En juin 2023, alertés par des amis, nous nous sommes rendus à Reims à la salle des ventes de la Porte de Mars (Collet-Lumeau) pour photographier un « portemanteau de style Art nouveau » non signé et qui allait être mis aux enchères. Son image nous était familière puisqu’il n’était autre qu’un doublon du portemanteau Coilliot qui se trouve à présent au Detroit Institute of Art (Michigan). Mais les belles histoires de meubles exceptionnels vendus pour une bouchée de pain sont bien rares et, à notre arrivée, le commissaire-priseur et son associée avaient déjà été mis au courant du nom de son concepteur et de la valeur qu’ils étaient en droit d’en espérer. La décision avait été prise de le retirer de la vente prévue afin d’organiser la publicité de sa future remise en vente et même de faire les frais d’un expert. Ils nous ont néanmoins aimablement laissé le photographier.
Il n’existe pas vraiment de nom satisfaisant pour désigner ce type de meuble multifonctionnel puisqu’outre sa fonction de portemanteau, il fait également office de porte-chapeaux, porte-cannes et porte-parapluie et est généralement pourvu d’un miroir afin d’inspecter son allure avant de sortir. Certains possèdent aussi une petite boîte où l’on range le nécessaire pour cirer les chaussures. Par simplification, nous retiendrons le terme de « portemanteau »[1]. Obligatoirement placé à proximité immédiate de la porte d’entrée de la maison ou de l’appartement, il doit avoir le moins d’encombrement possible. Seules certaines vastes demeures pouvaient accueillir un meuble d’antichambre comprenant aussi un canapé.
À Reims, nous avons eu tout le loisir d’examiner le meuble afin de pouvoir le comparer à celui du Detroit Institute of Art. Ce dernier est désormais bien éloigné de nous géographiquement mais une belle photo ainsi qu’une petite video commentée par Graham W. J. Beal, le directeur du musée, permet de l’apprécier correctement. Ils ont bien la même structure mais présentent aussi d’importantes différences. Les plus visibles sont bien sûr les quatre plaques de lave émaillées qui, sur l’exemplaire de Detroit, remplacent les panneaux sculptés de l’exemplaire de Reims. Ces plaques aux dessins particulièrement élégants et d’une coloration discrète ont été produites par l’entreprise parisienne d’Eugène Gillet d’après un carton fourni par Guimard. Il n’est pas étonnant que ce dernier ait choisi d’utiliser la lave émaillée, un matériau presque inaltérable, pour un meuble moins abrité qu’un autre puisque sa fonction nécessite de le placer près d’une porte d’entrée. De plus, la lave émaillée s’imposait tout naturellement pour Coilliot[2] puisque ce matériau a été utilisé en abondance pour la façade de sa maison du 14 rue de Fleurus à Lille, ainsi qu’à l’intérieur. Cependant, étant donné que Louis Coillot résidait en fait dans l’immeuble de la rue Fabricy qui est connexe à celui de la rue de Fleurus, la localisation exacte du portemanteau reste incertaine.
La menuiserie en acajou est pratiquement identique sur les deux meubles. Seule la jonction supérieure des deux montants arqués qui relient l’avant du logement du bac aux montants latéraux est plus individualisée sur l’exemplaire de Detroit. Contrairement à l’exemplaire de Reims, la glace de celui de Detroit est biseautée, mais rien n’indique que, dans un cas comme dans l’autre, la glace en place soit celle d’origine. Le nombre de patères est différent : trois pour Detroit et quatre pour Reims. La configuration de l’exemplaire de Detroit est probablement celle d’origine et, au contraire, c’est la configuration à quatre patères qui a sans doute fait l’objet d’une demande spéciale. En effet, dans ce dernier cas, même si les deux patères latérales donnent de loin l’impression de venir se loger idéalement sur des petits emplacements délimités par de légers reliefs arrondis, lorsqu’on s’approche, on se rend compte que ces zones ne sont pas planes, ce qui diminue la surface de contact entre le bois et les patères. Enfin, les deux exemplaires comportent bien un bac en tôle de zinc, accessoire indispensable pour recevoir les parapluies et les cannes. Il est plus haut sur l’exemplaire de Detroit.
La structure de ces portemanteaux était connue par un dessin à grandeur d’exécution conservé au Musée d’Orsay dans le fonds Guimard. La seule inscription qu’il porte est « Étude modelée d’un Porte Manteaux », sans indication de date ni de commanditaire. Sur ce dessin les deux tablettes supérieures ne sont pas jointes comme c’est le cas sur les exemplaires de Detroit et de Reims.
L’absence de signature de Guimard sur les deux exemplaires n’est pas étonnante car avant de posséder ses ateliers de l’avenue Perrichont, il ne l’apposait que rarement sur ses productions. Dans le cas de Louis Coilliot le nombre de commandes passée à Guimard a été considérable à partir de 1898 et au moins jusqu’en 1903. Mais pour le portemanteau de Reims, le vendeur n’a malheureusement pas été capable de fournir d’indications concernant son origine et la commande dont il aurait pu faire partie. Faute de documents précis, la datation de ces deux portemanteaux (dont on imagine qu’ils ont été créés dans le même temps ou à très peu de distance) ne peut être déterminée avec certitude. Cependant l’évolution stylistique de Guimard a été si rapide dans les premières années qu’il est quand même possible d’en donner une approximation.
On connait peu d’autres exemples de meubles similaires dans son œuvre. Le plus ancien, asymétrique, à la fois néogothique et naturaliste, date de 1894 ou 1895[3]. Il est habituellement donné comme provenant de l’hôtel Delfau mais les informations relatives à son premier achat indiquent qu’il proviendrait plutôt de l’hôtel Jassedé construit par Guimard en 1893.
Quelques années plus tard, vers 1898, Guimard a conçu ce portemanteau en bois de Jarrah arborescent et asymétrique dans un style résolument art nouveau où les lignes droites ont disparu. Il l’a fait photographier au sein du Castel Béranger et le cliché est paru dans l’article d’Édouard Molinier dans Art & Décoration en mars 1899. Sa localisation actuelle est inconnue.
Le portemanteau qui nous intéresse ici est la troisième occurrence de ce type de meuble. Il est devenu symétrique, la fougue des premières années ayant cédé le pas à la recherche d’élégance.
Ses tablettes hautes fixées sur de fins montants se dédoublant font penser aux candélabres des portiques des entourages découverts du métro qui adoptent des lignes courbes semblables se penchant vers l’intérieur à leur extrémité. La traverse supérieure de la glace du portemanteau joue le même rôle que le porte-enseigne du portique du métro.
Ces tablettes hautes se retrouvent sur d’autres meubles de Guimard à partir de 1900. C’est le cas d’une paire de vitrines de l’agence de Guimard dont la photographie est parue en novembre 1899 dans le premier numéro de la Revue d’Art.
C’est aussi le cas des étagères du stand du parfumeur Millot à l’Exposition Universelle de 1900 et du buffet de la salle à manger de la maison Coilliot qui a été aménagée vers 1900[4]. Étant donné le fait qu’un des deux portemanteaux ait été destiné à Louis Coilliot, 1900 est donc la date la plus probable de leur création.
On trouve pourtant encore ces tablettes hautes sur une vitrine datée cette fois avec certitude de 1902.
Les patères en laiton sont indéniablement les éléments les plus séduisants de ces portemanteaux. Elles ont une profondeur assez inhabituelle qui peut engendrer un important porte-à-faux si on y suspend un manteau assez lourd. Il a donc été prévu de renforcer la fixation de leurs quatre vis en mettant en place des tubes métalliques qui traversent le bois de part en part. Leur forme très complexe implique qu’elles ont été réalisées au moyen de la technique de la fonte à cire perdue. Guimard leur a donné une forme souple et même agressive car on peut facilement y voir la tête redressée d’un cobra prêt à attaquer.
Mais une des caractéristiques les plus intéressantes de ce meuble n’a jusqu’à présent pas fait l’objet de commentaires. Il s’agit de la façon à la fois élégante et désinvolte avec laquelle Guimard a conçu la ceinture métallique permettant de recevoir les cannes et les parapluies. Il a tout d’abord utilisé un simple fer laminé en U qui a été cintré et dont les bords ont été découpées et pliés aux deux extrémités. Des platines de fer découpées ont été soudées au bord inférieur et au fond du fer en U pour l’accrocher avec solidité à la menuiserie. Ensuite, un simple fil de fer a été soudé à la platine supérieure et, après avoir parcouru une boucle sur le montant latéral du portemanteau, il est venu s’insérer dans le fond du fer en U. Ce faisant, il apporte un relief qui renforce l’intérêt visuel de cette ceinture,
tout en masquant les insertions par vis d’une simple lame de fer placée du côté intérieur de la ceinture. Cette lame a été pliée à de multiples reprises pour former des encoches pouvant recevoir les cannes et les parapluies.
Malgré la découpe artistique des platines latérales et la boucle terminale du fil de fer, l’utilisation de ces matériaux industriels contraste avec la finesse des sculptures de l’acajou obtenue par un travail artisanal de qualité. Elle est pourtant caractéristique de la manière dont Guimard traite habituellement le fer en se refusant à faire exécuter des travaux de ferronnerie d’art pour mieux mettre en valeur le design de ses créations.
Remis en vente à Reims, le 19 novembre 2023, le portemanteau a été acheté pour 57 340 € (avec les frais de vente) par Hector Guimard Diffusion, notre partenaire pour la création d’un espace muséal dédié à Guimard au sein de l’Hôtel Mezzara. Il y figurera dans l’entrée pour accueillir les visiteurs.
Frédéric Descouturelle
Nous remercions Fabien Choné pour les précisions concernant la disposition et l’accrochage des patères.
Notes
[1] Nous récusons le terme de « vestiaire » abusivement utilisé par le marché de l’art ; un vestiaire étant soit une pièce entière, soit un casier fermant à clé.
[2] Cf. notre ouvrage La Céramique et la Lave émaillée de Guimard, éditions du Cercle Guimard, 2022.
[3] Date de sa présentation au Salon de la SNBA et de sa publication dans le portfolio de La Décoration Ancienne et Moderne, 3e année, pl. 86. Il est alors désigné comme un « porte-parapluie ».
[4] Même si une photo ancienne de ce buffet, non encore mis en place, n’a été publiée qu’en septembre 1901 dans la revue Le Mois.
À la fin de l’année 2022, le Cercle Guimard a fait l’acquisition d’un bougeoir créé par Hector Guimard. De façon inhabituelle, l’achat a été effectué sur eBay. Le vendeur connaissait la nature et la valeur approximative de ce qu’il mettait en vente et nous avons remporté l’enchère pour 3 219 € (avec les frais de port), somme non négligeable mais tout à fait convenable pour cet objet particulièrement rare.
Nous en connaissions l’existence par plusieurs photographies anciennes dont celle — incontournable — parue en septembre 1899 dans la Revue des Arts décoratifs et en novembre 1899 dans la Revue d’Art. Sur la petite table qui a fait l’objet d’un article récent, se trouve un bougeoir, assez difficile à distinguer si l’on ne repère pas la bougie blanche torsadée dont il est pourvu.
