Notre rubrique « Nos recherches » vient de s’étoffer avec une étude sur le portfolio du Castel Béranger.
Cette étude initiale, présentée à l’Assemblée Générale Extraordinaire du Cercle Guimard du 4 juin 2016, sera complétée ultérieurement par une recherche plus poussée sur les nombreux « petits arrangements avec la vérité » que l’on peut trouver dans les planches de ce portfolio.
Cette étude initiale, présentée à l’Assemblée Générale Extraordinaire du Cercle Guimard du 4 juin 2016, sera complétée ultérieurement par une recherche plus poussée sur les nombreux « petits arrangements avec la vérité » que l’on peut trouver dans les planches de ce portfolio.
L’histoire du Castel Béranger débute en 1894 quand Hector Guimard, 27 ans à l’époque, reçoit la commande de Madame Veuve Fournier d’un immeuble de rapport à construire au 12 rue La Fontaine à Paris (le numéro oscillera ensuite entre le 12 et le 16, la plaque en fonte fixée sur la façade se fixant sur le 14). Sa construction s‘étale de 1895 à 1897, et connait des modifications radicales du second œuvre à la suite du séjour de Guimard à Bruxelles, où il fait la rencontre de Victor Horta et d’architectures revendiquées comme modernes
Avec son édification, Guimard rencontre le succès : il tient à faire l’évènement autour de ce qu’il considère être un véritable manifeste artistique. La presse se fait alors l’écho d’une architecture qui ne passe pas inaperçue et qui d’ailleurs se doit d’être remarquée. Le 28 mars 1898, le Castel Béranger est lauréat du premier concours de façades institué par le Conseil municipal de la ville de Paris qui récompense ceux qui veulent faire de Paris, une ville à la fois belle et moderne à l’orée du XXe siècle. Enfin, le 4 avril s’ouvre une exposition organisée dans les salons du Figaro consacrée à l’édifice et à son architecte.
Dans le but de capitaliser un certain succès médiatique, ainsi que de faire la promotion de son talent, Hector Guimard fait paraître en 1898 un luxueux album de 65 planches en couleurs présentées dans un emboîtage conçu spécialement et qui présente la somme considérable du travail qui l’avait monopolisé pendant plus de deux ans. L’éditeur est la librairie Rouam qui édite également la Revue des arts décoratifs. Son titre original est : L’Art dans l’habitation moderne/Le Castel Béranger. Par commodité on le désignera sous le terme du portfolio du Castel Béranger.
Dès les premières planches, Guimard prend soin de citer toutes les sous-traitants avec lesquels il a travaillé et qui ont donné corps aux fruits de son imagination. Une démarche respectueuse qu’il prendra soin de perpétuer tout au long de sa carrière.
Les planches d’illustrations sont de grande qualité. Leurs reproductions sont tirées de clichés photographiques légèrement imprimés et qui reçoivent un ajout de couleurs transparentes apposées au pochoir par un procédé mécanique, mais néanmoins onéreux, dit « fac-similé d’aquarelle ».
Guimard y présente de façon très détaillée l’architecture extérieure et intérieure ainsi que les mosaïques, les ferronneries, les fontes, les revêtements intérieurs (papiers peints, lincrustas Walton, cordolovas), les tapis d’escalier, les vitraux, les cheminées, les céramiques, les staffs et les éléments de quincaillerie (poignées de porte, sonnettes, crémones, etc.)
Il est intéressant de noter que, dans ses dernières planches, ce portfolio montre également des pièces de mobilier. Mais seuls les meubles des toilettes font alors partie de l’équipement livré avec les appartements mis en location, au même titre que les cheminées et les miroirs.
Néanmoins, par goût personnel et à titre quasi-publicitaire, il équipe son appartement et son agence au Castel, de différentes pièces qu’il n’hésite pas à présenter comme ce qui doit meubler une architecture moderne. Le trépied et son cache pot, ou bien le porte-manteau et le tabouret, trouvent leur place dans cette œuvre d’art totale.
Mais d’autres meubles n’y ont jamais figuré. C’est en particulier le cas d’un canapé-vitrine et d’un meuble-cheminée, aujourd’hui visibles au musée d’Orsay, et qui sont issus de la propriété Roy des Gévrils.
Le miroir en triptyque avec ses flambeaux a été dessiné pour la propriétaire du Castel Béranger, Madame Veuve Fournier. Son dessin, daté du 27 octobre 1897, indique qu’il est destiné à l’appartement qu’elle occupait alors au 18 rue Yvon dans le XVIe arrondissement. Il n’intégrera sans doute le Castel Béranger que lorsqu’elle viendra s’y installer, au troisième étage.
Quant à la grande bibliothèque présentée à la planche 63, il est fort probable que, malgré la présence d’une frise de papier peint Guimard, elle n’était ni dans un appartement du Castel Béranger, ni dans l’agence d’architecture de Guimard, mais plutôt chez Nozal père ou fils.
La dernière planche présente quelques vases en grès et en bronze sans rapport avec la décoration intérieure des appartements du Castel Béranger. Hector Guimard a donc eu l’intelligence de profiter de l’occasion pour diffuser un panorama de ses productions d’un style totalement novateur et jamais vu.
Ce portfolio est tout d’abord lancé en souscription au prix de 60 F-or au printemps 1898. Le bulletin de souscription qui paraît dans plusieurs revues d’art décoratif annonce une parution pour le 15 juin. Mais celle-ci n’a finalement lieu qu’en novembre 1898, avec un prix public qui passe alors à 80 F-or. En accédant à une requête formulée par Guimard le 29 décembre, la Ville de Paris en acquiert huit exemplaires pour certaines de ses bibliothèques.
