Le Cercle Guimard vous propose deux nouvelles visites guidées et commentées pour ce mois de mars :
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 02/11/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 20 |
sam 09/11/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, ses œuvres de jeunesse" | 20 |
Dans cet article, nous revenons sur la petite table de Guimard qui s’est vendue le 22 novembre 2022 et qui a été acquise par le musée d’Orsay, pour nous intéresser plus spécifiquement à son piètement. Celui-ci est étonnamment proche d’une petite table de Riemerschmid, mais aussi d’une jardinière commercialisée par Thonet. Mais qui s’est inspiré de qui ?
En septembre 1899, un cliché pris dans un appartement du Castel Béranger a paru au sein d’un article consacré au Castel Béranger dans la Revue de Arts décoratifs. Deux mois plus tard, il a à nouveau été publié, avec une meilleure qualité, dans le premier numéro de la Revue d’Art dont Guimard avait dessiné la couverture. Un article de Frantz Jourdain y présente des créations récentes de Guimard en matière de mobilier. On y trouve en particulier une vitrine[1] et une petite table au piètement singulier sur laquelle est posée, à gauche un petit sujet de Carpeaux (une femme endormie), au centre un vase[2] réalisé en collaboration avec Edmond Lachenal, et à droite un bougeoir[3].
Sa vente en novembre 2022 a permis d’en avoir de meilleures images.
Le piètement et le cadre du plateau sont en noyer avec un décor sculpté très fouillé comprenant plusieurs ajours, tandis que le plateau reçoit un placage marqueté en ronce de noyer, de bouleau, d’érable et de sycomore, avec sur un fond de loupe, des lignes sinueuses encadrant quatre quartiers symétriques très inhabituels puisque leur partie centrale est une tranche transversale.
Deux éléments en nacre, dont un représentant le monogramme de Guimard, complètent la marqueterie du plateau.
Cette table a été montrée au public en 1933 à l’exposition Le Décor de la vie sous la IIIe République de 1870 à 1900 au Musée des Arts Décoratifs comme le prouve l’étiquette placée sous le plateau.
Ce modèle de table avait dû particulièrement plaire à Guimard car dix ans après sa création il a conçu une autre table de structure semblable pour le salon de son hôtel particulier au 122 avenue Mozart. Dans la même démarche, il a aussi recréé pour son salon une vitrine proche de celle publiée dans la Revue d’Art[4].
Cette table a également fait partie d’une exposition présentant des créations de Guimard. Malheureusement, pour l’instant, nous en ignorons encore la date et la localisation.
Elle est passée en vente en 2012, ce qui a permis de constater a posteriori les différences avec le modèle de 1899 qui illustrent l’assagissement du style de Guimard autour de 1910 : le piètement et le cadre du plateau sont en poirier et non plus en noyer, avec un décor sculpté plus raffiné, moins nervuré et sans ajours ; le plateau n’est plus marqueté mais revêtu d’un simple placage de loupe de noyer en quatre quartiers symétriques ; la signature de Guimard est cette fois gravée sur la bordure du plateau avec la date 1909. Si les dimensions de son plateau sont proches de celles de la table de 1899, la nouvelle table est légèrement moins rectangulaire et plus haute d’une dizaine de centimètres.
L’intérêt de ces deux modèles de tables réside tout particulièrement dans leur piètement qui n’a pu être imaginé que par un plasticien et non par un praticien du bois tant sa structure est contraire aux règles les plus élémentaires de la construction des meubles. De chaque pied part un montant qui rejoint le coin supérieur placé à sa gauche et non celui qui est à son aplomb. La finesse de ces montants et surtout leur obliquité donnent en effet une impression de dangereuse fragilité qui est à peine compensée par la présence des traverses horizontales sous le plateau et par les lignes arquées qui partent un peu au-dessus de chaque pied pour rejoindre le montant placé à droite au tiers de sa hauteur.
Guimard a aussi expérimenté les montants obliques pour la tablette inférieure d’une sellette contemporaine de la petite table de 1899. Mais protégé par les quatre montants principaux de la sellette, ce soutien de la tablette semble moins périlleux.
Historiquement, une structure de piètement comparable à celle des petites tables est très rare. On connait bien les pliants ou ployants dérivés des modèles antiques en X. Cependant, si leurs montants sont bien obliques, ils se croisent dans le même plan.