Guimard, comme d’autres décorateurs à l’époque, a pris l’habitude d’enjoliver les clichés de ses réalisations de meubles avec des bibelots de toutes natures : copies d’antiques (statuettes de Tanagra), sujets médiévaux (pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne), sujets Renaissance (Persée de Cellini) ou tirages modernes comme la femme endormie de Carpeaux, posé sur la même table que le bougeoir. Il a bien entendu également placé au sein de ses compositions ses propres créations d’art décoratif. Sur la photographie ci-dessus, un vase[1] réalisé en collaboration avec Edmond Lachenal est placé à côté du bougeoir et, dans la vitrine, le plâtre du vase de Cerny[2] qui sera édité un peu plus tard par la Manufacture de Sèvres voisine avec le plâtre d’un autre vase édité en bronze.
Preuve que Guimard en avait conservé un exemplaire qu’il utilisait comme accessoire, ce bougeoir apparait aussi sur d’autres clichés de mobiliers qui ont probablement été pris au sein des ateliers de Guimard, vers 1900-1903.
À une époque où l’équipement des logements par l’électricité gagnait du terrain, de nombreux intérieurs bourgeois étaient encore éclairés au gaz ou plus simplement par des lampes à pétrole. Le tout récent Castel Béranger lui-même ne bénéficiait alors pas de l’éclairage électrique. Lors de ses premières années de créations modernes, Guimard a donc dessiné de multiples appareils d’éclairage en fonction des sources lumineuses disponibles chez ses clients. Si une lampe éclairée au gaz pouvait ensuite être facilement électrifiée en faisant passer le fil électrique dans le tuyau d’alimentation, il en allait autrement pour les lampes à pétrole et plus encore pour les chandeliers. Très peu de ceux qui ont été conçus par Guimard nous sont parvenus, vite relégués et sans doute parfois détruits une fois le logement équipé en électricité. Nous connaissons seulement les images du miroir en triptyque créé pour Mme Fournier, la commanditaire du Castel Béranger [3], pourvu de cinq bougeoirs,
ainsi que celle du lustre du Castel Henriette à Sèvres. Sur celui-ci, les bougies ont un rôle accessoire, voire purement décoratif, puisque le centre est occupé par une lampe à pétrole. Guimard a peut-être voulu renforcer par cette couronne de bougies le caractère médiéval du « castel ».
Contrairement aux lampes à pétrole à poser qui ne devaient être déplacées qu’avec précaution, le rôle d’un bougeoir était d’apporter une source lumineuse ambulatoire. C’est pourquoi on en trouvait souvent sur les chevets des lits pour pouvoir éclairer les déplacements nocturnes (cf. les photos plus haut). Quoi qu’ait pu affirmer le marché de l’art récemment, nous ne connaissons pas d’autre modèle de bougeoir (ou de flambeau) de Guimard que celui que nous avons acquis.
Sa silhouette est globalement piriforme, légèrement concave pour recueillir le surplus de cire fondue. Trois petites pattes, comme on peut en voir sur certaines lampes à huile romaines, le maintiennent en hauteur. Deux ajours à l’avant et un autre latéral sont comme les dentelures que l’on pourrait observer sur une feuille d’arbre attaquée par des insectes. La coupelle recevant la bougie est exhaussée au centre avec un mouvement tournoyant. Elle semble elle-même couler sur son pourtour comme le fait la cire. Cette forme prend d’ailleurs tout son sens lorsqu’on y fait bruler une bougie.
La principale caractéristique de cet objet par rapport aux productions de l’époque est son caractère unitaire, comme le serait un organisme vivant. Cet aspect caractérise d’ailleurs la quasi-totalité des œuvres de Guimard de cette période où l’intervention manuelle au cours du modelage est non seulement visible mais montrée.
Vu par dessous, la comparaison avec une forme animale est encore plus probante, sa poignée s’assimilant à une queue.
On trouve aussi à la face inférieure le monogramme de Guimard en creux.
Coulé en laiton, ce bougeoir a probablement été produit à plusieurs exemplaires. Cependant aucun autre tirage n’est encore connu. Son caractère unitaire, sans montage, avec un volume complexe en contre-dépouille empêche l’utilisation d’un moule bivalve. La technique utilisée a sans doute été la fonte « à cire perdue », plus chère et nécessitant la destruction du moule en plâtre pour chaque tirage. Sous la poignée, un « Y » (ou la lettre grecque lambda) correspond probablement à la marque du fondeur.
Au niveau du départ de la poignée, se trouve une petite proéminence. Sa présence n’est pas anodine car lorsqu’on tient le bougeoir en main, on s’aperçoit que le pouce vient naturellement s’insérer contre cette butée. Guimard semble l’avoir matérialisée à la fois pour aider au maintien du bougeoir et pour simuler le fait que le métal est repoussé par l’action du pouce.
La forme de la poignée peut sembler gratuite, mais en réalité elle est parfaitement conçue pour pouvoir utiliser le bougeoir aussi bien de la main gauche que de la main droite. Son crochet terminal vient en effet se bloquer contre les deux dernières phalanges du cinquième doigt de la main gauche.
ou contre le cinquième métatarsien de la main droite.
La création et le modelage de ce bougeoir ont donc bien fait l’objet d’une réflexion quant à son utilisation et à sa signification. Et cet objet, aussi simple soit-il, fait comprendre toute la distance qui existe entre une forme mouvementée conçue par Guimard et une forme aléatoire.
Frédéric Descouturelle
[1] Cf. notre article du 18 mai 2018.
[2] Cf. notre livre La Céramique et la Lave émaillée de Guimard, éditions du Cercle Guimard, 2022.
[3] Elle n’y a emménagé que bien plus tardivement.
Le Cercle Guimard vous propose deux nouvelles visites guidées et commentées pour débuter cette nouvelle année 2024 avec l’Art nouveau :
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
---|---|---|
sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 10 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |
Le Cercle Guimard vous propose deux nouvelles visites guidées et commentées dont un parcours inédit pour ce mois de novembre 2023 :
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 10 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |
Notre livre consacré à la céramique de Guimard avait recensé les localisations où les céramiques architecturales créées par Hector Guimard avaient été employées, à Paris et en banlieue. Nous venons de découvrir une nouvelle adresse, 5 rue Baillou dans le 14e arrondissement.
Le bâtiment est un immeuble de rapport mitoyen de quatre niveaux et combles avec trois travées à symétrie centrale. Sa façade, essentiellement en briques, serait assez banale sans son décor de céramique. Elle comporte également un jeu de couleurs entre briques de couleur crème pour le fond et briques rouges dessinant différents motifs répétitifs, en particulier au premier étage. Un auvent à deux pans, placé au centre, au-dessus de la porte d’entrée, agrémente également cette façade. Les fontes ornementales des garde-corps n’ont pas d’intérêt particulier.
Les frises et les panneaux de céramique architecturale de Guimard présents sur la façade sont connus. Ils ont été publiés dans le catalogue Muller & Cie (La Grande Tuilerie d’Ivry) de 1904 et déjà employés sur ses premières villas, antérieures à la construction du Castel Béranger. Il s’agit des métopes n° 13, au nombre de 8 exemplaires en bandeau au rez-de-chaussée.
Leurs couleurs sont légèrement différentes de celles utilisées sur deux constructions de Guimard : l’hôtel Louis Jassedé (construit 41 rue Chardon-Lagache à Paris en 1893) et la villa Charles Jassedé (construite 63 avenue du Général De Gaulle à Issy-les-Moulineaux en 1893). Elles se rapprochent de celles de l’annexe de la mairie de Houilles, 18 rue Gambetta (date et architecte inconnus).
Au premier étage, la fenêtre de la travée centrale, est encadrée latéralement par des panneaux n° 138.
Un détail de ce panneau montre bien qu’il s’agit d’émail cloisonné dont les loges en légère dépression ont été créées lors du coulage des pièces dans un moule.
Les couleurs sont différentes des panneaux n° 138 utilisés par Guimard sur l’hôtel Roszé (construit 34 rue Boileau en 1891).
Sur le linteau de la fenêtre centrale du premier étage du 5 rue Baillou se trouve une frise n° 126 à trois éléments.
Ses couleurs sont identiques à celles des frises n° 126 que l’on trouve à de nombreuses reprises au premier étage de l’hôtel Louis Jassedé.
De part et d’autre de ce panneau en linteau du premier étage du 5 rue Baillou, on trouve des éléments de frise n° 125, utilisés individuellement, donc avec la fonction de métopes.
Ses couleurs sont différentes de celles des éléments de frise n° 125 que l’on trouve sur le conduit de cheminée de la façade arrière de l’hôtel Louis Jassedé.
Ces variations de couleurs montrent que l’entreprise Muller & Cie était à l’écoute des desiderata de sa clientèle et sans doute capable de répondre rapidement aux demandes qui lui étaient faites.
Les créations de Guimard ne sont pas les seules à figurer sur cette façade du 5 rue Baillou. En effet, l’allège de la fenêtre centrale du premier étage est une « garniture d’attique » créée par l’architecte Lethorel et qui figure dans un catalogue de 1898 de Muller & Cie.
Ce type d’élément est d’ailleurs assez proche d’un autre modèle où la croisée est cette fois en X et qui a été dessiné par Gustave Raulin. Ce dernier a été le professeur de Guimard à l’École Nationale des Beaux-Arts et nous le soupçonnons de l’avoir introduit chez Muller & Cie.
D’autres céramiques architecturales sont également employées au niveau des étages supérieures, comme les métopes entre le premier et le second étage (sans doute le n° 22 de Muller & Cie) et d’autres au dernier étage (non identifiées). Les linteaux du rez-de-chaussée sont également soulignés à leur partie supérieure par une mince frise de nodosités de couleur verte, probablement également produite par Muller & Cie.
Beaucoup d’immeubles de cette catégorie ne sont pas signés, en particulier lorsqu’ils ont été construit par un entrepreneur. Mais au 5 rue Baillou, l’immeuble a été élevé par un architecte qui a choisi de le signer. Au lieu de faire graver son nom et la date de construction sur une des pierres de taille de la façade, il a créé une plaque spéciale, à nouveau exécutée chez Muller & Cie et l’a placée au premier étage à l’extrémité gauche de la façade. Son lettrage est déjà de style Art nouveau, tandis que son encadrement est plutôt orientalisant.
Cette plaque-signature est même entrée, à titre d’exemple, dans le catalogue de Muller & Cie sous le n° 347, aux côtés d’autres plaques commerciales ou de voirie. La Grande Tuilerie d’Ivry avait sans doute jugé que cette commande précoce de panneaux de style moderne présentait un intérêt.
Grâce à notre adhérent Olivier Desmares, nous en savons un peu plus sur cet architecte qui est très probablement Emmanuel Brun. Il a construit deux autres immeubles dans une rue parallèle à la rue Baillou, au 6 et 8 rue Louis Morard. À nouveau pourvus de façades de briques décorées de céramiques (comme de nombreux immeubles de cette rue) ils possèdent tous deux une plaque-signature de style plus nettement Art nouveau, datée de 1902.
On le retrouve dans l’édition de 1907 du répertoire des architectes élèves de l’École des Beaux-Arts sous le nom de Jean-Louis-Emmanuel Brun, né à Clermont-Ferrand en 1864. Il est entré à l’École des Beaux-Arts en 1883 (deux ans avant Guimard) où il a été l’élève de Julien Guadet. Il a exposé au Salon des Artistes Français et avait son cabinet au 78 rue Mozart (alors que Guimard installera le sien au 122 de la même rue vers 1910). Ces informations confirment le fait que les deux architectes se connaissaient très certainement.
