Dans notre précédent article, nous avons décrit les difficultés auxquelles le Service technique du métropolitain et la CMP ont été confrontés pour implanter l’accès et la salle souterraine de la station des Tuileries sur la première ligne du métro de Paris, de 1899 à 1900. En fonction des rejets successifs de leurs propositions par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (en charge du jardin des Tuileries), Guimard avait tout d’abord esquissé officieusement, à la fin de l’année 1899, des dessins pour des édicules de forme rampante et affrontés. Puis, en août 1900, il avait produit, cette fois officiellement, un projet de deux demi-édicules à claire-voie implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Ce dernier projet qui aurait pu devenir l’une des plus belles réussites de l’architecte pour les accès du métro de Paris n’a pourtant pas vu le jour, sans doute en raison de l’opposition résolue des conseillers municipaux anti-édicules.
Guimard, élévation de face pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier, haut. 0,36 m, larg. 0,551 m. Archives de Paris, 2Fi325. Photo F. D.
Après ce refus, Guimard a donc dû étudier un nouveau projet, toujours avec des balustrades, mais cette fois sans marquises. Le principe de la balustrade à écussons ayant été agréé pour les entourages découverts, il était logique qu’il l’utilise pour les accès d’entrée et de sortie de la station Tuileries. Cependant, où placer l’enseigne « METROPOLITAIN » ? Au vu de ce que la CMP a réalisé quelques années plus tard en matière d’accès Guimard sur des trémies étroites, il aurait théoriquement été possible de placer un portique extrêmement réduit devant chacun des escaliers[1]. Mais en 1901 cette idée n’était pas envisageable puisque seuls les modèles standard d’entourages pour trémies de 3 m avaient été agréés.
Guimard se trouvait ici dans une situation proche de celle de l’accès de la station Bastille adossé à la gare du chemin de fer de Vincennes reliant alors Paris à Marles-en Brie.
Gare terminus du chemin de fer de Vincennes. On voit du côté droit l’entourage de Guimard finalement construit en 1901. Carte postale ancienne. Coll. part.
Cet accès bénéficiait d’une trémie de 2m 75, bien plus large que celles de la station Tuileries, mais tout de même plus étroite que celles des accès standards de la ligne 1. Après le rejet du projet de l’édicule initialement prévu à cet emplacement[2], il a proposé un an plus tard, le 28 mars 1901, un entourage découvert, privé de sa balustrade gauche et pourvu d’un seul candélabre pour assurer la signalisation. En raison de la moindre largeur de la trémie, le porte-enseigne devait être supprimé et l’enseigne accrochée au mur du bâtiment.
Dessin de l’agence de Guimard pour l’accès de la station Bastille à la gare du chemin de fer de Vincennes, second projet avec balustrade à écussons, signé et daté du 28 mars 1901. Archives RATP, droits réservés.
Mais comme on peut le voir sur le dessin, cette enseigne murale a été biffée d’une croix et il a finalement été décidé de mettre en place deux candélabres faisant portique, comme sur les autres entourages découverts, mais en raccourcissant le porte-enseigne et en rognant l’enseigne[3] pour faire entrer le tout dans la largeur impartie[4].
Entourage découvert de l’accès de la station Bastille à la gare du chemin de fer de Vincennes, carte postale moderne. Cliché pris avant 1984. Coll. part.
Pour la station Tuileries dont l’accès était étudié en même temps que celui de la gare du chemin de fer de Vincennes, il est possible qu’un projet semblable à celui du dessin ait été formé, avec un seul candélabre pour chaque escalier. Nous ne connaissons cependant aucun dessin validant cette hypothèse. En revanche, l’idée de concevoir un cadre spécial pour les enseignes et de les accrocher à la grille du jardin a été retenue pour Tuileries.
Avant d’arriver au montage final — celui que nous connaissons aujourd’hui — et qui n’a été mis en place qu’avec un retard considérable, probablement à la fin de l’année 1901 ou au début de l’année 1902, il faut peut-être encore former l’hypothèse de solutions intermédiaires qui auraient elles aussi été rejetées mais qui auraient l’avantage d’expliquer l’existence de modèles « orphelins ». Il s’agit tout d’abord des potelets d’extrémité hauts pour les balustrades à écussons que nous connaissons.
Potelets d’extrémité hauts pour balustrade à écussons, modèle gauche (à gauche et au centre) et modèle droit (à droite) photographiés dans les réserves de la fonderie GHM à Sommevoire. Photo F. D.
Ces potelets n’ont en effet pas d’utilité dans le système des entourages découverts où chaque extrémité de la balustrade se rattache à un candélabre du portique. Cependant leur création répond forcément à une motivation qui pourrait être en rapport avec les multiples avatars et avanies de la station Tuileries. Si la possibilité d’un unique candélabre au départ de la balustrade à écussons avait été écartée (ou n’avait pas été envisagée), il fallait alors inventer un modèle d’extrémité d’une hauteur un peu supérieure à celle de la balustrade. C’est donc peut-être à cette occasion que Guimard a conçu les modèles de potelets d’extrémité hauts gauche et droit. Leur terminaison apicale est proche de celle du potelet d’angle haut des balustrades, mais ils en diffèrent par leur base.
Potelet d’extrémité haut droit pour balustrade à écussons, utilisé par la RATP devant son siège rue de Bercy. Photo F. D.
Cependant, ce n’est pas cette solution (si elle a bien existé) qui a prévalu mais une autre encore où, cette fois, la balustrade, ses potelets intermédiaires et ses potelets d’extrémités étaient plus bas. Nous ignorons tout des discussions qui ont amené à sa mise en place au détriment de la solution plus évidente de la balustrade à écussons[5]. Peut-être, et toujours dans une volonté de discrétion, a-t-il été demandé de ne pas dépasser la hauteur du muret de la grille ? Pour les potelets intermédiaires et le potelet d’angle, il a suffi à Guimard d’en diminuer la hauteur en en raccourcissant les parties linéaires.
Potelet d’angle bas de l’entourage de l’accès servant originellement à l’entrée de la station Tuileries. Ce modèle est une simple réduction en hauteur des potelets d’angle hauts des balustrades à écussons. Photo F. D.
Mais, au lieu de faire de même pour les potelets d’extrémité bas gauche et droit, il a inventé de nouvelles bases s’étalant largement au-dessus de la pierre de socle et donnant l’impression de voir une matière visqueuse s’écouler.
Potelet d’extrémité bas de l’entourage de l’accès servant originellement à l’entrée de la station Tuileries. Photo F. D.
Le changement le plus important a été la création d’un décor central remplaçant les écussons et dont le contour rectangulaire vient s’insérer sur les fers en U verticaux. Nous l’avons surnommé « cartouche » puisqu’il est évidé en son centre, ce qui en fait en quelque sorte un négatif de l’écusson. Le style de Guimard étant en constante évolution, on y remarque une tendance plus forte à l’abstraction, même s’il est toujours possible de voir toutes sortes d’images — et même les plus saugrenues — dans ces masses latérales tourbillonnantes.
Cartouche d’un entourage bas. Photo F. D.
Il existe même un modèle cintré de ces cartouches, dont l’existence n’est révélée que par son emploi plus tardif, en 1909, sur l’entourage d’un puits de lumière de la station Nation.
Entourage bas d’un puits de lumière de la station Nation avec des cartouches cintrés aux deux extrémités. Photo F. D.
Comme il y a peu de chances que l’élaboration de ce modèle cintré ait été réalisé à l’initiative de la CMP pour cette seule occurrence, il est plus probable que la compagnie s’est servie ici d’un modèle qui avait déjà été conçu par Guimard à l’occasion de son ultime projet pour les entourages de la station Tuileries, mais qui n’avait pas été employé. De même qu’il avait dessiné des édicules et des entourages découverts à fond orthogonal ou à fond arrondi, il a pu vouloir proposer que les accès de la station Tuileries se terminent en demi arc de cercle à l’aide de deux cartouches cintrés. Cette disposition aurait d’ailleurs renforcé la monumentalité de l’entrée dans le jardin des Tuileries en conduisant en douceur le visiteur vers sa grille.
Hypothèse d’un projet d’entourage bas pour l’accès de sortie de la station Tuileries avec un fond en demi arc de cercle. Dessin F. D.
Cependant, cette disposition (si elle a existé) a, elle aussi, pu être rejetée au profit de simples fonds orthogonaux. Mais ces derniers ne pouvant accueillir qu’un module central avec un cartouche surmonté d’un arceau, le comblement du petit espace résiduel de part et d’autre de ce module posait un problème. Celui-ci a été initialement résolu d’une manière peu satisfaisante. Une photo ancienne, extraite du portfolio allemand Modern Kunstchmiede-Arbeiten, paru en 1902, montre l’aspect initial du fond de l’entourage de sortie (côté Louvre). On voit que les petits arceaux placés de part et d’autre du module central sont constitués de ses deux extrémités simplement recoupées et réunies par un angle obtus assez disgracieux.
Fond de l’entourage bas de l’accès de sortie de la station Tuileries, portfolio Modern Kunstchmiede-Arbeiten, 1902, pl. 99, coll. part. Un petit arceau anguleux est cerclé en rouge.
Le même entourage de sortie a également été photographié à l’époque dans l’autre sens et reproduit dans la revue anglaise Feilden’s magazine, parue en 1903. On voit que la fonction de signalisation était assurée par deux enseignes encadrées et garnies d’ampoules électriques accrochées en hauteur à la grille du jardin, au-dessus de chacun des deux entourages. Elles reposent sur trois consoles constituées de fers en T découpés et pliés, fixées sur les barreaux de la grille du jardin. Celle du centre est démesurément grande. Guimard s’en est sans doute servi pour y fixer les panneaux en tôle émaillée « Entrée » ou « Sortie »[6] qui, contrairement aux autres occurrences de pareils panneaux, ne semblent pas avoir été suspendus par des anneaux sous l’enseigne.
Entourage bas de l’accès de sortie de la station Tuileries, Feilden’s magazine, 1903, p. 212. Photo internet, droits réservés.
Le dessin par Guimard de cette enseigne en lave émaillée et de son cadre métallique est daté du 18 septembre 1901. Son lettrage « Édicule Grand M » est identique à celui qui était déjà déployé sur les édicules B (comme à la station Porte Dauphine). Sur l’élévation frontale, on voit que la partie supérieure du cadre était constituée d’une tôle découpée et incurvée vers l’avant, sur laquelle deux minces fers en U étaient fixés. C’est entre ces deux fers que Guimard avait prévu de perforer la tôle pour cinq emplacements d’arrivée d’électricité permettant un éclairage nocturne. Celui-ci était réalisé par des ampoules nues placées horizontalement, ce qui paraît assez peu sécurisant en l’absence de protection contre la pluie.
Dessin par Guimard en plan, coupe et élévation de l’enseigne de la station Tuileries. Crayon sur calque, non signé, daté 18 septembre 1901, mention manuscrite « Enseigne des Tuileries », dessin de la signature de l’enseigne « Hector Guimard Archte », long. 2,90 m, larg. 1,565 m, musée d’Orsay, fonds Guimard, GP 861.
