En 2013 nous avions publié un article dont la première motivation avait été la vente sur eBay d’une paire de boîtiers de crémones faussement attribuées à Hector Guimard. En explorant leur histoire nous avions pu redécouvrir leur véritable auteur — le Suédois Christian Eriksson — et établir au passage qu’une paire de béquilles appartenant au musée d’Orsay, elles aussi attribuées à Guimard, étaient dues au même créateur (le musée d’Orsay a depuis corrigé sa notice).
Grâce à de nouvelles informations et à l’aide de plusieurs collectionneurs, nous avons pu mieux cerner la production dans le domaine de la quincaillerie d’art de ce très discret artiste.
La rencontre de l’architecte avec ce chef d’entreprise réceptif à son style a sans doute été stimulante pour l’un comme pour l’autre. Si Guimard n’a sans doute pas édité de nombreux modèles chez Gillet, il a pu exercer ses talents de coloriste avec un atelier rompu aux colorations les plus délicates comme les plus percutantes. Quant à Eugène Gillet, il a sans doute été conquis par la nouveauté des décors de Guimard qui lui offrait une alternative à sa production éclectique et la possibilité d’une certaine visibilité au sein des milieux modernistes.
Comme souvent chez les fabricants, les locaux sont décorés avec les productions de la maison, un peu à la façon d’un catalogue commercial. C’est ainsi qu’au 9 rue Fénelon on retrouve dans les parties communes de l’immeuble et dans la cour plusieurs décors de style néo-médiéval ou néo-Renaissance,
Un ensemble comprenant un plafond, deux parois et une arcade est dévolu au style mauresque.
Dans la cour sont scellées plusieurs compositions dont une grande plaque de style japonisant.
Deux autres panneaux attestent qu’Eugène Gillet s’est aussi essayé au style Art nouveau naturaliste.
Une plaque émaillée au motif de noisettes relève de la même veine stylistique.
Mais c’est sa collaboration intense avec Hector Guimard qui a engendré toute une production dans le « genre Guimard ». Une photographie ancienne, conservée par la famille Gillet, montre Benjamin Geslin (beau-frère d’Eugène Gillet) posant avec son épouse et ses enfants dans l’atelier d’Eugène Gillet. Sur le mur du fond, du coté gauche, des plans et des dessins sont disposés ; alors que du coté droit ce sont des plaques de lave réalisées. En plus de deux grandes plaques où un décor de style éclectique entoure des scènes reprises des maîtres hollandais, on retrouve à gauche et à droite des modèles d’un style influencé par celui de Guimard. Le cliché n’est pas daté, mais l’âge approximatif des enfants permet de penser qu’il a été pris vers 1901.
Tout à droite de la photographie, on voit partiellement une grande plaque que nous avions pu acquérir auprès d’un brocanteur il y a quelques années et qui a été émaillée dans une gamme de tons bleus et gris. Il s’agit vraisemblablement d’un modèle destiné à un lambris de vestibule comme Gillet en produit quelques exemplaires. Elle ne porte pas de marque au verso et n’est pas datée. Une plaque de grande dimension comme celle-ci (140 cm) est nécessairement sciée dans la lave naturelle puis sculptée et non estampée en lave reconstituée.
Le même motif a été adapté à une plaque de plus petite dimension que nous retrouvons au sein d’un lot de quatre mesurant 65 cm de haut (soit la largeur de la grande plaque) dont l’une est émaillée recto-verso, une difficulté technique qui restera longtemps une spécificité de la maison Gillet.
On peut aussi trouver sur le site internet d’une galerie New-Yorkaise une plaque de hauteur semblable dont plusieurs surfaces sont traitées en « taille sabrée » et qui est émaillée recto-verso (avec un décor floral partiel au revers). La galerie américaine qui la vend (au prix modique de 60 000 $) depuis très longtemps l’attribue bien sûr à Guimard et la donne comme faisant partie du décor de la maison Coilliot, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Sur la photographie de la famille Geslin prise dans l’atelier d’Eugène Gillet, on distingue encore une petite plaque, ainsi qu’un élément de frise. Nous n’avons pas pu les retrouver, mais nous connaissons deux productions assez proches de la plaque.
Tout d’abord une plaque en lave reconstituée qui a été montée en table basse avec une armature en fer.