Il semble que le prix continua d’augmenter puisque des publicités plus tardives indiquent un prix passé à 100 F-or, prix également cité par Georges Vuitton dans l’hommage qu’il rend à Hector Guimard en novembre 1932 (voir l’article d’Olivier Pons à ce sujet sur notre site).
On lit dans cette page publicitaire que ces trois portfolios de cette maison d’édition sont imprimés selon le même procédé de « fac-similé d’aquarelle ». Pour le premier des deux volumes des Documents d’Ateliers (1898 et 1899), dirigés par Victor Champier rédacteur en chef de la Revue des Arts Décoratifs, Guimard a fourni deux planches lui permettant de figurer aux cotés des rénovateurs de l’art décoratif, mais a pris garde de ne livrer que des éléments plus anciens de sa production architecturale, en l’occurrence l’hôtel Jassedé qui date de 1893, et non des vues du Castel Béranger qu’il désire réserver à son portfolio.
Une attitude qui a autant excité la curiosité des critiques que donné au Castel un caractère mystérieux. Le 19 décembre 1896, Louis-Charles Boileau, dans L’Architecture, rédige le tout premier article à propos de cette construction nouvelle. Toutefois, il s’excuse de ne pouvoir détailler avec précision le bâtiment, ni d’illustrer son propos, n’ayant pas reçu en amont l’autorisation de l’architecte. Il précise alors que Guimard tient à « publier une monographie complète de son œuvre ». Seul un croquis de l’encadrement en pierre de la porte d’entrée a été accordé par Guimard, sous condition de lui restituer le cliché typographique une fois la parution du journal passée. D’ailleurs, Boileau ne semble pas s’en plaindre, soulignant qu’il n’y a pas plus respectueux de la propriété artistique que lui. Il invite alors ses lecteurs à se déplacer afin de juger par eux-mêmes de ce nouveau style « difficile à expliquer ». Cela ne l’empêche pas de faire, sur presque deux pages, une présentation assez détaillée du bâtiment, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il conclut son article par quelques informations données par Guimard qu’il est intéressant de noter : « Tous les modèles, dessins ou maquettes ont été dessinés, faits par mes soins et sont ma propriété ». Tout en ajoutant les noms des artisans et entreprises qui ont œuvré pour le Castel. Guimard tient donc à prendre la posture du chef d’orchestre, et il semble qu’il ait voulu en imposer l’idée le plus tôt possible.
Quelques mois après la parution du portfolio, Guimard et la librairie Rouam s’assurent de la publication d’un opuscule d’une quarantaine de pages contenant deux « Études sur le Castel Béranger », toutes deux extrêmement laudatives.
Le premier texte est signé par Gustave Soulier, historien d’art et rédacteur de la revue Art et Décoration ; l’autre par un certain P. N. sous les initiales duquel on croit reconnaître Paul Nozal. Annoncé le 12 mai 1899 dans Le Moniteur des arts, puis sur d’autres supports, cet opuscule vient soutenir la récente exposition consacrée au Castel Béranger dans les salons du Figaro en avril et mai 1899.
Dans la presse spécialisée, la parution du portfolio suscite des réactions plutôt positives, dans la continuité de celles apparues suite à l’édification du Castel lui-même, comme en témoignent les deux articles suivants.
Article paru dans La Chronique des Arts et de la Curiosité le 4 février 1899 (avec la faute d’orthographe d’époque…)
« Au moment où Paris se décide à instituer, comme l’ont déjà fait d’autres capitales étrangères, des concours de maisons pittoresques en vue de remédier à la banale uniformité de la plupard de nos rues et de nos demeures, il est opportun de signaler une des tentatives les plus intéressantes qui aient été faites dans ce but, ces derniers temps, et qu’un luxueux album nous fait connaître en détail : le « Castel Béranger », récemment édifié rue La Fontaine, à Auteuil, par un jeune architecte de talent, professeur à l’Ecole Nationale des Arts décoratifs, M. Hector Guimard. Simple immeuble de rapport comprenant plusieurs corps de bâtiment, cette construction éveille, de prime abord, la curiosité et retient bientôt l’attention du passant, car on y sent plus qu’un vulgaire désir de nouveauté révolutionnaire, mais la traduction d’une idée logiquement déduite qui s’affirme de plus e plus fortement au fur et à mesure qu’on étudie l’œuvre dans ses parties. Cette étude intéressante, qu’il n’est pas loisible à tous de faire sur place, l’album que voici – où, depuis l’ensemble jusqu’aux moindres détails, tout l’édifice est reproduit en fac-similé d’aquarelles avec une perfection qui donne l’illusion de la réalité – nous permet de la faire tout à l’aise. Façades, portes, grilles, balcons, motifs sculptés, fontaine, fenêtres, vitraux, tapis, tentures, poignées de portes, verrous, cheminées, glaces, vases, etc… tout a été dessiné et exécuté spécialement pour cette demeure, tout révèle une imagination fertile, peut-être un peu exubérante, mais toujours séduisante, et l’on y constate un franc parti pris de tout accuser nettement, d’adapter parfaitement chaque objet à sa destination.
Un si considérable et si bel effort mérite assurément d’être encouragé ; il l’est déjà, paraît-il, par le succès qu’obtient, au point de vue de la location, l’édifice lui-même, et celui qui accueille, surtout à l’étranger, la luxueuse publication que nous signalons. Nous espérons que cet exemple portera ses fruits.