Un troisième exemplaire de cette enseigne encadrée a été fabriqué et accroché au-dessus de l’entrée de la station voisine Concorde, en remplacement de l’enseigne provisoire (cf. article précédent). Cette fois les ampoules électriques étaient placées entre la partie supérieure du cadre et la plaque de lave émaillée.
Accès de la station Concorde. Cliché pris le 9 juin 1919 à l’occasion d’une grève des transports, photo agence Meurisse, 72674, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13 (2596).
Initialement conçus, après bien des tergiversations comme nous l’avons vu, les modèles en fonte de l’entourage de la station Tuileries auraient pu y rester confinés, puisqu’en 1901-1902, ils n’avaient pas d’autre emploi. Mais la catastrophe du métro Couronnes en août 1903, sur la ligne 2, a mis en lumière le manque criant de sécurité des infrastructures du métro et en particulier l’absence de sorties de secours[7].
La catastrophe du métro Couronnes. Dessin par Oswaldo Tofani, L’Actualité n° 187, 16 août 1903, source Wikipédia.
Malgré l’injonction qui lui a été faite de doter d’accès secondaires les nouvelles stations ainsi que les anciennes, la CMP ne s’est que partiellement exécutée pour des raisons financières. Cependant, sur les accès secondaires qui ont été établis, elle se devait d’entourer les escaliers par une balustrade. Celle-ci ne pouvait pas comporter de portique ni de signalisation afin que ces accès ne soient pas confondus avec des accès d’entrée. Pour cette nouvelle fonction, elle s’est donc tournée vers le modèle d’entourage bas conçu pour la station Tuileries, discret et agréé. Ces entourages bas ont été utilisés pour une grande partie des accès secondaires[8] établis jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Entourage bas d’un accès secondaire de la station Nation. Photo F. D.
Guimard, qui avait cessé de collaborer avec la CMP en 1903, et qui, en l’échange du règlement des sommes résiduelles qu’il lui réclamait, avait dû lui céder les droits sur ses modèles, n’a donc pas été sollicité à ce sujet et l’important déploiement de ces entourages bas s’est fait hors de son contrôle et sans profit pour lui.
Terminons par l’énumération de quelques modifications qui ont été apportées au travail de Guimard pour la station Tuileries.
Tout d’abord, un porte-plan a été greffé sur la balustrade du côté entrée. Dessiné en 1912 dans un style compatible avec celui de Guimard par les services techniques de la CMP, il a été exécuté en série par le serrurier parisien René Gobert. Ces porte-plans ont alors été posés sur tous les accès Guimard, sans doute avant la Première Guerre mondiale.
Entourage bas de l’accès servant originellement à l’entrée de la station Tuileries avec le porte-plan. Photo F. D.
À une date que nous ne pouvons pas préciser, mais vraisemblablement lorsque les accès ont été indifféremment affectés à l’entrée ou à la sortie, les panneaux en tôle émaillée « Entrée » et « Sortie » ont disparu. L’enseigne du côté sortie a également disparu (ainsi d’ailleurs que celle de la station Concorde). Quant à l’enseigne du côté entrée, sa plaque de lave émaillée a été cassée en son milieu avant 1984. Le cliché pris à cette date montre aussi que la RATP avait modifié le dispositif d’éclairage. Sur les cinq ampoules nues initialement posées horizontalement, il n’en restait plus que trois, orientées verticalement et protégées de la pluie par une casquette en zinc rectangulaire fixée sur le fer en U supérieur.
Enseigne de la station Tuileries, au-dessus de l’accès servant originellement à l’entrée. Cliché René Minoli/RATP pris en 1984. Droits réservés.
Lors des restaurations en 2000, la plaque de lave émaillée a été remplacée par une copie qui ne comporte plus la signature de Guimard. Cependant la RATP ne semble actuellement pas en mesure de localiser la plaque originelle.
Enseigne de la station Tuileries, au-dessus de l’accès servant originellement à l’entrée, état actuel. Photo F. D.
Son dispositif d’éclairage a de nouveau été modifié en remplaçant les ampoules par un tube fluorescent très visible. Il est protégé par une nouvelle casquette greffée sur le fer en U supérieur. Elle est cette fois ceinturée par un petit lambrequin dont la partie avant est une copie de la découpe inférieure de la tôle du fond. Quant à ses parties latérales, elles arborent des découpes purement inventées.
Enseigne de la station Tuileries, au-dessus de l’accès servant originellement à l’entrée, état actuel. Photo F. D.
Il est à souhaiter qu’à l’avenir, si la disposition originelle ne peut être rétablie avec succès, un dispositif lumineux plus moderne et plus discret permettant l’ablation de la casquette soit adopté.
Sur la balustrade, les petits arceaux anguleux des fonds orthogonaux que nous avons signalés plus haut, étaient encore présents sur un cliché pris par Marcel Boubat en 1956 avec l’écrivain Raymond Queneau sortant de la station Tuileries par l’accès d’entrée.
Raymond Queneau sortant de la station Tuileries par l’accès d’entrée. Cliché par Marcel Boubat en 1956. Droits réservés. Un petit arceau anguleux est cerclé en rouge.
Ils étaient toujours présents sur des clichés pris par la RATP en 1976, avant d’être ultérieurement remplacés par des modèles arrondis. À cet effet, la RATP a fait réaliser deux modèles spéciaux d’arceaux très étroits (rep. 46 et rep. 49), arrondis et donc plus agréables à l’œil. Sur l’accès d’entrée, le plus large des deux est inséré contre le muret et y pénètre même. Cette entaille plutôt grossière a été creusée dans la pierre dès l’origine puisqu’on la voit déjà sur le cliché de Marcel Boubat pris en 1956.
Arceau gauche (rep. 46 ou rep. 49) actuel du fond de l’entourage bas de l’accès d’entrée de la station Tuileries. Photo F. D.
Arceau droit (rep. 46 ou rep. 49) du fond de l’entourage bas de l’accès d’entrée de la station Tuileries. Photo F. D.
Contrairement à celles de nombreuses autres stations de métro dont l’implantation et la mise en place de l’accès n’ont pas posé de problèmes particuliers et qui n’ont pas non plus subi de changements très notables par la suite, l’histoire de la station des Tuileries s’est donc révélée pleine de rebondissements. Et peut-être nous permet-elle d’expliquer l’existence de modèles « orphelins » de Guimard pour le métro.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Après 1903, date de l’arrêt de sa collaboration avec Guimard, la CMP a continué à utiliser ses entourages découverts avec des balustrades à écussons pour équiper des trémies de largeurs très variables. Les plus étroites ont eu une largeur d’1 m 80, à Strasbourg-Saint-Denis en 1903 (4 entourages disparus) et à Réaumur-Sébastopol en 1904 (2 entourages encore en place). Leurs arches ont dû être coudées pour pouvoir recevoir une enseigne au lettrage « entourage comprimé ». Ce type de portique aurait même pu encore être réduit d’une trentaine de centimètres pour recevoir une enseigne « MÉTRO », plus étroite ».
[2] Cf. DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, Éditions La Vie du Rail, 2012, p. 74. Nous ne connaissons qu’un plan du projet de cet édicule, daté du 18 avril 1900, prévu avec une paroi en plaques de lave émaillée, mais pas les dessins des élévations. Nous pouvons supposer que la marquise envisagée avait une certaine parenté avec celle des demi édicules de la station Tuileries.
[3] La proposition de Guimard du 1er août 1901 d’une enseigne moins large avec un lettrage plus condensé a été refusée et c’est donc une enseigne standard avec un lettrage « entourage Grand M », rognée latéralement, qui a été utilisée.
[4] Cet entourage a persisté jusqu’en 1984, date de la construction de l’Opéra Bastille. L’entourage — protégé au titre des Monuments Historiques —aurait dû être complété par une balustrade gauche et transféré à son emplacement actuel, à l’angle du boulevard Beaumarchais et du boulevard Richard Lenoir. Mais en réalité, il a été démonté et entièrement remplacé par une copie en 1985.
[5] De ce fait, les potelets d’extrémité hauts n’ont pas eu d’emploi sur le réseau pendant plusieurs décennies. La RATP s’en est finalement servie lorsqu’elle a remplacé des portiques Guimard vétustes par un poteau Dervaux placé à l’une des extrémités de la balustrade. Un potelet d’extrémité haut était alors mis en place à l’autre extrémité. Ils ont disparu lorsque ces accès ont été restaurés et ont retrouvé un portique. À la station Daumesnil, un escalator a été mis en place sur l’accès Guimard, ce qui a entraîné la dépose du portique, remplacé par deux potelets d’extrémité hauts. Enfin, devant la Maison de la RATP, 54 quai de la Rapée, le visiteur est accueilli par un portique d’entourage Guimard, suivi de balustrades qui sont terminées par des potelets d’extrémité hauts.
[6] Voir notre article Les signalisations d’entrée et de sortie des accès du métro de Guimard.
[7] Une partie des 84 morts asphyxiés a été retrouvée agglutinée à l‘extrémité nord du quai, dépourvue de sortie vers la surface.
[8] Il y en a eu 47 (y compris l’entourage arrondi du puits de lumière de la station Nation) et il en reste 25.
Une des heureuses conséquences de la mise en place de la récente exposition Guimard, architectures parisiennes aux Archives de Paris[1] est la découverte au sein des collections de cette institution de nouveaux documents qui complètent nos connaissances sur plusieurs chapitres de l’œuvre de Guimard. L’une de ces pièces est un petit dossier du Service technique du métropolitain constitué en 1900 et concernant l’accès de la station Tuileries. Peu avant cette découverte, nous avions reçu en don plusieurs dessins de recherche de Guimard pour l’accès de cette même station. Dans le livre consacré au métro de Guimard[2], nous avions brièvement évoqué les circonstances qui ont conduit à la mise en place des deux actuels entourages d’accès de cette station sur l’étroit trottoir de la rue de Rivoli. Mais grâce à ces nouveaux documents, nous allons pouvoir en retracer plus sûrement l’historique.
Si la construction du métro de Paris a été une affaire municipale, il faut se rappeler que la Ville de Paris était alors placée sous la tutelle de l’État et administrée par une autorité bicéphale : la Préfecture de la Seine, émanation du pouvoir exécutif et le Conseil municipal, élu par les Parisiens. Après que l’État a cédé en 1895 sur le caractère d’intérêt local du projet de métro parisien, le Conseil municipal a formé en son sein une Commission du Métropolitain chargée de préparer les projets qui devaient ensuite lui être présentés pour approbation. C’est en particulier à cette commission, en collaboration avec le Service technique du métropolitain, qu’il revenait de définir les trajets des lignes et les emplacements des accès[3].
Plan du réseau arrêté en 1897. Droits réservés.
La Ville s’est chargée de la construction des infrastructures souterraines tandis que la fourniture des voies, du matériel roulant et l’équipement des stations ont été dévolus à la CMP (Compagnie du Métropolitain de Paris) formée en mai 1898 en vue de recevoir la concession de l’exploitation du métro.
Luigi Loir, La construction du métro sur la rue de Rivoli au niveau du Louvre,La Piscine, Roubaix. Photo F. D.
