyon (1850-1915) a édifié en 1903 la pittoresque Brasserie Paul (plus tard appelée « Le Chat vert ») où des chats à la queue extravagante, dus au sculpteur Jules Hector Despois de Folleville, se trouvaient de part et d’autre des grandes baies en arc outrepassé.
Détail de la Brasserie Paul à Saint-Maurice, portfolio Menuiserie et Charpente modernes, Charles Schmid éditeur, c. 1905, pl. 15. Coll. part.
5- Guimard et le courant rationaliste
Nous n’excluons pas la possibilité que le chat hirsute du Castel Béranger n’ait eu, lui aussi, d’autre fonction qu’illustrative sur un « castel » primitivement néo-médiéval. Cependant la tentation est grande d’y voir, deux ans avant l’immeuble de Léon Bénouville, mais cinq ans après celui d’Anatole de Baudot, un signe de connivence adressé par un jeune architecte novateur à celui qui représentait l’évolution vers la modernité des enseignements de Viollet-le-Duc, même s’il n’avait pas été son élève et n’avait pas non plus été architecte diocésain. Guimard n’a pas non plus participé à la première année de la section d’architecture de la SNBA en 1893, mais seulement l’année suivante avec un envoi particulièrement remarqué détaillant les petits hôtels particuliers qu’il avait construits dans le quartier d’Auteuil. Il a ensuite régulièrement participé à ce salon jusqu’en 1897, date à laquelle il s’en est retiré, avec d’autres, par solidarité avec Baudot pour une question de choix d’architecte concernant un projet de palais[29]. Cette participation puis ce retrait disent bien sa volonté de s’inscrire dans cette mouvance de l’école rationaliste qui s’était regroupée autour du maître au Trocadéro.
Nous en avons une illustration par un épisode rapporté par le Bulletin de l’Union Syndicale des Architectes et des Artistes Industriels[30] du 16 janvier 1904. À l’issue d’une conférence donnée au Trocadéro le 12 décembre 1903 par l’architecte en chef diocésain Paul Gout sur « L’Architecture du XXe siècle et l’Art Nouveau » où il avait été question du pavillon de Guimard à l’exposition de l’Habitation en 1903 et de la Salle Humbert de Romans, Guimard avait pris part à une discussion informelle. Il a alors lancé une invitation à visiter sa salle de concert, visite effectuée peu après sous la direction d’Anatole de Baudot qui, gardien d’une certaine orthodoxie, n’a sans doute ménagé ni éloges vis-à-vis du décor, ni critiques vis-à-vis de la structure en bois et fer de la coupole.
Cette proximité de Guimard, élève de l’École de Beaux-Arts, avec les architectes diocésains du Trocadéro n’était pourtant pas une rupture car l’heure n’était plus, comme dans les décennies précédentes, à l’antagonisme entre rationalistes extérieurs à l’École des Beaux-Arts et tenants de la tradition à l’intérieur de l’École des Beaux-Arts. Et l’École nationale des arts décoratifs (où Guimard a successivement été élève puis professeur) peuplée de rationalistes, préparait efficacement à l’entrée aux Beaux-Arts.
S’il a été stylistiquement plus radical que n’importe quel autre, s’il a exploré toutes les possibilités offertes par les matériaux et l’industrie pour exprimer son style propre, Guimard a été plus frileux en ce qui concerne l’utilisation d’un matériau structurellement innovant comme le ciment ou le béton armé. Il s’en est pourtant servi précocement pour la terrasse de l’armurerie Coutolleau au 6 boulevard de Saumur à Angers en 1896. Mais, sauf nouvelle découverte en ce sens, il n’y est revenu que tardivement, vers 1910 pour des éléments préfabriqués comme des appuis de fenêtres, puis plus massivement après-guerre pour son système de « Standard-construction ».
Guimard n’a pas non plus reçu de formation technique poussée comme en ont eue Cottancin, Baudot et Bénouville, ingénieurs formés à l’École Centrale et qui se sont ensuite dirigés vers l’architecture. Son attitude vis-à-vis de l’influence grandissante des ingénieurs dans la construction a été ambivalente et a pu se calquer sur celle qu’avait Viollet-le-Duc. Ce dernier valorisait effectivement l’esprit rationnel et le savoir-faire des ingénieurs[31] mais exhortait aussi les architectes à concevoir de nouveaux modèles en adéquation avec les nouveaux matériaux « […] en s’aidant franchement de l’industrie, sans attendre qu’elle nous impose ses produits, mais en la devançant au contraire.[32] » Et c’est bien cette attitude que Guimard a mise en avant dans son activité créatrice en concevant inlassablement toutes sortes de modèles destinés à la production en série et pour lesquels le « style Guimard » était une valeur artistique ajoutée qu’aucun ingénieur n’aurait pu fournir. Alors qu’il ne possédait sans doute pas les capacités techniques nécessaires à la réalisation de bâtiments de grande hauteur, il a exprimé à plusieurs reprises son dédain des gratte-ciels américains[33] auxquels il reprochait un évident manque de sentiment artistique[34]. Il serait donc sans doute exagéré de le considérer comme un précurseur du modernisme dont il n’avait pas le goût, mais il a bel et bien été un acteur du mouvement moderne par sa volonté d’exploration des matériaux et de production sérielle.
Frédéric Descouturelle
Je remercie tout particulièrement Jean-François Belhoste dont le séminaire d’histoire des techniques à l’École Pratique des Hautes Études m’a permis de mieux connaître les carrières de Paul Cottancin et d’Anatole de Baudot et de découvrir l’existence de la maison de ce dernier, rue de Pomereu.
Notes
[1] Plus exactement, après le décès d’Alphonse Brault en 1895, la société s’appelle Gilardoni fils, A. Brault et Cie.
[2] Ces panneaux sont commentés dans l’ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard paru en 2022 aux éditions du Cercle Guimard.
[3] Cf. notre article « Le stand de Guimard à l’Exposition de la Céramique en 1897 et autres réalisations architecturales en céramique émaillée ».
[4] 84 boulevard de Rochechouart de 1881 à 1885, puis 12 rue de Laval (actuellement rue Victor Massé) jusqu’en 1896.
[5] Notice biographique de Baudot par Marie-Laure Crosnier-Leconte, site Agorha, INHA. https://agorha.inha.fr/ark:/54721/ad009af2-7091-40c4-a4e9-e1362fe57d6a
[6] Le salon de la Société Nationale des Beaux-Arts était l’un des deux salons parisiens. Fondée en 1863 avec la volonté de s’affranchir du salon officiel de peinture et de sculpture qui était sous la coupe de l’Académie des Beaux-Arts, puis refondée en 1890, la SNBA avait la réputation d’être plus libérale que la Société des Artistes Français.
[7] Ancien palais des Beaux-Arts de l’Exposition universelle de 1889, le palais du Champ de Mars a été détruit pour faire place aux nouveaux bâtiments de l’Exposition universelle de 1900.
[8] Delon était vitrailliste. Cf. Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 178.
[9] Il pourrait s’agir du peintre et graveur parisien Henri Guérard (1846-1897).
[10] MARIETTE, Édouard, « l’Exposition d’Architecture au Palais du Champ de Mars », Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 178.
[11] BELHOSTE Jean-François, in Le béton armé, histoire d’une technique et sauvegarde du patrimoine du 20e siècle, collectif, sous la direction de Matteo Porrino, Infolio, 2019.
[12] Mais il n’a pas été diplômé de l’École Centrale, n’y étant resté que moins d’un an et ayant démissionné en juillet 1854, vraisemblablement pour anticiper un possible renvoi ou un probable refus d’admission en seconde année. Ses professeurs le trouvaient en effet trop chahuteur et insuffisamment doué en dessin. Cf. BELHOSTE Jean-François, ibid.
[13] Eugène Viollet-le-Duc (1874-1879), devenu le chef de l’école rationaliste française, a exercé une forte influence sur nombre de jeunes architectes dont certains ont ensuite travaillé dans le style Art nouveau tout en prêtant une grande attention à la structure de leur construction.
[14] Nous avons commenté cet adjectif « national » dans l’article « National », « Style Nouveau », « Architecte d’Art », « Style Guimard » et « Style Moderne », les qualificatifs appliqués par Guimard à son œuvre et leur postérité » en mettant l’accent sur le contexte xénophobe et nationaliste des années 1890. On voit ici que sans être exempt de chauvinisme, il se replace dans un contexte plus large d’écriture de l’histoire de l’art française.
[15] Cette toiture cintrée se retrouve sur plusieurs autres bâtiments d’Anatole de Baudot, notamment sur deux petites maisons construites en 1894 au 27-29 rue Gabriel Péri à Antony et sur le théâtre municipal de Tulle en Corrèze construit de 1900 à 1903.
[16] L’idée d’armer le ciment est beaucoup ancienne puisqu’elle est due à Joseph Lambot pour une barque présentée à l’Exposition universelle à Paris de 1855 puis par Joseph Monnier qui s’en est servi pour fabriquer des caisses d’horticulture, des terrasses, des bassins et même des ponts et des passerelles. L’application du ciment armé à la construction d’immeubles et à la réalisation d’ouvrages de génie civil par Cottancin et Hennebique s’est inspiré d’exemples préalables menés aux États-Unis, notamment pas Ernest L. Ransome.
[17] François Hennebique, alors installé en Belgique, a déposé son brevet en 1892 après l’avoir testé pendant plusieurs années sur ses constructions. À partir de 1894 il s’est installé à Paris et est devenu ingénieur conseil pour développer son système constructif.
[18] LAVERGNE, Gérard, « Les travaux en ciment avec ossature métallique du système P. Cottancin », Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 25. Cf. BELHOSTE, Jean-François, ibid.
[19] Auguste Delaherche (1857-1940) a été élève à l’École nationale des Arts décoratifs en 1877. Il a débuté sa carrière de céramiste en 1883 et a été récompensé par une médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1889. Après avoir repris l’atelier d’Ernest Chaplet à Paris en 1887, il s’est installé en 1891-1892 à Lachapelle-aux-pots, près de Beauvais, puis y a fait construire sa maison et son atelier « Les Sables Rouges » en 1894 par son ami l’architecte Charles Genuys, architecte diocésain, ancien élève d’Anatole de Baudot et professeur de Guimard à l’École nationale des arts décoratifs.
[20] Notice biographique de Baudot par Marie-Laure Crosnier-Leconte, ibid.
[21] Cette coupure de presse est reproduite, sans son origine, dans le blog « Le pays d’Yveline » blog consacré à Rambouillet et ses alentours, animé par M. Christian Rouet : https://yveline.org/2-rue-de-la-republique.
[22] Anatole De Baudot a construit l’église Saint-Lubin et Saint-Jean-Baptiste à Rambouillet de 1868 à 1871.
[23] DE PRAETERE, Ophélie, Le Faubourg Saint-Antoine et l’Art nouveau (1895-1905) – Troisième partie : vers le mobilier « à bon marché », https://www.lecercleguimard.fr/fr/le-faubourg-saint-antoine-et-lart-nouveau-1895-1905-troisieme-partie-vers-le-mobilier-a-bon-marche.
[24] LÉNIAUD, Jean-Michel, Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle, École des chartes, 2003.
[25] MARIETTE Édouard, ibid.
[26] Cf. notre article « Léon Bénouville – Louis Brouhot, confusion entre deux créateurs de mobilier parisiens », Arts Nouveaux, revue de l’Association des Amis du Musée de l’École de Nancy, n° 8, 1992. Depuis sa publication, cette confusion tend à se résorber mais est toujours très présente sur internet.
[27] Il est vraisemblable qu’elle a servi d’inspiration à l’architecte Émile André pour la banque Renauld à l’angle de la rue Saint-Jean et de la rue Chanzy à Nancy en 1908-1910. André s’était précédemment beaucoup inspiré des péristyles de Charles Plumet pour ses immeubles du 69 et 71 avenue Foch à Nancy.
[28] BARBIER-LUDWIG, Georges, « Pour une attribution à Eugène Vallin de la façade prolongée (1899) de l’immeuble Gaudin à Nancy » in Eugène Vallin, menuisier de l’Art nouveau, p. 31-36, SLAAM, 2022. Le chat pourrait être ici la personnification d’Antonin Daum, pilleur du travail d’Émile Gallé.
[29] Vigne, Georges, Hector Guimard hors de lui-même, p. 47, catalogue de l’exposition Guimard, musée d’Orsay, 1992.
[30] L’Union syndicale des Architectes Français, fondée en 1890 regroupait initialement les architectes non diplômés par l’École nationale des Beaux-Arts. Elle est vite devenue le rassemblement de la mouvance rationaliste et prônait le rapprochement avec le monde des entreprises et l’emploi des nouveaux matériaux. Paul Cottancin en est ainsi rapidement devenu membre et le passage de l’architecte suisse Gustave Falconnier à Paris en décembre 1895 à l’invitation de l’USAF a débouché sur l’emploi de son invention, la brique de verre soufflée, par une cohorte de jeunes architectes audacieux, dont Guimard.
[31] VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, Hetezl, 1873. Le chapitre XXV est très clair à ce sujet.
[32] VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Entretiens sur l’Architecture, Treizième entretien, p. 119, 1858-1872.
[33] William Le Baron Jenney (1832-1907), architecte à Chicago, considéré comme le pionnier du gratte-ciel, a lui aussi été formé à l’École Centrale des Arts et Manufactures à Paris.
[34] Il s’est exprimé à ce sujet à plusieurs reprises, notamment lors d’interviews à l’occasion d’un voyage aux États-Unis en 1912 (cf. PARIS Marie-Claude, PONS, Olivier, Le premier voyage d’Hector Guimard aux États-Unis – New York 1912) et dans un article de Gaston-Louis Vuitton en 1932 dans lequel Guimard apportait un soutien partiel à l’ingénieur Jean Desbouis, auteur d’un immeuble au modernisme dérangeant sur les Champs-Élysées (cf. PONS, Olivier, Vuitton fan de Guimard).