Ce mercredi 31 janvier, deux conférences mettent à l’honneur Hector Guimard :
En 2024, La Ville de Paris célèbre Hector Guimard tout au long de l’année du 31 janvier au 31 décembre. La conférence inaugurale « Les Paris d’Hector Guimard » sera animée par Simon Texier, secrétaire général de la Commission du Vieux Paris.
Salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de 18h30 à 20h. Sur inscription.
https://www.paris.fr/evenements/2024-annee-hector-guimard-conference-inaugurale-51587
Dans le cycle « Le Vitrail et les autres arts », Le Cercle Guimard à l’invitation du Laboratoire de recherche en histoire de l’art du Centre André Chastel, donnera une conférence sur le « Guimard, le verre et le vitrail ».
La conférence débutera à 18 h 00. Entrée libre dans la limite des places disponibles.
INHA (galerie Colbert, salle Ingres, 2e étage, 2 rue Vivienne, 75002 Paris)
Vous pouvez consulter la page dédiée du Centre André Chastel.
Hôtel Mezzara, 1910. Vitrail zénithal du hall. Photo F. D.
À la fin de l’année 2022, le Cercle Guimard a fait l’acquisition d’un bougeoir créé par Hector Guimard. De façon inhabituelle, l’achat a été effectué sur eBay. Le vendeur connaissait la nature et la valeur approximative de ce qu’il mettait en vente et nous avons remporté l’enchère pour 3 219 € (avec les frais de port), somme non négligeable mais tout à fait convenable pour cet objet particulièrement rare.
Nous en connaissions l’existence par plusieurs photographies anciennes dont celle — incontournable — parue en septembre 1899 dans la Revue des Arts décoratifs et en novembre 1899 dans la Revue d’Art. Sur la petite table qui a fait l’objet d’un article récent, se trouve un bougeoir, assez difficile à distinguer si l’on ne repère pas la bougie blanche torsadée dont il est pourvu.
Cliché paru dans la Revue d’Art n° 1, novembre 1899. Coll. part.
Guimard, comme d’autres décorateurs à l’époque, a pris l’habitude d’enjoliver les clichés de ses réalisations de meubles avec des bibelots de toutes natures : copies d’antiques (statuettes de Tanagra), sujets médiévaux (pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne), sujets Renaissance (Persée de Cellini) ou tirages modernes comme la femme endormie de Carpeaux, posé sur la même table que le bougeoir. Il a bien entendu également placé au sein de ses compositions ses propres créations d’art décoratif. Sur la photographie ci-dessus, un vase[1] réalisé en collaboration avec Edmond Lachenal est placé à côté du bougeoir et, dans la vitrine, le plâtre du vase de Cerny[2] qui sera édité un peu plus tard par la Manufacture de Sèvres voisine avec le plâtre d’un autre vase édité en bronze.
Preuve que Guimard en avait conservé un exemplaire qu’il utilisait comme accessoire, ce bougeoir apparait aussi sur d’autres clichés de mobiliers qui ont probablement été pris au sein des ateliers de Guimard, vers 1900-1903.
Bibliothèque des Arts Décoratifs. Don Adeline Oppenheim, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes (détail).
Bibliothèque des Arts Décoratifs. Don Adeline Oppenheim, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes (détail).
À une époque où l’équipement des logements par l’électricité gagnait du terrain, de nombreux intérieurs bourgeois étaient encore éclairés au gaz ou plus simplement par des lampes à pétrole. Le tout récent Castel Béranger lui-même ne bénéficiait alors pas de l’éclairage électrique. Lors de ses premières années de créations modernes, Guimard a donc dessiné de multiples appareils d’éclairage en fonction des sources lumineuses disponibles chez ses clients. Si une lampe éclairée au gaz pouvait ensuite être facilement électrifiée en faisant passer le fil électrique dans le tuyau d’alimentation, il en allait autrement pour les lampes à pétrole et plus encore pour les chandeliers. Très peu de ceux qui ont été conçus par Guimard nous sont parvenus, vite relégués et sans doute parfois détruits une fois le logement équipé en électricité. Nous connaissons seulement les images du miroir en triptyque créé pour Mme Fournier, la commanditaire du Castel Béranger [3], pourvu de cinq bougeoirs,
Miroir en triptyque de Mme Fournier. « Glace de toilette. Face profil et détails d’exécution en cédrat et cuivre nickelé. » Planche 60 du portfolio du Castel Béranger. Coll. part.
ainsi que celle du lustre du Castel Henriette à Sèvres. Sur celui-ci, les bougies ont un rôle accessoire, voire purement décoratif, puisque le centre est occupé par une lampe à pétrole. Guimard a peut-être voulu renforcer par cette couronne de bougies le caractère médiéval du « castel ».
Lustre du Castel Henriette (c. 1900). Bibliothèque des Arts Décoratifs. Don Adeline Oppenheim. Photo Laurent Sully Jaulmes (détail).