La construction des accès de surface était également à la charge de la CMP qui n’avait pas pour autant de pouvoir décisionnel quant à leur aspect. Contrastant avec l’austérité des équipements souterrains, ces accès devaient aussi constituer une sorte d’image publicitaire à laquelle l’audace des projets de Guimard allait pleinement contribuer, du moins pendant les premières années. Mais la première partie des épisodes que nous allons relater à propos de la station Tuileries s’est déroulée peu après la formation de la CMP et ne concernait pas l’entourage de l’accès ni son décor. Comme nous le verrons, les projets de Guimard, même s’ils ont été mûris pendant le second semestre de 1899, n’ont été connus des autorités que dans les derniers jours de l’année.
Cette station est située sur la ligne 1, de Porte Maillot à Porte de Vincennes, la première à avoir été ouverte avec deux tronçons supplémentaires au cours du premier chantier. Elle avait pour fonction de desservir l’Exposition universelle de 1900, mais elle était surtout construite sur un trajet Est-Ouest de la rive droite, identifié comme étant le plus susceptible de répondre aux besoins du public. Pour ce premier chantier, par économie, la plupart des stations ne bénéficiait que d’un seul accès sur la chaussée, conduisant à une salle souterraine de vente des billets. Il n’était alors pas encore question de sorties ou d’accès secondaires qui ne seront généralisés que plus tard.
Premier chantier du métro comprenant la ligne 1 sur un plan du réseau arrêté en 1897. Droits réservés.
Sur la rue de Rivoli, de la station Saint-Paul à la station Concorde, le trajet est pratiquement rectiligne.
Premier chantier du métro comprenant la ligne 1. Les stations de Saint-Paul à Concorde sont encadrées en rouge. D’après Le Chemin de fer métropolitain de Paris, Paris, Le Génie Civil, 1901. Coll. part.
Ligne 1 du métro. D’après Le Chemin de fer métropolitain de Paris, Paris, Le Génie Civil, 1901. Coll. part.
Les voies du métro y ont été prudemment établies à faible profondeur, sous un tablier métallique placé sous la chaussée.
Station des Tuileries, couverture des voies et des quais par un tablier métallique. La rue du 29 juillet est à gauche et l’entrée du jardin des Tuileries à droite. Photo Archives RATP, droits réservés.
Aux stations Saint-Paul, Hôtel de Ville, Châtelet, Louvre et Palais Royal, la largeur des trottoirs ou l’existence de terre-pleins ont permis de prévoir des trémies d’escalier d’une largeur standard de 3 m, ou un peu plus dans le cas de Palais Royal (3 m 50), là où une correspondance (et donc un afflux plus important de voyageurs) était attendue. À l’exception de cette dernière station, les accès ont été établis du côté des numéros impairs (côté vers la Seine). Cependant, pour les deux dernières stations de la rue de Rivoli, Tuileries et Concorde, l’étroitesse des trottoirs ne permettait plus d’ouvrir une trémie de trois mètres de large, ni d’un côté de la rue, ni de l’autre. Pour la station Tuileries, dont les quais sont situés entre la rue du 29 juillet et la rue d’Alger, l’emplacement de son accès a été prévu en face de la rue du 29 juillet et au niveau de l’entrée du jardin des Tuileries. L’idée initiale du Service technique du métropolitain était de créer un accès sur la terrasse des Feuillants qui longe la rue de Rivoli et qui en est séparée par un muret et une grille. À cet endroit, la terrasse est au même niveau que le trottoir. En revanche, le jardin des Tuileries proprement dit se trouve en contrebas et pour y descendre les promeneurs empruntaient un petit escalier parallèle à la rue[4].
État de la station Tuileries avant la création de l’accès. Dessin F. D.
Le dossier[5] retrouvé aux Archives de Paris concernant la station Tuileries contient tout d’abord un rapport de Fulgence Bienvenüe, chef du Service technique du métropolitain, daté du 3 mars 1900 et faisant l’historique des démêlés mettant aux prises au sein même de l’État, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part la préfecture de la Seine et son Service technique du métropolitain.
Rapport du Service technique du métropolitain, daté du 3 mars 1900 et signé par Fulgence Bienvenüe. Archives de Paris, V2O8 7.
Le premier projet de l’équipe de Bienvenüe consistait à gagner du terrain sur la terrasse des Feuillants en reculant la grille pour établir un escalier de descente vers la salle souterraine. Nous ne possédons pas le plan de ce projet mais nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle, pour permettre de placer un tel escalier, il aurait été nécessaire d’ouvrir la grille du jardin de part et d’autre.
Hypothèse pour le premier projet d’accès de la station Tuileries par le Service technique du métropolitain en 1898. Le parcours d’un voyageur descendant sur les quais est tracé en bleu. Dessin F. D.
Si la voirie de la rue de Rivoli appartient bien à la Ville de Paris, le jardin des Tuileries est une propriété de l’État relevant du ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. C’est donc à ce dernier que ce projet a été adressé le 31 octobre 1898. Trois mois plus tard, le ministère, refusant que l’accès du métro n’empiète sur la terrasse, l’a rejeté par décision du 8 février 1899. Mais conscient qu’il faudrait trouver une solution, il a réfléchi à un contre-projet qu’il a présenté sous forme d’un croquis lors d’une réunion qui a eu lieu sur place le 11 juillet 1899. Sur ce dessin sommaire que nous reproduisons ci-dessous, deux escaliers placés sur le trottoir de la rue de Rivoli (et non sur la terrasse) convergeaient devant une petite salle de vente des billets en cul-de-sac, placée sous la terrasse.
Croquis émanant du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, non daté, établi à la suite d’une réunion sur place le 11 juillet 1899. Archives de Paris, V2O8 7.
Jugeant cette solution techniquement inadaptée (salle trop petite, escaliers se recoupant, mauvaise gestion des flux), le Service technique du métropolitain a alors opté pour une solution de rechange : ouvrir un escalier de descente vers la salle des billets, non plus sur la terrasse des Feuillants, mais dans son mur, en contrebas, du côté du jardin. La CMP, à laquelle incombait l’équipement des accès de surface aurait alors été chargée d’établir « tel système de grille qui eût convenu au service des Beaux-Arts, pour isoler cette entrée, occasionnellement, du reste du jardin ». Cette solution était astucieuse, mais avait le défaut de rendre l’accès peu visible depuis la rue et probablement aussi d’imposer la fermeture de la station pendant les heures de clôture du jardin. Nous ne possédons pas le plan de ce projet, mais nous pouvons également en donner une approximation.
Hypothèse pour le second projet d’accès de la station Tuileries par le Service technique du métropolitain en 1899. Le parcours d’un voyageur descendant sur les quais est tracé en bleu. Dessin F. D.
Cette disposition d’un accès pratiqué dans un mur était proche de celle qui a été adoptée pour la station Concorde, où l’accès (faisant fonction d’entrée et de sortie) a été percé dans le mur de la terrasse du Jeu de Paume, mais cette fois du côté de la rue de Rivoli qui, à cet endroit, se trouve en contrebas de cette terrasse.
Accès de la station Concorde, avec une enseigne provisoire. Cliché pris le 13 février 1901. Dumas, Albin, Le Chemin de fer métropolitain de Paris, Paris, Le Génie Civil, 1901. Coll. part.
Ce type d’accès pratiqué à la station Concorde n’a posé aucun problème dans la mesure où il débouchait sur la voirie municipale. En revanche, ce second projet pour la station Tuileries, de même nature que pour la station Concorde mais débouchant dans le jardin, a été refusé comme le relate Bienvenüe : « Après bien des pourparlers et malgré l’insistance mise par le Conseil Municipal de Paris dans une délibération spéciale (1er décembre 1899), cette étude eut finalement le même sort que la première proposition, annoncé par une dépêche ministérielle du 22 décembre 1899). »
Cette dépêche (dont nous n’avons pas copie) comportait pourtant l’acceptation d’« une sorte de petite gare dans le tréfonds du Domaine », notion vague qui pouvait peut-être signifier que le ministère accepterait la possibilité de construire un édicule en bordure du jardin. Il aurait été en ce cas assez éloigné de la salle souterraine de vente des billets, ce qui ne pouvait pas convenir au Service technique du Métropolitain. Ce dernier s’est donc rabattu sur la solution moins favorable préconisée depuis juillet 1899 par le ministère et que, par prudence, le Conseil municipal avait validée à l’avance : celle d’escaliers implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Celui-ci n’ayant qu’une largeur de 3 m 50, l’escalier serait réduit à 1 m 50, « mais on ferait deux volées au lieu d’une, l’une pour l’entrée, l’autre pour la sortie. » Le plan annexé au rapport de Bienvenüe, que nous reproduisons ci-dessous, montre que, contrairement au croquis du ministère, les marches supérieures des deux escaliers se trouvaient cette fois logiquement placées de part et d’autre de l’entrée du jardin qu’ils desservaient (entrée à gauche et sortie à droite). À leur partie inférieure, de chaque côté, un corridor permettant de canaliser les flux d’entrée ou de sortie, tout en contournant le système racinaire des arbres de la terrasse proches de la grille, se retournait pour déboucher dans la salle de vente des billets.
Plan du troisième projet du Service technique du métropolitain, non daté, établi à la fin de l’année 1899. Archives de Paris, V2O8 7. L’escalier d’entrée est à gauche et celui de sortie est à droite. Le parcours d’un voyageur descendant sur les quais est tracé en bleu.
C’est sans doute à cette époque — dans les derniers mois de 1899 — que Guimard a esquissé des projets pour l’accès de la station Tuileries qui constituait l’un des cas à part à traiter indépendamment des accès standards (édicules et entourages découverts). Comme on le sait, il s’était prudemment abstenu de participer au concours institué par la CMP de juin à août 1899 puisque ce concours destiné à donner des idées à l’architecte maison de la CMP, Paul Friesé, ne débouchait pas sur la commande des accès. Cependant, quelques esquisses crayonnées sur des calques appartenant au fonds Guimard du musée d’Orsay[6] montrent qu’il préparait des projets alors que, parallèlement, ses « supporters » au sein de l’administration préfectorale et de la Commission du métropolitain s’employaient à saper les projets « officiels » présentés à la Préfecture par la CMP[7]. Arrivés à maturité à la fin de l’année 1899, les projets de Guimard ont pu être approuvés par le conseil d’administration de la CMP le 12 janvier 1900, puis par la Commission du métropolitain[8] le 7 février, ainsi que par la Préfecture le 16 février.
Par leur finition sommaire et par leur style visiblement antérieur à celui des projets définitifs de janvier 1900, les dessins de Guimard non titrés, non datés et non signés que nous reproduisons ci-dessous font partie de sa période de recherche. Cependant, ils montrent qu’il avait déjà accès à des informations inconnues du public. Sans doute bien renseigné par un informateur — peut-être Defrance, le directeur administratif des travaux de Paris de la préfecture de la Seine ? — il a en effet travaillé sur la solution à deux escaliers convergents vers la surface, implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Comme on peut le voir, il s’est servi de la montée des deux escaliers pour adopter de part et d’autre deux formes rampantes[9] venant se rejoindre au centre en enserrant l’enseigne, devant la grille du jardin des Tuileries.
