Dans la mesure où ses projets visaient à une décoration globale, Guimard s’est intéressé aux revêtements de sols, qu’il s’agisse de tapis ou de moquettes. Dès l’époque du Castel Béranger (1895-1898), il a fait exécuter plusieurs grands tapis par un fabricant dont le nom n’est pas encore connu avec certitude. La seule allusion bibliographique à ces tapis que nous connaissions est la planche de frontispice du portfolio du Castel Béranger publié à la fin de l’année[1] 1898 et sa légende (dans la table des planches) : « TITRE — composition pour tapis ».

Planche de frontispice du portfolio du Castel Béranger, ETH-Bibliotheck Zürich.
En fait, leur dessin ne reprend qu’une partie de celui du frontispice : le coin inférieur gauche, reproduit par symétrie aux trois autres coins, ainsi que le motif central de la bordure inférieure, reproduit par symétrie à la bordure supérieure. Il est évidemment possible que Guimard ait au contraire enrichi et complexifié un carton initial de tapis pour composer le dessin du frontispice.
Ces tapis en laine qui sont très probablement les premiers modèles de style art nouveau à être apparus en France sont très rares. Ils n’étaient évidemment pas destinés aux locataires du Castel Béranger qui n’en avaient ni les moyens, ni la place dans des pièces aux dimensions assez modestes, mais à une clientèle d’amateurs fortunés. Deux d’entre eux ont été vendus sur le marché de l’art ces dix dernières années. L’un est de plus grandes dimensions : 4 m x 6 m.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 4 m, long. 6 m. Vente Sotheby’s Paris 24/11/2015, laine à points noués.
L’autre, plus petit, mesurant 3,45 m x 4,93 m, est une réduction du premier.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 3,45 m, long. 4,93 m. Vente Bonhams New York, 19/12/2024, lot 3w, laine à points noués. Coll. Hector Guimard Diffusion.
Ce dernier est arrivé récemment des États-Unis où il a été acquis par notre partenaire Hector Guimard Diffusion. Son état est bon mais des restaurations sont nécessaires sur plusieurs points.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 3,45 m, long. 4,93 m. Vente Bonhams New York, 19/12/2024, lot 3w, laine à points noués. Coll. Hector Guimard Diffusion. Photo F. D.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 3,45 m, long. 4,93 m. Vente Bonhams New York, 19/12/2024, lot 3w, laine à points noués. Coll. Hector Guimard Diffusion. Photo Bonhams NY.
Ces deux tapis sont en laine à points noués avec une coupe rase. Leur fond rouge orangé est encadré par des bordures jaune, orange clair et bleu pâle.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 3,45 m, long. 4,93 m. Vente Bonhams New York, 19/12/2024, lot 3w, laine à points noués. Coll. Hector Guimard Diffusion. Photo Bonhams NY.
Le revers de ces tapis montre clairement la technique utilisée. L’effet de « pixellisation », due à l‘épaisseur des points, s’accommode difficilement des courbes de Guimard, mais il est atténué par les grandes dimensions de ces tapis.

Tapis par Guimard, fabricant inconnu, larg. 4 m, long. 6 m. Vente Sotheby’s Paris 24/11/2015, laine à points noués, restauration par Rugs & Tapestries, Padoue.
Aucun de ces deux exemplaires ne porte de mention du fabricant, mais il est possible qu’il s’agisse de la maison Honoré Frères, à Tourcoing, à qui la réalisation des tapis des trois escaliers du Castel Béranger[2] a été confiée en 1897. Leur aspect est connu par leur reproduction dans le portfolio du Castel Béranger où Guimard en a donné deux versions de coloration, l’une pour l’escalier du bâtiment sur rue (pl. 29), l’autre pour l’escalier du bâtiment sur cour (pl. 28). Sur ces reproductions colorisées, l’aspect de la surface est également compatible avec celle de tapis en laine à points noués. Étant donné leur largeur réduite et la finesse des motifs, leurs points étaient nécessairement de petite taille.

À gauche, tapis de l’escalier du bâtiment sur rue ; à droite tapis de l’escalier du bâtiment sur cour. Photomontage à partir des planches 28 et 29 du portfolio du Castel Béranger. Coll. Part.
Sur une même feuille de papier conservée dans le fonds Guimard déposé au musée d’Orsay, figurent deux dessins pour ces tapis, symétriques entre eux, avec la mention « Remis au Fabricant le 29 Mars 97 P. Honoré frères » ainsi qu’une signature simplifiée de Guimard.

Dessins pour les tapis des escaliers du Castel Béranger, mine graphite sur papier fort, haut. 0,342 m, larg. 0,244 m, mention au crayon : « Remis au Fabricant/le 29 Mars 97/P. Honoré frères » signature de Guimard. Don Association d’étude et de défense de l’architecture et des arts décoratifs du XXe siècle, 1995, GP 240, musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)/Jean-Gilles Berizzi.
Mais il ne s’agit pas exactement du dessin des tapis reproduits dans le portfolio du Castel Béranger. Si nous isolons l’un des deux dessins, par exemple celui de droite, et que nous considérons l’une des deux bordures, on s’aperçoit que pour dessiner la bordure opposée, Guimard lui a fait effectuer une rotation à 180 °

Moitié droite du dessin pour les tapis des escaliers du Castel Béranger, GP 240, musée d’Orsay. Les motifs centraux ont été effacés.
Alors que pour obtenir le dessin des tapis tels qu’ils ont en fait été exécutés, il a dupliqué l’une des deux bordures par symétrie sur un axe vertical.

Photomontage sur la moitié droite du dessin pour les tapis des escaliers du Castel Béranger, GP 240, musée d’Orsay. Les motifs centraux ont été effacés.
Pour ces tapis d’escalier du Castel Béranger, Guimard a poussé le souci du détail jusqu’à la création d’un modèle original de pitons fixant les barres dont nous possédons plusieurs exemplaires.

Pitons des barres des tapis d’escalier du Castel Béranger. Coll. Part. Photo F. D.
Lors des restaurations effectuées en 2000, les tapis des escaliers ont été restitués de façon approximative et avec une couleur fautive pour l’escalier du hall du bâtiment sur rue.

État actuel après restaurations de l’escalier du hall du bâtiment sur rue du Castel Béranger. Photo F. D.
De même qu’il l’avait fait dans d’autres domaines, dans une volonté de diffuser ses créations et d’en abaisser le coût, Guimard a désiré faire éditer ses créations de tapis. Il s’est alors adressé à la Maison Parlant & Biron, représentée à Paris au 13 rue Poissonnière. Nous avions remarqué depuis longtemps que cette dernière société était également originaire de Tourcoing, mais ce n’est que très récemment que nous avons pu établir avec certitude que Parlant & Biron était bien le successeur de la maison Honoré Frère grâce à l’acquisition d’une lettre de change de la société Gaston Honoré, datée du 31 mars 1911 et portant la surcharge « PARLANT & BIRON, Sucrs ». Le fait que cette succession soit mentionnée par une surcharge tamponnée indique qu’en mars 1911 elle était suffisamment récente pour que des documents mis à jour n’aient pas encore été imprimés. Ce document nous permet également de savoir que Gaston Honoré succédait lui-même à la « Maison V. Straub, Ch. Gérardin, Honoré Frères, réunies »[3].

Lettre de change de la société Gaston Honoré, Parlant & Biron successeurs, datée du 31 mars 1911. Coll. part.
Guimard a donc obtenu l’édition de ses modèles sur catalogue. Celui qui est conservé à la Bibliothèque des Art Décoratifs ne comprend que quatre planches non numérotées dont tous les modèles sont de Guimard. Dans la mesure où il s’agit d’un don de sa veuve, on peut penser que les autres planches du catalogue en ont été ôtées de façon à simplement documenter l’œuvre de l’architecte.

Couverture d’un catalogue Parlant & Biron, non daté. Bibliothèque des Art décoratifs. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Six modèles pour Parlant & Biron sont présentés sous la forme de tapis de largeur fixe 70 cm et vendus au mètre linéaire en trois qualités avec un prix de 7, 8 et 9 F-or. La matière utilisée et le type de tissage ne sont pas précisés.

Planche d’un catalogue Parlant & Biron, non daté. Bibliothèque des Arts décoratifs, modèles 13.663 – 9.359 ; 13.663 – 9.361 ; 3.366 – 9.341. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes. Le modèle du Castel Béranger est à droite.
On remarque que le modèle présenté du côté droit de cette planche semble être celui des escaliers du Castel Béranger, reproduit en camaïeu de gris avec une meilleure netteté que sur les deux planches du portfolio. Mais en fait, il s’agit cette fois du dessin d’origine (GP 240), avec ses bordures asymétriques.

