Cet article développe et corrige un aspect traité dans le livre Guimard l’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail.
La rapidité avec laquelle Hector Guimard a mis au point pour les entourages découverts du métro un système à la fois techniquement et stylistiquement novateur est assez étonnante. Même si nous le soupçonnons d’avoir, pendant que ses confrères concouraient pour ne remporter aucun marché, secrètement préparé ses plans à l’avance afin de les dévoiler au moment opportun, on reste confondu par un tel déploiement d’inventivité et une telle coordination dans l’utilisation des matériaux.
Cependant, comme toute œuvre humaine, le travail de Guimard recèle quelques défauts qu’il n’est pas cruel de mettre en lumière car leur existence même nous renseigne sur l’état de fébrilité dans lequel a dû se dérouler la conception des accès du métro de Paris.
Ces défauts repérés sont essentiellement au nombre de trois : la trop grande fragilité de la fixation du porte-enseigne, l’erreur d’orientation d’une console de pilier arrière de l’édicule A et le problème de l’accrochage des écussons sur la balustrade que nous développerons ici. Les écussons en fonte des balustrades ont une fonction d’obstruction de l’espace central des modules (afin que l’on ne bascule pas dans le vide de la trémie) et aussi une fonction décorative pour laquelle on n’est pas en peine de retrouver quantité d’analogies visuelles. Indépendants des arceaux et des potelets, ils ne participent pas à la structure de la balustrade. Au contraire, leur poids important (28,5 kg) nécessite qu’ils soient solidement fixés sur les fers qui ceinturent cette balustrade.
Pour cette balustrade, Guimard reprend le mode de fixation adopté cinq ans plus tôt pour les écussons fixés sur les balcons du Castel Béranger. Ceux-ci reposent sur des barres en acier grâce à des encoches ménagées à leur face postérieure et sont maintenus par des rivets.
Les fers des balustrades du métro sont des profilés en U et sont insérés dans des encoches ménagées à l’arrière des potelets. Ils sont au nombre de trois.
Les fers n° 1 (de section 30 x 20 mm) et n° 2 (de section 20 x 20 mm) sont plus larges et sont placés sur le même plan vertical, ce qui leur confère visiblement une fonction de soutien. Le fer inférieur (fer n° 3, de section 14 x 14 mm) est placé environ un centimètre plus en arrière (1). Sa position en retrait et sa faible section ne le désignent pas comme un élément porteur. Il contribue cependant à stabiliser la balustrade.
En observant les écussons, on comprend que leur décor n’est pas entièrement gratuit mais qu’il a une part fonctionnelle. On détecte très vite que Guimard a intégré dans leur modelage quatre emplacements de pré-perçage. Deux sont au niveau des « oreilles » de la partie supérieure.
Leur pré-perçage est plus visible à la face arrière.
Les deux autres points de pré-perçage sont au niveau des « pattes » de la partie inférieure.
De plus, à la partie inférieure de la face arrière, une petite proéminence est visiblement conçue pour reposer sur un fer et soulager ainsi les rivets qui supportent l’écusson.
Logiquement, la distance de 62 cm qui existe entre les pré-perçages hauts et les pré-perçages bas devrait correspondre à la distance entre les deux fers de soutien, le n° 1 et le n° 2.
Mais en réalité, elle correspond à la distance entre le fer n°1 et le fer n° 3, alors que ce dernier ne peut être utilisé pour supporter l’écusson.
C’est pourtant cette configuration qui est présente sur les dessins anciens connus de Guimard où figure une balustrade. Celui que nous reproduisons ici date de janvier 1902, à un moment où Guimard a pourtant dû adopter un autre type de montage. Mais il est identique dans son principe aux dessins de 1900.
Sur ce dessin les « oreilles » sont bien fixées sur le fer n° 1. En revanche, la fixation basse n’est pas bien mise en évidence car le dessin ne différencie pas les épaisseurs des différents fers.
Mais si l’on veut fixer les écussons grâce aux emplacements prévus sur leurs pattes, on est confronté à une impossibilité puisque le fer n° 3 est en retrait vers l’intérieur de la trémie. De plus, il est peu solide.
Donc dès le début de leur mise en place, en 1900, les écussons ont été remontés de quelques centimètres pour que les pattes inférieures soient rivetées sur le fer n° 2.
À sa partie supérieure, l’écusson est toujours fixé au fer n° 1, mais il n’est plus possible d’utiliser les emplacements prévus sur les « oreilles ». Il est donc nécessaire de percer l’écusson plus bas, de noyer les rivets dans l’épaisseur de la fonte puis de les masquer.