Guimard, esquisse au crayon sur calque pour l’accès de la station Tuileries, non titré, non signé, non daté, c. fin 1899. L’escalier d’entrée est à gauche et celui de sortie est à droite. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
D’autres dessins, fragmentaires, donnent tout de même une idée plus précise du décor particulièrement original qu’il envisageait pour cet accès. Nous nous en sommes servi pour donner par infographie une restitution de l’édicule de sortie puis des deux édicules affrontés, comme sur le dessin ci-dessus. Ces deux édicules adoptaient déjà le schéma constructif qui sera celui des édicules A et B, c’est-à-dire des parois constituées de plaques de lave surmontées de vitrages puis d’un espace d’aération. Il est fort probable qu’à ce niveau, ces dessins n’étaient connus que de sa seule sphère amicale et qu’ils n’ont pas été communiqués à l’ensemble des conseillers municipaux, ni officiellement au Service technique du Métropolitain, ni à la CMP.
Restitution par infographie de l’édicule de sortie de la station Tuileries à partir de plusieurs fragments d’esquisses par Guimard, crayon sur calque, non signé, non daté, c. fin 1899. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
Restitution par infographie des édicules d’entrée (à gauche) et de sortie (à droite) de la station Tuileries à partir de plusieurs fragments d’esquisses par Guimard, crayon sur calque, non titrés, non signés, non datés, c. fin 1899. Les panneaux d’entrée et de sortie ont été complétés et l’enseigne centrale a été ajoutée. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
Une fois ses projets d’accès pour le métro (entourages découverts, édicules et pavillons) globalement adoptés par les autorités[10], du 12 janvier au 16 février 1900, Guimard aurait pu s’atteler à concevoir un projet plus définitif pour l’accès particulier de la station Tuileries à partir de ses esquisses. Mais à peine quelques jours plus tard, le projet du Service technique du métropolitain avec deux escaliers convergents vers la surface a essuyé un nouveau refus du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, signifié le 28 février 1900 et compromettant donc le principe du projet de Guimard. Nous n’avons pas le texte de ce refus, mais à la lecture du rapport de Bienvenüe, nous pouvons comprendre que le ministère, s’arc-boutant sur sa propre solution, reprochait à celle du Service technique du métropolitain de « compromettre l’existence des arbres dont les racines ne trouveraient plus une couche de terre suffisante », de prévoir une salle de vente des billets trop vaste, nécessitant de supprimer un arbre placé au-dessus d’elle et enfin, trouvait que les escaliers étaient trop proches de l’entrée du jardin. Dans son rapport, Bienvuenüe arguait qu’on ne saurait réduire significativement la salle et que l’arbre en question était déjà « fort misérable ».
Dans un second rapport, daté du 19 avril 1900, Bienvenüe relate la suite de l’affaire.
Second rapport du Service technique du métropolitain, daté du 19 avril 1900 et signé par Fulgence Bienvenüe. Archives de Paris, V2O8 7.
Sûr du bien-fondé du projet du Service technique du métropolitain et estimant sans doute que son blocage se faisait à un échelon inférieur au sein du ministère, il avait entre-temps fait appel au préfet de la Seine (Justin de Selves) afin que ce dernier intercède directement auprès du ministre. Mais cette intervention n’avait pas donné le résultat escompté puisque par une nouvelle dépêche du 28 mars 1900, le ministre avait fait savoir « qu’il ne saurait adopter d’autre combinaison que celle qui fut examinée sur place le 11 juillet 1899. » Ce nouveau refus péremptoire a donc finalement contraint le Service technique du métropolitain à adopter le système du ministère, tout en l’aménageant. Il a en effet fallu reculer un peu les escaliers, à présent divergents vers la surface et convergents vers la salle de vente des billets. Celle-ci, conformément aux exigences du ministère a eu des dimensions plus réduites, épargnant au passage l’arbre faisant face à l’entrée du jardin. L’accès de sortie était à présent situé à gauche et celui d’entrée à droite. Nous donnons ci-dessous le plan général qui était joint à ce dernier projet. On y remarque, dessinés à l’encre rouge, le pourtour et les ceintures des marquises destinées à surmonter les escaliers et qui marquent l’entrée officielle de Guimard dans le projet, vers avril 1900.
Plan du quatrième projet du Service technique du métropolitain, non daté, établi vers avril 1900. Archives de Paris, V2O8 7. L’escalier d’entrée est maintenant à droite et celui de sortie est à gauche. Le parcours d’un voyageur descendant sur les quais est tracé en bleu.
Pendant ce temps, en raison de ces tergiversation, l’accès de la station n’avait pas pu être construit et lors de l’inauguration de la première ligne du métro (elle-même en retard), le 19 juillet 1900[11], la station n’était pas ouverte. Elle ne le sera que le 27 août, avec une balustrade et un portique en bois qui vont sans doute perdurer jusqu’au début de 1902.
Accès d’entrée de la station Tuileries, entourage provisoire avec une balustrade et un portique en bois. Cliché pris le 13 février 1901. Dumas, Albin, Le Chemin de fer métropolitain de Paris, Paris, Le Génie Civil, 1901. Coll. part.
Un dossier constitué par la CMP[12] et déposé aux Archives de Paris révèle l’étape suivante. Il ne contient pas de rapport explicatif mais des plans correspondant à l’état du projet d’édicules présenté en septembre 1900. Les esquisses antérieures de Guimard ne pouvant convenir à ce nouveau projet, il a travaillé, cette fois officiellement, sur la nouvelle disposition adoptée par le Service technique du métropolitain.
Guimard, plan du demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier. Archives de Paris, 2Fi 324. Photo F. D.
À cette époque, une partie des conseillers municipaux, très déterminés, ont obtenu la suppression d’une majorité des édicules prévus pour le premier chantier[13] du métro pour les remplacer par des entourages découverts. Ces derniers qui devaient au départ être l’exception sont devenus majoritaires. Pour tenter de sauver son programme d’édicules (dont la construction était pourtant plus onéreuse que celle des entourages), la CMP et Guimard ont proposé des édicules à claire-voie sur lesquels les plaques de lave des parois étaient remplacées par des balustrades à écussons, créant ainsi un effet de transparence des plus heureux. L’accès de la station Hôtel de Ville[14] a ainsi reçu un édicule A à claire-voie (plan daté juillet 1900) tandis que celui de la station Gare de Lyon a reçu un édicule B à claire-voie (plan non daté, avant novembre 1900).
Accès de la station Gare de Lyon par un édicule B à claire-voie accoté à la balustrade d’une rampe d’accès au parvis de la gare, construit avant février 1901. Porfolio Architektonische Charakterbilder, par Bruno Möhring, tome II, 1901. Coll. part.
Ces deux édicules expérimentaux ont effectivement été agréés par la Commission du métropolitain et par la préfecture, puis construits. Mais ils sont cependant restés uniques dans leur genre et, dès la conception des accès aux stations souterraines de la ligne 2 au début de l’année 1902, le principe des édicules a été définitivement abandonné au profit d’entourages découverts à fond arrondi.
En ce qui concerne l’accès de la station Tuileries, les plans de Guimard datés du 30 août 1900 — donc dans la même période que ceux de Gare de Lyon et d’Hôtel de Ville — présentent également une balustrade avec des écussons. Guimard n’a représenté qu’un seul des deux demi-édicules qui étaient symétriques, celui côté entrée.
Guimard, élévation de face pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier, haut. 0,36 m, larg. 0,551 m. Archives de Paris, 2Fi325. Photo F. D.
Guimard, coupe pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier. Archives de Paris, 2Fi 327. Photo F. D.
Du côté de la rue, deux piliers en fonte de forme arborescente, à gauche et à droite, soutiennent la ceinture de la marquise relevée. Celle-ci est constituée de deux séries de panneaux de verre se recouvrant partiellement comme des tuiles.
Guimard, élévation de la façade du côté de l’escalier pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier, haut. 0,361 m, larg. 0,309 m. Archives de Paris, 2Fi0326. Photo F. D.
L’eau de pluie est conduite vers l’arrière, dans un chéneau maintenu par des poteaux métalliques prenant appui sur le muret de la grille avec laquelle il n’y a pas de contact. Au contraire — et c’est ce qui confère une grande séduction à ces accès — Guimard a donné à l’extrémité latérale des marquises un mouvement enveloppant autour des piliers de la grille, mouvement qui évoque irrésistiblement le spathe de l’arum.
Fleur et spathe d’arum. Photo F. D.
Une enseigne « METROPOLITAIN » en lave émaillée était placée parallèlement à la rue sur chacun des demi-édicules et complétée par une enseigne « ENTRÉE » ou « SORTIE »[15] placée en oblique. Guimard avait prévu de maintenir ces derniers panneaux par de fines lignes de fontes étirées entre le pilier avant et la ceinture de la marquise. Visuellement l’effet était superbe, mais Guimard présumait sans doute de la solidité d’un tel montage[16] en sous-estimant le caractère cassant de la fonte.
Guimard, élévation de face pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, détail du panneau d’entrée, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier. Archives de Paris, 2Fi325. Photo F. D.
Enfin, en examinant de près les dessins, on peut soupçonner que deux verrines d’éclairage ayant la forme d’un globe étaient insérées au sommet des piliers. Elles assuraient la même fonction de signalisation de l’accès que les verrines des entourages découverts.
Guimard, élévations de face pour le demi-édicule d’entrée de la station Tuileries, détails des piliers gauche et droit, signé, daté 30 août 1900, encre sur papier. Les verrines ont été colorisées en blanc par infographie. Archives de Paris, 2Fi325. Photo F. D.
Ce projet qui aurait pu devenir l’une des plus belles réussites de l’architecte pour les accès du métro de Paris n’a pourtant pas vu le jour. Cette fois, nous ne bénéficions plus des explications du rapport de Bienvenüe, mais il est fort probable que ce nouveau refus a été imputable aux conseillers municipaux anti-édicules.
Dans un prochain article, nous verrons comment Guimard et la CMP ont pu trouver une solution satisfaisant toutes les parties et comment cette solution a finalement été « détournée » de son usage initial.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Du 20 septembre au 21 décembre 2024, au 18 boulevard Sérurier 75019 Paris (métro et tramway Porte des Lilas).
[2] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, Éditions La Vie du Rail, 2012.
[3] Les emplacements et les dimensions de ces accès ont été officiellement soumis aux votes du Conseil municipal des 17 et 20 mars 1899 sur proposition de la Commission du Métropolitain et finalement approuvés le 20 mai 1899. Cependant, l’essentiel de ces caractéristiques avait été défini auparavant par le Service technique du métropolitain, ce qui, pour l’accès de la station Tuileries, avait permis d’engager des pourparlers avec le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts dès 1898.
[4] Ce dispositif d’accès au jardin en contrebas a été ultérieurement modifié pour établir un large escalier perpendiculaire à la rue et deux rampes qui lui sont parallèles.
[5] Archives de Paris, V2O8 7.
[6] Voir notre article Une visite à l’exposition-accrochage au musée d’Orsay « Hector Guimard et la genèse du Métropolitain ».
[7] Cette manœuvre est une supposition mais que nous croyons être suffisamment étayée pour être crédible. On se reportera au livre Guimard l’Art nouveau du métro, p. 31.
[8] Dans les derniers jours de 1899, en raison du blocage des projets « officiels », aucune solution concrète ne se présentait pour la CMP. Or l’intersession du conseil municipal avait été fixée du 31 décembre 1899 au 5 mars 1900. Si une décision ne pouvait intervenir qu’après cette date, la CMP ne pourrait alors pas mettre à temps les accès en fabrication pour une mise en exploitation prévue lors de l’Exposition universelle de 1900. Par une délibération du 30 décembre 1900, le conseil municipal a donc délégué à la Commission du métropolitain la possibilité d’accepter les projets d’accès pendant l’intersession.
[9] Il faut signaler que lors du concours organisé par la CMP en 1899, l’architecte Bonifassé avait également utilisé une forme rampante, de surcroit dans un style Art nouveau. Il avait obtenu un troisième prix ex-æquo pour l’édicule C (place de l’Étoile) et le journaliste Rivoalen (La Construction Moderne du 18 novembre 1899) reconnaissant qu’il s’agissait là d’une solution rationnelle pour abriter une descente d’escalier l’avait surnommé « l’audacieux rampiste de l’art nouveau ». Signalons aussi que certains accès du métro de New York, placés sur des trottoirs, ont utilisé une forme rampante à partir de 1904.
[10] À part l’édicule B (celui à toiture en V) qui a été adopté d’emblée, les plans des autres types d’accès ont ensuite reçu des modifications, notamment l’édicule A, et l’entourage découvert pour son portique. Comme pour l’accès de la station Tuileries, les deux cas particuliers de l’accès de la station Bastille du côté du chemin de fer de Vincennes et de celui de la gare de Lyon ont été traités plus tardivement.
[11] Le 19 juillet 1900, seules huit stations ont été ouvertes. Beaucoup d’accès, en particulier ceux devant recevoir un édicule ou un pavillon étaient encore provisoires avec une balustrade en bois. Les entourages découverts comportaient alors un portique provisoire en bois.
[12] Archives de Paris, 2Fi 324-327.
[13] Ces manœuvres ont commencé dès le printemps 1899, donc à un moment où l’on ne connaissait pas encore l’aspect qu’allaient prendre les édicules. Ces conseillers municipaux, issus des « beaux quartiers », craignaient en fait que ces édicules ne compromettent la beauté et la régularité des avenues. La délibération du Conseil municipal du 19 mai 1899 a supprimé les édicules sur la rue de Rivoli (stations Châtelet, Louvre, Palais Royal) remplacés par des entourages découverts à fond orthogonal et sur les Champs-Élysées (stations Champs-Élysées, Rue Marbeuf, Avenue de l’Alma) remplacés par des entourages découverts à fond arrondi. Mais le combat contre les édicules a continué et la délibération du Conseil municipal du 16 novembre 1900 a supprimé les édicules de l’Avenue Kléber, de la place Victor Hugo et de la place du Trocadéro (stations Kléber, Boissière, Victor Hugo et Trocadéro) au profit d’entourages découverts à fond orthogonal.
[14] Cet édicule a été transféré à la station Abbesses en 1974.
[15] Voir notre article Les signalisations d’entrée et de sortie des accès de métro de Guimard.
[16] Ainsi, Guimard avait dû modifier le montage initial trop fragile des porte-enseignes des entourages découverts. Cf. notre article à ce sujet.
Pour ce début d’année 2025, Le Cercle Guimard vous propose deux nouvelles visites guidées :
Vestibule du Castel Béranger, vue vers la rue. Photo Appoline Jarroux.
Façade sur rue de l’Hôtel Jassedé, rue Chardon Lagache. Hector Guimard, 1893. Photo Olivier Bost.
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
La journée d’étude Hector Guimard à l’Hôtel de Ville de Paris a été un grand succès. Des spécialistes de Guimard s’y sont relayés toute la journée dans une ambiance conviviale pour donner des synthèses des connaissances dans certains domaines, exposer des parallèles avec d’autres architectes contemporains ou encore pour présenter des nouveautés tout à fait passionnantes. Nous avons également bénéficié de communications de nos amies américaines car ce sujet d’étude a toujours été vivant de part et d’autre de l’Atlantique.
Journée d’étude Guimard dans la salle du Conseil de Paris le 3 décembre 2024. Photo Peggy Laden – Le Cercle Guimard
Le Cercle Guimard ne relâche pourtant pas ses efforts et propose pour clore l’année Guimard une conférence qui sera consacrée à l’histoire de la station de métro Tuileries. La conférence — gratuite — aura lieu le 17 décembre 2024 à 18 h, aux Archives de Paris, 18 boulevard Serurier, 75019 Paris, salle Paul Verlaine, sans inscription préalable, dans la limite des 100 places disponibles.
Qui imaginerait en descendant les escaliers de cette station de la ligne 1 que la mise en place de ses accès a été l’occasion d’une lutte sourde entre, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part le Service du Métropolitain de la Préfecture de la Seine ? De nouveaux documents découverts par l’équipe des Archives de Paris — à l’occasion de la mise en place de l’exposition Guimard qui s’y déroule jusqu’au 21 décembre — nous permettent d’en retracer les péripéties d’une façon plus précise que ce que nous avions pu écrire dans le livre consacré au métro de Guimard[1]
Rapport du Service technique du métropolitain, daté du 3 mars 1900 et signé par Fulgence Bienvenüe. Archives de Paris, V2O8 7.
De plus, Le Cercle Guimard a eu la chance de bénéficier du don de plusieurs fragments de dessins originaux de Guimard qui nous renseignent sur son immiscion dans cette affaire, nous convainquant que les accès de la station Tuileries, si modestes aujourd’hui, auraient pu être des créations exceptionnelles et originales de notre architecte. Nous en dévoilons ci-dessous un détail, mais nous serons aptes à en montrer une vue plus complète au cours de la conférence du 17 décembre.
Hector Guimard, détail d’une esquisse au crayon sur calque pour le demi-édicule de sortie de la station Tuileries, c. fin 1899. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
Après cette conférence, deux articles à paraître sur notre site ne seront pas de trop pour présenter ces nouveautés et pour compléter l’histoire des accès de cette station ainsi que de leurs avatars… et de leurs avanies.
Enseigne de la station Tuileries au-dessus-de l’accès servant originellement à l’entrée, état actuel. Photo F. D.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, La Vie du Rail, 2012.
La journée d’étude consacrée à Hector Guimard se tiendra mardi 03 décembre de 9 h à 17 h dans la salle du Conseil de Paris. Malheureusement, les places disponibles ont déjà toutes été réservées… Un enregistrement vidéo des communications sera assuré (à l’exception de celle sur la maison Coilliot). Nous présentons brièvement ci-dessous la plupart d’entre elles.
Frédéric Descouturelle, Cercle Guimard. L’image d’Hector Guimard, entre fantasmes et réalités. Frédéric Descouturelle est titulaire d’un Master II en histoire de l’art sur les fontes de Guimard produites à Saint-Dizier. Il est l’auteur ou co-auteur d’une dizaine de livres consacrés à l’École de Nancy (et plus particulièrement au menuisier Eugène Vallin) ainsi qu’à Guimard. Il est aussi l’auteur de nombreux articles et dossiers publiés sur le site du Cercle Guimard.
Cette première communication s’attache à l’image de Guimard, son image physique bien sûr, mais aussi son image psychologique et celle que s’en sont faite les historiens et les exégètes de son œuvre. Était-il un révolté isolé ? Un martyr de la modernité sacrifié sur l’autel de la réaction ? Un mystique dont les préoccupations ésotériques peuvent se décrypter ? L’histoire de l’art a toujours reflété et raconté en creux les idées et les préoccupations des époques où elle a été écrite, ainsi que celles des historiens. Ne doutons donc pas que nos propres spéculations seront révisées par de futures générations d’historiens. Mais en démontant la manipulation de certaines sources bibliographiques, nous montrerons jusqu’où peut aller l’aveuglement de ceux qui veulent voir.
Un dessin attribué à Guimard et donné comme indication de ses supposés penchants ésotériques.
Olivier Barancy, Cercle Guimard. Guimard et Lavirotte : deux destins parallèles. Spécialiste des immeubles anciens, Olivier Barancy est architecte. Initié à l’Art Nouveau par l’historien Roger-Henri Guerrand lors de son cursus universitaire, il a publié plusieurs ouvrages d’histoire de l’art dont une monographie consacrée à Jules Lavirotte en 2017.
Bien qu’Hector Guimard ait refusé d’être comparé à ses confrères, son contemporain Jules Lavirotte présente un profil parallèle, dans sa vie privée ou publique. Les rencontres des deux architectes lyonnais ont été rares mais leurs carrières ne sont pas antagonistes. La mise en miroir de leurs œuvres respectives montre plus de différences que de similitudes : Hector Guimard étant très moderne, dans sa communication et sa créativité foisonnante, tandis que Lavirotte prouve son audace dans l’emploi de la céramique architecturale et l’usage récurrent du ciment armé.
Diapositive de la présentation.
Léna Lefranc-Cervo. Hector Guimard et le Groupe des architectes modernes : réseaux et stratégies de mobilisation d’un architecte moderne. Léna Lefranc-Cervo est diplômée de l’École du Louvre et docteure en histoire des arts (Université Rennes 2). Elle est actuellement enseignante à l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne.
La communication s’attachera à présenter le rôle central de l’architecte dans le processus de fédération des novateurs et pour l’accès à la commande. Elle analysera ainsi les démarches entreprises dans ce sens par Guimard depuis les années 1890 jusqu’à la création du Groupe des Architectes Modernes en 1922, et reviendra sur les stratégies de mobilisation de ce groupe notamment dans le cadre de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.
Banquet du Groupe des Architectes Modernes en 1929 en l’honneur d’Hector Guimard à l’hôtel Lutecia. Coll. Centre d’archives d’architecture contemporaine (Cité de l’architecture).
Dominique Magdelaine, Cercle Guimard. Un décor inédit réalisé par Hector Guimard à l’époque du Castel Béranger. Dominique Magdelaine est hectorologue et cartophile depuis plus de quarante ans.
La diffusion du Style Guimard dans les arts décoratifs a t-il été un succès ou échec commercial ? En créant l’album L’Art dans l’Habitation Moderne, le Castel Béranger — ouvrage démonstratif d’une construction synthétisant ses principes : logique harmonie et sentiment — l’architecte pensait-il également que cet album pourrait être utilisé comme catalogue par ses voisins du XVIe ? C’est en tous cas ce que révèle l’aménagement de l’Institution des Marronniers, rue de l’Yvette.
Meuble et vitrine murale de l’aménagement du salon des élèves des Marronniers, rue de l’Yvette, Paris, XVIe arrondissement. Détail d’une carte postale ancienne. Coll. part.
Jérémie Cerman. Hector Guimard et les papiers peints. Jérémie Cerman est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université d’Artois. Il a notamment publié les ouvrages Le papier peint Art nouveau. Création, production, diffusion (Mare & Martin, 2012), et, sous sa direction, Les années 1910. Arts décoratifs, mode, design (Peter Lang, 2021). En 2024, il a assuré le co-commissariat scientifique de l’exposition « Colosses. Lutteurs, culturistes et costauds dans les arts » (Musée Courbet, Ornans, 1er juin-13 octobre 2024), dont il a également codirigé le catalogue.
Les papiers peints conçus par Hector Guimard pour le Castel Béranger suscitèrent maints commentaires qui témoignent de leur place importante dans la décoration intérieure de l’édifice. Cette intervention reviendra sur les témoignages qui nous sont parvenus de ces réalisations, sur leur réception critique ainsi que sur les quelques autres contextes dans lesquels des papiers peints de Guimard furent employés, ou exposés, autour de 1900.