Contrairement aux lampes à pétrole à poser qui ne devaient être déplacées qu’avec précaution, le rôle d’un bougeoir était d’apporter une source lumineuse ambulatoire. C’est pourquoi on en trouvait souvent sur les chevets des lits pour pouvoir éclairer les déplacements nocturnes (cf. les photos plus haut). Quoi qu’ait pu affirmer le marché de l’art récemment, nous ne connaissons pas d’autre modèle de bougeoir (ou de flambeau) de Guimard que celui que nous avons acquis.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
Sa silhouette est globalement piriforme, légèrement concave pour recueillir le surplus de cire fondue. Trois petites pattes, comme on peut en voir sur certaines lampes à huile romaines, le maintiennent en hauteur. Deux ajours à l’avant et un autre latéral sont comme les dentelures que l’on pourrait observer sur une feuille d’arbre attaquée par des insectes. La coupelle recevant la bougie est exhaussée au centre avec un mouvement tournoyant. Elle semble elle-même couler sur son pourtour comme le fait la cire. Cette forme prend d’ailleurs tout son sens lorsqu’on y fait bruler une bougie.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
La principale caractéristique de cet objet par rapport aux productions de l’époque est son caractère unitaire, comme le serait un organisme vivant. Cet aspect caractérise d’ailleurs la quasi-totalité des œuvres de Guimard de cette période où l’intervention manuelle au cours du modelage est non seulement visible mais montrée.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
Vu par dessous, la comparaison avec une forme animale est encore plus probante, sa poignée s’assimilant à une queue.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
On trouve aussi à la face inférieure le monogramme de Guimard en creux.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
Coulé en laiton, ce bougeoir a probablement été produit à plusieurs exemplaires. Cependant aucun autre tirage n’est encore connu. Son caractère unitaire, sans montage, avec un volume complexe en contre-dépouille empêche l’utilisation d’un moule bivalve. La technique utilisée a sans doute été la fonte « à cire perdue », plus chère et nécessitant la destruction du moule en plâtre pour chaque tirage. Sous la poignée, un « Y » (ou la lettre grecque lambda) correspond probablement à la marque du fondeur.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
Au niveau du départ de la poignée, se trouve une petite proéminence. Sa présence n’est pas anodine car lorsqu’on tient le bougeoir en main, on s’aperçoit que le pouce vient naturellement s’insérer contre cette butée. Guimard semble l’avoir matérialisée à la fois pour aider au maintien du bougeoir et pour simuler le fait que le métal est repoussé par l’action du pouce.
Bougeoir par Guimard en laiton, vers 1899. Haut. 0,062 m, long. 0,245 m, prof. 0,124 m. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
La forme de la poignée peut sembler gratuite, mais en réalité elle est parfaitement conçue pour pouvoir utiliser le bougeoir aussi bien de la main gauche que de la main droite. Son crochet terminal vient en effet se bloquer contre les deux dernières phalanges du cinquième doigt de la main gauche.
Le bougeoir tenu de la main gauche. Photo F. D.
ou contre le cinquième métatarsien de la main droite.
Le bougeoir tenu de la main droite. Photo F. D.
La création et le modelage de ce bougeoir ont donc bien fait l’objet d’une réflexion quant à son utilisation et à sa signification. Et cet objet, aussi simple soit-il, fait comprendre toute la distance qui existe entre une forme mouvementée conçue par Guimard et une forme aléatoire.
Frédéric Descouturelle
[1] Cf. notre article du 18 mai 2018.
[2] Cf. notre livre La Céramique et la Lave émaillée de Guimard, éditions du Cercle Guimard, 2022.
[3] Elle n’y a emménagé que bien plus tardivement.
L’ordre du jour est le suivant :
– Communication du rapport moral et d’activités du Président (résolution faisant l’objet d’un vote).
– Approbation des comptes et du budget (résolution faisant l’objet d’un vote).
– Renouvellement des membres du Conseil d’Administration (résolution faisant l’objet d’un vote).
– Participation du Cercle Guimard à une « année Guimard » proposée par la Mairie de Paris.
– Présentation des nouvelles visites guidées par Émilie Dominey et Maréva Briaud.
– Évolution de la situation de l’hôtel Mezzara et de notre projet muséal.
– Questions diverses.
En fin de séance, nous présenterons au public les objets suivants :
– Un bougeoir de Guimard, acquis par le Cercle Guimard.
Bougeoir par Guimard en laiton, c. 1899. Coll. Le Cercle Guimard.
– Un vase de Guimard édité par Gilardoni & Brault.
Vase Guimard édité par Gilardoni & Brault, c. 1899. Coll. part.
– Des plans de la façade de la maison Coilliot à Lille, donnés au Cercle Guimard et restaurés.
Signature de Guimard sur un plan de la maison Coilliot à Lille en 1898 (avant restauration). Coll. Le Cercle Guimard.
Nous vous rappelons que, conformément aux dispositions des statuts de l’association, le droit de voter à l’assemblée est réservé aux seuls membres à jour de leur cotisation à la date de la réunion. Vous pouvez adhérer en ligne ou par courrier (plus d’information).
Peggy Laden et Frédéric Descouturelle
Secrétaires du Cercle Guimard
Notre livre consacré à la céramique de Guimard avait recensé les localisations où les céramiques architecturales créées par Hector Guimard avaient été employées, à Paris et en banlieue. Nous venons de découvrir une nouvelle adresse, 5 rue Baillou dans le 14e arrondissement.
Immeuble 5 rue Baillou, Paris, vue partielle de la façade. Photo F.D.
Le bâtiment est un immeuble de rapport mitoyen de quatre niveaux et combles avec trois travées à symétrie centrale. Sa façade, essentiellement en briques, serait assez banale sans son décor de céramique. Elle comporte également un jeu de couleurs entre briques de couleur crème pour le fond et briques rouges dessinant différents motifs répétitifs, en particulier au premier étage. Un auvent à deux pans, placé au centre, au-dessus de la porte d’entrée, agrémente également cette façade. Les fontes ornementales des garde-corps n’ont pas d’intérêt particulier.
Les frises et les panneaux de céramique architecturale de Guimard présents sur la façade sont connus. Ils ont été publiés dans le catalogue Muller & Cie (La Grande Tuilerie d’Ivry) de 1904 et déjà employés sur ses premières villas, antérieures à la construction du Castel Béranger. Il s’agit des métopes n° 13, au nombre de 8 exemplaires en bandeau au rez-de-chaussée.
Guimard, faïence, métope n° 13, éditée par Muller et Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Leurs couleurs sont légèrement différentes de celles utilisées sur deux constructions de Guimard : l’hôtel Louis Jassedé (construit 41 rue Chardon-Lagache à Paris en 1893) et la villa Charles Jassedé (construite 63 avenue du Général De Gaulle à Issy-les-Moulineaux en 1893). Elles se rapprochent de celles de l’annexe de la mairie de Houilles, 18 rue Gambetta (date et architecte inconnus).
Guimard, faïence, métope n° 13, éditée par Muller et Cie. Hôtel Louis Jassedé, Paris. Photo Nicholas Christodoulidis.
Au premier étage, la fenêtre de la travée centrale, est encadrée latéralement par des panneaux n° 138.
Guimard, faïence, émail cloisonné, panneau n° 138, édité par Muller et Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Un détail de ce panneau montre bien qu’il s’agit d’émail cloisonné dont les loges en légère dépression ont été créées lors du coulage des pièces dans un moule.
Guimard, faïence, émail cloisonné, panneau n° 138 (détail), édité par Muller et Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Les couleurs sont différentes des panneaux n° 138 utilisés par Guimard sur l’hôtel Roszé (construit 34 rue Boileau en 1891).
Guimard, hôtel Roszé, panneaux n° 138 en bandeau du premier étage de la travée gauche. Photo F. D.
Sur le linteau de la fenêtre centrale du premier étage du 5 rue Baillou se trouve une frise n° 126 à trois éléments.
Guimard, faïence, émail cloisonné, frise n° 126, éditée par Muller & Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Ses couleurs sont identiques à celles des frises n° 126 que l’on trouve à de nombreuses reprises au premier étage de l’hôtel Louis Jassedé.
Guimard, faïence, émail cloisonné, frise n° 126, éditée par Muller et Cie. Hôtel Louis Jassedé, en bandeau au premier étage, Paris. Photo F. D.
De part et d’autre de ce panneau en linteau du premier étage du 5 rue Baillou, on trouve des éléments de frise n° 125, utilisés individuellement, donc avec la fonction de métopes.
Guimard, faïence, émail cloisonné, frise n° 125, éditée par Muller & Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Ses couleurs sont différentes de celles des éléments de frise n° 125 que l’on trouve sur le conduit de cheminée de la façade arrière de l’hôtel Louis Jassedé.
Guimard, faïence, émail cloisonné, frise n° 125, éditée par Muller & Cie. Hôtel Louis Jassedé, Paris. Photo Nicholas Christodoulidis.
Ces variations de couleurs montrent que l’entreprise Muller & Cie était à l’écoute des desiderata de sa clientèle et sans doute capable de répondre rapidement aux demandes qui lui étaient faites.
Les créations de Guimard ne sont pas les seules à figurer sur cette façade du 5 rue Baillou. En effet, l’allège de la fenêtre centrale du premier étage est une « garniture d’attique » créée par l’architecte Lethorel et qui figure dans un catalogue de 1898 de Muller & Cie.
Garniture d’attique par l’architecte Lethorel, catalogue Muller et Cie, 1895, pl. 48, n° 347. Bibliothèque des Arts Décoratifs.
Ce type d’élément est d’ailleurs assez proche d’un autre modèle où la croisée est cette fois en X et qui a été dessiné par Gustave Raulin. Ce dernier a été le professeur de Guimard à l’École Nationale des Beaux-Arts et nous le soupçonnons de l’avoir introduit chez Muller & Cie.
D’autres céramiques architecturales sont également employées au niveau des étages supérieures, comme les métopes entre le premier et le second étage (sans doute le n° 22 de Muller & Cie) et d’autres au dernier étage (non identifiées). Les linteaux du rez-de-chaussée sont également soulignés à leur partie supérieure par une mince frise de nodosités de couleur verte, probablement également produite par Muller & Cie.
Beaucoup d’immeubles de cette catégorie ne sont pas signés, en particulier lorsqu’ils ont été construit par un entrepreneur. Mais au 5 rue Baillou, l’immeuble a été élevé par un architecte qui a choisi de le signer. Au lieu de faire graver son nom et la date de construction sur une des pierres de taille de la façade, il a créé une plaque spéciale, à nouveau exécutée chez Muller & Cie et l’a placée au premier étage à l’extrémité gauche de la façade. Son lettrage est déjà de style Art nouveau, tandis que son encadrement est plutôt orientalisant.
Plaque-signature de l’architecte E. Brun, émail cloisonné, éditée par Muller et Cie. 5 rue Baillou, Paris. Photo F. D.
Cette plaque-signature est même entrée, à titre d’exemple, dans le catalogue de Muller & Cie sous le n° 347, aux côtés d’autres plaques commerciales ou de voirie. La Grande Tuilerie d’Ivry avait sans doute jugé que cette commande précoce de panneaux de style moderne présentait un intérêt.
Plaque-signature de l’architecte E. Brun, catalogue Muller et Cie, 1904, pl. 34, n° 347. Coll. Le Cercle Guimard.
Grâce à notre adhérent Olivier Desmares, nous en savons un peu plus sur cet architecte qui est très probablement Emmanuel Brun. Il a construit deux autres immeubles dans une rue parallèle à la rue Baillou, au 6 et 8 rue Louis Morard. À nouveau pourvus de façades de briques décorées de céramiques (comme de nombreux immeubles de cette rue) ils possèdent tous deux une plaque-signature de style plus nettement Art nouveau, datée de 1902.