A.M. »
Article paru dans Le Mercure de France dans le numéro de juin 1899 :
« C’est une tentative courageuse de rénovation architecturale que celle à laquelle M. Hector Guimard vient d’attacher son nom. Le superbe album que j’ai sous les yeux contient soixante-cinq planches retraçant l’ensemble et les détails d’une construction d’un style nouveau, édifié à Passy (16, rue Lafontaine), et baptisée Le Castel Béranger. Il y a dans cette œuvre une passion d’art étroitement unie au souci d’être pratique, car, et c’est là un titre de plus à nos louanges, le Castel Béranger n’est pas un monument public, ni un palais particulier, mais une simple maison de rapport dont les loyers varient de 700 à 1500 fr. J’ai visité cet immeuble et j’ai été frappé de la commodité locative. On a souvent répété que l’art appliqué moderne manque de confortable. Je sais, de nos créateurs d’objets d’art les plus connus, de jolies chaises où j’ai crainte de m’asseoir, des miroirs à main qui pèsent un kilo et des chandeliers qui meurtriraient les plus adroits. Si l’œuvre de M. Guimard est du plus haut intérêt, c’est qu’elle est à la fois moderne, artistique et mieux aménagée que toutes les constructions analogues.
Ceux qui voudront se donner la peine d’étudier les planches du bel ouvrage publié par MM. Rouam et d’Hostingue se rendront compte facilement de ce qu’il y a de révolutionnaire dans cette architecture. Quelle que soit la façade que vous considériez, quel que soit le détail qui vous arrête, vous serez frappé par la volonté de l’auteur d’éviter ou de voiler les lignes droites. Il en résulte pour l’ensemble une impression de mouvement, de vie et de gaité qui semble bien neuve dans cet ordre de conceptions. En tous cas, M. Hector Guimard a développé son idée d’une manière complète, s’attachant logiquement à dessiner jusqu’aux moindres détails : papiers peints, étoffes, tapis, ferrures, pâtisseries, etc… Et pour parfaire son travail, il a même composé les meubles de l’appartement qu’il occupe dans la maison. Tout cela conçu selon une vue générale laisse la sensation qu’une énergie méthodique et scrupuleuse a soutenu l’architecte dans l’accomplissement de son œuvre.
Plusieurs confrères de M. Guimard avec lesquels je causais du Castel Béranger, lui reprochent avec raison l’abus de la décoration en coup de fouet. Autant, en effet, ce mode de décoration peut être heureux lorsqu’il est justifié, autant il peut devenir fatiguant s’il est superflu. Je crois que, dans l’œuvre qui nous occupe, il y a une répétition exagérée, parce que souvent inutile, des mêmes motifs en lanières.
En résumé, si la création de M. Guimard n’est pas parfaite, c’est du moins un des plus importants efforts de l’architecture contemporaine et nous possédons si peu d’architectes qui soient des chercheurs que nous devons soutenir de toutes nos forces les rares hommes qui s’acharnent à s’évader des styles et des formules du passé.
Yvanhoe Rambosson
Bien évidemment, le Castel ne pouvait recevoir l’unanimité en termes de critiques positives dans la presse. Guimard est un architecte qui cherche à interroger nos connaissances et nos ressentis, à faire naître en nous une attitude d’observateur. Du fait de cette subjectivité mise en éveil, chacun a tenu à donner son avis et discuter à propos de cet « art nouveau ». André Hallays, journaliste et auteur de nombreuses plaquettes sur l’architecture ancienne, est fréquemment en colère contre certaines formes de modernités qu’il ressent comme une agression. Il sera d’ailleurs plus tard l’auteur de plusieurs attaques contre les entrées de métro de Guimard. Pour l’heure, dans le numéro du 7 avril 1899 du Journal des débats politiques et littéraires, il écrit :
« Si l’on veut mesurer le mal que peut faire aux artistes l’éternelle remontrance de certains esthètes criant sans relâche : « Du nouveau ! du nouveau ! faites-nous du nouveau ! » il faut aller voir le castel Béranger. Assurément, cette maison n’est point banale, elle est même extravagante. On voit bien, on voit trop, quelle pensée a ici obsédé l’architecte. Son idée fixe, qui se trahit partout, de la porte du vestibule jusqu’aux combles, c’est de rompre avec toutes les traditions, et de protester contre toutes les conventions. Généreux desseins ; seulement, la protestation continuelle, la protestation irréfléchie, devient vite intolérable, tout comme la pire des routines.
« C’est une des manies les plus absurdes de l’architecture contemporaine que la superstition de la symétrie. » -Soit ! Mais si les fenêtres sont de hauteurs et de largeurs diverses, si la façade avance et rentre de place en place, encore faut-il que ces irrégularités mêmes se soient point de simples fantaisies et qu’elles soient commandées par la logique générale de la construction. Ici, c’est de la pure incohérence.
« Rien de triste comme les froides et incolores façades de pierre, rien de sot comme le mépris des constructeurs pour la charmante diversité des matériaux. » – Fort bien ! et il est naturel d’associer la pierre, le fer, le bois, la fonte, les grès flaminés, les briques de toutes couleurs et les briques émaillées aux tons brouillés et pâles (il y en a d’exquises au castel Béranger) ; mais il est indispensable que tous ces éléments se fondent en un tout harmonieux. Hors, les matériaux divers sont présentés sur cette façade comme une carte d’échantillons.
« Enfin, il est urgent d’en finir avec tout le décor classique, avec les ordres, les guirlandes, les consoles à volutes, les têtes de Gorgones, les coquilles, les urnes, les cassolettes et les feuilles d’acanthe. » – Tout le monde est là-dessus d’accord. Seulement il importe alors de découvrir dans la nature le principe d’une décoration nouvelle et rationnelle. Mais que viennent donc faire aux balcons tous ces masques diaboliques ? Et ces informes ornements de grès ? Que veut dire le dessin baroque des fers et des cuivres qui ornent les portes, les vestibules et jusqu’aux soupiraux, sorte de paraphe gauche et grêle ? Pourquoi sur les vitraux ces bariolages imprévus pareils à des zigzags de foudre ?
C’est vraiment une maison de cauchemar. Je n’en ai pas visité l’intérieur. Mais on voit, pour le moment dans le salon d’exposition du Figaro, quelques échantillons des meubles, des tentures et des cheminées du castel Béranger. Ils sont, je le veux bien, en harmonie avec l’aspect extérieur de la demeure. Mais on frémit à la pensée de vivre au milieu de ces choses convulsées et tordues.
Regardez seulement la sonnette, la fantastique sonnette de la porte d’entrée et dites si la seule idée de tirer, chaque soir, cet engin terrifiant et mystérieux ne donne pas le frisson …
Je traverse Passy où, de tous côtés, s’élèvent encore des façades, de lamentables façades, qui, celles-là, n’ont d’original que leur paradoxale lourdeur. Je me sens un peu plus indulgent pour les excentricités du castel Béranger. »
Il semble que le portfolio du Castel Béranger aurait pu avoir une postérité. C’est bien ce que pourrait avoir annoncé un entrefilet paru dans le deuxième numéro de la Revue d’Art (revue dont Guimard avait dessiné la couverture) parue le 11 novembre 1899
« Les meubles si intéressants qui illustraient l’article de notre excellent collaborateur Frantz Jourdain, sont le complément du Castel Béranger de M. Hector Guimard et feront partie d’une nouvelle édition de cet ouvrage, considérablement augmenté. Un nouveau succès que se prépare la librairie Rouam et M. d’Hostingue, son habile directeur. »
C’est effectivement dans le premier numéro de la revue qu’un article de Frantz Jourdain est illustré par de nouveaux meubles de Guimard. Il est donc probable qu’en prévision de l’Exposition Universelle, Guimard prévoit de présenter au sein d’une nouvelle publication luxueuse ses créations architecturales plus récentes, ainsi que des ensembles mobiliers témoignant de l’évolution rapide de son style. Mais, malheureusement, ce second portfolio ne verra jamais le jour.
On peut penser qu’en raison de son prix élevé, le portfolio du Castel Béranger ne connut pas un grand succès de diffusion et la maison éditrice ne le fit probablement pas rééditer. En acquérir aujourd’hui un exemplaire est désormais un exercice assez onéreux. Celui vendu sur eBay en 2014 a dépassé les 5 000 euros. Mais d’autres options sont possibles. On peut en acquérir une reproduction, comme celle produite par le Musée Villa Stuck à Munich, présentée au sein d’un livre qui est régulièrement disponible sur eBay :
La reproduction en fac-simile du portfolio avec ses planches et son cartonnage, éditée en 1997 par l’éditeur italien Electa, peut se trouver à l’adresse suivante :
http://www.electaweb.it/catalogo/scheda/978884356212/it?language=en_EN
On peut enfin en télécharger les planches au format PDF grâce à l’ETH-Bibliotheck de Zürich qui le propose à cette adresse :
http://www.e-rara.ch/doi/10.3931/e-rara-27774
Les planches du portfoliio du Castel Béranger illustrant cet article ont été tirées de ce site.
Agathe Bigand-Marion,
Laurent Bouttaz,
Frédéric Descouturelle.
Merci à Olivier Pons qui a fourni les publicités parues dans Bibliographie Française en 1900.
Un grand nombre de références sont tirées du catalogue de l’exposition Guimard au musée d’Orsay en 1992, sous la direction de Philippe Thiébaut, éditions Musée d’Orsay/RMN, ainsi que de l’ouvrage de Georges Vigne et Felipe Ferré, Hector Guimard, paru en 2003, éditions Charles Moreau & Ferré.
Les auteurs, Frédéric Descouturelle et Olivier Pons ainsi que toute l’équipe du Cercle Guimard ont le plaisir de vous annoncer la sortie du livre « La Céramique et la lave émaillée » dont la souscription lancée en début d’année a été un véritable succès.
L’ouvrage est à présent disponible au prix public de 30 €. Pour éviter les frais de port, vous avez la possibilité d’une remise en main propre dans nos locaux du Castel Béranger (75016 Paris) sur rendez-vous. Il sera également distribué dans plusieurs librairies spécialisées dont nous fournirons la liste prochainement.
Si vous souhaitez vous le procurer ou pour tout renseignement, merci d’envoyer un mail à l’adresse suivante : infos@lecercleguimard.fr
Charles Bilas, auteur de ce guide, vous convie à une promenade qui se terminera à l’ancien atelier de Guimard au Castel Béranger.
En visio-conférence (Zoom), le Bureau étant réuni au Castel Béranger, à Paris dans le 16ème arrondissement, le 27 mai 2021 à 18 h. Lors de cette assemblée, 43 adhérents étaient présents en ligne.
Ordre du jour
C’était prévu au printemps dernier, la Covid 19 en a décidé autrement. Ce samedi 23 janvier, les membres du bureau du Cercle Guimard avaient rendez-vous au 16, boulevard Beaumarchais, à deux pas de la place de la Bastille, à Paris. La mission de ce commando ? Récupérer une collection unique de documents, celle – aussi précieuse qu’étendue – qu’avait réunie Jean-Pierre Lyonnet, président-fondateur du Cercle, disparu le 25 septembre 2019. En lien avec l’association depuis sa création en 2003, Monique, épouse de l’ancien président, en accord avec Thomas et Clara leurs enfants, avait émis le souhait que cette « accumulation » – aussi intéressante qu’impressionnante, demeure entière et, partant, reste utile. Cette volonté bien sûr entendue avec grand intérêt par le Cercle, s’est concrétisée en ce samedi de janvier.
C’est donc avec enthousiasme que les membres du Cercle ont transféré dans des cartons (plus de 50 et une vingtaine de grands sacs pour les hors-formats et documents fragiles…), les six rayonnages emplis d’ouvrages de la bibliothèque d’histoire et d’architecture Jean-Pierre Lyonnet. D’abord, une imposante section Art nouveau, avec – à tout seigneur, tout honneur – une large place réservée à Hector Guimard, puis de nombreux livres, documents et publications ayant trait aux divers mouvements modernes (style International, Bauhaus… et leurs grandes figures : Le Corbusier, Rob Mallet-Stevens, Perret, Plumet…). S’y ajoutent des sections entières sur les bâtiments industriels, les transports, les aéroports et même… les autodromes, ainsi que d’innombrables classeurs rassemblant articles, originaux, cartes postales et autres images parfois inédites et rarissimes. Cela aussi bien pour la France que pour de nombreux pays étrangers, avec une mention spéciale pour les Etats-Unis et super-spéciale pour l’Angleterre, pays quasi d’adoption et cher à Jean-Pierre Lyonnet. Surtout, cet ensemble rassemblait une dizaine de collections – parfois complètes – de revues et de publications consacrées à l’architecture. Citons « La Revue du bâtiment », « L’Architecte », « Le Studio », sans oublier, la toujours actuelle et barcelonaise « Coup de Fouet ».
Dûment classées et empaquetées – mais non répertoriées (le travail reste à faire !) –, ces pépites ont pris le chemin du XVIe arrondissement, pour rejoindre le Castel Béranger, l’immeuble qui, au début du siècle dernier, abritait l’agence d’Hector Guimard. Ultime clin d’œil à Jean-Pierre Lyonnet, qui a dépensé tant de temps et tant d’énergie à honorer l’architecte d’art.
Avec ce qu’il convient désormais d’appeler le fonds Jean-Pierre Lyonnet et la donation Arthur Gillette, le centre d’archives et de ressources du Cercle Guimard prend corps.
Notre précédent article a montré que les décors en céramique du Castel Béranger ne sont que partiellement attribuables à l’entreprise Bigot, spécialisée dans le grès émaillé. En nous penchant sur une réalisation contemporaine, celle du stand présenté par Guimard à l’Exposition de la Céramique en 1897, nous continuons à préciser les rôles des entreprises de céramique auxquelles Guimard a fait appel, celui des modeleurs qui l’ont secondé, et la nature des produits de leur travail (grès ou terre cuite). Quelques décors en céramique réalisés dans la filiation de ceux du Castel Béranger, mais pour d’autres constructions, seront également évoqués.
Le panneau au chat faisant le gros dos dont nous avons traité précédemment se retrouve (sans doute avant sa mise en place définitive sur le Castel Béranger) inclus dans le stand de Guimard à l’Exposition de la Céramique et de tous les Arts du feu[1] en 1897.
Cette exposition mêle tous les produits issus de la céramique (et de la verrerie) qu’ils soient des matériaux de construction, des matériaux techniques ou des expressions artistiques. Pour ces dernières, outre l’indispensable section rétrospective, on y trouve les noms de ceux qui s’exprimeront bientôt de façon remarquable dans le style moderne : Bigot[2], Lachenal, Delaherche, Massier, Dalpayrat, mais aussi des entreprises plus importantes et plus industrielles aux productions nécessairement éclectiques comme Loebnitz, Keller et Guérin, Muller, Gilardoni & Brault[3]. Bien entendu la Manufacture de Sèvres est largement représentée[4].
La seule image que nous ayons du stand de Guimard se trouve sur l’une des cartes postales de la série Le Style Guimard[5].
Dans la mesure où le public parisien ne pouvait alors qu’incidemment connaître l’existence du Castel Béranger en cours de finition, ce stand a été la première manifestation publique du style moderne de Guimard et a certainement provoqué un choc visuel par son aspect radicalement novateur. Plus qu’un stand, cette présentation est une véritable réalisation architecturale adoptant le parti d’un porche d’immeuble[6] adossé à un mur aveugle garni de miroirs. Ses murs sont en briques et Guimard, en ajoutant un auvent au toit de tuiles, a déployé un important matériel de faîtage, de corniches et de tympan qui surmonte le riche encadrement des ouvertures à claire-voie dont une fenêtre à meneaux et jardinière en partie basse. Le décor se poursuit à l’intérieur avec une console et un pilastre au départ de l’escalier, un lambris qui accompagne la montée des marches et probablement un plafond.
En effectuant pour notre précédent article des recherches sur l’histoire de l’entreprise Defrance & Cie de Pont-Sainte-Maxence dont les pavés en grès cérame ont servi à garnir les cours du Castel Béranger et de l’hôtel Mezzara, nous avons découvert fortuitement l’origine de carreaux de sol posés par Guimard dans certains espaces de service ou vestibules.
Il s’agit de « grès incrusté[1] », un type de revêtement de sol très répandu entre le dernier tiers du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle. Cuit à haute température, le mélange argileux à forte teneur en silice du grès se vitrifie et acquiert une dureté qui donne au carreau une résistance exceptionnelle. La possibilité d’obtenir de riches effets de coloration et de dessins les fait utiliser en intérieur où ils garnissent les sols d’un grand nombre d’espaces de services d’appartements, de vestibules de villas ou de maisons, de commerces et de façon générale de tous lieux recevant du public[2]. Les immeubles de rapport qui les utilisent en grand nombre pour leur vestibule appartiennent à une catégorie intermédiaire, destinée à la petite et moyenne bourgeoisie.