Hector Guimard, décor en Lincrustra, vers 1900, in Lincrusta-Walton française, catalogue commercial non daté.
Maréva Briaud, Cercle Guimard. Le bestiaire fantastique et coloré du Castel Béranger. Maréva Briaud est architecte de formation. Elle est doctorante à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, sous la tutelle de l’École doctorale d’histoire de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et prépare actuellement une thèse intitulée une thèse sous la direction de Valérie Nègre intitulée « Architecture, artisanat et commerce. La fabrique des façades céramiques polychromes à Paris (1827-1914) ».
Le Castel Béranger d’Hector Guimard, primé au concours des façades de 1898 organisé par la ville de Paris, n’est pas seulement singulier par la pluralité des matériaux employés en maçonnerie ; il l’est aussi par la profusion des chimères qui ornent ses façades. Cette communication tente de dresser un inventaire raisonné du bestiaire du Castel Béranger, oscillant entre figuration et abstraction, inspiré tant de la Nature que de la fantasmagorie du Moyen-Âge.
Détail de la pl. 2 du portfolio du Castel Béranger paru en 1898. Coll. Bibliothèque du Musée des arts décoratifs.
Isabelle Gournay. Les immeubles de rapport de Guimard vus du dedans : approches comparatives et pistes de recherche. Professeure honoraire à l’École d’architecture de l’ Université du Maryland, Isabelle Gournay a présenté l’an dernier à Chicago une communication sur les logements de Guimard dans leur contexte parisien. Auparavant, en septembre 2021, elle a publié sur notre site un article consacré aux Multiples Auteuils de Guimard.
Nouvelle piste de recherche encore peu explorée, la typologie des surfaces habitables imaginées par Guimard fait l’objet avec cette communication d’un premier bilan incluant la plupart de ses immeubles de rapport. Grâce aux plans des permis de construire (rarement réalisés tels quels) mais aussi grâce à des visites sur place et à des échanges avec des occupants des appartement, cette communication situe la pratique de Guimard dans l’évolution de l’habitat parisien contemporain, mais la compare aussi à des exemples américains qu’il avait pu connaitre lors de voyages aux USA. Des deux-pièces d’immeubles économiques aux appartement de grand luxe de certains programmes, parfois revêtus de façades indifférenciées, elle s’attache à montrer son originalité mais aussi les sacrifices consentis au confort moderne.
Diapositive de la présentation consacrée à l’immeuble Jassedé, 142 avenue de Versailles et à son pendant plus économique, 1 rue de Lancret (1903-1905).
Olivier Pons, Cercle Guimard. La maison Coilliot par Hector Guimard, quand un négociant en céramique convoque l’Art nouveau parisien à Lille. Co-auteur de deux livres consacrés à Guimard, Olivier Pons a également publié plusieurs dossiers thématiques consacrés à l’architecte sur le site du Cercle Guimard. Parallèlement à ce travail d’écriture, il poursuit son effort de recherche et de compilation engagé depuis plus d’une décennie sur les productions mobilières et décoratives de Guimard.
La maison Coilliot est le fruit d’une rencontre entre Louis Coilliot, un des principaux négociants en céramique lillois, amateur d’art et de nouveautés et Hector Guimard, l’un des architectes les plus en vue de l’époque, propulsé au devant de la scène artistique et médiatique grâce au chantier parisien du Castel Béranger. En 1897, Louis Coilliot commande à Guimard une construction démonstrative à la fois vitrine publicitaire en rapport avec son commerce mais aussi point d’orgue du projet architectural voulu pour son terrain et débuté quatre ans plus tôt avec la construction de son entrepôt en béton armé Hennebique. Signe que son travail a séduit Louis Coilliot, Guimard poursuit son intervention à l’intérieur du bâtiment en réalisant une partie du décor fixe et en dessinant un des plus beaux mobiliers de sa carrière.
Façade de la maison Coilliot, 14 rue de Fleurus à Lille. Photo F. D.
Nicolas Horiot, Cercle Guimard. La toiture de l’hôtel Mezzara : enquête patrimoniale. Nicolas Horiot, architecte DPLG, est président du Cercle Guimard dont il anime infatigablement les activités, en particulier le projet de création d’une entité muséale à l’hôtel Mezzara.
Cet hôtel particulier, œuvre d’Hector Guimard, vice-président de la Société des Artistes Décorateurs et conçu pour l’autre vice-président, a été profondément modifié au fil du temps, s’éloignant de sa configuration d’origine. Cette étude, fruit des recherches du Cercle Guimard, synthétise nos travaux et met en lumière de récentes découvertes décisives pour sa compréhension. Elle s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine Art nouveau et propose des pistes de recherches complémentaires.
Toiture sur rue de l’hôtel Mezzara.
Elizabeth Cummings et Aimée Laberge. Un métro plus beau à Chicago. Elizabeth Cummings, historienne du design et médiatrice culturelle, était directrice de la médiation au Driehaus Museum, Chicago, jusqu’à tout récemment. Elle est membre du Chicago Sister Cities, Comité Paris-Chicago, qui a été créé à la de suite du pacte d’amitié et de coopération qui unit la Mairie de Paris et la Mairie de Chicago.
Originaire du Québec, Aimée Laberge a été directrice des programmes culturels à l’Alliance Française de Chicago pendant 15 ans. Ce mandat lui a permis de contribuer au rayonnement des cultures francophones et de la langue française au Midwest, et aussi de mettre en place des programmes en partenariat avec la Chicago Architecture Biennale à plusieurs reprises.
Un cadeau de la Ville de Paris à Chicago, l’entrée de métro Art nouveau d’Hector Guimard accueille les passagers du réseau de transport METRA à Grant Park, au cœur de la ville, depuis 20 ans. Des travaux de rénovation de cette station nécessitent la relocalisation de l’entourage Guimard. Cette présentation explore la possibilité d’en faire l’ancre d’un quartier culturel et le portail vers un espace urbain, affecté par la pandémie, à revitaliser. La question se pose alors: Et si Hector Guimard venait flâner à Chicago aujourd’hui… Quelle impression aurait-il de notre quartier ? Quelles suggestions pour en faire un lieu où il fait mieux vivre ensemble ?
Invitation au déjeuner de célébration après la dédicace du Métro, Union League Club, 14 juillet 2005.
Simon Texier. L’édicule A à claire-voie de l’Hôtel de Ville : histoire administrative d’un déplacement étonnamment heureux. Simon Texier est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Picardie Jules-Verne et secrétaire général de la Commission du Vieux Paris. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’architecture et l’urbanisme parisiens contemporains, notamment Paris contemporain : une capitale à l’ère des métropoles (2010).
L’installation place des Abbesses, en 1974, de l’édicule A anciennement implanté rue Lobau, à l’arrière de l’Hôtel de Ville, pose une multitude de questions. Le déplacement d’une œuvre n’est jamais innocente, son insertion dans un nouveau contexte lui conférant une autre dimension, quasi muséale. Globalement perçu comme une réussite, cet épisode trahit toutefois les incertitudes et les approximations de la patrimonialisation d’Hector Guimard. Il faut par conséquent revenir en amont, soit à la création du Casier archéologique de la Ville de Paris en 1916, pour tirer les fils d’une histoire administrative aux multiples facettes.
L’accès de métro place des Abbesses avant l’implantation de l’édicule A à claire-voie de Guimard provenant de la station Hôtel de Ville.
Si vous n’êtes pas parmi les chanceux qui ont pu s’inscrire à temps à cette journée d’étude, vous pourrez profiter de la republication sur notre site de la plupart des articles. Le sujet sur la maison Coilliot à Lille fera même l’objet d’un livre en 2025.
Dans le cadre de l’Année Guimard instituée par la Mairie de Paris, la Commission du Vieux Paris et le Cercle Guimard ont mis sur pied une journée d’étude consacrée à l’architecte. Elle aura lieu le 3 décembre 2024 et se tiendra dans la salle du Conseil de Paris, à l’Hôtel de Ville, 5 rue de Lobau, Paris 4e, de 9 h à 17 h.
Tout au long de la journée, treize spécialistes de Guimard, universitaires ou non, se succéderont pour présenter des actualités sur leurs recherches, mais aussi des analyses. Nous avons veillé à ce que les sujets abordés, d’une durée d’une vingtaine de minutes et entrecoupés de discussions, soient variés et attrayants, savants mais aussi accessibles à tous. Signe de l’intérêt qu’ont toujours porté nos amis nord-américains à l’œuvre de Guimard, deux conférences (dont une transmises par vidéo depuis les USA) seront données par des américaines francophones. D’intéressants parallèles avec les œuvres des architectes contemporains Lavirotte et Sauvage enrichiront également cette journée d’étude.
Portrait photographique d’Hector Guimard, tirage sur papier argentique. Coll. Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
9h00 INTRODUCTION
9h15 LES ARCHITECTES – 1re partie
L’image d’Hector Guimard : entre fantasmes et réalités par Frédéric Descouturelle, Cercle Guimard.
Guimard et Lavirotte : deux destins parallèles par Olivier Barancy, architecte, Cercle Guimard.
Hector Guimard et le Groupe des architectes modernes : réseaux et stratégies de mobilisation d’un architecte moderne par Léna Lefranc-Cervo, docteure en histoire de l’architecture, université Rennes 2.
10h20 DISCUSSION
10h40 LES ARTS DÉCORATIFS
– Un décor inédit réalisé par Hector Guimard à l’époque du Castel Béranger par Dominique Magdelaine, Cercle Guimard.
– Hector Guimard et les papiers peints par Jérémie Cerman, professeur d’histoire de l’art contemporain, université d’Artois.
– Le bestiaire fantastique et coloré du Castel Béranger par Maréva Briaud, architecte, doctorante en histoire de l’art, université Paris I Panthéon-Sorbonne, Cercle Guimard
11h45 DISCUSSION
Édicule A à claire-voie de la station Hôtel-de-Ville, portfolio Moderne Kunstschmiede Arbeiten, 1902, pl. 100. Coll. part.
14h00 LES ARCHITECTES – 2e partie
– Un métro plus beau à Chicago par Elizabeth Cummings, consultante indépendante et Aimée Laberge, Alliance française de Chicago.
– Hector Guimard et Henri Sauvage : approche comparée par Jean-Baptiste Minnaert, professeur d’histoire de l’art contemporain, Sorbonne-Université.
– Les immeubles de rapport de Guimard vus du dedans : approches comparatives et pistes de recherche par Isabelle Gournay, professeure honoraire, École d’architecture, université du Maryland.
– La maison Coilliot par Hector Guimard, quand un négociant en céramique convoque l’Art nouveau parisien à Lille par Olivier Pons, Cercle Guimard.
15H 20 DISCUSSION
15h 40 PATRIMOINE
– L’édicule A à claire-voie de l’Hôtel de Ville : histoire administrative d’un déplacement par Simon Texier, professeur d’histoire de l’art contemporain, université de Picardie Jule-Verne.
– La toiture de l’hôtel Mezzara : enquête patrimoniale par Nicolas Horiot, architecte, Cercle Guimard.
– Guimard au musée : valoriser l’Art nouveau par Élise Dubreuil, conservatrice du patrimoine, musée d’Orsay.
16h 40 DISCUSSION ET CONCLUSION DE LA JOURNÉE
Vous pourrez retrouver toutes les informations pratiques sur cette page internet.
L’entrée, gratuite, se fait sur réservation, dans la limite des places disponibles. Nous vous conseillons donc de réserver votre place au plus vite.
Pour ce dernier mois de l’année 2024, Le Cercle Guimard vous propose une nouvelle visite guidée :
Coupole des Galeries Lafayette, novembre 2023. Photographie de Maréva Briaud.
Ce parcours sera l’occasion d’admirer les décorations de Noël animant les passages couverts et les vitrines des grands magasins !
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Dès leur achèvement en 1898, les façades du Castel Béranger ont interpellé les passants de la rue La Fontaine[1]. Il faut dire que leur richesse, tant du point de vue de la polychromie que de l’ornementation, était en nette rupture avec celles des façades des maisons de rapport avoisinantes. Au Castel Béranger les registres aquatiques, botaniques, médiévaux et fantastiques[2] s’entremêlent pour animer les fontes, les céramiques et les ferronneries ornant les façades. Ce pittoresque, prôné par les pouvoirs publics du moment, a même valu au Castel Béranger l’un des prix du concours des façades de 1898 organisé par la Ville de Paris[3].
Pourtant, ce riche décor à l’origine de la renommée internationale du Castel Béranger et d’Hector Guimard n’était pas celui initialement prévu par l’architecte. Les élévations des façades du permis de construire déposées par Guimard en mars 1895, que l’on peut actuellement voir exposées aux Archives de Paris[4], en font foi. L’existence de ces documents n’est pas une découverte puisqu’ils sont connus depuis longtemps et disponibles à la consultation. Cependant, leur scan en haute définition réalisé dans le cadre de l’organisation de cette exposition pour l’année Guimard, a révélé un projet de décorum en céramique avorté. Celui-ci devait être réalisé en majorité en collaboration avec l’établissement Muller & Cie, entreprise avec laquelle Hector Guimard collaborait jusqu’alors. Les récents travaux de Frédéric Descouturelle et d’Olivier Pons publiés dans l’ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard[5] permettent d’identifier la plupart des modèles qui devaient être employés.
Le projet initial du Castel Béranger
Le Castel Béranger était une commande d’Élisabeth Fournier, bourgeoise du quartier d’Auteuil. Veuve et désireuse de placer un capital dans l’immobilier, elle s’est tournée à la fin de l’année 1894 vers l’architecte Hector Guimard, résidant lui aussi dans le quartier, pour la construction d’un immeuble de rapport rue La Fontaine.
Sans contraintes de la part de la commanditaire, le jeune architecte a conçu un projet dont les principes sont issus de l’école rationaliste de Viollet-le-Duc. En façade, une architecture pittoresque aux références médiévales cohabite avec une polychromie due à l’emploi de différents matériaux, à la mise en peinture des fontes et ferronneries et à un décor de céramiques émaillées.
Avant son voyage à Bruxelles durant l’été 1895, Hector Guimard a déposé à la mairie de Paris le permis de construire du Castel Béranger pendant la seconde quinzaine du mois de mars[6]. Celui-ci comprenait les plans des différents niveaux (plan des caves, plan de rez-de-chaussée, plan d’étages courants, plans des cinquième et sixième étages) ainsi que les élévations des façades sur rue et sur cour. On y découvre un édifice en U constitué de deux corps de bâti organisés autour d’une cour, reliés entre eux par un escalier. L’immeuble est à l’alignement côté rue, tandis que la cour est ouverte du côté du hameau Béranger.
Élévation de la façade sur la rue La Fontaine du Castel Béranger, permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Élévation de la façade sur le hameau Béranger du Castel Béranger, permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Ces dessins du permis de construire sont suffisamment détaillés pour que l’on puisse se faire une idée assez précise du décor qui était alors prévu. Celui des ferronneries des garde-corps, ainsi que celui du portail d’entrée reflètent un style indéfini, assez convenu et moins audacieux que sur l’hôtel Jassedé réalisé deux ans plus tôt au 41 rue Chardon-Lagache. On y remarque toutefois des stylisations florales.
Élévation de la façade sur la rue La Fontaine du Castel Béranger (détail), permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
On peut effectivement reconnaître à nouveau la fleur et les feuilles du tournesol, motif principal du décor de l’hôtel Jassedé. Il est possible que, dans une optique économique, Guimard avait prévu de faire réaliser en fonte les motifs centraux qui se répètent à de multiples reprises sur les façades. C’est en tous cas ce qu’il a fait dans la version définitive des garde-corps des balcons.
Motif central des garde-corps des façades du Castel Béranger, élévation de la façade sur la rue La Fontaine (détail), permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
La ferronnerie du portail n’est pas non plus très inventive avec ses barreaux verticaux régulièrement espacés. Seuls, en partie haute, deux motifs en spirale envoyant des rayons en périphérie lui donnent un aspect plus dynamique.
Portail du Castel Béranger, élévation de la façade sur la rue La Fontaine (détail), permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Au-dessus des devantures des deux petites boutiques des dernières travées de droite, Guimard a prévu l’emplacement d’une large enseigne pouvant être insérée devant un linteau métallique. Il lui a dessiné un décor interrompu par deux plus petits emplacements d’enseignes placés devant les allèges des fenêtres du premier étage.
Boutique au rez-de chaussée du Castel Béranger, élévation de la façade sur la rue La Fontaine (détail), permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Ce décor est lui aussi naturaliste avec des motifs répétitifs de fleurs en deux tailles. Probablement prévus en céramique émaillée, ils semblent être encadrés par des ferronneries se terminant en demi-cercle, dentelées comme le sont certaines feuilles, et séparés les uns des autres par des épis floraux.
Décor de l’enseigne des boutique au rez-de chaussée du Castel Béranger, élévation de la façade sur la rue La Fontaine (détail), permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Le Castel Béranger et Muller & Cie
Comme le montrent les plans du permis de construire, de nombreux éléments en céramique étaient prévus sur les façades. Grâce au livre consacré à la céramique et à la lave émaillée de Guimard[7], plusieurs éléments du décor initial ont été identifiés dans les catalogues Muller & Cie : métopes garnissant les linteaux, métopes ornant les allèges, épi de faitage et frises décorant le vestibule. Ces éléments, produits et commercialisés par l’établissement Muller & Cie, ont été dessinés et employés par Guimard pour décorer certains de ses projets antérieurs au Castel Béranger.
Métopes et épi de faîtage dessinés par Guimard et édités par Muller & Cie représentés dans les élévations de façades du permis de construire du Castel Béranger, permis de construire du Castel Béranger, façade sur la rue La Fontaine (fenêtres) et façade sur le hameau Béranger (épi), 15 mars 1895, Archives de Paris.
Dans le projet initial, Guimard avait prévu de réemployer le dispositif de linteau conçu en 1893 pour l’hôtel Louis Jassedé, rue Chardon-Lagache[8]. Comme deux ans auparavant, le modèle de métope édité sous le numéro 13 dans le deuxième catalogue de Muller & Cie devait garnir les linteaux métalliques des baies du Castel Béranger. Le dessin des façades montre que les métopes devaient être enserrées dans des cadres en fer vissés, à la manière du linteau d’encorbellement de la villa Charles Jassedé construite elle-aussi en 1893.
Métope n° 13 dessinée par Hector Guimard et éditée par Muller & Cie ; à gauche : Muller & Cie, métope n° 13, catalogue Muller & Cie n° 2, 1904, coll. Le Cercle Guimard ; à droite : linteau de l’hôtel Jassedé, 1893, 41 rue Chardon-Lagache. Photo N. Christodoulidis.
Le modèle devant orner l’allège de certaines baies est la métope n° 35 de Muller & Cie. Elle a aussi été employée à l’hôtel Jassedé pour animer le socle de l’édifice. Même si son aspect tranche nettement avec le modèle n° 13, elle a bien été dessinée par Guimard comme le prouve le tableau des prix du catalogue Muller et Cie de l’année 1904 qui associe à chaque modèle le nom de l’architecte qui l’a conçu.
Métope n° 35 dessinée par Hector Guimard et éditée par Muller & Cie ; à gauche : Muller & Cie, métope n° 35, catalogue Muller & Cie n° 2, 1904, coll. Le Cercle Guimard ; à droite : socle de l’hôtel Jassedé, 1893, 41 rue Chardon-Lagache. Photo F. Descouturelle.
Tout comme c’est le cas aujourd’hui, la toiture en pavillon placée à l’extrémité gauche du volume bâti bordant la rue La Fontaine devait être couronnée d’un épi de faîtage. Contrairement à l’exemplaire actuel qui semble être en fonte, celui d’origine devait être en céramique et fabriqué par Muller & Cie.
Le manque de précisions de sa représentation dans les élévations du permis de construire ne permet pas d’identifier avec certitude le modèle qui devait être employé. Cependant, on peut tout de même formuler l’hypothèse qu’il s’agit d’une nouvelle transformation de l’épi n° 23 dessiné par Gustave Raulin[9] pour les écoles d’Ivry-sur-Seine (1880-1882).
Épi de faîtage n° 23 dessiné par Gustave Raulin pour les écoles d’Ivry, catalogue Muller & Cie n° 1, pl. 12, 1895-1896, coll. Bibliothèque des Arts décoratifs.
Après avoir employé ce modèle au restaurant café-concert Au Grand Neptune en 1888, Guimard l’a aussi utilisé pour couronner la toiture de la villa Charles Jassedé à Issy-les-Moulineaux[10].
Toiture de la villa Charles Jassedé avec l’épi de faîtage n° 23 à Issy-les-Moulineaux, 1893. Photo F. Descouturelle.
Peu avant, pour l’hôtel Jassedé, il avait transformé cet épi de faîtage en supprimant les rouleaux latéraux et en ajoutant des enroulements tirés de l’épi n° 22 du catalogue Muller & Cie.
État actuel d’un épi de faîtage de l’hôtel Jassedé, 41 rue Chardon-Lagache, Paris, 1893. Photo N. Christodoulidis.
Bien que semblant assez éloigné de cette dernière variante, le dessin de la première version de l’épi de faîtage du Castel Béranger présente de nombreuses similitudes avec l’épi n° 23 original. En effet, comme le modèle de Raulin, l’exemplaire dessiné par Guimard présente une extrémité dont la forme se rapproche de celle d’un bouton floral. Sur les deux prototypes on observe un déploiement de feuilles à sa base. La différence majeure réside en une section ronde[11] et allongée et l’absence de rouleaux sur le fût.
Épi de faitage du Castel Béranger, permis de construire, élévation de la façade sur cour, 15 mars 1895, Archives de Paris.
Les murs du vestibule, quant à eux, devaient initialement recevoir un décor très éloigné de celui actuel formé de parois bouillonnantes en grès exécutés par Bigot. De façon plus classique, les parois devaient être animées de cinq frises florales horizontales. Leur apparence se rapproche de celle des panneaux cloisonnés verticaux, utilisés par l’architecte en 1891, pour border les fenêtres des retours de la véranda de l’hôtel Roszé[12]. Il s’agit du modèle édité sous le n° 127 dans le deuxième catalogue Muller & Cie. Guimard semble avoir prévu de séparer ces frises par des lits de briques émaillées, à la manière du vestibule du 66 rue de Toqueville à Paris réalisé par Muller & Cie en 1897 sous les directives de l’architecte Charles Plumet[13].