Plaque de l’architecte Emmanuel Brun, éditée par Muller & Cie. 6 rue Louis Morard, Paris. Photo F. D.
On le retrouve dans l’édition de 1907 du répertoire des architectes élèves de l’École des Beaux-Arts sous le nom de Jean-Louis-Emmanuel Brun, né à Clermont-Ferrand en 1864. Il est entré à l’École des Beaux-Arts en 1883 (deux ans avant Guimard) où il a été l’élève de Julien Guadet. Il a exposé au Salon des Artistes Français et avait son cabinet au 78 rue Mozart (alors que Guimard installera le sien au 122 de la même rue vers 1910). Ces informations confirment le fait que les deux architectes se connaissaient très certainement.
Emmanuel Brun a également exercé à Nice où il est l’auteur d’un immeuble au 15 rue Gounod (1899) employant des céramiques de Muller & Cie (métope n° 36 au motif de chardon). Il a déménagé en 1909 dans cette ville où il est décédé en 1948.
Au quatrième étage du 6 rue Louis Morard, on trouve aussi deux tympans identiques, au motif de pavot, qui ne figurent pas dans le catalogue Muller & Cie de 1904. Il s’agit de panneaux en émail cloisonné (comme ceux de Guimard) et qui présentent même une certaine similitude avec plusieurs de ses céramiques architecturales au motif de tournesol comme le panneau n° 136, la frise n° 126 ou le tympan triangulaire non répertorié de l’hôtel Jassedé. Il se confirme donc que Muller & Cie n’a pas hésité à créer de nouveaux modèles imitant les compositions de Guimard sans en avoir la vigueur. Il est même possible que ces imitations aient pu générer un différent entre Guimard et Muller & Cie débouchant sur l’arrêt des commandes de Guimard au moment de la construction du Castel Béranger.
Tympan par Muller & Cie, émail cloisonné, au 4 étage de l’immeuble du 6 rue Louis Morard, Paris, architecte Emmanuel Brun. Photo F. D.
La plaque-signature de la rue Baillou, publiée sur le catalogue Muller & Cie de 1904, pouvait être réutilisée sur d’autres immeubles de l’architecte. Elle pouvait aussi inciter ses confrères à agir de même. À Nancy, l’architecte César Pain (1872-1946) a ainsi posé des plaques-signatures semblables sur un grand nombre de ses petites maisons de ville construites dans le style de l’École de Nancy, en particulier rue Félix Faure, à partir de 1904. Il a aussi utilisé de nombreux autres modèles de céramiques architecturales de Muller & Cie sur ses façades.
Plaque-signature de l’architecte César Pain éditée par Muller & Cie, 26 rue Félix Faure, Nancy, 1907. Photo F. D.
Nous profitons de cet article pour présenter ci-dessous un autre élément de céramique architecturale de Guimard édité par Muller & Cie. Il nous a été généreusement donné par deux de nos anciens et fidèles adhérents. Ils avaient acheté en Belgique un lot de ce modèle, sans savoir alors que Guimard en avait été le dessinateur.
Guimard, faïence, émail cloisonné, frise n° 127, éditée par Muller et Cie, don M. et Mme Mullor. Coll. Le Cercle Guimard. Photo F. D.
Il s’agit d’un élément de la frise n° 127 présente dans le catalogue Muller & Cie de 1904, avec des couleurs différentes. Le seul emploi connu de cette frise par Guimard est sur la véranda de la façade avant de l’hôtel Roszé.
Frise n° 127, catalogue Muller et Cie, 1904, pl. M. Coll. Le Cercle Guimard.
Frédéric Descouturelle
En juin 2023, nous avons écrit à un vendeur d’eBay qui proposait une « poignée de porte en faïence vernissée » qu’il attribuait à Guimard. Nous lui avons signalé que, d’une part il s’agissait d’un bouton de crémone en grès émaillé et que, d’autre part, Guimard n’était pas l’auteur du modèle.
Bouton de crémone en grès émaillé. Vente eBay en juin 2023. Photo Fabrice Péronin.
De façon inhabituelle dans ce genre de situation, le vendeur nous a répondu rapidement et aimablement en nous remerciant, ajoutant qu’il s’était inspiré d’une annonce semblable et qu’il allait modifier la sienne. L’annonce a en effet été retirée dans la foulée puis modifiée.
Nous connaissons en effet ce modèle de bouton de crémone d’une hauteur de 8,5 cm qui réapparait de temps à autre sur le marché de l’art. Ils sont émaillés suivant diverses couleurs nuancées, généralement ocres, vertes ou bleues et sertis dans une virole en laiton. Dans cette virole est ménagé le trou qui permet de le fixer au mécanisme et qui — conformément aux modèles de poignées de crémones — comprend un filetage.
Bouton de crémone en grès émaillé. Vente eBay en juin 2023. Photo Fabrice Péronin.
Les formes courbes alternativement concaves et convexes qui l’encadrent de façon symétrique en miroir, le rendent très élégant et parfaitement apte à la préhension par la main. Il s’agit donc d’un bel objet, bien représentatif de la production sérielle d’accessoires de style Art nouveau, mais dont l’attribution est peu évidente. Sa symétrie et ses courbes linéaires ne plaident pas pour son attribution à Guimard et le rapprocherait plutôt du travail de Maurice Dufrène.
Broche par Maurice Dufrène. Catalogue de La Maison Moderne, Bijouterie, p. 1. 1901. Coll. auteur.
Cette difficulté dans l’attribution, en suspens depuis plusieurs années, a reçu une solution partielle grâce à la découverte par l’un de nos membres du nom du fabricant. Il s’agit de la société Gentil & Bourdet, établie aux portes de Paris à Boulogne avec laquelle Guimard semble ne jamais avoir travaillé. Elle a été fondée en 1901 par les architectes Alphonse Gentil (1872-1933) et Eugène Bourdet (1874-1952), ce dernier étant originaire de Nancy.
Maison en ciment à Sedan par Eugène Bourdet. Carte postale ancienne. Coll. part.
Leur production d’éléments architecturaux en grès moulés était assez proche de celle d’Alexandre Bigot qui avait fondé son entreprise quelques années plus tôt. En revanche, leur production de panneaux de mosaïques, également en grès émaillé, était plus personnelle et leur a permis de faire prospérer leur entreprise plus longtemps que celle de Bigot qui a fermé en 1914.
Devanture en grès émaillé par Gentil & Bourdet de la manufacture de piano Larry à Levallois. Panneaux du marabout et héron par le sculpteur Charles Virion. Photo F. D.
Détail du garde-corps de la maison Gescwhindenhamer, quai de la Bataille à Nancy, architectes Gutton et Hornecker, 1905. Balustres par Gentil & Bourdet. Photo F. D.
On connaît quelques catalogues de cette manufacture et dans celui des « Grès de batiment 1902 » on peut trouver une page où figure, en compagnie de six autres modèles, le bouton de crémone que nous présentons. Comme les autres, il est vendu 3,25 F-or non émaillé et 3,75 F-or émaillé. La planche fait mention de « La Randonite / marque déposée ». Nous ignorons ce que recouvre exactement ce terme. Sans doute s’agit-il d’une composition particulière de pâte ?
Catalologue Gentil & Bourdet « Grès de batiment 1902 », p. 34. Droits réservés.
Le musée d’Orsay possède un bouton de crémone semblable, enregistré sous le n° OAO 1409. Il lui a été offert en 2003, en même temps qu’un bouton de porte en porcelaine bleue de Guimard (enregistré sous le n° OAO 1408)[1] édité par Sauzin (le premier fabricant des boutons de porte en porcelaine de Guimard).
OAO 1409. H. 8,5 cm ; L. 3,7 cm ; P. 5,2 cm. Don Jacques-Paul Dauriac aux Musées nationaux pour le musée d’Orsay, par l’intermédiaire de la société des Amis du musée d’Orsay, 2003. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot.
Actuellement, la notice OAO 1409 ne fait plus apparaitre cette photo du bouton de crémone. Elle indique qu’il est en « porcelaine flammée », l’attribue toujours à Guimard et au fabriquant Paquet à Grenoble (le second fabriquant des boutons de porte en porcelaine de Guimard). Il est néanmoins encore possible d’en retrouver l’image en se rendant sur la notice OAO 1408 où il est photographié en compagnie du bouton de porte de Guimard en porcelaine bleue.
OAO 1409 (en haut) et OAO 1408 (en bas). Don Jacques-Paul Dauriac aux Musées nationaux pour le musée d’Orsay, par l’intermédiaire de la société des Amis du musée d’Orsay, 2003. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot.
Frédéric Descouturelle
Nous remercions M. Fabrice Péronin qui nous a autorisé à utiliser les photographies qu’il avait prises pour illustrer l’annonce de vente sur eBay, ainsi que M. Mario Baeck, docteur en histoire de l’art de l’Université de Gand qui nous a signalé dans quel catalogue de Gentil & Bourdet figure la poignée de crémone.
[1] Thiébaut, Philippe, 48/14 La revue du Musée d’Orsay, « Acquisitions », Paris, Réunion des musées nationaux, 2004, p. 59.
Léna Lefranc-Cervo, doctorante en Histoire de l’art, avait déjà publié sur notre site un article sur les tentatives précoces de protection du patrimoine Art nouveau parisien. Elle nous fait à présent l’amitié de partager avec le Cercle Guimard sa contribution à la journée d’étude « La norme et son contraire » qui s’est tenue à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne à Rennes en 2020. Elle y analyse la question de la norme architecturale à travers la production des architectes de la Société des Architectes Modernes dont Hector Guimard a été vice-président. Elle nous aide ainsi à mieux le situer au sein des courants architecturaux modernes de l’après-guerre dont il fut loin d’être éloigné.
La Société des architectes modernes[1] (SAM) nous paraît constituer une entrée intéressante pour aborder la question de la norme, tant les discours sur l’architecture produits par ses membres, en particulier, sur l’architecture moderne ont impliqué cette notion. La modernité en architecture questionne en effet directement la place de la doctrine et le rapport à un corpus normatif entendu comme définition d’un cadre primordial à la conception architecturale. L’historien de l’architecture Gilles Ragot a mis en avant, dans sa thèse sur le Mouvement moderne[2], le fait que Le Corbusier et André Lurçat furent les seuls à tenter la définition d’une doctrine de l’architecture moderne. Il rappelle que cette propension à la théorisation est marquée par les nombreuses publications de Le Corbusier (plus de quatorze entre 1918 et 1938). Les Cinq points de l’architecture moderne constitue la plus emblématique de cette production éditoriale par sa clarté et son caractère pédagogique. Or ces deux architectes ne firent jamais partie de la Société des architectes modernes qui compta pourtant plus de 200 membres à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La SAM se distingue d’ailleurs par son absence de la sphère de la théorie de l’architecture. La production théorique des architectes de ce groupement, qu’elle soit individuelle ou collective, est en effet très pauvre. De ses publications communes à travers les Bulletins qui paraissent seulement à partir de 1936 et notamment des deux articles intitulés « Modernisme » écrits par Auguste Bluysen[3] et Adolphe Dervaux[4], respectivement président et vice-président de la société à cette date, on en retient surtout le flou doctrinal. Cette constatation nous amène à nous interroger sur le rapport des architectes de la SAM avec la doctrine et avec la définition d’un cadre pour la conception. Elle nous invite aussi à nous demander si, pour les membres de la société, la modernité architecturale, qui sous-tend la rupture avec un corpus normatif, induit le remplacement de celui-ci par de nouvelles doctrines architecturales ou bien si, au contraire, elle peut s’en affranchir.
La modernité architecturale un combat contre la norme
Le Groupe des architectes modernes voit le jour dans un contexte de lutte artistique pour la commande à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925. À sa constitution en 1922[5], il est alors présidé par Frantz Jourdain[6]. Architecte, écrivain et critique d’art tout à la fois, Jourdain avait été, dans les années 1890-1900, l’un des plus ardents défenseurs des « novateurs ». Il publie en 1893 L’Atelier Chantorel[7], roman–pamphlet contre l’enseignement qu’il juge sclérosé de l’École des beaux-arts. Au moment de son décès, en 1935, Marcel Lathuillière, le représentant du Groupe algérien de la SAM, n’hésite pas à le présenter comme « le premier Moderne[8] ». Jourdain semble alors incarner, y compris pour les membres les plus jeunes de la société, l’esprit même de la modernité architecturale : « [Frantz Jourdain] libéra une jeunesse ardente de la plus intolérable des servitudes et permit aux talents neufs de s’affirmer sans craindre la censure[9] ». La « jeunesse ardente » fait évidemment référence, dans l’esprit de Lathuillière, aux architectes de la génération qui a commencé sa carrière dans les années 1890-1900 et qui a alors participé au renouveau des arts avant de fonder, vingt ans plus, tard le Groupe des architectes modernes (GAM) : parmi eux, Henri Sauvage, Hector Guimard, Louis Sorel, Adolphe Dervaux et Lucien Woog. Par ailleurs, Lathuillière désigne clairement les oppresseurs de Jourdain et de sa phalange : « Épris d’idées nouvelles, il entra en lutte contre les Maîtres, alors tout puissants, de l’Architecture académique[10] ». De nombreux autres membres de la société s’accordent sur l’identité de cet ennemi commun, comme Bluysen qui relate que cette « jeunesse scolaire se trouvait, par ses vieux maîtres pasticheurs, maintenue sous la férule académique[11] ». Le terme d’« Architecture académique » renvoie donc à un corpus perçu comme normatif et imposé par un groupe de professionnels affiliés à un organe institutionnel désigné comme auteur de tous les maux : l’École des beaux-arts.
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Le Bureau du Cercle Guimard
Nous avons le plaisir de faire connaitre à nos lecteurs l’article de M. Alexis Monnerot-Dumaine, initialement publié sur son blog Le Village de Billancourt à qui nous avons pu apporter quelques renseignements. Il concerne l’une des œuvres de jeunesse de Guimard pour laquelle les connaissances étaient jusqu’ici très parcellaires et il donne un éclairage complémentaire à cette première partie de sa carrière dont la clientèle était encore limitée à son cercle familial élargi.
Historique de la construction
Hector Guimard n’avait qu’une vingtaine d’années lorsque Rosalie Hélène Lécolle, habitante de Billancourt, lui a commandé des maisons mitoyennes sur la rue du Pont de Sèvres. Elle était déjà la propriétaire d’une villa qui sera plus tard connue sous le nom de villa Aussillous et dont elle avait l’intention de lotir le vaste terrain.
La villa Aussillous, résidence de Rosalie Lécolle, nursery en 1918. Photo Renault Histoire.
La villa Aussillous, résidence de Rosalie Lécolle. La villa Toucy était située sur le même terrain. Photo Renault Histoire.
Nous ne savons pas comment ils se sont connus, mais le fait que Rosalie Lécolle et le père d’Hector Guimard soient tous deux originaires du village de Toucy, dans l’Yonne, ne peut être une coïncidence. Nous n’avons cependant pas trouvé de lien de parenté entre eux. Peut-être le père d’Hector Guimard a-t-il recommandé Rosalie Lécolle à son fils ? En tous cas, c’est vraisemblablement cette origine commune qui a déterminé le nom donné à la villa par sa propriétaire.
Ce n’était pas la première fois que Rosalie Lécolle commandait un bâtiment à Guimard. En 1889, il lui avait déjà dessiné une maison de rapport à Saint-Ouen, au 122 avenue des Batignoles (aujourd’hui avenue Gabriel Péri). La maison existe toujours mais ne présente pas grand intérêt.
Deux auteurs ont évoqué brièvement la villa Toucy dans leurs ouvrages : Georges Vigne dans Hector Guimard[1] et Jean-Pierre Lyonnet dans Guimard perdu, histoire d’une méprise[2], tous deux publiés en 2003.
Dans le curriculum vitae de Guimard en 1897, la réalisation de la villa Toucy est mentionnée à deux dates différentes, curieusement : 1890 et 1894. À l’année 1890, il écrit : « deux petites maisons de campagne à Billancourt. Villa Toucy, pour le compte de Mme veuve Lécolle ». 1890 est impossible car un plan de juin 1892 situe la villa ailleurs que rue du Vieux Pont de Sèvres, preuve qu’elle est encore en projet. De plus, Rosalie Lécolle n’était alors pas veuve, mais célibataire. À l’année 1894, il note : « Construction de deux pavillons dans la propriété de madame Lécolle à Billancourt ». Selon l’avis de Georges Vigne, ce CV contient encore d’autres inexactitudes et doit être pris avec réserves.
Dans un envoi de Guimard pour le Salon de 1894, est mentionné : « Une entrée de la villa Toucy exécutée à Billancourt. 1 chassis. (App. à M. Lécolle) ». Nous n’avons malheureusement pas trouvé ce dessin.
La construction est inscrite à l’inventaire Mérimée (numéro IA00119953) depuis 1992. Sa fiche nous donne bien peu d’indications : on y lit que le gros œuvre est fait de meulière, moellon, brique et enduit. La couverture est en tuiles mécaniques. La fiche nous dit également que la villa a été bâtie en 1892, « selon la source ». En 1892, Hector Guimard n’a que 25 ans et est toujours étudiant à l’École nationale des Beaux-Arts.
Le document le plus intéressant que nous avons pu trouver est le magnifique plan ci-dessous, daté du 25 juin 1892 et signé par Guimard, conservé au musée d’Orsay. Nous le reproduisons ici. Il est très complet : on y trouve trois façades, quatre coupes et un plan de situation.
Villa Toucy, propriété de Mme Lécolle 1892, © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay), Hervé Lewandowski.
Trouver l’adresse exacte de la villa n’est pas évident. Le musée d’Orsay évoque le 189 rue du Vieux Pont de Sèvres, ce qui, en réalité, est l’adresse du terrain sur lequel la villa a été bâtie. Mais chacune des maisons a eu sa propre adresse. La fiche Mérimée évoque le 171 rue du Vieux-Pont-de-Sèvres et le Cercle Guimard, le 142. En fait, le cadastre la situe clairement aux numéros 183 et 185, ou, selon les recensements du XIXe siècle, les numéros 121 et 123 (la rue ayant été renumérotée).
Les sources principales donnent 1892 pour date de construction, mais est-ce bien sûr ? Au cadastre de Boulogne-Billancourt, la villa Toucy est explicitement enregistrée en 1894. De plus, le plan de situation de juin 1892 place l’entrée de la villa à un croisement de chemins et non le long de la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, ce qui laisse à penser qu’en juin 1892 sa construction était prévue ailleurs. Ajoutons à cela le fait que la demande de construction date du 1er septembre 1892[3]. Comment penser qu’elle ait pu être achevée en si peu de temps ? Et si la mention « 1894 » sur le CV de Guimard était la bonne ?
Matrice cadastre (1882-1910), archives municipales de Boulogne-Billancourt. L’année de mutation mentionne 1894.
Nos recherches pour retrouver une bonne photo de cette villa n’ont pas donné de résultat probant. Nous n’avons trouvé que des vues lointaines ou des vues d’avion. Malgré son acquisition ultérieure par Renault, nous n’en avons retrouvé aucune photo chez Renault Histoire. Elle ne figure pas dans le rapport de l’architecte Plousey de 1920 car à l’époque elle n’était pas encore la propriété de Renault.
Des maisons jumelles
Nous avons donc tenté une reconstitution de la villa Toucy, basée sur les plans du fonds Guimard au musée d’Orsay et sur les quelques éléments de la fiche d’inventaire. Pour nous aider, nous avons puisé l’inspiration sur d’autres réalisations du jeune Guimard de ces mêmes années, telles que l’hôtel Jassedé (1893) ou l’hôtel Roszé (1891).
Façade avant de la villa Toucy. Reconstitution d’après les plans du Musée d’Orsay, © Le Village de Billancourt.
Façade latérale de la villa Toucy. Reconstitution d’après les plans du Musée d’Orsay, © Le Village de Billancourt.
Façade arrière de la villa Toucy. Reconstitution d’après les plans du Musée d’Orsay, © Le Village de Billancourt.
On la qualifie de villa, mais il s’agit en fait de deux maisons de rapport jumelles, d’une largeur de 16 mètres et parfaitement symétriques. Son style n’est pas encore marqué par le style Art nouveau que Guimard n’a adopté qu’en 1895. Seul l’arc de décharge et le tympan qui encadrent la fenêtre du premier étage de la façade latérale laissent entrevoir ses futures influences. Les jambes de force obliques portant les auvents protégeant les portes d’entrées sont également caractéristiques de Guimard (villa Charles Jassedé à Issy-les-Moulineaux en 1893, villa La Bluette à Hermanville en 1899, ateliers Guimard rue Perrichont-prolongée en 1903).
Chacune des deux maisons est assise sur un sous-sol et comporte deux niveaux comprenant chacun trois pièces. Un muret sépare les entrées et les jardins des deux logements. On remarque le traitement particulier de l’avant-corps, avec ce mouvement ascendant de pierres de taille qui souligne la cage d’escalier, avec un léger décalage par rapport aux façades. On peut également noter les deux élégants décrochements de la toiture qui accompagnent les trois volumes, dont un en encorbellement. Un troisième décrochement orne la façade arrière. À remarquer également ce large bandeau à mi-hauteur que nous avons imaginé être fait de briques vernissées bleues et vertes, séparant à la fois les niveaux et les matériaux de parement des façades. Enfin, nous avons agrémenté les linteaux métalliques des fenêtres de métopes dessinées par Guimard et éditées par Muller & Cie, comme sur l’hôtel Louis Jassedé de la rue Chardon-Lagache en 1893.
La villa Toucy apparait sur un autre plan du fonds Guimard (ci-dessous), conservé au Musée d’Orsay. Il s’agit manifestement d’un projet de lotissement de la propriété Lécolle. Sur ce plan, 38 parcelles sont dessinées et trois nouvelles rues sont percées : une prolongation de la rue Casteja, un chemin Casteja et une avenue Nouvelle.
Lotissement de la propriété Lécolle vers 1891, d’après un plan du Musée d’Orsay. GP 732.
Ce projet ne verra jamais le jour car Rosalie Lécolle décède à Billancourt le 21 avril 1894, à 52 ans, deux ans seulement après la construction de la villa. Elle laisse ses biens à sa fille naturelle Marie Petitjean, fille unique et épouse de l’avocat Aussillous.
Le fonds Guimard, au musée d’Orsay, conserve aussi deux autres dessins (GP2120 et GP2121) de ce lotissement, mais sans grand intérêt.
Des locataires bien ordinaires
Loin des familles bourgeoises ou aristocratiques des belles villas disparues de Billancourt, les locataires de la villa Toucy étaient plutôt modestes. En 1896, on trouvait, au 183, une certaine Eugénie Chevallier, employée de 56 ans.
Nous avons retrouvé une petite annonce du quotidien Le Journal datée du 20 mai 1897 proposant « À louer, non meublé, pavillon belles pièces, cuisine, chambre de bonne, jardin rempli de rosiers et de belles fleurs. Superficie 400 m², prix annuel 700 francs, eau comprise… à deux minutes tramways et bateaux ».
Situation de la villa Toucy, cadastre 1905, archives municipales de Boulogne-Billancourt.
On recensait en 1901, au 185, un certain Stanislas Julien, architecte vérificateur pour l’exposition universelle de 1900, peut-être une connaissance de Guimard ?
Les alentours de la villa commençaient déjà à s’industrialiser. Gentil & Bourdet, fabricants d’éléments de décoration en grès émaillé, ont installé en 1904 leur usine, juste derrière la villa. On pourra consulter à ce sujet notre article Avenue des arts décoratifs à Billancourt.
Une des rares vues de la villa, depuis la rue de la ferme, vers 1904. Archives municipales de Boulogne-Billancourt.
En 1911, les familles Roussel et Ribère résidaient à la villa.
Contrairement aux informations de l’inventaire Mérimée, la villa a survécu bien au-delà des années 1920. En effet, lors du recensement de 1926 figuraient comme occupants, au 183, la famille de Georges Dejean, un comptable, et au 185, la famille de Georges Vilar, un mécanicien d’origine espagnole.
Recensement 1926, archives municipales de Boulogne-Billancourt.
La société Renault a acheté la propriété le 1er août 1930 aux héritiers Aussillous. Louis Renault n’a pas détruit la villa. Les familles Dejean et Vilar en sont restées locataires, au moins jusqu’en 1936.
La villa est encore visible sur le cadastre et les photos aériennes de 1932 et 1936, sa toiture caractéristique, avec ses deux décrochements, ne laisse aucun doute. C’est la dernière photographie connue. Sa situation n’a rien de très enviable, elle est environnée de bâtiments industriels et le « jardin rempli de rosiers » n’est probablement plus qu’un souvenir.
Industrialisation du quartier, vue aérienne 1932, IGN et Cadastre 1936, archives municipales de Boulogne-Billancourt.
Sous les bombardements alliés de 1943
La guerre éclate. Un courrier daté de janvier 1943, conservé chez Renault Histoire, nous apprend que le 185 a été mis à la disposition d’un certain Guy Rappy, à titre gracieux, pour servir de centre d’accueil au « Groupement des Jeunes Gens de Boulogne-Billancourt ». Ils n’en ont profité que trois mois.
En effet, le 4 avril 1943, 88 bombardiers américains de la 8ème Air Force ont déversé 250 tonnes de bombes sur Billancourt en pleine journée. La cible était, bien sûr, l’usine Renault, passée sous commandement allemand, mais la villa a été touchée. On ne sait pas s’il y a eu des victimes dans les maisons jumelles.
La villa Toucy sous les bombardements de 1943- National Archives and Records Administration, College Park, Maryland, US Air Force Photo Collection, World War II Collection, RG 343-FH, Box 79.
Un courrier Renault du 7 juin informait l’ingénieur des Ponts et Chaussées que « les travaux de déblaiement […] ont été terminés le 31 mai 1943 ». L’auteur ajoutait « Nous estimons que ces immeubles doivent être totalement arasés, leur état à la suite du bombardement ne justifiant pas les dépenses de réparations que l’on serait amenées à engager ».
Coll. Renault Histoire.
La villa Toucy du jeune Hector Guimard disparaissait. Après quelques années, un atelier Renault a pris sa place.
Un palais omnisports ?
En 2014, on a détruit, sur cet ilot V nord, le grand parking Renault de quatre étages qui s’y trouvait. En 2023, le terrain est toujours en friche.
Le terrain en 2014. Photo Actarus.
La municipalité envisage la construction sur ce terrain de 7 000 m² d’une grande salle omnisports de 5 000 places pour 70 millions d’euros. Il hébergerait l’équipe de basket des Métropolitains 92. Le projet rencontre une forte opposition et des recours sont lancés. Les contre-projets ne manquent pas : halle de la gastronomie, parc ou mini-forêt urbaine. À suivre.
Localisation des villas disparues de Billancourt, © Le Village de Billancourt.
Alexis Monnerot-Dumaine
Notes
[1] Hector Guimard, Georges Vigne, Felipe Ferré, éditions Charles Moreau, Ferré-Éditions, Paris, 2003.
[2] Guimard perdu, histoire d’une méprise, Jean-Pierre Lyonnet, Bruno Dupont, Laurent Sully Jaulmes, éditions Alternatives, Paris, 2003.
[3] Cf. note 2.
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