Et une plaque émaillée recto-verso. On décèle sur ces dernières œuvres une certaine unité stylistique faite de lignes ondoyantes superposées avec une symétrie de la composition, le tout étant suffisamment différent des productions de Guimard pour ne pas entretenir de confusion.
En revanche, le verso de cette même plaque a un décor tout autre qui fait penser au travail du graphiste viennois Adolf Böhm, mais aussi à la façon dont des vitraillistes comme Jacques Gruber traitent les ciels nuageux.
Du coté gauche de la photographie de la famille Geslin figure aussi un dessin pour une cheminée que nous avons vue il y a quelques années chez un antiquaire des Puces de Saint-Ouen[1] et qui a été émaillée dans une gamme de tons beiges et roses. Elle est constituée de trois gros blocs de lave reconstituée (signe qu’une série a été éditée) et d’une tablette. Si le dessin qui décore son rétrécissement est très proche du travail de Guimard, les lignes enveloppantes et fluides du reste du manteau en sont un peu plus éloignées. Les replis des coins supérieurs sont même assez proches du style de Victor Horta.
La vue de l’intérieur du manteau montre que celui-ci est conçu avec une structure alvéolaire équivalente à celle des cheminées en grès éditées à l’époque par différents fabricants.
Un modèle identique mais malheureusement incomplet a appartenu à la collection Plantin. Il a été émaillé dans une gamme de gris-bleu. Il comportait la traverse supérieure du trumeau du miroir placé au-dessus de la cheminée.
Toujours au 9 rue Fénelon, quatre plaques de vestibule scellées à un mur dans la cour évoquent nettement, sans les copier, les plaques émaillées recto-verso des édicules et des pavillons du métro de Paris. On est ici si proche du travail de Guimard que le doute sur l’attribution à Gillet est permis.
Cette plaque présente une particularité qui n’est que partiellement utilisée pour celles du métro et qui est décrite dans le brevet déposé par Eugène Gillet en 1897. En utilisant les aspérités résultant de la « taille sabrée » on peut faire varier sa couleur selon l’endroit d’où on la regarde. Il suffit de vaporiser une couleur d’émail en oblique dans un sens puis une autre couleur en oblique dans l’autre sens pour obtenir des dépôts différents sur les versants gauche et droit des reliefs.
Le nombre d’exemplaires de ces productions de Gillet dans le genre Guimard semble relativement réduit et il est donc probable que leur succès auprès du public et des architectes est resté assez confidentiel. Faute de signature, le nom de leur auteur s’était entre-temps perdu.
Nous ignorons si Guimard a apprécié ou non que Gillet se lance dans la production de certains modèles qui ressemblaient beaucoup à son propre travail. Aucune correspondance n’est connue à ce sujet. Est-ce pour cette raison que Guimard se détournera progressivement de la lave émaillée ? Ou est-ce parce que Gillet ne pouvait lui offrir de réelles possibilités d’édition industrielle et de diffusion de ses créations ?
Gillet poursuivra néanmoins ses créations modernes pendant quelques années puisqu’il existe — toujours au 9 rue Fénelon — une plaque de lambris de vestibule d’un style de transition entre Art nouveau et Art déco qui ne doit plus grand chose à Guimard.
Deux autres petites plaques très séduisantes ont un décor assez déroutant et difficilement datable. Elles prouvent que les recherches d’Eugène Gillet se sont étendues dans différentes directions.
Peu avant la Première guerre mondiale, Eugène Gillet réduit sa production en vendant l’activité industrielle à Seurat en 1913. Celui-ci poursuit l’exploitation de la lave émaillée dans son usine à Saint-Martin, près de Riom. L’entreprise Seurat travaillera notamment pour la Samaritaine, lui fournissant sa table d’orientation en 1929. Elle fermera dans les années soixante-dix. Après cette cession, l’activité décorative et artistique de la maison Gillet se poursuit encore pendant une décennie à l’usine de La Briche, jusqu’à la fermeture définitive en 1923.
Eugène Gillet se consacre alors à des travaux de bibliophilie en amateur.
Frédéric Descouturelle
[1] Nous remercions M. et Mme Serre de la galerie Choses et autres choses pour nous avoir aimablement permis de photographier cette cheminée.
Le jeudi 12 avril 2018, le lycée Hector Guimard a fêté le 150ème anniversaire de l’architecte, auteur d’un style art nouveau et moderne si singulier. Nous avons organisé une journée spéciale « La journée américaine ». Plusieurs activités étaient proposées, telles que :
– Différents concerts, et plus particulièrement celui d’une chanteuse étrangère, ainsi qu’un garde Républicain.