Emmanuel Brun a également exercé à Nice où il est l’auteur d’un immeuble au 15 rue Gounod (1899) employant des céramiques de Muller & Cie (métope n° 36 au motif de chardon). Il a déménagé en 1909 dans cette ville où il est décédé en 1948.
Au quatrième étage du 6 rue Louis Morard, on trouve aussi deux tympans identiques, au motif de pavot, qui ne figurent pas dans le catalogue Muller & Cie de 1904. Il s’agit de panneaux en émail cloisonné (comme ceux de Guimard) et qui présentent même une certaine similitude avec plusieurs de ses céramiques architecturales au motif de tournesol comme le panneau n° 136, la frise n° 126 ou le tympan triangulaire non répertorié de l’hôtel Jassedé. Il se confirme donc que Muller & Cie n’a pas hésité à créer de nouveaux modèles imitant les compositions de Guimard sans en avoir la vigueur. Il est même possible que ces imitations aient pu générer un différent entre Guimard et Muller & Cie débouchant sur l’arrêt des commandes de Guimard au moment de la construction du Castel Béranger.
La plaque-signature de la rue Baillou, publiée sur le catalogue Muller & Cie de 1904, pouvait être réutilisée sur d’autres immeubles de l’architecte. Elle pouvait aussi inciter ses confrères à agir de même. À Nancy, l’architecte César Pain (1872-1946) a ainsi posé des plaques-signatures semblables sur un grand nombre de ses petites maisons de ville construites dans le style de l’École de Nancy, en particulier rue Félix Faure, à partir de 1904. Il a aussi utilisé de nombreux autres modèles de céramiques architecturales de Muller & Cie sur ses façades.
Nous profitons de cet article pour présenter ci-dessous un autre élément de céramique architecturale de Guimard édité par Muller & Cie. Il nous a été généreusement donné par deux de nos anciens et fidèles adhérents. Ils avaient acheté en Belgique un lot de ce modèle, sans savoir alors que Guimard en avait été le dessinateur.
Il s’agit d’un élément de la frise n° 127 présente dans le catalogue Muller & Cie de 1904, avec des couleurs différentes. Le seul emploi connu de cette frise par Guimard est sur la véranda de la façade avant de l’hôtel Roszé.
Frédéric Descouturelle
Le Cercle Guimard vous propose pour cette rentrée 2023, deux nouvelles dates de visites guidées et commentées :
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
---|---|---|
sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 10 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |
Durant les mois de juillet et de septembre 2023, la villa Berthe – la Hublotière située au Vésinet (78) ouvrira ses jardins au public. L’occasion est idéale pour le visiteur d’admirer d’un peu plus près cette œuvre remarquable construite par Hector Guimard en 1896.
Contemporaine du Castel Béranger dont elle reprend certains traits, la Hublotière est considérée comme la première œuvre Art nouveau de Guimard. L’ouverture des jardins de cette demeure bourgeoise permettra notamment de découvrir l’étonnante façade arrière – invisible de la rue – et d’approcher son toit-terrasse souligné d’élégantes ferronneries d’époque.
L’ouverture est prévue tous les jours du 1er au au 21 juillet inclus, de 9h à 15h, ainsi que du 6 au 30 septembre inclus, du mercredi au dimanche, de 9h à 15h. Le tarif est d’1€ par personne. Les visites sont libres et sans réservation.
Durant le week-end des Journées européennes du patrimoine, les 16 et 17 septembre prochains, des animations sont prévues avec, notamment, la présence de sculpteurs.
Nous vous souhaitons une bonne visite et saluons les propriétaires à l’origine de cette heureuse initiative.
La villa Berthe – La Hublotière, 72 route de Montesson, 78110 Le Vésinet
https://lahublotiere.com/
Avec l’arrivée des beaux jours, le Cercle Guimard vous propose une nouvelle date de visite guidée à la découverte des œuvres emblématiques d’Hector Guimard dans le 16ème arrondissement :
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 10 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |