Élève en Master II de droit de la propriété littéraire artistique et industrielle à l’université Paris II Panthéon – Assas, j’ai réalisé mon mémoire de fin d’étude sur le Droit d’auteur dans le métro. En effet, de nombreuses œuvres sont présentes dans le métro. On y trouve aussi bien des œuvres architecturales que des œuvres publicitaires ou éphémères. Aussi, mon propos consistait à démontrer que le métro est une scène artistique tout aussi convoitée que crainte par l’artiste. Si elle lui offre la possibilité d’exprimer sa créativité et d’accroître sa notoriété auprès du public, elle constitue aussi une scène qui n’est pas propice à ce que ses droits d’auteur soient respectés puisque l’affectation des œuvres augmente les chances qu’elles soient contrefaites, détériorée, dégradées ou détruites.
Dans le cadre de ce mémoire, j’ai bien entendu été amené à me pencher sur les entrées de métro de Guimard. Ce texte constitue une synthèse de l’aboutissement de mes recherches sur le sujet. Avant de commencer je tiens à remercier le Cercle Guimard sans qui cette analyse n’aurait pas été possible.
Alexis AUZÉPY
I. La cession historique des droits de Guimard à la CMP
Nous nous contenterons d’expliquer brièvement les droits que l’auteur détient sur son œuvre (A) avant de s’intéresser à la cession des droits de Guimard (B).
A. Les droits de l’auteur sur son œuvre
Lorsqu’un auteur crée une œuvre il est investi de deux droits : un droit patrimonial et un droit moral. Le premier lui permet d’autoriser, moyennant rémunération, la reproduction et ou la représentation de son œuvre. Ce droit existe durant toute la vie de l’auteur. À la mort de celui ci, le droit est transmis aux héritiers pour une durée de 70 ans. Au terme de ces 70 ans post mortem, l’œuvre tombe dans le domaine public et devient librement reproductible par des tiers. Aussi, tout au long du monopole d’exploitation (vie de l’auteur plus 70 ans post mortem) qu’il détient sur son œuvre, l’auteur va être amené à conclure des contrats et céder ce droit.
Tout autre est le droit moral qui permet à l’auteur ou ses héritiers de garder un droit de regard sur l’utilisation qui est faite de l’œuvre. Ainsi le droit moral permet à l’auteur d’imposer au cessionnaire le respect physique et spirituel de son œuvre (dégradation) ou encore d’opposer sa paternité. Ce droit est incessible, inaliénable et imprescriptible (il existe durant toute la vie de l’œuvre). Au regard de ces quelques principes, nous tenterons d’analyser la portée de la cession des droits de Guimard à la CMP.
B. L’application de la loi ancienne
Contexte historique : nous sommes en 1899, Hector Guimard, architecte de l’Art nouveau, se voit confier par la CMP, le projet de construction et de décoration des entrées du métro. Guimard dessine alors deux types d’entrées : des édicules et de simples entourages, tous deux accompagnés d’enseignes « METROPOLITAIN ». Le 1er mai 1903, à la suite d’un conflit financier l’opposant à la CMP, l’architecte signe une transaction pour mettre fin au litige. L’article II de cette convention stipule que « Moyennant le paiement de 21 000 frs (…), M. Guimard cède à la Cie du Métropolitain la propriété complète et définitive de ses modèles ainsi que tous droits de reproductions ». La transaction est conclue sous l’empire du décret des 19 et 24 juillet 1793. Par la suite, une nouvelle loi (la loi du 11 mars 1957 encore en vigueur aujourd’hui), plus favorable à l’auteur, est adoptée ; ce dernier peut-il en bénéficier ?
Nous sommes en matière contractuelle. Or, dans ce domaine, le principe est celui de survie de la loi ancienne. L’ensemble du contrat est régi par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé [1]. Le Droit d’auteur, branche du droit civil, ne déroge pas à cette règle. La jurisprudence l’a maintes fois rappelé [2]. Par conséquent, les dispositions du droit d’auteur contractuel, issues pour l’essentiel de la loi du 11 mars 1957, ne s’appliquent pas à la transaction qui doit être soumise dans son intégralité au décret des 19-24 juillet 1793.
Le problème est que ce décret instaure un régime beaucoup moins protecteur pour les auteurs que celui qui est prévu par le droit actuel. En effet, à l’époque, l’article 1er du décret de 1793 assimilait les cessions à des ventes. Aussi, il a été jugé, au visa de cet article, que « la stipulation d’une vente pleine et entière, sans aucune réserve, de la propriété d’une œuvre littéraire, transmet à l’acquéreur la pleine et absolue propriété de l’œuvre, ainsi que l’ensemble des droits patrimoniaux d’auteur [3]». Il en résulte que le cessionnaire bénéficie de tous les modes d’exploitation sur l’œuvre, y compris ceux inconnus au jour de la cession [4].
Aux antipodes de cette législation libérale, l’on trouve l’ensemble des principes fondamentaux du droit d’auteur contemporain qui permettent à l’auteur de limiter la portée des cessions en obligeant les parties à préciser les droits cédés et pour chacun d’eux l’étendue, la destination, le lieu et la durée du ou des modes d’exploitation autorisés par l’auteur sous peine de nullité du contrat [5]. Tout mode d’exploitation non expressément inclus dans la cession est alors retenu par l’auteur [6].
Dès lors, au regard de ces impératifs de précisions, il ne fait aucun doute qu’une cession rédigée en des termes aussi généraux — cessions de « tous droits de reproductions » — serait inefficace sous l’empire de la loi de 1957. Il n’en est pourtant rien. Bien au contraire, la cession vente est pleinement efficace et entraîne transfert de propriété définitif de l’intégralité des droits patrimoniaux sur l’œuvre, « cession complète et définitive ». Elle confère à la RATP, moyennant une simple rémunération forfaitaire, le droit d’exploiter l’œuvre pendant plus d’un siècle dans un nombre infini de formats qui n’existaient pour certains pas au jour de la cession [7]. Ainsi, la Régie Autonome des Transports Parisiens a t-elle pu exploiter l’œuvre sur Internet ou à des fins publicitaires pour promouvoir l’image de son réseau. Il est important de souligner que ce raisonnement s’applique à l’ensemble des architectes qui ont cédé leur droit avant la loi de 1957 [8].
La titularité des droits de la RATP sur les œuvres architecturales étant acquise, il convient de s’intéresser aux sous exploitations consenties à des tiers par la régie autonome.
II. L’exploitation licite des œuvres par des tiers
Les œuvres architecturales du métro bénéficient d’une visibilité sans précédent. Positionnées à l’extérieur, elles sont des figures incontournables de Paris. Aussi, lorsque l’œuvre n’est pas tombée dans le domaine public, son exploitation est financièrement attractive pour la RATP qui, en tant qu’établissement public, est encouragée à valoriser ce patrimoine immatériel (A). Afin d’illustrer notre propos, nous prendrons l’exemple de l’exploitation audiovisuelle (B).
A. La valorisation du patrimoine immatériel des établissements publics
Traditionnellement, le cessionnaire des droits d’exploitation est présenté comme une personne morale de droit privé, un investisseur qui recherche avant tout à tirer un avantage financier de l’œuvre. Cette recherche du profit semble, a priori, peu compatible à ce qu’une personne morale de droit public, chargée d’une mission de service public, puisse exploiter commercialement des droits de propriété intellectuelle. Pourtant, la jurisprudence a admis que l’administration pouvait être investie de droits d’auteur et que, dans le cadre de la gestion de ces droits, elle poursuive un intérêt purement financier. Telle une personne privée, l’administration est donc libre d’exploiter commercialement les œuvres en subordonnant leurs reproductions et leurs diffusions à son accord et au versement d’une redevance.
C’est dans ce souci de rentabilité économique que l’administration encourage depuis plusieurs années les personnes publiques à valoriser leur propriété immatérielle. Le raisonnement est simple : les personnes publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics), détiennent des actifs immatériels considérables (brevets, logiciels, licences, fréquences, bases de données, droits d’auteur) ; en les mettant à la disposition de partenaires extérieurs, elles s’assurent de nouvelles sources de revenus. Dans cette optique, ont été publiés deux décrets en date du 10 février 2009 relatifs à la rémunération de certains services rendus par l’Etat consistant en une valorisation de son patrimoine immatériel. Ces décrets mettent en place un véritable « droit commun de la valorisation des actifs publics incorporels ». En outre, ils prévoient, en contrepartie de certaines prestations mentionnées, le versement d’une rémunération fixée par contrat. Au titre des prestations de valorisation visées figure notamment à l’article 2 4° du décret « la location ou mise à disposition, à titre temporaire, de salles (…) en vue (…) de tournages d’œuvres audiovisuelles ou de prises de vue ».
Cette politique de valorisation a été largement anticipée par la RATP. Consciente, du potentiel économique que représentent les œuvres architecturales, elle a très tôt mis à la disposition des professionnels du cinéma et de la publicité une station de métro entièrement dédiée à la réalisation de films.
B. L’exemple de l’exploitation audiovisuelle
La station « fantôme », située Porte des Lilas, accueille ainsi une cinquantaine de réalisateurs de courts et longs métrages chaque année. La station est entièrement personnalisable selon les besoins des scénaristes.
Le contrat entre le producteur et la RATP est un contrat de location. Pour éviter le contentieux, le gestionnaire du plateau opère une facturation séparée. Il faut effectivement distinguer deux types de prestations. La première consiste en une mise à disposition d’un lieu, la station, par la RATP au producteur. Le régime est donc celui des articles 1713 et suivants du Code Civil. En contrepartie, le producteur verse un loyer correspondant à la durée d’occupation des lieux. Pour une journée de tournage, le prix du loyer s’élève à 15 000 euros.
La seconde prestation consiste en l’exploitation des œuvres protégées par le droit d’auteur. En effet, l’article L. 122-3 du CPI, reconnaît à l’auteur le droit d’autoriser toute reproduction matérielle de son œuvre moyennant le versement d’une rémunération. Ici, la reproduction consistera en une fixation vidéographique au moyen d’une caméra analogique ou numérique.
De nombreuses œuvres architecturales du métro donnent encore lieu au paiement d’une telle redevance. On pense aux œuvres de Paul Andreu, Joseph-André Motte ou encore celle d’Adolphe Dervaux. En revanche, pour les œuvres tombées dans le domaine public comme celles d’Hector Guimard ou Joseph Cassien-Bernard, aucune rémunération n’est due à la RATP. Dans tous les cas, le réalisateur devra toutefois garder à l’esprit que le droit moral est lui, perpétuel.
[1] F. Terré, Introduction générale au droit, 9e éd., Dalloz, 2012, n° 527 et P. Roubier, Le droit transitoire : Conflits des lois dans le temps, 2e éd., Dalloz, 2008, n° 75 s.
[2] V. par ex. Crim. 19 mars 1926, « Corot et al. », DP., 1927. 1. 25, note Nast, S., 1926. 1. 145.
[3] Civ. 1re 25 mai 2005, « Colette », D., 2005.
[4] En d’autres termes, la cession permet à la RATP d’exploiter les édicules Guimard sous toutes ses formes : reproduction physiques de l’œuvre, photographie sur son site Internet, reproduction dans une œuvre audiovisuelle.
[5] V. par ex. Articles L. 122-7 et L. 131-3 CPI. Ou encore L. 131-6 CPI qui autorise les cessions des modes d’exploitation imprévisibles au jour du contrat à condition qu’elles soient rémunérées.
[6] P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 8e éd., PUF, 2012, n° 466.
[7] Guimard meurt le 20 mai 1942. Le monopole post mortem est alors de 50 ans. Cependant, il faut rajouter les prorogations des deux guerres mondiales (14 ans et 272 jours) et l’extension de la durée du monopole par la loi du 27 mars 1997, les prorogations de guerre étant comprises dans les 70 ans. Les droits sont donc tombés dans le domaine public le 1er janvier 2013. La cession étant assimilée selon nous à une vente, c’est bien la RATP qui bénéficie des prorogations.
[8] On pense notamment à Adolphe Dervaux, auteur du célèbre candélabre qui tombera dans le domaine public en 2015.
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