Léna Lefranc-Cervo, doctorante en Histoire de l’art, avait déjà publié sur notre site un article sur les tentatives précoces de protection du patrimoine Art nouveau parisien. Elle nous fait à présent l’amitié de partager avec le Cercle Guimard sa contribution à la journée d’étude « La norme et son contraire » qui s’est tenue à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne à Rennes en 2020. Elle y analyse la question de la norme architecturale à travers la production des architectes de la Société des Architectes Modernes dont Hector Guimard a été vice-président. Elle nous aide ainsi à mieux le situer au sein des courants architecturaux modernes de l’après-guerre dont il fut loin d’être éloigné.
La Société des architectes modernes[1] (SAM) nous paraît constituer une entrée intéressante pour aborder la question de la norme, tant les discours sur l’architecture produits par ses membres, en particulier, sur l’architecture moderne ont impliqué cette notion. La modernité en architecture questionne en effet directement la place de la doctrine et le rapport à un corpus normatif entendu comme définition d’un cadre primordial à la conception architecturale. L’historien de l’architecture Gilles Ragot a mis en avant, dans sa thèse sur le Mouvement moderne[2], le fait que Le Corbusier et André Lurçat furent les seuls à tenter la définition d’une doctrine de l’architecture moderne. Il rappelle que cette propension à la théorisation est marquée par les nombreuses publications de Le Corbusier (plus de quatorze entre 1918 et 1938). Les Cinq points de l’architecture moderne constitue la plus emblématique de cette production éditoriale par sa clarté et son caractère pédagogique. Or ces deux architectes ne firent jamais partie de la Société des architectes modernes qui compta pourtant plus de 200 membres à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La SAM se distingue d’ailleurs par son absence de la sphère de la théorie de l’architecture. La production théorique des architectes de ce groupement, qu’elle soit individuelle ou collective, est en effet très pauvre. De ses publications communes à travers les Bulletins qui paraissent seulement à partir de 1936 et notamment des deux articles intitulés « Modernisme » écrits par Auguste Bluysen[3] et Adolphe Dervaux[4], respectivement président et vice-président de la société à cette date, on en retient surtout le flou doctrinal. Cette constatation nous amène à nous interroger sur le rapport des architectes de la SAM avec la doctrine et avec la définition d’un cadre pour la conception. Elle nous invite aussi à nous demander si, pour les membres de la société, la modernité architecturale, qui sous-tend la rupture avec un corpus normatif, induit le remplacement de celui-ci par de nouvelles doctrines architecturales ou bien si, au contraire, elle peut s’en affranchir.
La modernité architecturale un combat contre la norme
Le Groupe des architectes modernes voit le jour dans un contexte de lutte artistique pour la commande à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925. À sa constitution en 1922[5], il est alors présidé par Frantz Jourdain[6]. Architecte, écrivain et critique d’art tout à la fois, Jourdain avait été, dans les années 1890-1900, l’un des plus ardents défenseurs des « novateurs ». Il publie en 1893 L’Atelier Chantorel[7], roman–pamphlet contre l’enseignement qu’il juge sclérosé de l’École des beaux-arts. Au moment de son décès, en 1935, Marcel Lathuillière, le représentant du Groupe algérien de la SAM, n’hésite pas à le présenter comme « le premier Moderne[8] ». Jourdain semble alors incarner, y compris pour les membres les plus jeunes de la société, l’esprit même de la modernité architecturale : « [Frantz Jourdain] libéra une jeunesse ardente de la plus intolérable des servitudes et permit aux talents neufs de s’affirmer sans craindre la censure[9] ». La « jeunesse ardente » fait évidemment référence, dans l’esprit de Lathuillière, aux architectes de la génération qui a commencé sa carrière dans les années 1890-1900 et qui a alors participé au renouveau des arts avant de fonder, vingt ans plus, tard le Groupe des architectes modernes (GAM) : parmi eux, Henri Sauvage, Hector Guimard, Louis Sorel, Adolphe Dervaux et Lucien Woog. Par ailleurs, Lathuillière désigne clairement les oppresseurs de Jourdain et de sa phalange : « Épris d’idées nouvelles, il entra en lutte contre les Maîtres, alors tout puissants, de l’Architecture académique[10] ». De nombreux autres membres de la société s’accordent sur l’identité de cet ennemi commun, comme Bluysen qui relate que cette « jeunesse scolaire se trouvait, par ses vieux maîtres pasticheurs, maintenue sous la férule académique[11] ». Le terme d’« Architecture académique » renvoie donc à un corpus perçu comme normatif et imposé par un groupe de professionnels affiliés à un organe institutionnel désigné comme auteur de tous les maux : l’École des beaux-arts.
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Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 14/09/2024 / 10:00 | Visite guidée « Paris et l'architecture du commerce : des galeries aux grands magasins » | 5 |
dim 15/09/2024 / 10:00 | Visite guidée «Guimard et le métro» | 14 |
Nous avons le plaisir de faire connaitre à nos lecteurs l’article de M. Alexis Monnerot-Dumaine, initialement publié sur son blog Le Village de Billancourt à qui nous avons pu apporter quelques renseignements. Il concerne l’une des œuvres de jeunesse de Guimard pour laquelle les connaissances étaient jusqu’ici très parcellaires et il donne un éclairage complémentaire à cette première partie de sa carrière dont la clientèle était encore limitée à son cercle familial élargi.
Historique de la construction
Hector Guimard n’avait qu’une vingtaine d’années lorsque Rosalie Hélène Lécolle, habitante de Billancourt, lui a commandé des maisons mitoyennes sur la rue du Pont de Sèvres. Elle était déjà la propriétaire d’une villa qui sera plus tard connue sous le nom de villa Aussillous et dont elle avait l’intention de lotir le vaste terrain.
Nous ne savons pas comment ils se sont connus, mais le fait que Rosalie Lécolle et le père d’Hector Guimard soient tous deux originaires du village de Toucy, dans l’Yonne, ne peut être une coïncidence. Nous n’avons cependant pas trouvé de lien de parenté entre eux. Peut-être le père d’Hector Guimard a-t-il recommandé Rosalie Lécolle à son fils ? En tous cas, c’est vraisemblablement cette origine commune qui a déterminé le nom donné à la villa par sa propriétaire.
Ce n’était pas la première fois que Rosalie Lécolle commandait un bâtiment à Guimard. En 1889, il lui avait déjà dessiné une maison de rapport à Saint-Ouen, au 122 avenue des Batignoles (aujourd’hui avenue Gabriel Péri). La maison existe toujours mais ne présente pas grand intérêt.
Deux auteurs ont évoqué brièvement la villa Toucy dans leurs ouvrages : Georges Vigne dans Hector Guimard[1] et Jean-Pierre Lyonnet dans Guimard perdu, histoire d’une méprise[2], tous deux publiés en 2003.
Dans le curriculum vitae de Guimard en 1897, la réalisation de la villa Toucy est mentionnée à deux dates différentes, curieusement : 1890 et 1894. À l’année 1890, il écrit : « deux petites maisons de campagne à Billancourt. Villa Toucy, pour le compte de Mme veuve Lécolle ». 1890 est impossible car un plan de juin 1892 situe la villa ailleurs que rue du Vieux Pont de Sèvres, preuve qu’elle est encore en projet. De plus, Rosalie Lécolle n’était alors pas veuve, mais célibataire. À l’année 1894, il note : « Construction de deux pavillons dans la propriété de madame Lécolle à Billancourt ». Selon l’avis de Georges Vigne, ce CV contient encore d’autres inexactitudes et doit être pris avec réserves.
Dans un envoi de Guimard pour le Salon de 1894, est mentionné : « Une entrée de la villa Toucy exécutée à Billancourt. 1 chassis. (App. à M. Lécolle) ». Nous n’avons malheureusement pas trouvé ce dessin.
La construction est inscrite à l’inventaire Mérimée (numéro IA00119953) depuis 1992. Sa fiche nous donne bien peu d’indications : on y lit que le gros œuvre est fait de meulière, moellon, brique et enduit. La couverture est en tuiles mécaniques. La fiche nous dit également que la villa a été bâtie en 1892, « selon la source ». En 1892, Hector Guimard n’a que 25 ans et est toujours étudiant à l’École nationale des Beaux-Arts.
Le document le plus intéressant que nous avons pu trouver est le magnifique plan ci-dessous, daté du 25 juin 1892 et signé par Guimard, conservé au musée d’Orsay. Nous le reproduisons ici. Il est très complet : on y trouve trois façades, quatre coupes et un plan de situation.
Trouver l’adresse exacte de la villa n’est pas évident. Le musée d’Orsay évoque le 189 rue du Vieux Pont de Sèvres, ce qui, en réalité, est l’adresse du terrain sur lequel la villa a été bâtie. Mais chacune des maisons a eu sa propre adresse. La fiche Mérimée évoque le 171 rue du Vieux-Pont-de-Sèvres et le Cercle Guimard, le 142. En fait, le cadastre la situe clairement aux numéros 183 et 185, ou, selon les recensements du XIXe siècle, les numéros 121 et 123 (la rue ayant été renumérotée).
Les sources principales donnent 1892 pour date de construction, mais est-ce bien sûr ? Au cadastre de Boulogne-Billancourt, la villa Toucy est explicitement enregistrée en 1894. De plus, le plan de situation de juin 1892 place l’entrée de la villa à un croisement de chemins et non le long de la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, ce qui laisse à penser qu’en juin 1892 sa construction était prévue ailleurs. Ajoutons à cela le fait que la demande de construction date du 1er septembre 1892[3]. Comment penser qu’elle ait pu être achevée en si peu de temps ? Et si la mention « 1894 » sur le CV de Guimard était la bonne ?
Nos recherches pour retrouver une bonne photo de cette villa n’ont pas donné de résultat probant. Nous n’avons trouvé que des vues lointaines ou des vues d’avion. Malgré son acquisition ultérieure par Renault, nous n’en avons retrouvé aucune photo chez Renault Histoire. Elle ne figure pas dans le rapport de l’architecte Plousey de 1920 car à l’époque elle n’était pas encore la propriété de Renault.
Des maisons jumelles
Nous avons donc tenté une reconstitution de la villa Toucy, basée sur les plans du fonds Guimard au musée d’Orsay et sur les quelques éléments de la fiche d’inventaire. Pour nous aider, nous avons puisé l’inspiration sur d’autres réalisations du jeune Guimard de ces mêmes années, telles que l’hôtel Jassedé (1893) ou l’hôtel Roszé (1891).
On la qualifie de villa, mais il s’agit en fait de deux maisons de rapport jumelles, d’une largeur de 16 mètres et parfaitement symétriques. Son style n’est pas encore marqué par le style Art nouveau que Guimard n’a adopté qu’en 1895. Seul l’arc de décharge et le tympan qui encadrent la fenêtre du premier étage de la façade latérale laissent entrevoir ses futures influences. Les jambes de force obliques portant les auvents protégeant les portes d’entrées sont également caractéristiques de Guimard (villa Charles Jassedé à Issy-les-Moulineaux en 1893, villa La Bluette à Hermanville en 1899, ateliers Guimard rue Perrichont-prolongée en 1903).
Chacune des deux maisons est assise sur un sous-sol et comporte deux niveaux comprenant chacun trois pièces. Un muret sépare les entrées et les jardins des deux logements. On remarque le traitement particulier de l’avant-corps, avec ce mouvement ascendant de pierres de taille qui souligne la cage d’escalier, avec un léger décalage par rapport aux façades. On peut également noter les deux élégants décrochements de la toiture qui accompagnent les trois volumes, dont un en encorbellement. Un troisième décrochement orne la façade arrière. À remarquer également ce large bandeau à mi-hauteur que nous avons imaginé être fait de briques vernissées bleues et vertes, séparant à la fois les niveaux et les matériaux de parement des façades. Enfin, nous avons agrémenté les linteaux métalliques des fenêtres de métopes dessinées par Guimard et éditées par Muller & Cie, comme sur l’hôtel Louis Jassedé de la rue Chardon-Lagache en 1893.
La villa Toucy apparait sur un autre plan du fonds Guimard (ci-dessous), conservé au Musée d’Orsay. Il s’agit manifestement d’un projet de lotissement de la propriété Lécolle. Sur ce plan, 38 parcelles sont dessinées et trois nouvelles rues sont percées : une prolongation de la rue Casteja, un chemin Casteja et une avenue Nouvelle.
Ce projet ne verra jamais le jour car Rosalie Lécolle décède à Billancourt le 21 avril 1894, à 52 ans, deux ans seulement après la construction de la villa. Elle laisse ses biens à sa fille naturelle Marie Petitjean, fille unique et épouse de l’avocat Aussillous.
Le fonds Guimard, au musée d’Orsay, conserve aussi deux autres dessins (GP2120 et GP2121) de ce lotissement, mais sans grand intérêt.
Des locataires bien ordinaires
Loin des familles bourgeoises ou aristocratiques des belles villas disparues de Billancourt, les locataires de la villa Toucy étaient plutôt modestes. En 1896, on trouvait, au 183, une certaine Eugénie Chevallier, employée de 56 ans.
Nous avons retrouvé une petite annonce du quotidien Le Journal datée du 20 mai 1897 proposant « À louer, non meublé, pavillon belles pièces, cuisine, chambre de bonne, jardin rempli de rosiers et de belles fleurs. Superficie 400 m², prix annuel 700 francs, eau comprise… à deux minutes tramways et bateaux ».
On recensait en 1901, au 185, un certain Stanislas Julien, architecte vérificateur pour l’exposition universelle de 1900, peut-être une connaissance de Guimard ?
Les alentours de la villa commençaient déjà à s’industrialiser. Gentil & Bourdet, fabricants d’éléments de décoration en grès émaillé, ont installé en 1904 leur usine, juste derrière la villa. On pourra consulter à ce sujet notre article Avenue des arts décoratifs à Billancourt.
En 1911, les familles Roussel et Ribère résidaient à la villa.
Contrairement aux informations de l’inventaire Mérimée, la villa a survécu bien au-delà des années 1920. En effet, lors du recensement de 1926 figuraient comme occupants, au 183, la famille de Georges Dejean, un comptable, et au 185, la famille de Georges Vilar, un mécanicien d’origine espagnole.
La société Renault a acheté la propriété le 1er août 1930 aux héritiers Aussillous. Louis Renault n’a pas détruit la villa. Les familles Dejean et Vilar en sont restées locataires, au moins jusqu’en 1936.
La villa est encore visible sur le cadastre et les photos aériennes de 1932 et 1936, sa toiture caractéristique, avec ses deux décrochements, ne laisse aucun doute. C’est la dernière photographie connue. Sa situation n’a rien de très enviable, elle est environnée de bâtiments industriels et le « jardin rempli de rosiers » n’est probablement plus qu’un souvenir.
Sous les bombardements alliés de 1943
La guerre éclate. Un courrier daté de janvier 1943, conservé chez Renault Histoire, nous apprend que le 185 a été mis à la disposition d’un certain Guy Rappy, à titre gracieux, pour servir de centre d’accueil au « Groupement des Jeunes Gens de Boulogne-Billancourt ». Ils n’en ont profité que trois mois.
En effet, le 4 avril 1943, 88 bombardiers américains de la 8ème Air Force ont déversé 250 tonnes de bombes sur Billancourt en pleine journée. La cible était, bien sûr, l’usine Renault, passée sous commandement allemand, mais la villa a été touchée. On ne sait pas s’il y a eu des victimes dans les maisons jumelles.
Un courrier Renault du 7 juin informait l’ingénieur des Ponts et Chaussées que « les travaux de déblaiement […] ont été terminés le 31 mai 1943 ». L’auteur ajoutait « Nous estimons que ces immeubles doivent être totalement arasés, leur état à la suite du bombardement ne justifiant pas les dépenses de réparations que l’on serait amenées à engager ».
La villa Toucy du jeune Hector Guimard disparaissait. Après quelques années, un atelier Renault a pris sa place.
Un palais omnisports ?
En 2014, on a détruit, sur cet ilot V nord, le grand parking Renault de quatre étages qui s’y trouvait. En 2023, le terrain est toujours en friche.
La municipalité envisage la construction sur ce terrain de 7 000 m² d’une grande salle omnisports de 5 000 places pour 70 millions d’euros. Il hébergerait l’équipe de basket des Métropolitains 92. Le projet rencontre une forte opposition et des recours sont lancés. Les contre-projets ne manquent pas : halle de la gastronomie, parc ou mini-forêt urbaine. À suivre.
Alexis Monnerot-Dumaine
Notes
[1] Hector Guimard, Georges Vigne, Felipe Ferré, éditions Charles Moreau, Ferré-Éditions, Paris, 2003.
[2] Guimard perdu, histoire d’une méprise, Jean-Pierre Lyonnet, Bruno Dupont, Laurent Sully Jaulmes, éditions Alternatives, Paris, 2003.
[3] Cf. note 2.
Le 06 février 2023, à la demande de la Société des Amis du musée national de Céramique et en étroite collaboration avec ce dernier, nous avons présenté une conférence intitulée « Hector Guimard, la Céramique et la Manufacture de Sèvres ».
Elle résume notre livre « La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard », publié il y a quelques mois aux éditions du Cercle Guimard, tout en développant plus particulièrement le chapitre consacré aux relations entre Guimard et la Manufacture de Sèvres.
Vous pouvez à présent la retrouver sur YouTube à cette adresse.
Alors que le Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum de New York[1] a inauguré en fin d’année dernière une exposition consacrée à Hector Guimard[2], qui se déplacera ensuite à Chicago, nous publions le premier d’une série d’articles portant sur les liens directs ou indirects entre l’architecte et les États-Unis. Dans ce premier texte, il nous a semblé opportun de retracer le premier contact de Guimard avec les États-Unis au printemps 1912.
A la suite du décès de son beau-père, le banquier américain Edward Oppenheim le 23 novembre 1911 à New York[3], Guimard s’y est rendu à la mi-mars 1912 en compagnie de son épouse Adeline pour une durée d’environ deux mois. Il s’agissait donc à la fois d’un voyage privé, doublé comme nous allons le voir, d’un voyage professionnel. Guimard est intervenu en effet en tant que vice-président de la Société des artistes décorateurs, rôle qu’il n’occupait pourtant plus depuis quelques mois[4]. Il est vrai que se présenter sous cette étiquette lui conférait une légitimité pour évoquer certains sujets quitte à s’arranger légèrement avec la réalité.
Le récit de ce voyage a commencé d’ailleurs très tôt puisqu’un article a relaté la présence de Guimard dans le paquebot le conduisant de l’autre côté de l’Atlantique. Même si ce premier texte peut paraître anecdotique, il rend compte de l’état d’esprit avec lequel l’architecte aborde ce premier voyage américain. C’est pourquoi nous en proposerons les meilleurs passages.
La presse américaine a ensuite rendu compte à plusieurs reprises des rencontres professionnelles qu’Hector a effectuées lors de ce premier séjour. Les textes étant parfois redondants, nous n’en proposerons pas toutes les traductions mais uniquement la version française des trois récits publiés dans les journaux The New York Times du 5 avril 1912, The Calumet du 23 avril 1912 — dans lesquels ne sont pris en compte que les passages directement liés à Guimard — et The American Architect de mai 1912. Nous nous contenterons pour finir d’énumérer les autres journaux qui s’en sont fait l’écho.
On peut noter que la présence d’Adeline Oppenheim-Guimard n’est mentionnée dans aucun de ces articles. Cependant nous formulons l’hypothèse qu’elle était présente lors des interviews dans la mesure où Guimard ne pouvait pas s’exprimer en anglais[5]. Par ailleurs, grâce à une carte postale envoyée en 1912 par Guimard aux personnels de ses bureaux de l’avenue Mozart[6] nous savons qu’Hector a voyagé sur l’un des deux fleurons transatlantiques de la compagnie anglaise Cunard mais sans toutefois préciser lequel du Mauretania ou du Lusitania l’avait accueilli à son bord. Les registres de la Ellis Island Foundation et l’article de presse que nous allons évoquer maintenant nous apprennent qu’il s’agit du second paquebot[7] : le couple Guimard a embarqué sur le Lusitania à Liverpool le 09 mars 1912 à destination de New York qu’ils ont atteint le 15 mars 1912.
À bord du paquebot, la rencontre fortuite entre un célèbre illustrateur et caricaturiste anglais, Harry Furniss (1854-1925, l’auteur du texte) et son voisin de salon qui n’est autre que « (…) the distinguished French architect, Mons. Hector Guimard (…) », constitue le premier témoignage connu du voyage de l’architecte aux États-Unis[8]. Furniss précise qu’il s’agit ici du premier voyage américain de Guimard dont l’objectif est d’étudier « les gratte-ciel et autres excentricités des architectes américains ». Puis d’un ton peu amène, il indique que Guimard « ne semble pas aimer les gratte-ciel d’acier et de brique » osant même poser la question qui fâche : « (…) il [Guimard] demande pathétiquement : pourquoi l’Amérique n’aurait-elle pas une architecture distincte ? ». Nous verrons que cette réflexion qui est une des préoccupations majeures de Guimard sur la capacité d’un pays ou d’une ville à se doter d’une architecture spécifique et harmonieuse reviendra souvent en filigrane – certes de manière plus diplomatique – au cours de ses interventions new-yorkaises ultérieures.
Sans rancune, mais sans doute inspiré par cette rencontre, Furniss croque Guimard, se moquant gentiment au passage du mal de mer qui semble affecter l’architecte : « (…) Guimard ne semble pas plus aimer les gratte-ciel d’acier et de brique sur terre que les gratte-ciel d’eau de mer que nous avons rencontrés dans l’Atlantique (…) ».
Dans la suite, Marie-Claude Paris présente une traduction de trois articles sur Guimard parus dans la presse américaine selon leur chronologie, à savoir tout d’abord The New York Times, puis The Calumet, enfin The American Architect, avant d’en fournir les textes originaux en anglais.
I. TRADUCTIONS EN FRANÇAIS DES PROPOS DE GUIMARD
I.1. The New York Times du 05 avril 1912
Dans un article paru dans le New York Times sous le titre « Les Artistes se remémorent leur séjour à l’Académie Jullian »[9], le journaliste anonyme relate une longue et joyeuse réunion commémorative qui s’est tenue à l’Hôtel Brevoort, situé au Sud Manhattan, le 4 avril 1912[10]. Y sont cités différents noms d’artistes qui ont effectué un séjour en France, puis sont devenus célèbres ou ont occupé des positions centrales dans le monde artistique ou muséal après leur retour aux États-Unis.
« Au milieu de cette foule joyeuse et bruyante l’auteur note un seul invité d’honneur solitaire, l’architecte Hector Guimard, qui a entre autres dessiné toutes les entrées des stations de métro à Paris. Dans une brève adresse, Hector mentionne « les anciens » et, en passant, l’Amérique et les Américains. « Cela me va droit au cœur de voir des vieux comparses, tous des anciens de Jullian, réussir si bien dans votre ville. Vous voir manifester autant d’intérêt pour vos années d’étudiants à Paris est rafraîchissant. J’ai été sous le charme de ce pays magnifique et je ne ferai qu’un seul commentaire qui n’est pas totalement élogieux : les Américains sont en général trop modestes ». Ce fut le seul discours de la soirée et après que les invités se sont assis le signal a été donné de commencer à s’amuser. »
I.2 The Calumet du mardi 23 Avril 1912
Dans cet article, Hector s’exprime à deux titres : en tant qu’architecte et en tant que vice-président de la Société des artistes décorateurs. Son regard redevient assez critique.
« Notre architecture se ferait mieux valoir si elle avait une caractéristique américaine et si elle n’était pas copiée. Je me suis demandé s’il est possible que les hauts bâtiments que vous avez ici sont agréables à l’œil et s’ils sont pratiques pour loger leurs nombreux occupants. Je crois que cela est possible, mais, à mon avis, de nombreux exemples de vos gratte-ciel sont décevants en ce que l’idée d’harmonie[11] que l’on a dans une construction n’a pas été suivie par l’architecte.
Les architectes américains devraient échanger leurs idées de sorte qu’il y ait de la continuité et de l’harmonie dans la succession des bâtiments qu’ils élèvent. Vos architectes font preuve de plus de force et comprennent leur travail plus profondément, je crois, que ceux en Allemagne ou en Grande-Bretagne[12], mais l’impression que j’ai de New York est plutôt celle d’une collection de bâtiments que de groupements harmonieux comme à Berlin ou à Londres.
Quelques architectes américains avec qui je me suis entretenu disent qu’ils ont peu de latitude, qu’ils doivent construire comme le propriétaire l’exige.
POURQUOI L’AMÉRIQUE N’A-T-ELLE PAS UNE ARCHITECTURE SPÉCIFIQUE ? IL Y A UNE IMMENSE OPPORTUNITÉ. ON NE GAGNE RIEN A COPIER DE VIEILLES MÉTHODES ET DE VIEUX MODÈLES. UN TRAIT DISTINCTIF, TOTALEMENT NOUVEAU, SIMPLE, SANS LIGNES DURES MAIS POURTANT FORTES POURRAIENT S’EN DÉGAGER, QUE L’ON RECONNAITRAIT COMME AMÉRICAIN.
Chaque pays européen accomplit cet effort pour S’EXPRIMER CHACUN A SA MANIÈRE DANS L’ARCHITECTURE[13]. L’Allemagne a accompli un énorme effort dans ce sens et cela apparaît d’une façon largement réussie aux visiteurs de Berlin. »
I.3 The American Architect, mai 1912
Publié à la fin de son séjour new-yorkais, ce dernier texte apparait comme une sorte de conclusion : l’avis de Guimard sur l’architecture américaine reste assez tranché même s’il prend soin de nuancer son propos en s’appuyant sur des exemples précis de bâtiments. On y apprend également que sa venue avait un autre but : intéresser ses homologues américains à la future exposition d’art moderne qui se prépare à Paris[14].
« Après avoir prêché l’évangile de l’harmonie en architecture, en décoration et en ameublement d’intérieur en Europe pendant douze ans, M. Hector Guimard de Paris, architecte, designer et vice-président de la Société des Artistes Décorateurs effectue sa première visite en Amérique avec le double but d’étudier l’architecture américaine et de discuter ses idées sur le design avec des architectes américains. M. Guimard espère aussi intéresser les architectes et les décorateurs à L’Exposition Internationale d’Architecture et de Décoration moderne, qui doit se tenir à Paris en 1915.
A propos des hauts bâtiments déjà érigés ou à venir sur l’île de Manhattan, M. Guimard aurait dit : « Je trouve que New York est une ville magnifique, avec des effets architecturaux qui sont à la fois dignes d’éloges mais aussi de critiques. Je suis venu voir s’il est possible que les hauts bâtiments que vous avez ici soient agréables à l’œil et utiles aussi pour loger leurs nombreux locataires. Cela me semble possible, mais à mon avis nombre de vos hauts bâtiments sont décevants, en ce que l’idée d’harmonie de la construction n’a pas été suivie par l’architecte.
« Le bâtiment Woolworth[15] sera agréable et harmonieux, mais d’autres, comme en particulier le bâtiment Singer[16] met trop l’accent sur la décoration dans leur partie haute. A mon avis, les lignes d’un bâtiment haut doivent être moins prononcées et moins décoratives au fur et à mesure de leur hauteur, elles devraient finalement se fondre ou se perdre dans le ciel. Après une série d’étages sans style, des effets de « tour » semblent incongrus et il est évident que de telles structures ne devraient être vues que par ceux qui s’approchent de New York par la voie maritime.
« Les architectes américains devraient échanger leurs idées de sorte qu’il y ait de la continuité et de l’harmonie dans les bâtiments qui s’élèvent les uns après les autres. Les architectes américains font preuve de plus de force et comprennent leur travail plus profondément, je crois, que leurs collègues allemands ou anglais, mais l’impression que j’ai de New York est plutôt celle d’une collection de bâtiments que celle de villes, comme Berlin ou Londres, où dominent des regroupements plus harmonieux. »
II.TEXTES ORIGINAUX DE GUIMARD DANS LA PRESSE AMERICAINE
II.1 Texte original d’une partie de l’article du New York Times « Artists hark back to days at Julian’s » (Les artistes se remémorent leur séjour chez Julian)
« There was one lone guest of honor. He was Hector Guimard, the distinguished French architect, who among other things designed all the subway stations in Paris. He is in America on business, and in a brief speech made some happy comments about the ‘anciens’ and incidentally, American and Americans.
“It delights my heart”, said he, “to find you old fellows, all of whom are Julian’s « anciens », doing so well in this your great home city. It is refreshing to find you taking such an interest in the old student days in Paris. I have been charmed with this magnificent country, and I can make but one comment that could possibly be construed as not entirely complimentary, and that is that Americans as a rule are entirely too modest. »
II.2 Texte original du Calumet
« Our architecture would show off better if it had an American distinctiveness and was not copied. By HECTOR GUIMARD of Paris. Vice President of the Society des Artistes Décorateurs.
I have wondered if it is possible for the lofty buildings, you have here to be pleasing to the eye as well as useful in housing their many business tenants. I think that it is possible, but to my mind many of your examples of high buildings are DISAPPOINTING in that one HAS one HARMONIOUS idea in construction has not been followed by the architect.
American architects should exchange ideas so that there may be some continuity and harmony in the buildings which successively rise.
Your architects show MORE STRENGTH and understand their business more thoroughly, I think, than that of Germany or England, but my impression of New York is rather as a collection of buildings than as a city like Berlin or London, in which more harmonious groupings prevail.
Some American architects with whom I have talked say they have little latitude, that they must build as the owner directs.
WHY SHOULD AMERICA NOT HAVE A DISTINCTIVE ARCHITECTURE? THERE IS A GRAND OPPORTUNITY. LITTLE IS GAINED BY COPYING OLD METHODS AND MODELS. A DISTINCTIVE TYPE, THOROUGHLY UP TO DATE, SIMPLE, WITH NO HARD LINES AND YET STRONG, COULD BE EVOLVED WHICH WOULD BE RECOGNIZED AS AMERICAN.
Every European country is making this effort to EXPRESS ITSELF IN ITS OWN ARCHITECTURAL WAY. Germany has made a tremendous effort along this line, and that it has been largely successful is apparent to one who visits Berlin. »
II.3 Coupure de presse de The American Architect
Au-delà des quatre occurrences présentées dans cet article, voici la liste (probablement non exhaustive) des autres journaux et magazines qui ont relaté le séjour de Guimard aux États-Unis :
III. EN RÉSUMÉ
Au cours de son séjour l’opinion de Guimard sur l’architecture new-yorkaise n’a guère évolué et en quittant New York l’architecte semble aussi partagé qu’il ne l’était à bord du Lusitania. Dans le Calumet puis l’American Architect, il souligne deux manques fondamentaux dans l’architecture des gratte-ciel : une absence d’harmonie et un manque d’originalité. Comme les architectes américains sont contraints par leurs commanditaires, leur art ne manifeste aucun trait distinctif. Il y manque vigueur, harmonie, spécificité et originalité.
Ce jugement sera corroboré encore plus nettement vingt ans plus tard : le 21 octobre 1932, lors d’un dîner avec Louis Bigaux et Frantz Jourdain organisé par Gaston Vuitton[17], Guimard reprend à son compte la comparaison suivante à propos d’un immeuble des Champs Élysées construit par l’ingénieur Desbois : « Qu’a-t-on dit de la Tour Eiffel ? C’est tout de même un monument de 300 mètres qui est moins laid que les premiers gratte-ciel américains »[18].
Marie-Claude PARIS et Olivier PONS
Notes :
[1] Le Cooper Hewitt Museum of decorative arts and design (Musée Cooper Hewitt des arts de la décoration) a été créé en 1896 et a ouvert au public en 1897 grâce aux petites filles de Peter Cooper, à savoir Eleanore Garnier Hewitt, Sarah Cooper Hewitt et Amy Cooper Green. Il a été fondé sur le modèle du musée des Arts décoratifs de Paris.
[2] Cette exposition se tient du 18 novembre 2022 au 21 mai 2023, puis du 22 juin 2023 au 7 janvier 2024 à Chicago au musée (Richard H.) Driehaus.
Cette exposition sur Guimard n’est pas la première aux États-Unis. Pour mémoire, la première grande exposition américaine a eu lieu à New York au Museum of Modern Art (MoMA) du 10 mars au 10 mai 1970. Elle s’est ensuite déplacée à San Francisco au Musée de la Légion d‘Honneur du 23 juillet au 30 août, puis à l’Art Gallery of Ontario à Toronto du 25 septembre au 9 novembre 1970 et, enfin, au Musée des arts décoratifs à Paris du 15 janvier au 11 avril 1971 où Guimard y partageait l’affiche avec Horta et Van de Velde.
Elle a été organisée par F. Lanier Graham (conservateur-adjoint au MoMA) qu’Adeline Guimard, alors veuve d’Hector, avait rencontré à New York et surtout grâce au soutien d’Alfred H. Barr Jr., le premier directeur du MoMA, qu’Adeline avait contacté en 1945, puis rencontré à Paris lors de son séjour en juin 1948.
En 1950, le musée Cooper-Hewitt des arts décoratifs a présenté quelques œuvres de Guimard, puis en 1951 le musée des Beaux-Arts de Lyon a remonté et présenté la chambre à coucher d’Adeline au 122 avenue Mozart à Paris.
[3] Edward Louis Oppenheim (né à Bruxelles le 12 avril 1841) est décédé d’une pneumonie à New York. Une annonce de ce décès est parue en France dans Le Matin du 24 novembre 1911. Il est mentionné qu’E. Oppenheim est le beau-père d’Hector Guimard. Au moment de son décès, Edward résidait avec sa fille Nellie à l’hôtel Netherland, 5ème Avenue et 59ème rue, New York. Devenu le Sherry Netherland en 1924, cet hôtel existe toujours à cette adresse.
[4] Guimard a été vice-président de la Société des artistes décorateurs en 1911, un rôle qu’il partageait avec Paul Mezzara (1866-1918).
[5] Selon le photographe américain Stan Ries, qui a notamment pris des clichés de l’hôtel Guimard à Paris.
[6] Voir l’article de Hervé Paul intitulé « Suzanne Richard, collaboratrice d’Hector Guimard de 1911 à 1919 » sur le site du Cercle Guimard (novembre 2021). Adeline Guimard a réalisé un portrait de Suzanne Richard-Loilier, qu’elle a exposé en 1922 à la galerie Lewis & Simmons, 22 place Vendôme à Paris (portrait n° 28).
[7] Le Lusitania a été lancé en juin 1906 et a effectué son voyage inaugural en septembre 1907. Il a détenu le ruban bleu de l’Atlantique pour sa vitesse pendant deux ans avant d’être détrôné par son sistership le Mauretania. Pendant la première guerre mondiale, ce navire a aussi servi pour le transport et comme navire-hôpital avant d’être torpillé en mai 1915 par un sous-marin allemand.
[8] Article paru dans Hearst’s Magazine, avril 1912.
[9] Cette orthographe est erronée. Le nom propre ‘Julian’ ne comporte qu’un seul ‘l’. L’académie Julian a été fondée en 1890 par le peintre français Rodolphe Julian (1839-1907). Elle a disposé de divers locaux dans Paris dont le plus connu est celui situé 31 rue du Dragon à Paris 6ème. Plus tard, elle a pris pour nom l’ESAG (Ecole Supérieure d’Art Graphique Penninghen), puis seulement de Penninghen. C’est aujourd’hui une école privée d’architecture d’intérieur, de communication et de direction artistique.
[10] L’hôtel Brevoort, situé entre les 8ème et 9ème rues à Manhattan, bien connu pendant un siècle pour son restaurant (1854-1954), a été détruit en 1955 et remplacé par un luxueux immeuble de 19 étages et 301 appartements (The New York Times, 10 juillet 1955).
[11] On se rappelle les trois principes qui caractérisent l’art de Guimard : la logique, l’harmonie et le sentiment.
[12] Après leur mariage, Hector et Adeline ont effectué un voyage de noces en Europe, en particulier en Angleterre et à Berlin en 1909. Ceci est attesté par des cartes postales qu’Hector a envoyées à son beau-père à New York (New York Public Library). Par ailleurs, Hector a participé à l’exposition franco-britannique qui s’est tenue à Londres en 1908.
[13] Ce qui figure ici en majuscules l’est aussi dans l’article du journal The Calumet.
[14] Il s’agit de l’Exposition internationale des arts décoratifs industriels et modernes, maintes fois reportées, qui ne se tiendra finalement qu’en 1925. Les États-Unis brilleront par leur absence.
[15] Le bâtiment de la chaîne de magasins Woolworth est situé sur la grande artère Broadway au n°233 au sud de Manhattan (quartier de Tribeca). Construit par l’architecte Cass Gilbert (1859-1934), il a été classé monument historique et transformé en appartements.
[16] Le bâtiment de la manufacture Singer a été érigé en 1908-1909, puis a été détruit en 1967-68. Haut d’environ 200 mètres, il était situé au n°149 sur Broadway.
[17] Gaston Vuitton (1883-1970) a beaucoup œuvré pour animer et illuminer les Champs Élysées, où était située sa boutique (70 Avenue des Champs Élysées). Il a exposé au salon de la Société des artistes décorateurs dont Guimard est l’un des fondateurs.
[18] Voir l’article d’Olivier Pons « Vuitton, fan de Guimard », Le Cercle Guimard, 05 décembre 2014.
À l’invitation de la Société des Amis de Sèvres et en étroite collaboration avec le musée national de la Céramique, le Cercle Guimard donnera une conférence ce 06 février à 18h00.
Les auteurs du livre « La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard » publié il y a quelques mois aux Éditions du Cercle Guimard, Olivier Pons et Frédéric Descouturelle, animeront la conférence intitulée « Hector Guimard, la céramique et la Manufacture de Sèvres » qui sera suivie d’une séance de dédicace et d’un cocktail.
Ce sera l’occasion pour eux d’évoquer la collaboration entre l’architecte et la Manufacture mais aussi, plus généralement, la place de la céramique et de la lave émaillée dans la carrière de Guimard.
Pour s’inscrire à la conférence (droit d’entrée de 11€, 16 € pour un couple) et obtenir tous les détails pratiques, nous vous remercions d’envoyer un mail à l’adresse suivante : infos@lecercleguimard.fr
Nous avons été heureux de pouvoir acquérir récemment en vente publique[1] un décor de linteau en grès émaillé d’Hector Guimard édité par Bigot. Tout en le présentant à nos lecteurs, nous le replaçons dans le contexte de sa création, le comparons aux autres décors de ce type et décrivons brièvement leur évolution dans l’œuvre de Guimard. Cet article recoupe des informations contenus dans de précédents articles consacrés au stand Gilardoni & Brault de 1897, aux décors en céramique du Castel Béranger, au décor du vestibule du Castel Béranger, ainsi que dans le livre consacré à la céramique et à la lave émaillée de Guimard (éditions du Cercle Guimard, 2022).
Rappelons que les linteaux sont des traverses horizontales reposant sur deux points d’appui au-dessus d’une ouverture ou d’une baie et ayant pour fonction de soutenir la maçonnerie. Leurs décors, qu’ils soient sculptés sur les pierres du linteau ou plaqués devant elles, sont des éléments décoratifs des façades et des intérieurs dont l’origine se confond avec celle de l’architecture. En extérieur, sous nos climats, leur colorisation était problématique et ce n’est qu’avec l’arrivée de la lave émaillée à partir des années 1830 puis de la faïence ingerçable à partir des années 1840 que des décors architecturaux colorés et résistants aux intempéries ont pu commencer à enjoliver les façades de façon pérenne. Cette offre s’est multipliée avec l’augmentation du nombre de fabriques capables de les proposer et surtout avec leur industrialisation permettant de les éditer sur catalogues. L’apparition du grès émaillé à la toute fin du XIXe siècle est venue compléter une palette de produits déjà étendue.
Dès ses premières œuvres architecturales, Guimard a créé des décors de linteaux. Celui ornant l’hôtel Roszé (1891), a été sculpté en pierre. Pour cette raison, malgré le caractère répétitif de ses motifs floraux, il a sans doute été le plus coûteux de ces petites villas de l’ouest parisien.
Car la presque totalité de ces premiers décors, notamment au niveau des linteaux et des tympans de ces premières villas a été réalisé de façon plus économique en céramique cloisonnée d’après les dessins de Guimard. Ils ont tous été exécutés et en partie édités par Muller & Cie. On se réfèrera à notre ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard qui les décrit entièrement pour l’hôtel Roszé (1891), l’hôtel Louis Jassedé (1893), la villa Charles Jassedé (1893), l’hôtel Delfau (1894) et la galerie Carpeau (1894-1895). Ces décors sont constitués d’éléments séparés avec motif de début, de milieu et de fin, illustrant des motifs floraux plus ou moins identifiables.
D’autres décors sont plus simplement composés d’éléments identiques répétés (métopes), souvent encadrés par des barres métalliques orthogonales. Avec la métope n° 13, Guimard évolue stylistiquement par rapport aux motifs précédents en évoquant la poussée d’un bouton floral repoussant ses involucres avec une stylisation qui en rend la lecture difficile au premier abord.
Pour les façades du Castel Béranger (1895-1898), immeuble qui a marqué son entrée dans le style Art nouveau, Guimard a également conçu des décors de linteaux. Quelques-uns sont en pierre sculptée, particulièrement épais et occupant toute la hauteur de la corniche du 4e étage de la façade sur rue.
Mais la plupart des décors de linteaux des façades du Castel sont beaucoup plus discrets, masquant un linteau métallique par des métopes encadrées par des lames métalliques. Techniquement, Guimard agit ici dans la continuité de sa mise en place de décors de linteaux quelques années plus tôt sur l’hôtel Louis Jassedé et la villa Charles Jassedé. Mais stylistiquement, ses motifs ont évolué vers un modelage où l’évocation du monde du vivant est perceptible mais sans que l’on puisse réellement identifier une espèce, ni même la rattacher au règne animal ou végétal. Les colorations ont également changé, passant d’aplats de couleurs vives cloisonnées à des camaïeux de couleurs ocres ou bleutées fondues.
Comme nous l’avons établi dans le livre sur la céramique de Guimard, les décors extérieurs en céramique émaillée du Castel Béranger ont été produits par Gilardoni & Brault et non en grès par Bigot. Cependant nous savons qu’un exemplaire de cette métope a été repéré à Cour-Cheverny dans le Loir-et-Cher[2]. Sa localisation à 25 km de Mer, lieu d’implantation de l’entreprise A. Bigot et Cie, dans une zone géographique où la diffusion de Gilardoni & Brault était nulle, introduit un doute quant à son attribution. Contrairement aux autres décors en céramique des façades du bâtiment, ce modèle précis de métope pourrait donc avoir été produit par Bigot.
À l’extérieur du Castel Béranger, un autre décor de linteau est particulièrement remarquable. Il s’agit de celui qui coiffe la (ou les) devanture(s) de boutiques(s) se trouvant à l’origine au niveau des 7e et 8e travées, du côté droit de la façade[3]. Ce linteau métallique, comparable à son contemporain du préau de l’École du Sacré-Cœur[4], était visiblement destiné à recevoir une (ou deux) enseigne(s). Le décor qui le surmonte est des plus étranges. Trois groupes de deux types de métopes (un grand modèle et un petit) sont enserrés dans des cornières métalliques en arc de cercle, séparés par des motifs en tôle découpée pouvant évoquer des fleurs en boutons. Les métopes, en céramique émaillée, ont l’aspect inédit d’une matière informe et convulsive, s’écartant radicalement de la plupart des autres décors des façades qui conservent une parenté avec le monde du vivant.
Ce style nouveau et propre à Guimard se retrouve largement sur les éléments en grès émaillé, cette fois produits par Alexandre Bigot, qui garnissent les parois du vestibule. Leur matière bouillonnante qui semble contenue par le strict motif de treillage en barres métalliques orthogonales présente des empreintes de doigts qui ont été enfoncées dans la terre glaise au moment de leur modelage.
C’est sans doute dans le même laps de temps (vers 1897) qu’ont été conçus les décors de linteaux en grès émaillé dont nous présentons un exemplaire en début d’article. Ils peuvent dissimuler un linteau métallique en étant placés devant lui, mais leur forme semi-elliptique les destine aussi à être mis en place sous un arc porteur en briques[5]. Cette disposition permet alors d’équiper les baies par des fenêtres à vantaux rectangulaires, plus économiques que des vantaux à traverses supérieures arquées.
Comme sur les panneaux en grès émaillé du hall du Castel Béranger, on trouve de multiples empreintes de doigts, regroupées dans de petites zones comme si ces empreintes appartenaient à une même main.
On retrouve sur leur tranche supérieure, tracées à la pointe, les signatures « Hector GUIMARD Arch[6] » et « A Bigot cer ». Ils sont donc signés de façon similaire à certains panneaux en grès émaillé du vestibule du Castel Béranger et aux cheminées en grès émaillé, éditées par Bigot et placées à une vingtaine d’exemplaires dans les salles à manger de l’immeuble (« GUIMARD Arch » et « A Bigot cer »).
Contrairement à ces cheminées du Castel Béranger, le revers de notre décor de linteau ne présente pas le logo de Bigot : une tour crénelée.
L’édition de ce décor de linteau est attestée par sa présence au sein du catalogue édité en 1902 par la société A. Bigot & Cie qui le commercialisait au prix de 40 F-or. Il est annoncé en longueur courante de 1 m avec la possibilité de porter celle-ci à 1 m 30. Pour l’instant, nous ne connaissons aucun exemplaire de cette dernière longueur. Mais même dans sa dimension courante, il a sans doute été peu diffusé puisque, sauf nouvelle découverte, nous n’en connaissons aucun exemplaire en place ailleurs que sur des bâtiments de Guimard.
Non seulement Guimard semble avoir été le seul à utiliser ces décors de linteaux édités par Bigot, mais qui plus est, il ne les a pas employés au moment de leur conception, préférant créer à chaque fois de nouveaux modèles. C’est seulement quelques années plus tard, alors que son style avait radicalement évolué et que ces décors s’étaient dèjà fort démodés, qu’il a commencé à s’en servir. Bien qu’il ait toujours été soucieux d’harmoniser ses créations, Guimard a parfois ainsi réutilisé des éléments décoratifs plus anciens, en décalage avec l’évolution de son style, mais qui ne nuisaient pas pour autant au résultat final.
La première occurrence de leur utilisation s’est faite au Castel Val, construit en 1903 par Guimard à Auvers-sur-Oise. Plusieurs décors de linteaux ont été insérés dans les balustrades des terrasses de la villa et du garage.
Dans une seconde phase d’aménagement de la propriété en 1911-1912, l’architecte Eugène Daubert, sous la supervision probable de Guimard, a sans doute complété cette longue balustrade en ciment joignant la villa au garage, portant à seize le nombre de ces décors de linteaux [7]. Dans cette configuration architecturale, ils perdent alors leur signification pour ne plus être que des éléments décoratifs colorés utilisés pour ponctuer le chemin. Au fil du temps cette balustrade du Castel Val s’est dégradée et a été restaurée en 2003-2004. Le seul décor original intact qui subsistait a été moulé et des copies en ciment ont été replacées dans chaque module de la balustrade.
En 2021, lors de sa revente, le Castel Val comportait encore l’élément original exposé en intérieur. Il est possible que l’élément que nous avons acquis provienne lui aussi de la balustrade originale.
L’autre occurrence de ces décors de linteaux en grès émaillés édités par Bigot s’est faite à deux exemplaires dans la cour de l’hôtel Deron Levent en 1907. Ils surmontent effectivement des fenêtres (au premier étage) mais, placés plus en hauteur au sein de la maçonnerie, ils perdent également leur fonction primitive, celle de dissimuler (ou d’accompagner) une poutrelle métallique industrielle. Ces dernières sont pourtant bien visibles, mais enjolivées par des décors en fontes alors créés spécialement à cet usage par Guimard et dont il sera question plus loin dans notre article.
Très similaire à notre décor de linteau en grès émaillé, mais pourtant légèrement différent, un autre modèle a été retrouvé à deux exemplaires sur un immeuble banal, non daté et d’architecte inconnu, à Courbevoie[8] en banlieue parisienne. Scellés en linteaux de fenêtre de rez-de-chaussée, ces décors ne révèlent pas le nom de leur fabricant, mais leur attribution à Guimard ne fait aucun doute. Mesurant également un mètre de longueur et relevant donc d’une offre équivalente à celle du catalogue de Bigot, ils ont nécessairement été produits par un concurrent, le nom de Gilardoni & Brault étant sans doute le plus probable. On observe qu’ils ne comportent pas de coulures de l’émaillage comme on en trouve sur tous les décors de linteaux de Guimard édités chez Bigot.
Si nous revenons à présent en arrière, au moment de l’aménagement du Castel Béranger, nous retrouvons d’autres décors de linteaux et en particulier au sein de l’agence de Guimard, située au rez-de-chaussée de l’immeuble. Nous écartons de notre sujet les décors des chambranles des deux fenêtres du bureau du Guimard, assez grossièrement creusés à même la pierre.
De véritables décors de linteaux se trouvent sur le mur orthogonal à celui de la rue, et tout d’abord au-dessus de la porte du dégagement permettant la sortie sur cour. Guimard y a placé un décor de linteau qui est cerné par des cornières de métal découpées et coudées. Son style est proche du linteau que nous avons acheté et, si l’on se réfère à la carte postale de l’agence Guimard, ce linteau était coloré (mais pas nécessairement en bleu) probablement avec des nuances.
À l’heure actuelle, ce décor de linteau et ses cornières en métal sont uniformément peints d’une couleur verdâtre. En s’en approchant, on constate que le décor en relief n’est pas, comme on pouvait s’y attendre, en céramique mais simplement en staff.
De l’autre côté de cette porte, dans le dégagement permettant la sortie sur cour, se trouvent deux autres décors de linteaux, jumelés à angle droit. Ils sont de même nature que le précédent (cornières et staff) et actuellement entièrement peints en blanc.
Toujours dans le bureau de Guimard, mais de l’autre côté de la cheminée, une autre porte donnant cette fois dans le bureau des dessinateurs est surmontée d’un linteau. Il est d’une plus grande longueur car il englobe aussi une niche séparée de la porte par un épais pilier. Au-dessus de ce pilier, le staff modelé est remplacé par une plaque métallique savamment découpée.
Le dessin des parties métalliques de ces trois derniers décors de linteaux existe dans le fonds Guimard du Musée d’Orsay. Il comporte sur sa droite un quatrième linteau qui n’est pas identifié. Ce dessin n’est pas daté mais pourrait approximativement remonter à l’année 1897, époque où Guimard a conçu l’aménagement de son agence.
Face à la cheminée, un troisième décor de linteau, beaucoup plus important, surmonte la large baie séparant en deux le bureau de Guimard. Il est de même nature que les précédents, combinant les fers industriels pliés et découpés avec des surfaces modelées en staff.
Enfin, un linteau spectaculaire sépare le bureau des dessinateurs du couloir d’entrée. Il comporte une partie centrale horizontale, comparable à celles des précédents linteaux. Mais ce sont ces consoles latérales qui assurent l’essentiel de l’effet.
Guimard a reproduit ces deux consoles sur une planche consacrée à des éléments métalliques dans le portfolio du Castel Béranger et a mentionné dans les légendes : « Console en fonte des filets en fer ». Mais leur examen révèle que, comme la totalité des consoles de l’agence et des espaces communs, elles ont été moulées en staff et non en fonte. Ce choix, probablement dicté par une recherche d’économie et de facilité de mise en place, vient contredire le crédo rationaliste de Guimard[9] puisque les consoles expriment une fonction de soutien.
Toujours en 1897, Guimard est chargé de la construction du stand Gilardoni & Brault à l’Exposition nationale de la céramique. Comme nous l’avons vu précédemment, lors de la phase de décor du Castel Béranger, il a sollicité cette tuilerie implantée à Choisy-le-Roi. L’entreprise, dotée d’un solide savoir-faire en matière de décor architectural, lui a alors fourni les décors externes et une partie des rétrécissements de cheminées des salons. Le stand Gilardoni & Brault, sous la forme du « Porche en Céramique d’une Habitation » présente certes des produits fabriqués par la tuilerie (tuiles, briques, et même deux modèles de sculptures de style historique) mais surtout un étourdissant ensemble de décors en grès émaillé, modelés par le sculpteur Raphanel[10]. Le nouveau style de Guimard s’est ainsi trouvé révélé d’une manière radicale au grand public qui n’avait pas encore vraiment eu connaissance de cette construction excentrée qu’était le Castel Béranger. Linteaux, appuis de fenêtres, meneaux, corniches, chéneaux et faitières, sans compter un décor complet d’escalier sont l’occasion d’un déchaînement de formes abstraites mouvantes, concentrées dans un espace bien plus réduit qu’au Castel. Seul le panneau au chat faisant le gros dos[11], vraisemblablement exposé ici avant sa mise en place sous l’oriel du Castel Béranger apporte une note de réalisme à cet exercice de style en forme de façade.
Au-dessus de la petite fenêtre à gauche et de la petite porte à droite, Guimard a placé des décors de linteaux qui sont encadrés par des cornières (à gauche) ou des lames en tôle découpée (à droite). Là encore, l’aspect de leur modelage est très proche du décor de linteau édité par Bigot (ou l’inverse). Le fait que nous sachions que pour cet ensemble Guimard a eu recours au sculpteur Raphanel peut nous laisser supposer, mais sans certitude, que ce dernier a aussi participé au modelage du décor de linteau édité chez Bigot, ainsi qu’au modelage des décors de linteaux présents dans l’agence du Castel Béranger, le tout d’après des dessins de Guimard.
Presqu’en même temps que le Castel Béranger, Guimard a construit au Vésinet la villa Berthe en 1896. D’aspect plus conventionnel que le Castel par la symétrie de sa façade tournée vers la rue, la villa possède néanmoins de très beaux détails décoratifs comme les décors des linteaux des fenêtres du premier étage, probablement élaborés à la même époque (1897) que ceux du stand Gilardoni & Brault et du Castel Béranger.
Sur la travée centrale, légèrement bombée, le décor est divisé en trois parties, elles-mêmes subdivisées en trois éléments en grès émaillé. Les jonctions entre les éléments sont masquées par des lames en tôle découpée. À la différence de la disposition des panneaux du vestibule du Castel Béranger, ces lames ne sont plus strictement orthogonales mais courbes, participant ainsi davantage au décor. Cette innovation pourrait être le signe d’une création légèrement postérieure, mais elle apparaît pourtant sur les plans datés d’avril 1896. Là aussi, la planéité de ces lames, contrastant avec la protrusion des éléments en grès émaillé, semble leur donner une fonction de contrainte s’opposant au bouillonnement de la matière.
Rapidement, à partir de 1898, Guimard a été attiré par l’utilisation de la lave émaillée qui se sculpte, ou qui, dans sa version dite de la lave reconstituée[12], se moule. Son émaillage permet une vivacité des coloris et une précision de leur mise en place que le grès émaillé aux tons plus ternes et plus fondus n’atteint pas. Vaporisé sur des panneaux ou des blocs de lave naturelle « sabrée » ou « rustiquée », cet émaillage permet aussi d’ajouter une coloration presque inaltérable à un travail traditionnel de la pierre. L’une des premières utilisations architecturales de la lave émaillée par Guimard s’est sans doute faite sur les linteaux de l’hôtel Roy, 81 boulevard Suchet à Paris en 1898. Sa destruction ne nous permet pas de connaître la couleur exacte employée car la colorisation de la carte postale représentant sa façade sur rue n’est pas forcément un reflet de la réalité. Outre les linteaux des trois fenêtres de la grande baie du rez-de-chaussée, du grand linteau qui la surmonte et du grand linteau placé au-dessus des fenêtres du premier étage, il est probable qu’au niveau de l’annexe à droite, sous la terrasse, les décors des linteaux des fenêtres étaient aussi en lave émaillée.
La photo en noir et blanc de l’article d’Abel Favre consacré à Guimard et paru dans la revue Le Mois de septembre 1901, montre, là aussi, la présence de lames courbes en tôle découpée entourant et divisant les plaques de lave émaillée.
L’immeuble de Guimard le plus emblématique de l’utilisation de la lave émaillée est bien sûr la maison Coilliot à Lille en 1898-1900. Guimard a revêtu sa façade sur rue par des panneaux sabrés et émaillés en vert en y intégrant deux importantes enseignes. Elles se distinguent du reste de la façade par leur surface lisse et leur fond jaune mais ne sont pas des décors de linteaux.
À l’intérieur de la maison, Guimard a disposé plusieurs décors de linteaux dont un double au-dessus des deux portes du palier donnant accès à l’appartement du premier étage. Au moins quatre autres petits décors de linteaux en lave émaillée étaient disposés au sein de l’appartement, enserrés par des lames de fer pliées. Pour leur modelage, l’évolution stylistique de Guimard est patente par rapport au décor de linteau édité par Bigot. Réalisés en lave reconstituée par estampage sur un moule avant cuisson et émaillage, ils auraient pu facilement être multipliés et employés sur d’autres constructions de Guimard. Mais pour l’instant nous n’en connaissons pas d’autres tirages. Comme pour le Castel Béranger et le stand Gilardoni & Brault, ces décors de linteaux étaient enserrés dans des lames de fer pliées.
Lors de la première partie de sa carrière, plus « militante », au lieu de dissimuler les linteaux métalliques en les recouvrant par un décor, Guimard a aussi cherché à les mettre en valeur. Lorsque des poutrelles en I étaient employées, en particulier pour les soubassements, il a agi de la même manière qu’avec des fers industriels en cornière, en U ou en T, en découpant la partie centrale et en pliant les ailettes
En hauteur, il a parfois créé de véritables décors d’une grande complexité tout en leur donnant une impression de légèreté en combinant de la tôle rivetée à des cornières découpées, elles-mêmes doublées ou triplées par des barres de fer pliées. La dépense entraînée par la forte augmentation du métrage des fers a été habilement compensée par l’économie réalisée en employant des matériaux industriels mis en œuvre par un serrurier et non par un ferronnier. Le plus bel exemple d’un tel linteau est sans doute celui de la boutique Coutollau à Angers en 1896.
En se tournant de plus en plus vers la production en série, Guimard a pu créer un important corpus de fontes ornementales, édité par la fonderie de Saint-Dizier et diffusé sur un catalogue spécial. Parmi ces fontes, plusieurs modèles de décors d’extrémités de linteaux peuvent s’adapter aux poutrelles en I de dimensions normalisées (IPN) en s’insérant le long de l’âme. Ils sont pourvus d’un œillet pour leur fixation par rivetage ou boulonnage.
Le modèle GA est le plus grand, conçu pour une âme de 12 cm.
Les modèles GB et GC sont conçus pour des âmes de 10,5 et 8,5 cm.
La rosace GE[13] a la même hauteur que les ornements GB. Également pourvue d’un œillet, elle est destinée à ponctuer les poutrelles. Nous ne connaissons cependant aucune occurrence d’une telle utilisation.
Les modèles GD sont différents car ils ne comportent pas d’œillet et sont conçus pour s’adapter à deux petits fers en T, l’un horizontal et l’autre cintré. En raison de la faiblesse de leur section, ces fers ne peuvent avoir de fonction de linteau et cette combinaison de fers et de fontes ne peut donc qu’être plaquée devant un linteau porteur ou se placer sous un arc[14].
Guimard les a largement utilisés sur les deux immeubles Jassedé du 142 avenue de Versailles et du 1 rue Lancret[15] à Paris (1903-1905) en les appliquant contre des poutrelles en I.
Le dernier exemple d’utilisation des ornements de linteaux GD par Guimard s’est sans doute fait sur la fenêtre du premier étage sur rue de la petite villa d’Eaubonne que nous datons approximativement de 1907. Sans doute pour donner plus de discrétion à ce linteau, Guimard ne lui a pas adjoint le fer supérieur arqué.
Contemporain de la villa d’Eaubonne, l’hôtel Deron Levent, villa de la Réunion à Paris, comporte également plusieurs linteaux en poutrelles métalliques recevant des ornements en fonte (GA, GB, GC). Cependant, pour cette construction plus luxueuse qui se hausse au statut d’hôtel particulier, Guimard a éprouvé le besoin d’ajouter des décors modelés en stuc surmontant les linteaux des fenêtres du premier et du deuxième étage de la travée centrale. Et dans le même but, il a fait sculpter les consoles soutenant les balcons de cette travée, ainsi que l’arc de la fenêtre du second étage.
Nous avons vu plus haut que, dans la cour de cet hôtel, Guimard avait placé deux linteaux métalliques au-dessus des fenêtres du premier étage et qu’il les avait pourvus d’ornements GC. Là aussi, il a voulu en renforcer l’effet décoratif en leur adjoignant cette fois ses anciens décors de linteaux en grès émaillé édités par Bigot.
La villa d’Eaubonne et l’hôtel Deron Levent sont pratiquement les dernières constructions[16] sur lesquelles Guimard a fait apparaître des linteaux métalliques. Par la suite, l’expression d’une élégance de bon aloi a supplanté la volonté d’afficher la structure du bâtiment sur les façades. C‘est donc la sculpture de la pierre qui a progressivement pris le relais des multiples décors de linteaux que nous avons répertoriés. Mais là encore, Guimard a su s’écarter du conformisme de ses confrères. Alors que la plupart des architectes concentrent le décor des linteaux des portes d’entrée en leur milieu pour y placer une tête, un motif quelconque ou un simple numéro de rue, Guimard a pris le contre-pied de cette habitude en évidant au contraire la partie centrale et en augmentant le décor sur la partie haute des jambages et sur les angles supérieurs.
Même sur la porte de son hôtel particulier, avenue Mozart, où Guimard a placé son monogramme au centre du linteau de la porte d’entrée, la surabondance du décor latéral rend plus discrète la présence de ce motif.
Le décor des linteaux a donc fidèlement suivi l’évolution du style de Guimard en matière d’architecture, passant d’une multiplicité de matériaux, souvent très colorés, à une restriction de leur nombre et à une plus grande sobriété dans la coloration. Dans le même temps, leur modelage, bouillonnant à l’époque du Castel Béranger, s’est assagi pour se tourner vers la recherche d’élégance.
Frédéric Descouturelle
Notes :
[1] Vente Auctie’s du 02 décembre 2022, à Drouot salle 10, lot 183.
[2] Information fournie par Mme Françoise Mary.
[3] L’aspect réel de ce (ou ces) boutique(s) nous est pratiquement inconnu. Dans le portfolio du Castel Béranger, aux planches 1 et 2, Guimard en donne deux versions dessinées, à la fois différentes et imaginaires. Seule une petite partie des devantures est photographiée (sans avoir été retouchée) aux planches 3 et 6 et fait apparaitre de simples panneaux de verre verticaux étroits conformes au premier projet du Castel Béranger avant sa transformation par Guimard en un immeuble de style Art nouveau. Ces ouvertures ont été par la suite réduites en simples fenêtres reprenant le gabarit de la fenêtre de droite de l’agence de Guimard.
[4] 9 avenue de la Frillière, Paris XVIe, 1895.
[5] Il devient alors nécessaire pour l’architecte et pour l’entrepreneur de concevoir leur arc en suivant les dimensions et la courbure du décor de linteau. Il s’agit du même phénomène de renversement des rôles qui s’est répandu tout au long du XIXe siècle en raison de l’édition en série des décors et qui voit, par exemple, les menuisiers tenus de fabriquer leurs huisseries en fonction des dimensions des panneaux de fontes ornementales disponibles sur catalogues.
[6] Guimard a donc préféré se prévaloir de la fonction d’architecte qu’il tenait en haute estime, plutôt que celle de sculpteur-modeleur qu’il aurait plus logiquement utilisé en signant « Hector Guimard sc ».
[7] Ce chiffre est celui de l’actuelle disposition après restauration de la balustrade. Cependant une photographie ancienne montre que la répartition des décors de linteau était sans doute différente de l’actuelle. De plus, deux autres modules de balustrade existent aussi au niveau du portail de l’entrée carrossable sur rue, sans que nous sachions s’il s’agit bien d’une disposition d’époque.
[8] Nous remercions Georges Barbier-Ludwig, ancien conservateur du musée Roybet-Fould de Courbevoie de nous avoir signalé leur existence.
[9] « Guimard me disait ce matin une chose juste : dissimuler le moins possible la nature des matériaux — que du bois reste du bois, etc. — et si pour des raisons pratiques on est forcé de les recouvrir, que l’on conserve le plus possible les caractères de chaque matériau, sinon dans leur teinte, pour se garder de toute imitation, mais dans leur ton pour rester logique… » Signac, Paul, Journal, 15 janvier 1899, cité par Thiébaut, Philippe, La Revue de l’Art, 1991, vol. 92 ; n° 1, p. 72-78.
[10] Le nom de Raphanel est le seul nom de collaborateur cité dans la presse. Il l’est également sur le plan du stand et sur le projet d’enseigne du stand dessiné par Guimard. Il apparait également en compagnie de celui du sculpteur plus connu Jean-Désiré Ringel d’Illzach dans le portfolio du Castel Béranger où tous deux sont crédités de l’exécution des modèles de sculpture. Il s’agit vraisemblablement du sculpteur Xavier Raphanel (1876-1957), auteur de nombreuses statuettes historicistes et de quelques objets d’art décoratif.
[11] On se réfèrera au livre La Céramique et la lave émaillée de Guimard où nous faisons l’hypothèse que ce panneau au chat faisant le gros dos est la réduction d’un panneau légèrement plus grand, édité en version gauche et droite, et qui a été remodelé pour entrer dans l’espace qu’il occupe actuellement au Castel Béranger, peut-être à la place d’un autre décor initialement prévu.
[12] Cf. le livre La Céramique et la lave émaillée de Guimard ou notre article sur la lave émaillée.
[13] La rosace GE est également répertoriée en tant que rosace GO sur la planche des ornements divers. De même que les ornements de linteau GA, GB et GC, elle sera intégrée lors d’une augmentation du catalogue à des compositions de balcons et de balustrades fondues en une seule pièce.
[14] C’est cette solution qui a été adoptée pour le seul exemple d’utilisation des ornements de linteaux GD en dehors de Guimard sur un immeuble non daté et d’architecte inconnu au 13 avenue de Metz à Châlons-en-Champagne.
[15] Sur la façade de l’immeuble du 142 avenue de Versailles à Paris donnant dans la rue Lancret, le fer supérieur arqué des décors de linteaux est manquant sur toute la 2e travée (petites fenêtres d’un escalier), ainsi que sur toutes les façades sur rue de l’immeuble du 1 rue Lancret. Cette systématisation des manques écarterait l’hypothèse de destructions aléatoires de ce fer supérieur. Cependant on note que même lorsque le fer supérieur est manquant, les coins supérieurs et intérieurs des ornements de linteaux GD ont été sciés, comme dans les cas où un fer supérieur arqué y était inséré. Faute de pouvoir examiner de près un ornement de linteau GD, nous ne connaissons pas la raison précise de cette amputation, mais il est probable qu’elle est due à un impératif technique puisqu’elle n’existe pas sur le linteau de la villa d’Eaubonne où un fer supérieur arqué n’a pas été mis en place.
[16] Sur l’immeuble Franck, 10 rue de Bretagne, réalisé de façon très économique de 1914 à 1919, les linteaux métalliques ont réapparu, sans aucun décor. La maquette de maison standardisée, vers 1921, conservée au musée des Arts Décoratifs, montre également des linteaux apparents qui pourraient avoir été prévus en ciment armé.
Addenda le 25 mars 2023
Un décor de linteau en grès émaillé par Bigot, semblable à celui que nous présentons en début d’article, a été brièvement mis en vente le 25/3/2023 sur le site LeBonCoin. L’existence de ce nouvel exemplaire (le troisième) plaide en faveur de l’existence d’une série de ces décors de linteaux provenant du Castel Val.
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