C’est en Angleterre que les premiers carreaux comportant des zones colorées dans la masse (les encaustic tiles) en argile plastique ont été fabriqués par Herbert Minton. Ce type de produit est imité en France à partir de 1854 par les frères Achille et Aimé Boulenger[3] à Auneuil (près de Beauvais) avec une technique dite « à pâte molle » qui reste artisanale. Entre temps, en Allemagne, c’est la famille Boch, peut-être inspirée par le succès des carreaux incrustés de Minton, qui innove encore par rapport à ces deux firmes en produisant à partir de 1854 des carreaux incrustés en pressant des poudres d’argile. Moins d’une décennie plus tard, en 1863, Boch Frères à Louvroil[4] dans le Nord, près de Maubeuge, introduit en France des carreaux en grès incrusté produits avec cette technique de la « pâte sèche ».
Pour obtenir la séparation nette des différentes plages de couleurs, on fabrique un réseau constitué de feuilles de laiton de 35 mm et d’une épaisseur de 6/10e, soudées à l’étain suivant le carton du carreau (légèrement plus grand — à peu près 10 % — que le carreau final afin de tenir compte de la rétractation à la cuisson).
Le réseau en laiton est talqué et placé au fond du moule. Munie d’un pochoir (un par couleur) l’ouvrière remplit le fond des alvéoles avec des poudres d’argile colorées sur 1/3 de l’épaisseur du réseau. Puis une légère couche de couleur neutre est tamisée sur les poudres de couleurs afin de les stabiliser. On retire soigneusement le réseau avant de finir de remplir le moule par une poudre de couleur neutre humidifiée. Par capillarité, au moment du pressage, cette couche supérieure humecte les deux couches inférieures. Le tout est cuit à haute température.
Pour diffuser leur production, les fabricants publient de nombreux catalogues où les modèles sont déclinés en plusieurs jeux de couleurs et où des compositions sont suggérées. Les carreaux forment généralement un « tapis » comprenant un ou deux motifs de bordure avec son motif de coin sortant (et éventuellement de coin rentrant) ainsi qu’un motif de milieu du tapis. Ce dernier peut être un motif isolé central qui sera répété seul ou en alternance avec un autre.
Mais le dessin du carreau est souvent conçu de façon à ce que l’association des côtés ou des coins forme de nouveaux motifs s’étendant sur plusieurs carreaux.
Si le dessin est asymétrique, la rotation à 90° des carreaux permet d’obtenir des motifs de plus grandes dimensions aux intersections de carrés de quatre carreaux.
On trouve parfois des motifs s’étalant sur un carré de 9 ou même de 16 carreaux.
Dans leur grande majorité, les carreaux sont carrés, mais on en trouve aussi quelques modèles hexagonaux.
La demande est telle que de nombreuses usines voient le jour, principalement dans le Nord, près de Maubeuge (à Douzies, ainsi que deux transfuges de Boch : Simons au Cateau et Sand & Cie à Feignies). Léon de Smet[5] s’installe à Canteleu près de Lille. Dans le Beauvaisis, Octave Colozier s’installe à Saint-Just-des-Marais dans les faubourgs de Beauvais.
Contrairement aux producteurs de carreaux muraux de faïence, les producteurs de carreaux en grès incrusté ne tenteront qu’occasionnellement de se mettre au goût du jour et peu de carreaux réellement Art nouveau seront produits. Les lignes souples caractéristiques de ce style permettent souvent de donner aux assemblages de carreaux un dessin plus global où le motif de chaque carreau est moins individualisé.
Guimard va se servir à plusieurs reprises des carreaux en grès incrusté pour ses intérieurs. Nous en connaissons quatre occurrences mais il très probable qu’il y en a eu plusieurs autres.
À l’hôtel Roszé, 32 rue Boileau à Paris (1891), il prévoit l’utilisation de grès incrusté pour plusieurs localisations de faible surface comme la salle de bain, un balcon au premier étage, le foyer de la cheminée de la salle à manger et les vérandas sur rue et sur cour. À cette époque, il n’est pas encore question d’Art nouveau, en particulier chez les fabricants, et Guimard puise des modèles assez conventionnels dans les catalogues mis à sa disposition, notamment celui de Simons & Cie au Cateau dans le Nord. Le carreau 97 utilisé pour la véranda sur rue en est issu de façon certaine.
Bien plus tard, pour l’hôtel Deron Levent (8 villa de la Réunion, Paris XVIe, en 1907), Guimard utilisera un modèle de carreau, cette fois-ci de style Art nouveau.
Quelques années plus tard, en 1910, Guimard utilisera le même carreau pour les espaces de service de l’hôtel Mezzara (60 rue La Fontaine, Paris XVIe, en 1910).
Dans les deux cas, il a opté pour un jeu discret de couleurs : un fond couleur « lin », un bleu foncé et un bleu clair. On peut retrouver ce modèle de temps à autre dans les immeubles de l’agglomération parisienne.
Nous avons pu retrouver ce modèle au musée de la céramique de Paray-le-Monial qui conserve dans ses collections un assemblage de quatre carreaux.
Le motif n’est pas encore présent dans le catalogue de 1901, mais apparaît dans un catalogue de 1903 sur la planche 27bis[6] sous le numéro de modèle 174 suivi de la lettre C ou E qui désigne le jeu de couleurs utilisées. Pour l’hôtel Deron Levent comme pour l’hôtel Mezzara, il s’agit de 174C avec la bordure 175C. Le modèle est encore présent dans le catalogue de 1922. En 1911, il est vendu sous deux qualités différentes : le premier choix à 13,50 F-or le m2 et le second choix à 10, 75 F-or le m2. Nous ignorons quelle est la qualité retenue par Guimard.
L’entreprise est fondée en 1877 par un autre transfuge de Boch, Paul Charnoz, qui installe son usine à Paray-le-Monial, en Bourgogne.
Originaire de l’Est de la France, Paul Charnoz est sous-directeur de l’usine Boch Frères à Dresde, puis directeur général de Boch Frères à Louvroil, dans le Nord, de 1873 à 1877. Il connaît donc parfaitement la technique du moulage en pâte sèche qu’il veut mettre en pratique pour son propre compte en se plaçant suffisamment loin des entreprises de Belgique et du Nord de la France. Paray-le-Monial, en Bourgogne du Sud est donc choisi par Charnoz en raison de la présence d’argile et des moyens de communication mis à disposition. L’usine sera en effet construite entre le chemin de fer de la ligne Paris-Lyon-Méditerranée et le canal du Centre. Son choix est aussi probablement guidé par la présence à proximité immédiate, à Digoin, de la filiale de la faïencerie de Sarreguemines (à présent en Allemagne) qui vient de s’implanter sur le territoire français en 1876-1877 afin d’échapper aux droits de douane qui frappent désormais ses produits à destination de la France.
Charnoz s’associe avec la faïencerie Hippolyte Boulenger et Cie de Choisy-le-Roi qui commercialise les carreaux en grès incrusté de Paray-le-Monial dans ses dépôt à Paris (18 rue Paradis[7]) et en province puis y fera produire ses propres modèles. Il tient à donner à sa production un tour artistique qui fait parfois défaut à d’autres établissements. À l’exposition Universelle de 1889, il obtient une médaille d’or avec une fresque en étoile à 8 pointes de 700 carreaux sur 24 m2.
Mais l’année suivante, l’entreprise fait faillite. Elle est alors reprise en 1891 sous le nom de Société Anonyme des Carrelages Céramiques de Paray-le-Monial, par Utzschneider et Ed. Jaunez[8] que nous avions rencontré à propos de l’entreprise Defrance et Cie (cf. notre précédent article) qui diversifie ainsi sa production. Paul Charnoz est maintenu à la tête de l’entreprise jusqu’en 1901, ce qui lui permet de préparer l’Exposition Universelle de 1900. Georges Brault[9] lui succède ensuite comme directeur de 1901 à 1911. Il développera vraiment le volume de production et les bénéfices de l’entreprise. Puis le poste sera occupé par Georges Retgen[10] de 1912 à 1919.
Pour l’Exposition Universelle de 1900, une rosace de 120 m2 est présentée, hors concours, dans les galeries de l’esplanade des Invalides. Si cette rosace de 4256 carreaux trapézoïdaux aux tons dégradés sacrifie à la mode du naturalisme, elle n’est pas vraiment de style Art nouveau, un style qui ne sera développé qu’après l’Exposition sur de rares modèles dont le n° 174.
On connaît un autre exemple d’utilisation de carreaux en grès incrusté du commerce par Guimard, grâce à un don[11] fait au Musée des Arts Décoratifs de quatre carreaux qui proviennent probablement d’un appartement de l’immeuble du 17 rue La Fontaine[12]. Ils y étaient employés dans les espaces de service et leur don correspond probablement à un recueil de matériaux faisant suite à la modification d’un appartement au sein de l’immeuble.
Ce modèle de carreau à motif de pavot est commercialisé par la Société Française des Céramiques de Landrecies[13] située près de Maubeuge et qui est active à partir de 1909.
Il apparaît avec un jeu de couleurs différent dans son premier catalogue sans encore avoir de numéro de modèle mais, fait rare dans le domaine de l’art décoratif, le nom de son créateur est indiqué : Ch. Quesnoy (un nom typique du Nord) à Bernay (commune normande). Le catalogue précise aussi que les modèles sont déposés[14].
Sur le catalogue 2, le modèle ci-dessus reçoit le numéro 55, tandis que celui utilisé par Guimard reçoit le numéro 57. Le numéro 55 sera édité au moins jusqu’en 1925.
Ces carreaux sont également conservés à la mairie de Landrecies dans les deux jeux de couleurs.
On voit que lorsqu’il utilise les carreaux en grès incrusté, Guimard prend soin de choisir des modèles de style Art nouveau qui puissent s’harmoniser sans heurt à ses propres décors. Dans les trois cas évoqués, il a choisi les jeux de couleurs les plus discrets. À notre connaissance, il n’a pas tenté d’en faire éditer avec ses propres dessins, alors qu’il aurait sans doute pu facilement proposer des cartons à l’entreprise Léon de Smet par l’intermédiaire de son client lillois Léon Coilliot. Pour les espaces communs de ses immeubles, Guimard préfère recourir à la mosaïque. Cette technique, habituellement employée dans les immeubles de haut de gamme, est plus onéreuse[15] mais plus souple. Elle lui permet de créer des compositions linéaires plus aérées sans effet de répétition. Dans le cas de l’hôtel Deron Levent, si les carreaux en grès incrustés sont visibles par les hôtes, puisqu’ils couvrent une surface allant de la porte d’entrée à l’escalier central de la maison, ils s’insèrent dans une hiérarchie, entre les planchers des espaces de réception et les simples carreaux unis rouge carmin et jaune clair, posés en damier dans les espaces de service (cuisine et office). Dans les deux cas de l’hôtel Mezzara et du 17 rue La Fontaine, son utilisation des carreaux en grès incrustés est analogue à celle de Victor Horta[16]. Elle est réservée à des espaces domestiques connus des propriétaires mais qui restent invisibles des invités qui sont reçus dans les appartements. Mais pour l’Hôtel Roszé et l’hôtel Deron Levent, leur utilisation n’est pas dissimulée aux visiteurs.
Frédéric Descouturelle
Nous remercions vivement plusieurs personnes qui nous ont apporté leur aide pour la rédaction de cet article.
Mario Baeck, docteur en sciences d’art de l’Université de Gand, spécialiste des carreaux de revêtement qui nous a fait profiter de sa connaissance du sujet, de sa documentation et notamment de sa collection de catalogues.
M. Marc Hannes qui a identifié les fabricants de plusieurs modèles de carreaux en partageant avec nous sa documentation.
M. Gilles Vallorge, archiviste du Musée d’art et d’industrie Paul Charnoz à Paray-le-Monial, ainsi que M. Philippe Mézière, adjoint territorial du patrimoine à la mairie de Landrecies qui nous ont très aimablement fourni images et informations.
Bibliographie :
Maillard, Anne, La Céramique architecturale à travers les catalogues de fabricants 1840-1940, éditions Septima, 1999.
Baeck, Mario, Splendeurs domestiques, Les carrelages de sol et de mur en céramique et en ciment en Belgique, Institut du Patrimoine wallon, 2013.
Baeck, Mario ; Hamburg, Ulrich ; Rabenau, Thomas ; Verbrugge, Bart, Industrial tiles 1840-1940 Industrielle Fliessen 1840-1940 Industriële tegels 1840-1940 Carreaux industriels 1840-1940, Johan Kamermans, Hans van Lemmen (ed.). Otterlo : Nederlands tegelmuseum, 2004.
Boucly, Jean-Louis, Histoire de la fabrication des céramiques de revêtement à Landrecies de 1909 à 1998.
Site internet du musée Paul Charnoz.
Site internet de la commune de Landrecies.
Site internet Céramique architecturale (Françoise MARY–céramique-architecturale.fr).
Notes :
[1] Le terme de « grès mosaïque » est également employé.
[2] Ces carreaux en grès sont visuellement très proches des carreaux en ciment hydraulique. Ceux-ci sont conçus avec le même type de réseau pour séparer les couleurs. Ne nécessitant pas de cuisson, ils sont beaucoup moins chers, mais moins résistants à l’abrasion. Ils sont très répandus en Belgique, Espagne, Italie et dans leurs colonies. Cf. Mario Baeck, Cement tiles: an exploration, Journal of the Tiles & Architectural Ceramics Society, volume 12, 2006, p. 20-30.
[3] À ne pas confondre avec la faïencerie Hippolyte Boulenger de Choisy-le-Roi.
[4] La société Villeroy & Boch (de Septfontaines, Mettlach, Merzig, Dresde) à proximité immédiate des frontières française et belge (puis luxembourgeoise) jouera de sa position géographique en fonction des bouleversement territoriaux de la région pendant le XIXe et le XXe siècle et s’implantera dans les différents pays limitrophes. Pour éviter les droits de douane, la production de carreaux de grès incrustés destinée au marché français est transférée de l’usine de La Louvière en Belgique à Louvroil en France en 1863.
[5] Fournisseur des mosaïques en grès cérame des vestibules du Castel Béranger de Guimard.
[6] Absent dans le premier catalogue de 1903, sa présence sur une planche surnuméraire atteste qu’il s’agit d’une création réalisée dans le courant de l’année 1903.
[7] À proximité de la gare du Nord et de la gare de l’Est par lesquelles arrivent les produits de la plupart des fabricants, la rue de Paradis est au XIXe siècle la rue de la faïence, de la porcelaine et du cristal. L’ancien magasin de la faïencerie Hippolyte Boulenger et Cie, décoré de nombreux panneaux de faïence et de mosaïques existe toujours.
[8] Elle est dirigée par la même famille que celle de la faïencerie de Sarreguemines, installée à Digoin.
[9] Militaire de carrière, Georges Brault entre à Paray-le-Monial sous la recommandation de son ami de lycée Paul Boulenger, directeur de la faïencerie de Choisy-le-Roi. Quoiqu’également originaire d’Angers, il n’est pas apparenté à la famille d’Alphonse Brault, associé de Xavier Gilardoni à la tête d’une importante entreprise de céramique architecturale également située à Choisy-le-Roi et à laquelle Guimard a fait appel pour les briques émaillées et les foyers des cheminées des salons du Castel Béranger, ainsi que pour l’édition de vases.
[10] Chimiste et céramiste formé à l’école de céramique de Sèvres, puis passé en 1903-1904 par la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers (Vosges) qui produit de nombreux grès artistiques dans la mouvance de l’École de Nancy.
[11] Inv. n° 412019, don par Ralph Culpepper en 1966.
[12] La provenance exacte de ces carreaux n’est pas répertoriée au Musée des Arts Décoratifs, mais cette précision a été apportée par M. Philippe Thiébaut lors de la conférence de Mme Évelyne Possémé à la Journée d’études « Autour d’Hector Guimard » au Musée des Arts Décoratifs le 13 octobre 2017.
[13] Selon les recherches de M. Mario Baeck, cette entreprise a beaucoup de modèles analogues à ceux de deux firmes belges, la S. A. La Céramique Nationale à Welkenraedt et la S. A. Société Générale de Produits Céramiques et Réfractaires de Morialmé. Florissante avant la Première Guerre mondiale, l’entreprise connaît des difficultés dans l’après-guerre. Elle sera intégrée en 1925 au sein de la Compagnie française de mosaïque céramique de Maubeuge Nord.
[14] Ces dépôts se font au conseil des prud’hommes, sous forme de dessins et de descriptions. Ils servent à établir une antériorité en cas de dépôt de plainte pour copie.
[15] Même les sols des deux vestibules du Castel Béranger, immeuble de rapport destiné à la petite bourgeoisie, sont revêtus de mosaïque. Il s’agit d’un des nombreux signaux décoratifs qui « surclassent » l’immeuble par rapport à sa destination réelle.
[16] Cf. Mario Baeck, The Flourishing of Belgian Ornamental Tiles and Tile Panels in the Art Nouveau Period, Journal of the Tiles & Architectural Ceramics Society, volume 20, 2014, p. 14-25.