– Un concert spécial de djembé avec la participation du club de musique et notre professeur de Prévention Sécurité Environnement, responsable de cette activité.
– Une exposition sur la vie d’Hector Guimard et ses constructions avec la participation des 2TEB2 et deux de nos professeurs (anglais et arts appliqués) qui nous ont aidés à créer et mettre en place ce projet.
– Un menu du jour américain était proposé, ainsi qu’un petit déjeuner américain et un goûter américain. Un clin d’œil à l’architecte qui y a passé les dernières années de sa vie.
Le déroulement de notre exposition d’Hector Guimard commençait par une présentation biographique d’Hector Guimard ; suivi d’une vidéo réalisée par un élève de 2TEB2 concernant les stations de métro à Paris, en particulier à Bastille.
Nous avons réalisé une décoration spéciale de la salle constituée d’un plan de Paris découpé par morceaux et posés à même le sol, afin de donner une idée des lieux de vie et de constructions de l’architecte. Sur un panneau était affiché quelques dessins présentant le style artistique d’Hector Guimard tel que le coup de fouet et l’asymétrie.
Afin d’animer notre évènement, nous avons organisé quelques quizz, et disposé un livre d’or pour les visiteurs.
Ces activités étaient accessibles et ouvertes à tous, personnels et professeurs du lycée, élèves et visiteurs de la Journée Portes Ouvertes du 13 avril.
Anisse RACHID, 2TEB2
Un matériau et une technique de nos jours encore peu employés — la lave émaillée — ont beaucoup intéressé Guimard dans la première partie de sa carrière moderne. Il s’est pour cela adressé à l’entreprise Gillet qui est historiquement liée à sa découverte et à son exploitation. Au-delà de l’exécution des modèles commandés par Guimard, Eugène Gillet a eu sa propre production de lave émaillée moderne, dans un style proche de celui de Guimard.
Nous réservons à une publication plus importante la relation de l’invention française de la lave émaillée, de l’historique de ses réalisations les plus marquantes, ainsi que le catalogue de ses utilisations par Guimard. Dans ces deux articles, nous nous contenterons de montrer le passage du style de Guimard chez son fournisseur, Eugène Gillet.
L’initiative de l’utilisation de la lave naturelle des volcans d’Auvergne revient à Gaspard Chabrol, originaire de Volvic et préfet de la Seine de 1812 à 1830 (de Napoléon 1er à Charles X). Il en pave tout d’abord certaines rues puis songe à l’utiliser pour les plaques et les numéros de rue. Parmi les chimistes qui découvrent le moyen d’émailler la lave, Ferdinand Mortelèque (1773- 1842) se distingue et parvient en quelques années (de 1826 à 1830) à peindre sur lave de véritables tableaux aux couleurs nuancées dont la principale qualité est une remarquable résistance aux intempéries, au gel et aux acides.
Parallèlement à son utilisation « administrative » ou utilitaire, la lave émaillée va aussi s’inscrire dans la recherche d’une durabilité des œuvres d’art et en particulier de celles décorant les églises. Quelques premières commandes sont ainsi passées par Chabrol avant la chute de Charles X en 1830. L’intérêt de l’État se maintient cependant grâce à l’architecte Jacques Ignace Hittorff (1792-1867) qui voit dans la lave émaillée le moyen de concrétiser ses ambitions d’architecture polychrome moderne dans la ligne de sa théorie de la polychromie des monuments grecs antiques. Il travaille alors sur le chantier de l’église Saint-Vincent-de-Paul (1831-1844) pour laquelle il prévoit dès 1833 un important programme décoratif dont le décor du porche par d’immenses tableaux en lave émaillée.
Pendant cette période, une première entreprise ayant pour but l’exploitation du procédé de lave émaillée est fondée en 1831 par Pierre Hachette, le gendre de Mortelèque. Elle est remplacée en 1833 par une nouvelle société dont Hittorff lui-même assure la direction jusqu’en 1841. Le décor du porche de Saint-Vincent-de-Paul, peint sur lave par Pierre-Jules Jollivet (1794-1871) assisté par Hachette n’est achevé qu’en 1860… et déposé l’année suivante à la demande insistante du clergé pour « immodestie ».
Entre temps, après le décès de Hachette en 1847, son élève et associé François Gillet (1822-1889) a repris l’entreprise et ouvert un nouvel atelier au 9 rue Fénelon, tout près de l’église Saint-Vincent-de-Paul.
Malgré l’échec du porche de Saint-Vincent-de-Paul, les commandes de grands décors religieux se poursuivent et vaudront à François Gillet une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878. En dehors de quelques copies de tableaux anciens, il poursuit également une activité plus rentable et moins aléatoire de production décorative : intérieurs de cheminée, plateaux de tables, carreaux et frises pour les décors de vestibules, de façades, de salles de bain ou de jardins d’hiver, ainsi que tous éléments architecturaux, jardinières, fontaines, etc.
Mais il a aussi une activité plus industrielle avec les plaques et les numéros de rue de nombreuses villes, règlements de police scellés en extérieur, échelles d’étiage pour les canaux et les ports, tables émaillées pour les laboratoires, cuves à acides, sanitaires, etc.
En 1882, François Gillet innove en créant la lave reconstituée pour laquelle il dépose un brevet. Le procédé consiste à broyer de la lave naturelle (dans la proportion de deux parties) et d’y ajouter des fondants (une partie) et de l’argile (une partie) pour obtenir une pâte plastique qui peut être moulée par estampage avant cuisson et émaillage. Si la lave naturelle reste indispensable pour les surfaces planes importantes, l’estampage de la lave reconstituée permet d’obtenir à bon compte des carreaux et des cabochons en relief qui entrent en concurrence avec ceux produits en faïence émaillée (Loebnitz, Boulenger, Sarreguemines et bien d’autres) et surtout ceux produit en grès émaillé qui seront progressivement industrialisés après 1889 par Muller puis Bigot.
Son brevet d’invention comprend aussi la présence au recto des pièces d’un « peigne » imprimé en creux et en contre-dépouille qui facilite le scellement des pièces.
En 1885 l’entreprise Gillet achète l’usine de La Briche, située dans une zone industrielle de Saint-Denis où les fours déménagent. Ne restent rue Fénelon que le siège social et quelques ateliers.
En 1889, François Gillet décède pendant l’Exposition Universelle où il recevra trois médailles d’or. C’est son fils Eugène Gillet (1859-1938) qui est appelé à reprendre l’entreprise.
Contrairement à son père, Eugène Gillet a reçu une formation artistique académique en étant élève de l’École des Beaux-Arts de Paris. Il participe au Salon en 1878 et devient sociétaire du Salon des Artistes Français en 1884. Il poursuit la même activité que son père en perfectionnant les procédés de la maison. Il dépose en particulier un brevet en 1897 améliorant le rendu de l’émaillage. Sa formation artistique l’a mis en relation avec plusieurs personnalités. L’une d’entre elle revêt une certaine importance : au vu de l’existence de son portrait en médaillon exécuté par Jean-Désiré Ringel d’Illzach et daté de 1891, il est certain que tous deux se connaissent au moins quatre ans avant le décor du Castel Béranger où ils interviendront l’un et l’autre.
Dans l’état actuel de nos connaissances, la lave émaillée semble absente des premières œuvres de Guimard pour n’apparaître qu’avec l’aménagement intérieur du Castel Béranger, vers 1897-1898. Les décors extérieurs de cet immeuble de rapport ainsi que ceux du vestibule et certaines cheminées des appartements font en effet appel au grès émaillé et ont été demandés à l’entreprise d’Alexandre Bigot. Il est donc probable qu’avant 1895, Guimard n’est pas en rapport avec Eugène Gillet, même s’il a pu le côtoyer au sein de l’ENBA. Dans la mesure où Ringel D’illzach avait son atelier rue Chardon Lagache, dans le XVIe arrondissement parisien et à proximité de la zone d’action de Guimard, il est possible que ce soit à lui que Guimard ait eu recours en premier en lui confiant l’établissement de certains modèles du Castel Béranger. Et c’est peut-être Ringel d’Illzach qui a ensuite fait connaître Eugène Gillet à Guimard.
Une autre possibilité de rencontre entre Gillet et Guimard est la présence de ce dernier à l’Exposition des Arts du feu qui se tient de mai à septembre 1897 au Palais des Beaux-Arts au Champ de Mars.