L’avantage de cette configuration « haute » est que la petite proéminence arrière repose alors sur le fer n° 2, plus solide que le fer n° 3. On peut penser que c’est pour cette raison qu’elle a été choisie.
Mais esthétiquement, elle a le désavantage de masquer en grande partie l’évidement situé à la partie supérieure de l’écusson par la présence du fer n° 1.
Alors que jusque-là tous les écussons avaient été installés selon la configuration que nous venons de décrire, en 1913, sur la ligne 10 — la dernière à recevoir des accès Guimard — deux entourages découverts, Chardon-Lagache et Porte d’Auteuil (2) voient leurs écussons montés conformément aux dessins anciens. Quelle est la raison de ce changement ? Simple erreur d’une nouvelle équipe de montage ? Volonté soudaine d’expérimenter cette autre configuration ? Nous ne le saurons sans doute jamais.
Cette fois, les pré-perçages des « oreilles » à la partie supérieure des écussons sont utilisés pour les fixer par rivetage sur le fer n° 1.
L’écusson se trouvant ainsi abaissé, les pré-perçages des pattes se retrouvent bien en face du fer n° 3, mais comme nous l’avons signalé plus haut, son retrait en arrière et sa faible section interdisent de l’utiliser comme soutien. Le rivetage de l’écusson se fera donc plus haut, en regard du fer n° 2 en noyant les rivets dans l’épaisseur de la fonte puis en les masquant.
Cette fois, la petite proéminence arrière se retrouve placée entre les fers n° 2 et n° 3, ce qui semble être son emplacement logique. Cependant le fer n° 3 ne peut offrir un soutien efficace.
Cette configuration « basse » offre cependant l’avantage de dégager l’évidement à la partie supérieure de l’écusson.
Comme aucune des deux configurations n’est satisfaisante et que toutes deux obligent à un perçage sans point de repère de la fonte de l’écusson, soit en haut soit en bas, suivi d’un masquage au mastic de la fixation par rivetage, il faut bien admettre que cette situation découle d’une erreur de conception. Et cette erreur se trouve non sur l’écusson, mais bien sur le potelet puisque ce sont les encoches à la partie arrière du potelet qui déterminent la position des fers. Pour que tous les critères de facilité de montage et de solidité soient réunis, il faudrait que les encoches des fers n° 2 et n° 3 soient inversées.
Reprenons depuis le début. Voici la position actuelle des 3 fers, imposée par les encoches au revers des potelets existants
Les « flammes » sont rivetées sur les fers n° 1 et n° 2, mais pas sur le fer n° 3 puisqu’il se trouve en retrait vers l’intérieur de la trémie.
Voici la configuration habituelle de fixation de l’écusson.
Ses pattes inférieures sont fixées sur le fer n° 2 et la fixation sur le fer n° 1 se fait à travers la masse de l’écusson.
À la station Chardon-Lagache, les fers sont disposés de la même façon.
Mais la CMP a choisi cette fois de fixer l’écusson plus bas…
… en rivetant les « oreilles » supérieures sur le fer n°1 et à la partie basse de l’écusson en perçant dans la masse pour le fixer au fer n° 2.
Envisageons maintenant d’inverser les positions des encoches des fers n° 2 et n° 3 sur les potelets qui seraient à présent disposés comme ceci…
Les « flammes » seraient alors rivetées sur les deux fers porteurs, c’est à dire sur le fer supérieur et le fer inférieur.
L’écusson serait enfin logiquement placé, avec le rivetage de ses « oreilles » sur le fer supérieur et le rivetage de ses pattes intérieures sur le fer inférieur. Quant à la petite proéminence à l’arrière de l’écusson, elle se retrouverait bien placée entre les deux fers du bas, tout en reposant sur le fer n° 2 qui est un fer porteur. De plus, l’évidement supérieur de l’écusson serait bien dégagé.
Voilà donc 119 ans que les équipes de la CMP puis de la RATP souffrent pour poser les écussons en perçant dans la masse de la fonte plus ou moins à l’aveugle à un emplacement qui n’était pas prévu pour cela…
Quand l’erreur de conception s’est révélée lors des premiers montages en 1900, il était trop tard pour relancer une production de potelets à la fonderie alors que l’erreur venait des dessins et des modelages de Guimard. En 1902, pour la ligne 2, il aurait sans doute été possible de modifier les potelets mais l’on a continué à travailler de la même façon, même si c’était malcommode…
F. D.
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