Plus proche des tables de Guimard, mais bien antérieure, la coiffeuse qu’Antoni Gaudí a conçu pour Isabel Güell est un meuble pré Art nouveau des plus curieux. Gaudí l’a dotée d’un pied avant droit qui soutient une petite tablette et dont les deux montants se croisent dans des plans parallèles.
Leur souplesse fait penser à la démarche d’un félin avec un mouvement qui va donc de haut en bas, alors qu’au contraire, les montants des tables de Guimard donnent l’impression d’un mouvement ascendant. Cette impression est d’une part due à leur assimilation à une arborescence, ancrée dans le sol et s’élevant vers le ciel et d’autre part à leurs lignes tendues qui évoquent un ressort.
Plus tardif que la coiffeuse Güell et très probablement postérieur à la petite table de Guimard de 1899, un panier à tricot dont ni l’auteur ni la date de création ne sont connus, est bien de style Art nouveau. Il présente également de fins montants obliques aux courbes dynamiques. En se croisant là aussi dans ses plans parallèles, ils ne confèrent pas au panier l’impression de fragilité que présentent les petites tables de Guimard.
Conscient de la fragilité de sa structure (ou guidé par un modèle comme nous le verrons plus loin), Guimard a relié les montants de ses petites tables par des lignes arquées qui se détachent des pieds et viennent s’insérer à leur tiers inférieur. Ce sont des transpositions organiques des fameuses « jambes de force » en fonte préconisées par Viollet-le-Duc pour soutenir des plafonds ou des voûtes de grandes dimensions[5]. Il réutilisait là des éléments de charpente traditionnels qui, posés en oblique, permettent de raidir une structure.
Sous une forme réduite, ces jambes de force sont devenues très fréquentes dans le mobilier art nouveau français où elles permettaient de remplacer une entretoise tout en assimilant le meuble à des troncs d’où sont issues des branches.
On comprend qu’au-delà de l’admiration esthétique qu’elles pouvaient susciter, les deux tables de Guimard avaient peu de perspectives d’avenir, du moins avec les techniques traditionnelles de l’ébénisterie. Mais il n’est pas étonnant de trouver une disposition semblable chez le fabricant de mobilier germano-autrichien Thonet dont les techniques de fabrication étaient tout autres.
L’entreprise a été fondée par Michael Thonet (1796-1891) avant de passer à ses fils. Thonet a développé et perfectionné puis industrialisé une technique totalement différente de la menuiserie traditionnelle. Son principe est d’étuver des montants de hêtre, ce qui amollit leurs fibres, puis de les cintrer sur des moules métalliques. Au séchage, les bois conservent la forme arquée qui leur a été donnée. Ils sont ensuite assemblés par vissage. Les meubles ainsi obtenus sont légers mais solides, aptes à équiper les lieux publics comme les cafés et les salles de spectacle, voire certaines pièces secondaires des intérieurs bourgeois mais peu les pièces de réception.
Remarquée à l’Exposition de Londres en 1851, la production de Thonet a dès lors rencontré un succès toujours plus important, bientôt concurrencée après l’expiration de ses brevets par d’autres fabricants, comme Kohn à Vienne.
Les meubles Thonet ont parfois — et en particulier dans la littérature anglo-saxonne — été présentés comme des précurseurs du mobilier art nouveau, en raison de leurs courbes et aussi du versant social qu’a pu avoir l’Art nouveau qui a souvent prôné — sans vraiment la réaliser — une alliance entre l’art et l’industrie. Cette opinion est sans doute inexacte, du moins pour l’Art nouveau des pays latins. La technique même des meubles Thonet a bien induit une esthétique nouvelle mais ses courbes ne sont pas celles, ouvertes et en coup de fouet, développées par Victor Horta et reprises par les créateurs de sa génération. En raison de la juxtaposition des pièces de bois, la ligne des meubles Thonet n’est pas continue ce qui contredit l’idée d’un tout organique que l’on retrouve chez la plupart des créateurs art nouveau. Toutefois, après 1900, quelques rares modèles de Thonet semblent bien avoir été inspirés par les lignes de certains meubles de style Art nouveau français. Dans ce cas, on retrouve bien une ligne continue qui parcourt les sièges.
Mais si une certaine convergence a donc bien existé, elle s’est plutôt faite après coup avec l’évolution de l’Art nouveau vers des formes plus géométriques et moins naturalistes. En Autriche, à partir de 1905, plusieurs artistes de la Sécession viennoise comme Josef Hoffmann et Koloman Moser ont collaboré avec l’entreprise Kohn, pour concevoir des meubles modernes déjà très éloignés de l’Art nouveau tel qu’il s’entendait quelques années plus tôt en France. Une évolution semblable a eu lieu chez Thonet.
Pourtant, le piètement d’un modèle de jardinière de Thonet offre une troublante similitude avec celui de ces deux petites tables de Guimard.
L’étiquette de la marque Thonet collée sous son plateau caractérise une large plage temporelle, entre 1888 et 1922.
Mais on peut retrouver cette jardinière dans le catalogue Thonet de 1904 au n° 9431. Il n’est cependant pas aisé de déterminer la date de sa création car nous ignorons à partir de quelle année elle est apparue dans le catalogue.
Son piètement diffère cependant un peu de celui des petites tables de Guimard. Tout d’abord, les proportions sont différentes et la jardinière en étant moins large donne une impression de moindre fragilité. Ensuite, sur les tables de Guimard les montants obliques vont de droite à gauche en s’élevant alors que sur la jardinière de Thonet, ils vont de gauche à droite[6]. Enfin, sur les tables de Guimard ils restent dans un plan vertical, alors que sur la jardinière de Thonet ils se rapprochent du centre où ils sont réunis par une entretoise en croix et non rectangulaire.
Cette jardinière n’était pas la seule a avoir un piètement non conventionnel qui aurait été complexe à réaliser avec les techniques traditionnelles de menuiserie mais non avec le hêtre étuvé. Par exemple, pour ces deux piètements de tables, chacun des trois ou des quatre pieds se dédouble pour aller en oblique vers le coin supérieur à sa gauche et à sa droite.
Pour cette sellette, les montants soutenant les tablettes sont obliques et ont une certaine parenté avec ceux qui soutiennent la tablette de la sellette de Guimard (cf. plus haut).
De même, chez Kohn, en 1902, le viennois Gustav Siegel (1880-1970) a créé ce modèle de sellette tripode dont les pieds se croisent dans des plans parallèles (comme nous l’avons vu plus haut pour les pieds de la coiffeuse Güell de Gaudí et pour les montants du panier à tricot).
Il peut être flatteur pour Guimard de penser que les dessinateurs de Thonet ont pu s’inspirer des photos de ses meubles parus dans la presse en 1899. Ils auraient ainsi pu les transformer en des produits commerciaux robustes avec d’autant plus de facilité que la technique utilisée par leur firme permettait une réalisation aisée. Mais il est plus raisonnable de croire que c’est plutôt Guimard qui a pu reprendre des idées glanées sur un catalogue Thonet. Il est d’ailleurs avéré que la technique du bois étuvé l’a intéressé puisqu’il l’a employée épisodiquement sur son propre mobilier. On trouve en effet cette précision sur certains catalogues des expositions auxquelles il a participé. Il semble s’en être servi principalement pour les meubles de petites dimensions comme certaines chaises. Autre indice, nous savons que Victor Horta, avec lequel Guimard était en relation suivie pendant les premières années de sa conversion à l’Art nouveau, était profondément intéressé par les meubles Thonet. Avant de concevoir son propre mobilier, il avait meublé la salle à manger de son hôtel particulier de la rue Américaine à Bruxelles avec du mobilier Thonet.
Une autre troublante coïncidence dans la construction du piètement peut être relevée sur une petite table qui faisait partie de la salle de musique[7] présentée par le munichois Richard Riemerschmid (1868-1957) à l’Exposition d’art allemand à Dresde en 1899. Des photos en ont été publiées dans la revue allemande Dekorative Kunst ainsi que dans sa version française, L’Art Décoratif, en juin 1899.
Cette table de Riemerschmid a également existé en version à trois pieds mais celle qui nous intéresse est sa version à quatre pieds, comme celles de Guimard. Sans décor sur le plateau, ni sculpture sur le piètement, elle est beaucoup plus économique et aussi plus moderne.
Si on la compare à celles de Guimard, ses pieds rectilignes disposés en biais, rejoignent le plateau, non pas au niveau du coin suivant, mais au milieu du côté qui suit ce coin. Quant aux jambes de force qui joignent les pieds entre eux, elles ne sont pas arquées presque horizontalement mais pratiquement verticales et placées plus haut. Alors que les pieds sont découpés dans une planche d’épaisseur constante, ces jambes de forces sont tridimensionnelles pour accomplir une torsion d’un quart de tour. Un peu plus haute, mais surtout moins large que celles de Guimard, la table de Riemerschmid donne une impression d’élévation dynamique plus forte.
S’il est pratiquement certain que Riemerschmid n’a pas vu la table de Guimard avant sa publication en septembre 1899, il est presque sûr que, de son côté, Guimard a vu la photographie de la table de Riemerschmid en juin 1899. Mais le délai de trois mois entre les deux publications nous parait trop court pour qu’il ait eu le temps d’en concevoir, faire exécuter et publier sa propre version. Nous émettons donc l’hypothèse d’une conception quasi-simultanée, sans doute toutes deux stimulées par les créations de Thonet, avec une version volontairement épurée et partiellement exécutée à la machine chez Riemerschmid, tandis que Guimard préférait créer un meuble d’exception, exécuté de manière traditionnelle et dont la fragilité dérangeante participe à la séduction qu’il opère sur l’observateur.
Frédéric Descouturelle avec la participation d’Olivier Pons
Nous remercions vivement les lecteurs qui nous ont écrit et qui nous ont permis d’améliorer et de compléter notre article après sa première publication :
Françoise Aubry, ancienne conservatrice du musée Horta, nous a rappelé que, dans un premier temps, Horta avait meublé sa propre salle à manger de la rue Américaine par du mobilier Thonet.
Koen Roelstraete nous a indiqué l’existence de la sellette de Gustav Siegel éditée par Kohn en 1902 dont il nous a fourni une photographie. Il nous a également fourni une photographie d’un fauteuil n° 17613 de Thonet.
Robert Zehil nous a envoyé une photographie du panier à tricot d’auteur inconnu qui figure dans sa collection.
Benjamin Subtil a très heureusement corrigé notre plus sérieuse omission en nous soumettant les deux modèles de petites tables de Riemerschmid datant de 1899.
Notes :
[1] Cette vitrine est proche de celle qui a été donnée en 1949 au musée de l’École de Nancy par Adeline Oppenheim-Guimard.
[2] Cf. notre article du 18 mai 2018.
[3] Ce bougeoir a été acheté par le Cercle Guimard en 2022. Nous l’avons présenté à l’Assemblée Générale de 2023 et il a fait l’objet d’un article.
[4] Cette vitrine a été acquise par notre partenaire Hector Guimard Diffusion en 2019.
[5] Viollet-le-Duc, Eugène, Entretiens sur l’architecture, XIIe entretien, 1863-1872.
[6] Notons que sur le dessin du catalogue Thonet, les pieds sont orientés dans l’autre sens.
[7] Cette salle a signalé Richard Riemerschmid comme l’un des designers allemands moderne les plus remarquables et son talent a été confirmé l’année suivante à l’Exposition Universelle de Paris avec « la chambre de l’amateur d’art ».
En juin 2023, alertés par des amis, nous nous sommes rendus à Reims à la salle des ventes de la Porte de Mars (Collet-Lumeau) pour photographier un « portemanteau de style Art nouveau » non signé et qui allait être mis aux enchères. Son image nous était familière puisqu’il n’était autre qu’un doublon du portemanteau Coilliot qui se trouve à présent au Detroit Institute of Art (Michigan). Mais les belles histoires de meubles exceptionnels vendus pour une bouchée de pain sont bien rares et, à notre arrivée, le commissaire-priseur et son associée avaient déjà été mis au courant du nom de son concepteur et de la valeur qu’ils étaient en droit d’en espérer. La décision avait été prise de le retirer de la vente prévue afin d’organiser la publicité de sa future remise en vente et même de faire les frais d’un expert. Ils nous ont néanmoins aimablement laissé le photographier.
Il n’existe pas vraiment de nom satisfaisant pour désigner ce type de meuble multifonctionnel puisqu’outre sa fonction de portemanteau, il fait également office de porte-chapeaux, porte-cannes et porte-parapluie et est généralement pourvu d’un miroir afin d’inspecter son allure avant de sortir. Certains possèdent aussi une petite boîte où l’on range le nécessaire pour cirer les chaussures. Par simplification, nous retiendrons le terme de « portemanteau »[1]. Obligatoirement placé à proximité immédiate de la porte d’entrée de la maison ou de l’appartement, il doit avoir le moins d’encombrement possible. Seules certaines vastes demeures pouvaient accueillir un meuble d’antichambre comprenant aussi un canapé.
À Reims, nous avons eu tout le loisir d’examiner le meuble afin de pouvoir le comparer à celui du Detroit Institute of Art. Ce dernier est désormais bien éloigné de nous géographiquement mais une belle photo ainsi qu’une petite video commentée par Graham W. J. Beal, le directeur du musée, permet de l’apprécier correctement. Ils ont bien la même structure mais présentent aussi d’importantes différences. Les plus visibles sont bien sûr les quatre plaques de lave émaillées qui, sur l’exemplaire de Detroit, remplacent les panneaux sculptés de l’exemplaire de Reims. Ces plaques aux dessins particulièrement élégants et d’une coloration discrète ont été produites par l’entreprise parisienne d’Eugène Gillet d’après un carton fourni par Guimard. Il n’est pas étonnant que ce dernier ait choisi d’utiliser la lave émaillée, un matériau presque inaltérable, pour un meuble moins abrité qu’un autre puisque sa fonction nécessite de le placer près d’une porte d’entrée. De plus, la lave émaillée s’imposait tout naturellement pour Coilliot[2] puisque ce matériau a été utilisé en abondance pour la façade de sa maison du 14 rue de Fleurus à Lille, ainsi qu’à l’intérieur. Cependant, étant donné que Louis Coillot résidait en fait dans l’immeuble de la rue Fabricy qui est connexe à celui de la rue de Fleurus, la localisation exacte du portemanteau reste incertaine.
La menuiserie en acajou est pratiquement identique sur les deux meubles. Seule la jonction supérieure des deux montants arqués qui relient l’avant du logement du bac aux montants latéraux est plus individualisée sur l’exemplaire de Detroit. Contrairement à l’exemplaire de Reims, la glace de celui de Detroit est biseautée, mais rien n’indique que, dans un cas comme dans l’autre, la glace en place soit celle d’origine. Le nombre de patères est différent : trois pour Detroit et quatre pour Reims. La configuration de l’exemplaire de Detroit est probablement celle d’origine et, au contraire, c’est la configuration à quatre patères qui a sans doute fait l’objet d’une demande spéciale. En effet, dans ce dernier cas, même si les deux patères latérales donnent de loin l’impression de venir se loger idéalement sur des petits emplacements délimités par de légers reliefs arrondis, lorsqu’on s’approche, on se rend compte que ces zones ne sont pas planes, ce qui diminue la surface de contact entre le bois et les patères. Enfin, les deux exemplaires comportent bien un bac en tôle de zinc, accessoire indispensable pour recevoir les parapluies et les cannes. Il est plus haut sur l’exemplaire de Detroit.
La structure de ces portemanteaux était connue par un dessin à grandeur d’exécution conservé au Musée d’Orsay dans le fonds Guimard. La seule inscription qu’il porte est « Étude modelée d’un Porte Manteaux », sans indication de date ni de commanditaire. Sur ce dessin les deux tablettes supérieures ne sont pas jointes comme c’est le cas sur les exemplaires de Detroit et de Reims.
L’absence de signature de Guimard sur les deux exemplaires n’est pas étonnante car avant de posséder ses ateliers de l’avenue Perrichont, il ne l’apposait que rarement sur ses productions. Dans le cas de Louis Coilliot le nombre de commandes passée à Guimard a été considérable à partir de 1898 et au moins jusqu’en 1903. Mais pour le portemanteau de Reims, le vendeur n’a malheureusement pas été capable de fournir d’indications concernant son origine et la commande dont il aurait pu faire partie. Faute de documents précis, la datation de ces deux portemanteaux (dont on imagine qu’ils ont été créés dans le même temps ou à très peu de distance) ne peut être déterminée avec certitude. Cependant l’évolution stylistique de Guimard a été si rapide dans les premières années qu’il est quand même possible d’en donner une approximation.
On connait peu d’autres exemples de meubles similaires dans son œuvre. Le plus ancien, asymétrique, à la fois néogothique et naturaliste, date de 1894 ou 1895[3]. Il est habituellement donné comme provenant de l’hôtel Delfau mais les informations relatives à son premier achat indiquent qu’il proviendrait plutôt de l’hôtel Jassedé construit par Guimard en 1893.
Quelques années plus tard, vers 1898, Guimard a conçu ce portemanteau en bois de Jarrah arborescent et asymétrique dans un style résolument art nouveau où les lignes droites ont disparu. Il l’a fait photographier au sein du Castel Béranger et le cliché est paru dans l’article d’Édouard Molinier dans Art & Décoration en mars 1899. Sa localisation actuelle est inconnue.
Le portemanteau qui nous intéresse ici est la troisième occurrence de ce type de meuble. Il est devenu symétrique, la fougue des premières années ayant cédé le pas à la recherche d’élégance.
Ses tablettes hautes fixées sur de fins montants se dédoublant font penser aux candélabres des portiques des entourages découverts du métro qui adoptent des lignes courbes semblables se penchant vers l’intérieur à leur extrémité. La traverse supérieure de la glace du portemanteau joue le même rôle que le porte-enseigne du portique du métro.
Ces tablettes hautes se retrouvent sur d’autres meubles de Guimard à partir de 1900. C’est le cas d’une paire de vitrines de l’agence de Guimard dont la photographie est parue en novembre 1899 dans le premier numéro de la Revue d’Art.
C’est aussi le cas des étagères du stand du parfumeur Millot à l’Exposition Universelle de 1900 et du buffet de la salle à manger de la maison Coilliot qui a été aménagée vers 1900[4]. Étant donné le fait qu’un des deux portemanteaux ait été destiné à Louis Coilliot, 1900 est donc la date la plus probable de leur création.
On trouve pourtant encore ces tablettes hautes sur une vitrine datée cette fois avec certitude de 1902.
Les patères en laiton sont indéniablement les éléments les plus séduisants de ces portemanteaux. Elles ont une profondeur assez inhabituelle qui peut engendrer un important porte-à-faux si on y suspend un manteau assez lourd. Il a donc été prévu de renforcer la fixation de leurs quatre vis en mettant en place des tubes métalliques qui traversent le bois de part en part. Leur forme très complexe implique qu’elles ont été réalisées au moyen de la technique de la fonte à cire perdue. Guimard leur a donné une forme souple et même agressive car on peut facilement y voir la tête redressée d’un cobra prêt à attaquer.
Mais une des caractéristiques les plus intéressantes de ce meuble n’a jusqu’à présent pas fait l’objet de commentaires. Il s’agit de la façon à la fois élégante et désinvolte avec laquelle Guimard a conçu la ceinture métallique permettant de recevoir les cannes et les parapluies. Il a tout d’abord utilisé un simple fer laminé en U qui a été cintré et dont les bords ont été découpées et pliés aux deux extrémités. Des platines de fer découpées ont été soudées au bord inférieur et au fond du fer en U pour l’accrocher avec solidité à la menuiserie. Ensuite, un simple fil de fer a été soudé à la platine supérieure et, après avoir parcouru une boucle sur le montant latéral du portemanteau, il est venu s’insérer dans le fond du fer en U. Ce faisant, il apporte un relief qui renforce l’intérêt visuel de cette ceinture,
tout en masquant les insertions par vis d’une simple lame de fer placée du côté intérieur de la ceinture. Cette lame a été pliée à de multiples reprises pour former des encoches pouvant recevoir les cannes et les parapluies.
Malgré la découpe artistique des platines latérales et la boucle terminale du fil de fer, l’utilisation de ces matériaux industriels contraste avec la finesse des sculptures de l’acajou obtenue par un travail artisanal de qualité. Elle est pourtant caractéristique de la manière dont Guimard traite habituellement le fer en se refusant à faire exécuter des travaux de ferronnerie d’art pour mieux mettre en valeur le design de ses créations.
Remis en vente à Reims, le 19 novembre 2023, le portemanteau a été acheté pour 57 340 € (avec les frais de vente) par Hector Guimard Diffusion, notre partenaire pour la création d’un espace muséal dédié à Guimard au sein de l’Hôtel Mezzara. Il y figurera dans l’entrée pour accueillir les visiteurs.
Frédéric Descouturelle
Nous remercions Fabien Choné pour les précisions concernant la disposition et l’accrochage des patères.
Notes
[1] Nous récusons le terme de « vestiaire » abusivement utilisé par le marché de l’art ; un vestiaire étant soit une pièce entière, soit un casier fermant à clé.
[2] Cf. notre ouvrage La Céramique et la Lave émaillée de Guimard, éditions du Cercle Guimard, 2022.
[3] Date de sa présentation au Salon de la SNBA et de sa publication dans le portfolio de La Décoration Ancienne et Moderne, 3e année, pl. 86. Il est alors désigné comme un « porte-parapluie ».
[4] Même si une photo ancienne de ce buffet, non encore mis en place, n’a été publiée qu’en septembre 1901 dans la revue Le Mois.
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