Dans l’Album du Castel Béranger[1], la lave émaillée n’apparait que pour une « cheminé de salon » à la fin du portfolio, juste avant les planches consacrées à des exemples de réalisations qui ne sont pas destinées au Castel Béranger.
Sur cette cheminée en fonte bronzée, la lave émaillée est présente sous la forme de trois plaques sculptées en haut-relief puis émaillées avant d’être insérées derrière des ouvertures ménagées dans le linteau et les deux niches latérales. Photographiée en dehors de tout contexte architectural, cette cheminée sera employée par Guimard, non pas dans un salon, mais dans son agence d’architecture aménagée aux alentours de 1898-1900.
Son équivalent (ou peut-être la même) sera mis en place au Castel Henriette (1899-1903).
Pourquoi Guimard opte-t-il pour la lave sculptée et émaillée pour cette cheminée, alors qu’il aurait pu obtenir un résultat assez proche avec le grès émaillé ? Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Tout d’abord, grâce à la sculpture, les blocs de lave s’ajusteront parfaitement aux ouvertures dans la fonte, sans les aléas entrainés par la déformation du grès à la cuisson. Ensuite, le fait qu’une édition en série ne soit pas recherchée entre sans doute en ligne de compte. Pour un ou deux exemplaires la sculpture n’entraînera pas de trop importants surcoûts. De plus, elle permettra des effets de relief comme le fond granuleux et une précision des lignes plus difficiles à réaliser par l’estampage du grès. Enfin, les procédés développés par François Gillet dans son nouveau brevet du 26 mai 1897 intéressent sans doute Guimard. Plutôt qu’une véritable invention, Gillet y expose une manière de procéder par vaporisation d’émaux de tonalités voisines dans des directions différentes qui permet de renforcer les reliefs et les creux, sans empâtements et sans coulures comme cela se produit sur le grès émaillé. L’émaillage de panneaux de cette cheminée paraît effectivement très fin et renforce l’effet de la lumière sur les reliefs.
Dès lors l’intérêt de Guimard pour ce matériau va devenir très vif et il l’emploie presque immédiatement sur la façade de l’hôtel Roy en 1898, avant de s’occuper de deux importants chantiers où la lave émaillée va intervenir de façon massive.
La première commande est le décor extérieur et intérieur et la maison du négociant en céramique Louis Coilliot à Lille. Un premier projet de façade en brique émaillée est modifié vers août 1897 pour revêtir le rez-de-chaussée de lave émaillée. C’est à ce moment qu’intervient Eugène Gillet et il est probable que c’est par son intermédiaire que Guimard se voit appelé à concevoir un remodelage complet de la façade entière en lave émaillée avant mai 1898. Les tableaux des plaques de lave naturelle utilisées en parement de cette façade présentent un relief obtenu par taille « sabrée » ou « rustiquée » avec un émaillage vert accentuant le relief selon le procédé décrit dans le brevet de 1897.
En plus de la façade, sur une répartition des espaces intérieurs qui lui échappe sans doute, Guimard obtient de Louis Coilliot la décoration intérieure fixe, notamment celles du vestibule au rez-de-chaussée, de l’escalier et de l’appartement du premier étage.
La seconde commande d’importance faisant intervenir la lave émaillée est celle du métro de Paris (1900-1903). Son utilisation y sera étroitement liée à la façon donc Guimard s’en est servie dans le vestibule et sur l’enseigne de la maison Coilliot.
La seule signature de Gillet connue pour le métro de Paris est présente en bas et à gauche de l’enseigne placée au dessus de l’escalier de descente du pavillon voyageur de la Place de l’Étoile avec la mention « M Gillet Lave Emaillée ».
Au total, la CMP aura commandé à Gillet 236 panneaux pour les pavillons et les édicules dont 5 sont de dimensions et décors spéciaux placés au milieu des grandes portes des pavillons. Elle commande aussi 112 enseignes « METROPOLITAIN » pour les différents types d’entrées et 5 plaques d’inscription « Entrée » et « Sortie » aux édicules des stations Saint-Jacques et Place Mazas.
Guimard utilise aussi la lave émaillée pour certaines de ses œuvres architecturales notamment pour les plaques d’enseignes de ses villas.
Pour la décoration intérieure, ce sont surtout sur les cheminées que Guimard utilise la lave, pour de simples rétrécissements de foyer avec des plaques planes en lave naturelle ou pour des manteaux aux volumes plus complexes créés au moyen de lave reconstituée.
Jusqu’au salon des Artistes Décorateurs de 1907, il expose régulièrement des modèles de cheminées avec ce matériau. Après cette date, il semble cesser d’en présenter, sans doute pour mieux mettre en valeur ses créations en fonte.
Alors qu’il s’est très vite préoccupé du problème de l’édition en série, Guimard a bien sûr utilisé tous les matériaux traditionnels qui étaient à sa portée tels que le plâtre, le ciment, la céramique ou le bronze. Mais il en a aussi volontiers expérimenté de nouveaux tels que la pierre de verre Garchey, le fribrocortchoïna ou le lincrusta Walton, pourvu qu’ils présentent un caractère relativement économique et surtout qu’ils puissent recevoir l’empreinte du Style Guimard. Il était donc bien certain que notre architecte n’avait pas pu négliger le produit phare de l’entreprise d’Eugène Gillet : la lave reconstituée. La possibilité qu’elle offrait de produire en série — donc à bon compte — des décors d’architecture a dû être mise en balance avec l’édition de tels modèles par l’un ou l’autre des diffuseurs du grès émaillés. Les modèles de céramique architecturale de Guimard édités par l’entreprise Muller et Cie à Ivry l’ont été en faïence émaillée ou en terre cuite rouge et leur collaboration s’est arrêtée avant la construction du Castel Béranger. S’il a ensuite passé commande de nombreux de modèles en grès émaillé à Bigot, Guimard ne semble pas avoir les avoir fait éditer chez lui. Quant à l’entreprise Gentil & Bourdet, plus tard apparue sur le marché, ses catalogues ne contiennent aucun modèle de Guimard. Eugène Gillet ne semblant pas pour sa part avoir eu de catalogue imprimé, les deux modèles de cabochons qui sont scellés sur deux immeubles de Guimard, (l’immeuble Jassedé et son hôtel personnel) ne pouvaient révéler avec quel matériau ils avaient été moulés ni par quelle entreprise.
Par chance, nous avons pu entrer en possession d’un tirage du modèle de cabochon présent sur l’hôtel Guimard, cette fois revêtu d’un émaillage bleu. Il provient des descendants d’Eugène Gillet et n’a jamais été scellé. À sa face postérieure, son aspect et la présence du « peigne » en creux prouvent qu’il s’agit de lave reconstituée. Il ne comporte pas de mention de fabricant, mais même si (comme beaucoup de créations de Guimard) ce modèle a eu très peu de succès, il a bien été édité par Gillet.
Son motif tourbillonnant est une variante de plusieurs autres motifs du même genre comme celui du papier peint des chambres du Castel Béranger en 1895-1896,
celui des cartouches en fonte des entourages secondaires du métro vers 1902.
On est plus près encore du cabochon en lave émaillée avec le modèle de carreau édité en « Pierre de verre Garchey »[2] quoique celui-ci ait un faible relief,
Ces carreaux en Pierre de verre Garchey ont été utilisés vers 1900 par Guimard pour la salle de bain du Castel Henriette, situé rue des Binelles à Sèvres. Et c’est précisément sur le premier modèle du vase des Binelles, présenté sur le stand de Guimard à l’Exposition Universelle de Paris en 1900, que l’on retrouve ce motif, cette fois avec un fort relief.
On peut donc penser que le carreau Guimard en lave émaillé a été conçu à la même époque. Il n’est pas pour autant étonnant de le trouver sur l’hôtel Guimard près d’une décennie plus tard dans la mesure où Guimard a intégré à son décor intérieur et extérieur des éléments anciens comme autant de jalons de sa carrière de novateur.
Eugène Gillet va également créer un modèle de cabochon au motif tourbillonnant assez proche de celui de Guimard, avec moins de relief et un aspect plus symétrique.
Le résultat est très réussi et, à notre avis, plus intéressant que le modèle en grès émaillé de la maison Bigot qu’on retrouve sans difficulté sur de nombreuses façades.
Ce dernier est très proche d’un autre modèle édité par le céramiste Charles Gréber à Beauvais.
Frédéric Descouturelle
[1] Ce portfolio est annoncé au printemps 1898 et finalement publié en novembre 1898. Guimard y inclut l’entreprise Gillet dans la liste extensive qu’il donne des différents entrepreneurs qui ont collaboré avec lui.
[2] Carreaux de verre de récupération chauffé et compressé.
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