Photomontage du modèle 3.366 – 9.341 d’une planche d’un catalogue Parlant & Biron et d’une partie du dessin GP 240.
Pour l’autre modèle de cette planche présenté en deux colorations, il existe deux études aquarellées de Guimard dans le fonds de documents donné par Adeline Oppenheim Guimard à la Bibliothèque des Arts décoratifs en 1948.

Projet pour un tapis, non signé, non daté, aquarelle sur papier, Bibliothèque des Arts décoratifs, Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Sur une seconde planche du catalogue Parlant & Biron, un troisième modèle est décliné en trois couleurs. De même que pour les deux modèles présentés ci-dessus, ses bordures nettement accentuées le désignent comme un tapis d’escalier ou un tapis de passage pour un couloir.

Planche d’un catalogue Parlant & Biron, non daté. Bibliothèque des Arts décoratifs, modèles 13.659 – 9.350 ; 13.659 – 9.351 ; 13.659 – 9.352. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Au contraire, les trois autres modèles présents sur les deux autres planches ne présentent pas de bordures et sont conçus de façon à se raccorder (comme un papier peint) pour pouvoir, par juxtaposition, couvrir de grandes surfaces et jouer le rôle d’une moquette.

Planche d’un catalogue Parlant & Biron, non daté. Bibliothèque des Arts décoratifs, modèles 13.664 – 9.396 ; 13.664 – 9.462 ; 13.653 – 9.391. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.

Planche d’un catalogue Parlant & Biron, non daté. Bibliothèque des Art décoratifs, modèles 13.672 – 9.576 ; 13.672 – 9.578 ; 13.672 – 9.807. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Il nous semble intéressant de nous pencher sur les numéros de référence de ces six modèles et de leurs variantes :
3.366 – 9.341 pour le modèle du Castel Béranger.
13.663 – 9.359 et 13.663 – 9.361 pour le modèle à bordures présent sur la même planche.
13.659 – 9.350 ; 13.659 – 9.351 ; 13.659 – 9.352 pour un modèle à bordures sur une seconde planche.
13.664 – 9.396 et 13.664 – 9.462 pour un modèle à raccord sur une troisième planche.
13.653 – 9.391 pour un modèle à raccord sur cette troisième planche.
13.672 – 9.576 ; 13.672 – 9.578 et 13.672 – 9.807 pour un modèle à raccord sur une quatrième planche.
Les quatre derniers chiffres après le tiret différencient les variantes de couleurs de modèles identiques. Nous ne connaissons pas la signification du chiffre 9. Quant aux groupes de chiffres avant le tiret, ils désignent les modèles. De plus, nous émettons l’hypothèse suivante : le ou les chiffres avant le point pourraient désigner l’année d’entrée du modèle dans le catalogue du fabricant (Honoré Frères, puis Gaston Honoré, puis Parlant & Biron). Ainsi, le modèle du Castel Béranger (3.366) serait entré en 1903 et tous les autres modèles seraient entrés en 1913, c’est à dire au moment où Guimard aménageait son hôtel particulier. Nous aurions ainsi une plage temporelle de seize ans (de 1897 à 1913) de collaboration entre Guimard et le fabricant. Gardons à l’esprit que cette date de 1913 n’est pas nécessairement celle de la création de ces cinq modèles et que Guimard a pu disposer de leur production avant qu’elle ne soit éditée sur catalogue.
Plusieurs photographies montrent l’utilisation de ces tapis par Guimard. L’une d’elles, non datée, est probablement une vue prise au sein des ateliers de Guimard. On y voit clairement le tapis à bordure 13.659 et plus difficilement, sous le bureau et la chaise, le tapis à raccord 13.653.

Probable aménagement au sein des ateliers de Guimard (détail) avec les tapis 13.659 et 13.653, tirage ancien sur papier, non daté. Don Adeline Guimard-Oppenheim, 1948. Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Des morceaux du même tapis à raccord 13.653 apparaissent aussi sur d’autres photographies prises dans des conditions similaires.

Probable aménagement au sein des ateliers de Guimard avec le tapis 13.653, tirage ancien sur papier, non daté. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Enfin, deux de ces modèles de tapis à raccord apparaissent sur les photographies prises au sein de l’hôtel Guimard : à nouveau le 13.653, utilisé en moquette pour la chambre.

Détail d’un cliché de la chambre à coucher de l’hôtel Guimard, détail avec le tapis 13.653, tirage ancien sur papier, c. 1913. Coll. Part.
Et le 13.672, utilisé en moquette pour la salle à manger.

Détail d’un cliché de la salle à manger de l’hôtel Guimard, détail avec le tapis 13.672, tirage ancien sur papier, c. 1913. Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Archives de Paris 3115W 10.
Parallèlement à cette diffusion à visée industrielle, Guimard a continué à concevoir des grands tapis. Nous en avons l’écho par une esquisse aquarellée au dessin particulièrement riche, voire suggestif. Non datée, mais pouvant être située à partir de 1903, elle est conservée à la Bibliothèque des Arts décoratifs.

Projet pour un tapis, non signé, non daté, aquarelle sur papier, Bibliothèque des Arts décoratifs, Don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
On voit donc que les tapis et moquettes de Guimard ont suivi son évolution stylistique avec des modèles qui, pour certains, pouvaient parfaitement être intégrés sans heurt dans des intérieurs modernes.
Frédéric Descouturelle avec la collaboration d’Olivier Pons
Notes
[1] Guimard, Hector, L’Art dans l’habitation moderne/Le Castel Béranger, Paris, Librairie Rouam, 1898.
[2] Leur nom figure dans la liste des fournisseurs placée en tête du portfolio : « HONORÉ FRÈRES — Tapis. ».
[3] La société Honoré frères portait ce nom depuis que Gaston et Lodois Honoré avaient pris la tête de l’entreprise en avril 1893. Gaston avait continué seul après que son frère lui ait cédé toutes ses parts en septembre 1904.
Notre ami Paul Smith, historien très connu dans le domaine de l’archéologie industrielle de l’époque moderne, fait partie du Conseil d’Administration du Cercle Guimard. Nous l’avons sollicité pour republier sur notre site son article paru en 2023 dans les Cahiers d’histoire de l’aluminium. Cette recherche met en lumière un matériau qui était alors peu utilisé dans l’art décoratif pour l’un des rares décors de style art nouveau anglais.
L’église paroissiale dédiée à Sainte Marie la Vierge, située dans le village de Great Warley dans le comté d’Essex, est célèbre en Angleterre pour sa somptueuse décoration intérieure, une œuvre d’art « totale » réalisée au début du XXe siècle par le peintre et sculpteur William Reynolds-Stevens (1862-1943). En raison de deux des matériaux employés dans cette décoration, elle est connue localement comme the pearl church, l’église au nacre, ou encore the aluminium church, l’église à l’aluminium. Mais levons de suite toute ambiguïté : à Great Warley, l’aluminium n’est utilisé qu’à des fins décoratives et ne joue aucun rôle structurel.

Saint Mary the Virgin, Great Warley, Essex, Angleterre. Photo Paul Smith.
Pour sa conception d’origine et pour son excellent état de conservation (hormis un vol, en 1974, de deux candélabres en laiton), l’église est considérée aujourd’hui comme l’un des exemples les plus remarquables des églises du mouvement Arts & Crafts au Royaume-Uni[1]. Ses qualités décoratives sont appréciées dès leur création, notamment dans un article paru sous le titre « une réalisation décorative notable », en février 1905 dans The Studio[2],périodique très influent sur le plan international.

The Studio, février 1905.
En 1954, Nikolaus Pevsner, dans le volume sur Essex de sa collection Buildings of England, décrit la décoration intérieure de l’église comme « une orgie de la variété Arts & Crafts du mouvement international de l’Art Nouveau ». Dès 1976, l’église est listée à grade 1, la protection la plus élevée du système anglais, réservée aux bâtiments d’un intérêt exceptionnel[3]. Le lych gate sur la rue, le porche d’entrée de l’enclos de l’église avec son cimetière, est listé grade II* en 1993[4]. L’édifice, et sa décoration, font l’objet d’un très bon article par l’historienne de l’art Wendy Hitchmough dans une collection d’essais intitulé Architecture 1900, publiée en 1998[5], d’un mémoire en histoire de l’art pour un MA à l’Open University en 2009[6] et d’une analyse, bien illustrée, par l’historienne Jacqueline Bannerjee sur le site The Victorian Web. L’église est active et des offices y sont célébrés chaque dimanche[7] ; en semaine, des visites sont possibles en compagnie d’un des marguillers[8]. Deux livrets de présentation et des cartes postales sont en vente sur place[9].

H. R. Wilkins, guide de l’église, 1976.
Le maître d’ouvrage
L’église est construite à partir de 1902 à l’initiative d’Evelyn Heseltine (1850-1930). C’est son épouse, Emily Henrietta, née Hull, qui pose la première pierre du bâtiment lors d’un office célébré le samedi 5 juillet, qui, avec jeux, thé et feux d’artifice, fête par la même occasion le couronnement du roi Edward VII. En compagnie de deux de ses frères, Evelyn Heseltine était l’un des principaux partenaires dans une firme d’agents de change, Heseltine, Powell et compagnie, fondée en 1848 et active à la bourse de Londres. Cette firme s’était spécialisée dans le courtage des actions et obligations émises pour les chemins de fer nord-américains.

Evelyn Heseltine (1850-1930)
H. R. Wilkins, Guide, p. 44.
Fortune en cours d’être faite, et sans renoncer à sa résidence londonienne au 48 Upper Grosvenor Street dans le quartier de Mayfair, Heseltine s’installe en 1875, au lendemain son mariage, dans une modeste maison de ferme à Great Warley, village rural situé à quelques kilomètres de la ville de Brentwood[10]. Celle-ci compte alors 5 000 habitants et sa gare, ouverte en 1843, n’est qu’à une demi-heure environ de celle Liverpool Street à Londres, près de la City. Vers 1880, Heseltine fait appel à l’architecte Ralph Nevill (1845-1917), élève de George Gilbert Scott (1839-1897), pour transformer la maison primitive en opulent manoir, dans un style historicisant diversement qualifié de « mock-Tudor », « stockbroker Tudor » « tudorbethan » ou « old England ». Un bâtiment annexe, qui porte la date de 1884, abrite écuries et remises. Baptisé « The Goldings », Heseltine y mène une vie de gentleman-farmer, d’un squire épris de chasse et de sports en plein air comme le cricket, le tennis et le golf, avec billards et ping-pong en hiver.

The Goldings, Great Warley, Ralph Nevill architecte, 1884 (actuellement hôtel de voyageurs). Photo Paul Smith.
C’est un membre fidèle de l’église anglicane et un bienfaiteur du voisinage, construisant des logements pour son personnel de maison et ses ouvriers agricoles.

Personnel du domaine et des fermes d’Evelyn Heseltine, vers 1910 D.R.
De 1907 à 1928, il préside le conseil des gouverneurs de l’école de Brentwood – Sir Antony Browne’s School for Boys – qu’il dote de grands terrains de sport, d’un sanatorium et d’une piscine à ciel ouvert[11].
Vers la fin du XIXe siècle, la vieille église paroissiale de Great Warley, à l’écart vers le sud du village dont le développement le rapprochait de Brentwood, au nord, se trouve dans un état d’abandon et de délabrement. En 1901, Evelyn Heseltine fait don d’un terrain et d’une somme – considérable – de cinq mille livres pour la construction d’une nouvelle église, à 300 mètres environ au sud de son propre domaine. Cette église est dédiée à la mémoire de son frère Arnold, avocat à Londres, décédé en 1897, frère duquel il était apparemment très proche : de deux ans son cadet, Arnold s’était marié, en premières noces, avec la sœur de sa propre épouse.
L’architecte
L’architecte de l’église, ainsi que du lych gate construit en bois de chêne sur des murets massifs en pierre, est Charles Harrison Townsend (1851-1928).

Charles Harrison Townsend (1851-1928), Victoria and Albert Museum.
À la demande de Heseltine, pour le dessin général du bâtiment, Townsend se laisse inspirer par l’église de Saint-Peter’s à Hascombe dans le Surrey, construite de 1862 à 1864 par Henry Woodyer (1816-1896), disciple d’Auguste Pugin (1812-1852) et « gentleman-architect » de très nombreuses églises néo-gothiques[12]. Heseltine avait passé une partie de sa jeunesse à Godalming, tout près du village de Hascombe, dont il aurait fréquenté l’église à l’époque où il rencontre sa future femme et son jeune frère Arnold, la sienne. À Great Warley, l’architecture extérieure de l’église est « modestement jolie », dans l’expression de Pevsner, caractérisé par son revêtement crépi et ses contreforts « à la Voysey », semblables c’est-à-dire à un élément typique des maisons de campagne dessinées par C.F. Annesley Voysey (1857-1941), ami de Townsend et membre, comme lui, du Art Workers’ Guild. En plan, les parties de l’église qui se projettent en transept sont une chapelle, au sud, et, au nord, la chambre à orgue et la sacristie. Le petit beffroi revêtu de bardeaux et le porche sur la façade sud, sous son toit à charpente en bois, sont d’inspiration régionale, « Essex style », pour citer la description officielle du listing. L’abside arrondie à l’est serait moins vernaculaire.
D’après les plans de 1902 conservés par le Royal Institute of British Architects[13], Townsend reprend du modèle de l’église à Hascombe un « squint » ou hagioscope, une ouverture oblique donnant aux fidèles assis dans la chapelle au sud, c’est-à-dire Evelyn Heseltine et sa famille, une vue directe sur l’autel et sur l’élévation de l’hostie. Mais en fin de compte, ce dispositif n’a pas été réalisé dans l’église à Great Warley telle qu’elle a été construite. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la chapelle est transformée en mémorial.
L’architecte, Townsend, est assez bien connu en Angleterre, dument catalogué comme l’un des « pionniers du mouvement moderne » pour sa « répudiation insouciante de tradition[14] ». Il est considéré parfois comme le seul architecte anglais qui ait pratiqué l’Art nouveau[15], ou ce qu’on appelle parfois British Modern Style, une sorte de Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) anglais. Cette réputation est fondée essentiellement sur trois réalisations à Londres, dont les deux dernières ne sont que très récemment achevées lorsque Townsend, âgé alors de 50 ans, s’attèle en 1901 au dessin de l’église de Saint Mary. Il s’agit d’abord du Bishopgate’s Institute, un centre culturel indépendant fondé en 1895 dans la City, construit entre la gare de Liverpool Street et le marché de Spitalfields.

Bishopsgate Institute, Londres, architecte Charles Harrison Townsend, 1895. Photo Paul Smith.
Vient ensuite, inauguré le 30 juin 1901, le bâtiment conçu pour le Horniman Free Museum, situé à Forest Hill au sud de Londres. Ce musée est constitué d’une collection assez joyeusement hétéroclite d’animaux empaillés, d’objets ethnologiques et d’instruments de musique rassemblée par Frederick John Horniman (1835-1906), homme d’affaires dont la famille avait fait fortune dans le commerce du thé. En 1901, il fait don du musée, de ses collections et des six hectares de ses jardins à la Ville de Londres, pour « le divertissement, l’instruction et le plaisir » de la population.

Horniman Museum, Forest Hill, Londres, architecte Charles Harrison Townsend, 1901. Photo Paul Smith.
Le troisième édifice célèbre dessiné par Townsend, inauguré également en 1901, le 12 mars, est le Whitechapel Art Gallery, dans l’East End de Londres, dans un quartier déshérité connu à l’époque pour ses populations immigrées irlandaise et juive, plus tard bangladeshie. La façade de la galerie est caractérisée par la grande arche d’entrée en plein cintre, placée asymétriquement et surmontée d’un mur aveugle comme un écran, encadré de deux tourelles décorées de panneaux en terre cuite au décor de feuillages. Une frise en mosaïque de Walter Crane (1845-1915), à l’instar de celle de Robert Anning Bell (1863-1933) sur la façade du Horniman, devait y prendre place, mais n’a pas été réalisée.

Whitechapel Art Gallery, Londres, architecte Charles Harrison Townsend, 1901. Photo Paul Smith.
On peut être frappé par le fait que ces trois projets sont situés dans des quartiers défavorisés de la capitale et ont tous les trois des programmes philanthropiques d’offrir au peuple de Londres des ressources d’enseignement et d’appréciation d’art. La galerie de Whitechapel tourne le dos au modèle traditionnel qui faisait des musées et des galeries d’art des temples. L’entrée, située sur la grande rue commerçante du quartier, donne accès de plain-pied aux salles d’exposition. La charpente métallique de la salle supérieure permet un bon éclairage zénithal, mais, dès l’origine, les salles d’exposition sont éclairées à l’électricité afin de rester ouvertes le soir, après la journée de travail[16].
Bien moins idiosyncratique que ces trois bâtiments à Londres qui fondent sa réputation, l’architecture de Townsend à Great Warley est délibérément discrète et simple, un « exercice en humilité[17]» au service de la décoration à l’intérieure.

Church, Great Warley, contract drawing, élévations, Charles Harrison Townsend, 1902, Royal Institute of British Architects, PA 901/3.

Church, Great Warley, contract drawing, plan, Charles Harrison Townsend, 1902, Royal Institute of British Architects, PA 901/3.
Comme s’il cherchait à répondre par avance aux accusations d’un manque d’originalité dans la conception de l’église, il fait une conférence, le 8 février 1902, lors de la réunion bimensuelle de l’Architectural Association, dans laquelle, sous la forme de conseils à de jeunes architectes, il leur dit de ne pas vouloir d’être original à tout prix, car ils n’y réussiront pas :
« Si votre travail porte votre marque, quelle autre originalité doit-il avoir, peut-il avoir ? Mais cette qualité doit venir toute seule. Elle ne doit pas résulter d’une tentative de faire ce que d’autres hommes n’ont jamais fait auparavant, elle doit venir de votre désir de faire votre travail ainsi, car cela vous semble être la meilleure solution au problème auquel vous êtes confronté. Et, étant arrivé à cette solution – la vôtre – vous l’acceptez ou, au contraire, vous la répudiez mais pas pour la simple raison que d’autres sont arrivés à la même solution avant vous[18]. »
Ainsi, et à quelques détails près, en passant par le lych gate pour découvrir l’église entre les arbres, on peut presque croire qu’on est devant une petite église ou chapelle traditionnelle du pays. Mais les détails en question – la colombe dorée, au sommet de la flèche, avec une branche d’olivier dans le bec ou encore les cuvettes en fonte en tête des tuyaux de descente des eaux pluviales, avec leur décor végétal très Art Nouveau – ne permettent pas de se tromper quant à l’époque de construction de l’église, et s’avèrent, en fait, être des créations non pas de l’architecte mais du décorateur.

Colombe dorée au sommet de la flèche de l’église, dessinée par William Reynolds-Stevens. Photo Paul Smith.

Cuvette en fonte en tête des tuyaux de descente des eaux pluviales, dessinée par William Reynolds-Stevens. Photo Paul Smith
Le décorateur
La décoration de l’église est conçue et exécutée par le peintre-sculpteur-décorateur William Reynolds-Stevens (1862-1943), artiste très polyvalent mais moins connu que l’architecte. L’intérieur de Saint Mary représente son seul ensemble décoratif conservé intact. Il est né, de parents britanniques, à Detroit, Michigan, en 1862 mais revient en Angleterre où il est formé d’abord comme ingénieur, avant de se tourner vers les beaux-arts et de suivre des cours, de 1885 à 1887, aux Royal Academy Schools. Mais sa formation initiale aide peut-être à expliquer les compétences dont il fait preuve dans le travail de matériaux très variés et surtout des métaux. Membre comme Townsend du Art Workers’ Guild, il y fait des conférences en 1890 sur « le décapage, coloriage et laquage des métaux » et, en 1910, sur « la fonte du bronze »[19]. Ses tableaux connus, comme Interlude, publié dans The Studio en 1899[20], sont post-préraphaélites, assez proches des compositions-péplum de Lawrence Alma-Tadema (1836-1912), pour qui il a travaillé[21]. Mais, à partir de 1894, Reynolds-Stevens renonce à la peinture pour se consacrer à la sculpture et à la décoration.

Interlude, tableau de William Reynolds-Stevens, 1891, publié dans The Studio en mars 1899/
Entre 1897 et 1903, il reçoit plusieurs commissions de la part d’un agent de change de Londres, William Vivian, notamment pour redessiner le salon de sa maison au 185 Queen’s Gate, South Kensington, construite en 1891 par l’architecte Norman Shaw (1831-1912)[22]. Le nouveau salon est conçu par Reynolds-Stevens pour mettre en valeur la collection de tableaux du propriétaire[23]. Dans la même rue, au 196 Queen’s Gate, une autre maison dessinée par Norman Shaw, en 1875[24], est la résidence à cette époque du frère ainé d’Evelyn Heseltine, John Postle Heseltine (1843-1929), membre de la même firme d’agents de change, ami de William Vivian et, par ailleurs, graveur, collectionneur d’art et l’un des administrateurs du National Gallery. C’est sans doute grâce à une introduction par ce frère aîné qu’Evelyn Heseltine découvre le travail décoratif de William Reynolds-Stevens au moment même où il réfléchit à la conception d’une église dédiée à la mémoire de son frère cadet. