Présenté comme étant un tirage du cache-pot de Chalmont de Guimard édité à la Manufacture de Sèvres, ce cache-pot en porcelaine est proposé à la vente sur eBay depuis le 17 octobre 2019. Il est pourvu d’une couverte verte-bleue avec quelques cristallisations.
Ses dimensions ne sont pas précisées, au contraire du prix qui en est réclamé : 700 € en « achat immédiat ».
D’importants manques d’émail à la base et un fêle assez conséquent visible à l’intérieur ne rehaussent pourtant pas sa valeur marchande. Il ne comporte ni signature ni marque de fabricant .
Ce cache-pot n’est bien évidement pas le cache-pot de Chalmont dont le modèle a été créé par Guimard et qui apparait sur la photographie d’une sellette publiée dans le premier numéro de la Revue d’Art en novembre 1899. Il sera édité par la Manufacture de Sèvres à une vingtaine d’exemplaires entre 1900 et 1908. Très différent par son modelage, ce cache-pot de Chalmont est plus gros que celui qui est proposé à la vente sur eBay. Il comporte comme toujours à son culot la marque de Sèvres et le millésime de son année d’édition.
Il ne s’agit pas non plus du cache-pot édité par la faïencerie De Bruyn à Fives-Lille à une date postérieure à 1900, très probablement avec l’accord de Guimard. Son modelage, qui s’inspire de celui du cache-pot de Chalmont, a été largement répandu grâce à son édition par De Bruyn à un coût modeste, en faïence, avec trois tailles et plusieurs types de couvertes. Il a également été décliné sous forme de vases.
Il ne s’agit pas non plus d’autres cache-pots, eux aussi inspirés du cache-pot de Chalmont de Guimard et qui ont été édités par la faïencerie Keller & Guérin de Lunéville ou par Clément Massier à Golfe-Juan. Tous ces cache-pots, vases et jardinières ont fait l’objet d’une exposition que nous avons organisée en septembre 2018 au sein de l’hôtel Mezzzara, intitulée Guimard et Avatars.
Pour cette exposition nous avions choisi de présenter, aux côtés de ces « avatars » anciens des vases de Guimard, des interprétations contemporaines montrant que les modèles originaux de Guimard édités à Sèvres continuaient à inspirer les céramistes. Nous présentions ainsi en extérieur, posés sur des socles, deux grands cache-pots en grès émaillé de Martine Cassar, une céramiste lorraine.
Nous avions aussi intégré à l’exposition un autre cache-pot avec d’autant plus de facilité qu’il se trouve présenté à demeure au sein de la salle à manger de l’hôtel Mezzara. Nous l’avions placé au centre la table.
Le cache-pot en vente sur eBay ne nous est donc pas inconnu puisqu’il s’agit d’un autre tirage de celui qui se trouve à l’hôtel Mezzara. Nous connaissons partiellement son histoire grâce aux indications fournies dans un opuscule La Restauration de l’hôtel Mezzara, édité en 1986 par l’association Les Amis de l’hôtel Paul Mezzara. L’hôtel était alors un internat, annexe du Foyer des Lycéennes de la rue du Docteur Blanche, Paris XVIe. Une première campagne de restauration, notamment de la salle à manger, s’est étendue sur presque une décennie à partir de 1979 sous la houlette de Mme Haÿdée Martin, conseillère principale d’éducation. Une grande part de ces restaurations et re-créations, en partie financées sur les fonds de fonctionnement de l’annexe Mezzara, a été effectuée bénévolement par des élèves et par des professeurs d’écoles professionnelles et d’art appliqués. Le cache-pot dont il est question ici a donc été conçu dans l’optique de décorer la salle à manger et pour être posé sur une sellette, elle-même libre réinterprétation d’un meuble de Guimard. Sans vouloir copier le cache-pot de Chalmont, mais tout en gardant l’esprit, Franck Ledroit l’a modelé vers 1986 sous la direction de Jacques Landrevie à l’École Dupperré. Il a été réalisé en porcelaine émaillée, à plusieurs exemplaires dans le but d’en choisir un pour l’hôtel Mezzara. L’exemplaire en vente sur eBay est donc l’un de ceux qui n’a pas été choisi, sans doute à cause des quelques défauts signalés plus haut.
Nous avons clairement et à deux reprises donné ces informations au vendeur en lui demandant de retirer le nom de Guimard de son annonce, sans qu’il ne nous réponde.
Addenda du 22 octobre 2019
Deux jours après la publication de cet article, l’annonceur nous a répondu en nous remerciant « d’avoir partagé notre connaissance sur ce sujet », en modifiant son annonce dont l’objet est à présent : « Vase – Cache pot – Porcelaine Émaillée – Franck Ledroit – pas un Hector GUIMARD » et en citant des passages de notre article. Le prix du cache-pot a chu à 650 €.
F. D.
Jean-Pierre Lyonnet est décédé le mercredi 25 septembre 2019. Le fondateur et président du Cercle Guimard avait 67 ans. Affaibli, Jean-Pierre Lyonnet passait le plus clair de son temps dans son impressionnante bibliothèque. Là, il poursuivait son activité d’illustrateur, que doublait un opiniâtre travail de recherches archéologiques sur l’architecture.
Érudit et curieux, enjoué et enthousiaste, dilettante et touche-à-tout, tel était Jean-Pierre Lyonnet. Autant de traits de caractère relevés chez Hector Guimard, l’architecte Art nouveau qui le passionnait. À cela, il convient de pointer un même farouche esprit d’indépendance, une propension identique à croire en son propre talent et une forme de snobisme parfaitement assumée. Guimard-Lyonnet : les deux hommes étaient faits pour s’entendre.
L’histoire démarre au début des années 1970. A l’issue d’un parcours scolaire plutôt court, Jean-Pierre Lyonnet quitte Sotteville-les-Rouen (Seine Maritime) pour se rendre à Paris. Il a une idée en tête : partir à la découverte des traces d’Hector Guimard, architecte qu’il vient de découvrir et qui le fascine. On le sait : à cette époque, l’Art nouveau est véritablement tombé aux oubliettes, il est remisé au placard, n’existant plus que par son côté kitsch et décoratif. Seule l’École de Nancy est mise en valeur dans un musée ouvert en 1964 dans sa ville de naissance. En ce qui concerne Hector Guimard, la quête s’annonce ardue et s’apparente même à une (re)découverte. L’architecte a laissé peu de traces : une partie importante des archives de son agence a disparu, en 1942, alors que le couple Guimard a quitté l’avenue Mozart pour émigrer aux Etats-Unis. Et bien d’autres documents ont été dispersés au cours d’une carrière aussi mouvementée que mal connue. Enfin, comme en écho au fameux : « Guimard ? Connais pas… », lancé par le ministre André Malraux, l’heure est alors à la démolition : hôtel Nozal (1957), pavillon de la station de métro Bastille (1957-1962), Castel Henriette (1969)… Il devient urgent d’intensifier la recherche, de lancer une véritable archéologie architecturale pour récoler l’œuvre de l’architecte d’art. Bibliothèques, archives, ouvrages, revues… le travail commence, il va durer plus de deux décennies. Bien évidemment, cette recherche ne concerne pas que Jean-Pierre Lyonnet : à ses côtés d’autres « Hectorologues » (en référence au court-métrage signé Blondel-Plantin) sont en campagne. C’est un groupe : historien, conservateur, galeriste, chercheur, collectionneur, amateur… et, pourtant, chacun reste et se tient dans son pré carré. Si tout le monde se connaît, peu de contacts existent, un partage des découvertes ou des avancées est lui encore moins envisageable. L’histoire poursuit son chemin suivant un calendrier émaillé d’événements marquants : ainsi la découverte d’une partie des archives que Hector Guimard avait déposés à l’orangerie du Parc de Saint-Cloud, grâce au duo Blondel-Plantin ; l’exposition du musée d’Orsay, en 1992, la première consacrée à l’architecte Art nouveau en France – New York avait devancé Paris en 1970…
Faut-il y voir un effet de la célébration du centenaire du métro ? A l’approche de l’an 2000, l’Art nouveau bénéficie d’un regain d’intérêt et particulièrement Hector Guimard : trois ouvrages voient le jour en 2003. Le premier est consacré à la participation de l’architecte à la construction du métropolitain parisien ; le second, une véritable monographie — toujours inexistante à l’époque — ; enfin, le troisième, orchestré par Jean-Pierre Lyonnet (cosigné Bruno Dupont, assorti de rares photographies de Laurent Sully Jaulmes, éd. Alternatives) dresse l’inventaire des édifices construits par l’architecte et désormais démolis. Il est sobrement (tristement ?) titré Guimard perdu. L’ouvrage est préfacé par Roger-Henri Guerrand. La collaboration de l’un des premiers et des plus ardents défenseurs de l’Art nouveau, universitaire et historien, ouvrait l’espace. Et le pari de rassembler ceux qui bataillaient pour la connaissance et la résurgence de l’œuvre d’Hector Guimard apparaît comme possible. L’idée du Cercle Guimard a germé, l’association voit le jour en 2003. Avec pour président d’honneur : Roger-Henri Guerrand.
La carrière de Jean-Pierre Lyonnet ne se résume pas à Hector Guimard. Très actif à Deauville lors de la création du Festival du film américain, il a lui-même réalisé un film (avec Richard Bohringer) au début des années 1980, mais dont la sortie fut toutefois empêchée. Il a longtemps mené son travail d’illustrateur, tant pour la presse (Globe, L’Express, Grands Reportages…) que pour le monde culturel (affiches de spectacles, de théâtre ou de festivals ; pochettes de disques : Paolo Conte, Le Chant du Monde…, principalement via le studio de Crapule ! Productions) ; et aussi pour le milieu automobile (Rétromobile), l’une de ses autres passions. Côté architecture, il fut très tôt un fervent adepte du Mouvement moderne (ou Style International), traquant au delà des grands noms (Le Corbusier pour lequel il a signé Les Heures Claires, un portfolio consacré à la villa Savoye au début des années 1980 ou Rob Mallet-Stevens) les architectes moins célèbres mais toujours talentueux. Inlassable rat de bibliothèque et grand collectionneur de revues spécialisées souvent rares, Jean-Pierre Lyonnet savait repérer pour les exhumer les nombreuses pépites qui s’y trouvaient enfouies, s’attachant alors à les (re)dessiner. En 1997, il signait l’ouvrage Villas Modernes – Banlieue Ouest 1900-1939 (avec la journaliste Christine Desmoulins, éd. Alternatives). En 2005, la rencontre avec Yvon Poullain, mécène et restaurateur de l’atelier de Louis Barillet, square Vergennes, Paris XVe, il prend les commandes de Robert Mallet-Stevens, ouvrage collectif consacré à cet architecte pour lequel il avait célébré à l’aide d’un portfolio la rue portant son nom dans le XVIe arrondissement. Un nouveau portfolio sera réalisé pour la restauration et l’inauguration de la Villa Cavrois, à Croix, en 2015. Enfin, grand flâneur et fin connaisseur de Paris, il est parti à la recherche des barrières de Paris, érigées peu avant la Révolution par Claude-Nicolas Ledoux et dont il compila les élévations de façade dans son dernier ouvrage, Les Propylées de Paris – 1785-1788 (éd. Honoré Clair, 2015).
Contraint de se ménager depuis plusieurs années, Jean-Pierre Lyonnet réservait sa présence aux sorties qu’il jugeait indispensables. Ancien et toujours gourmand de sauteries et de réjouissances, le président du Cercle Guimard savait être présent lors des inaugurations, des vernissages et de toutes formes de rencontres festives. Et si son absence fut souvent regrettée lors des dernières assemblées de l’association, il tenait toutefois à apporter son soutien total aux actions entreprises par le bureau, portant en premier lieu un regard enthousiaste sur le projet d’un musée installé à l’hôtel Mezzara. Là où, en 2003, fut organisée la signature de l’ouvrage Guimard perdu.
Bruno Dupont , Vice-président
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