Coupe du vestibule et du hall du Castel Béranger, permis de construire, non daté, détail, Archives de Paris.
Coupe du vestibule du Castel Béranger, permis de construire, non daté, détail, Archives de Paris.
Panneau n° 127 dessiné par Hector Guimard et édité par Muller & Cie, catalogue Muller & Cie n° 2, 1904, coll. Le Cercle Guimard.
Détail du panneau n° 125, faïence cloisonnée émaillée, éditée par Muller & Cie, coll. Le Cercle Guimard. Photo F. Descouturelle.
Deux tympans et un modèle de métope en céramique, visibles sur les élévations de façades du permis de construire du Castel Béranger, n’ont pas encore été identifiés dans les catalogues Muller & Cie. Il est probable que ces exemplaires devaient eux aussi être réalisés par l’établissement[14]. Mais, il est aussi envisageable que Guimard avait déjà prévu de faire appel à l’établissement Gilardoni & Brault pour leur fabrication.
Métopes et tympans dessinés par Guimard pour le Castel Béranger devant être édités par un établissement encore non identifié, permis de construire du Castel Béranger, 15 mars 1895, Archives de Paris
Durant son séjour bruxellois, Hector Guimard a eu l’opportunité de rencontrer les architectes Victor Horta et Paul Hankar, figures phares de l’Art nouveau belge. Il a en particulier trouvé chez Horta une intégration du décor à la structure qui n’avait pas d’équivalent ailleurs et qui a bouleversé sa vision de l’architecture moderne. Après ce voyage, Guimard a délaissé les décors botaniques figuratifs dessinés sous l’influence nancéienne[15] pour une ornementation tendant davantage vers l’abstraction. Il a emprunté à Horta le motif de la ligne en coup de fouet, mais il s’est aussi référé à d’autres sources plus anciennes[16].
Ainsi, à son retour à Paris, Guimard a redessiné l’ensemble du second œuvre du Castel Béranger en suivant le principe d’œuvre d’art totale qui l’avait tant marqué dans les productions d’Horta. Outre la conception des éléments destinés au décor et à l’aménagement des appartements (papiers peints, crémones, poignées, vitraux, cheminées…), l’architecte a transformé l’ensemble de l’ornementation des façades et du vestibule.
Contrairement au second œuvre, il a été impossible pour l’architecte de modifier les plans précédemment conçus ; le chantier du gros-œuvre ayant débuté dès son retour de Belgique. En comparant avec attention les plans et les façades dessinés pour le permis de construire avec ceux publiés dans le portfolio du Castel Béranger[17], on se rend compte que l’agencement des espaces et la volumétrie générale des corps de bâtis sont quasiment identiques. Les légères modifications notables (ouvertures, échauguettes, souches de cheminées, volume du bâti côté cour) résultent certainement du processus naturel du projet conduisant l’architecte à questionner sans cesse son travail. Celles-ci sont donc sûrement apparues lors du dessin des plans d’exécution destinés aux artisans du gros œuvre, probablement produits avant le départ de Guimard pour la Belgique.
Élévation de la façade du Castel Béranger sur le hameau Béranger, permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris. Mise en couleur des modifications touchant au gros œuvre (en rouge).
Élévation de la façade du Castel Béranger sur le hameau Béranger, portfolio du Castel Béranger, pl. 7, 1898, ETH-Bibliothek Zürich.
Si l’on compare les dessins des façades du dossier de permis de construire avec celles publiées à l’issue de la construction dans le portfolio du Castel Béranger, on se rend compte que l’ensemble des ferronneries initialement prévues a été remplacé par des modèles alternatifs. Le caractère floral a disparu au profit d’un nouveau style, en partie abstrait et en partie fantastique.
Modifications du dessin des garde-corps ; à gauche : élévation de la façade sur la rue La Fontaine, permis de construire, 15 mars 1895, Archives de Paris ; à droite : élévation de la façade côté rue La Fontaine, portfolio du Castel Béranger, pl. 2, 1898, Bibliothèque du Musée des arts décoratifs.
De même, tous les décors en céramique prévus sur le permis de construire ont été remplacés. Guimard a alors cessé sa collaboration avec l’établissement Muller & Cie alors que quelques mois plus tôt il envisageait de lui passer commande. Cette rupture est d’autant plus surprenante que, jusqu’ici, il avait exclusivement fait appel à celle-ci pour l’ensemble de ses projets requérant de la céramique architecturale : le restaurant café-concert Au Grand Neptune (1888), l’hôtel Roszé (1891), l’hôtel Jassedé (1893), la villa Charles Jassedé (1893), l’hôtel Delfau (1894), la galerie Carpeaux (1894-1895). Ce changement de fournisseurs s’est fait au profit de deux entreprises concurrentes. La première était Gilardoni & Brault, une tuilerie qui, comme Muller & Cie, s’était diversifiée dans le décor architectural. Les métopes n° 13, éditées par Muller et initialement prévues pour les linteaux des fenêtres…
Métope n° 13 éditée par Muller & Cie, linteau d’une fenêtre de l’Hôtel Jassedé, 41 rue Chardon-Lagache, Paris, 1893. Photo N. Christodoulidis.
ont ainsi été remplacées par de nouvelle métopes, elle aussi enserrées dans des lames de fer.
Métope probablement éditée par Gilardoni & Brault, linteau d’une fenêtre du Castel Béranger. Photo N. Christodoulidis.
Quant aux métopes n° 35 prévues en allège de certaines fenêtres, elles ont elles aussi été remplacées par de nouveaux modèles.
À gauche : métope n° 35 produite par Muller & Cie et utilisée pour le socle de l’hôtel Jassedé (41 rue Chardon Lagache, 1893), prévue initialement pour orner les allèges de certaines fenêtres du Castel Béranger ; à droite : métope produite par Gilardoni & Brault pour finalement animer les allèges d’une partie des baies du Castel Béranger. Photos F. Descouturelle et N. Christodoulidis.
La seconde entreprise à laquelle Guimard a fait appel est celle d’Alexandre Bigot, encore récente mais dont la réputation était en pleine ascension. Elle ne pratiquait que le grès émaillé et se positionnait résolument dans le style moderne.
Vestibule du Castel Béranger, grès émaillé par A. Bigot. Photo F. Descouturelle.
Pourquoi la fin d’une telle collaboration avec Muller & Cie ?
Il n’y a pas d’explications évidentes à cette rupture. Les raisons ne peuvent pas être d’ordre technique puisque l’établissement Gilardoni & Brault offrait les mêmes types de produits que Muller & Cie, déclinés en simple terre cuite, faïence émaillée et grès émaillé. Il est également douteux que la rupture ait été consommée uniquement pour des raisons d’ordre stylistique. Si la brusque évolution du style de Guimard a pu surprendre chez Muller & Cie, on sait par ses catalogues que cette entreprise a accueilli favorablement les nouvelles tendances stylistiques et qu’elle a édité un nombre considérable de modèles modernes.
Au contraire, jusque-là, les produits de Gilardoni & Brault étaient restés plutôt prudemment éclectiques. Cette tuilerie, soudainement éprise de modernité, aurait-elle « débauché » Guimard ? En tous cas, l’importante commande pour son stand à l’exposition de la Céramique en 1897[18] est une confirmation de son intérêt pour le nouveau style de l’architecte ; n’hésitant pas à supporter les frais de fabrication de nombreux moules. Pendant plusieurs années l’entreprise a même accompagné les recherches de Guimard en matière de pièces de forme, et notamment de vases.
D’autres raisons, sans doute plus mesquines, peuvent être avancées pour expliquer l’apparition d’une mésentente entre l’architecte et Muller & Cie. Tout d’abord, Guimard a pu être agacé par les libertés prises par la tuilerie vis-à-vis de ses modèles. Celle-ci n’a en effet pas hésité à modifier certains exemplaires conçus par l’architecte, et à créer de nouveaux modèles dans un style approchant, sûrement sans le rémunérer pour autant[19].
Du point de vue de Muller & Cie, les précédents modèles de Guimard n’avaient sans doute pas remporté le succès escompté. Lorsque ce dernier au lieu de continuer à les amortir au Castel Béranger, a proposé d’en créer et d’en éditer de nouveaux, l’entreprise a pu reculer devant un investissement lui paraissant trop risqué ; choisissant alors de rompre sa collaboration avec Guimard qui perdurait pourtant depuis sept ans.
Maréva Briaud, École doctorale d’Histoire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ED113), IHMC (CNRS, ENS, Paris 1).
Notes
[1] « Des curieux, des passants étonnés s’arrêtaient, examinaient longuement cette façade originale, si différente des maisons environnantes. » L. Morel, « L’Art nouveau », Les Veillées des chaumières, 17 mai 1899, p. 453.
[2] Cet aspect sera traité lors d’une communication à l’occasion de la journée d’étude Guimard organisée par la mairie de Paris le 3 décembre 2024 et dans l’article qui suivra.
[3] Le résultat du concours n’a été proclamé qu’en 1899 et Guimard l’a aussitôt fait graver sur la façade du Castel Béranger.
[4] Guimard, architectures parisiennes, exposition aux Archives de Paris, réalisée en partenariat avec Le Cercle Guimard, du 20 septembre au 21 décembre 2024. On consultera aussi le journal d’exposition disponible sur place : Le Cercle Guimard. Exposition aux archives de Paris, n° 4, 19 septembre 2024.
[5] F. Descouturelle, O. Pons, « Guimard et Muller & Cie », La Céramique et la lave émaillée d’Hector Guimard, Paris, Le Cercle Guimard, 2022.
[6] Les plans du permis de construire sont datés du 10 mars 1895 et les façades du 15 mars 1895.
[7] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit.
[8] Ibid., p.34.
[9] Hector Guimard était rattaché à l’atelier de Gustave Raulin pendant son cursus à l’École des Beaux-Arts.
[10] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 42.
[11] Les épis de faîtage actuels du garage de l’hôtel Jassedé ont une section ronde. Il s’agit de l’épi n° 4 du catalogue Muller & Cie de 1903, pl. 16 et qui est peut-être l’édition du modèle recomposé par Guimard dix ans plus tôt.
[12] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 31.
[13] Ibid, p. 21.
[14] Muller et Cie était capable de réaliser n’importe quel modèle sur demande.
[15] Les représentations de flore de Guimard sont figuratives mais n’atteignent pas la précision du dessin naturaliste d’Émile Gallé. Elles anticipent même de peu les stylisations d’Eugène Grasset.
[16] Voir l’article « Guimard et le style auriculaire » paru sur notre site internet.
[17] H. Guimard, L’Art dans l’habitation moderne/Le Castel Béranger, Paris, Librairie Rouam, 1898. Ces plans aquarellés sont globalement exacts mais présentent ponctuellement des écarts avec la réalité.
[18] Exposition nationale de la céramique et de tous les arts du feu en 1897 à Paris, au sein du Palais des Beaux-Arts.
[19] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 48.
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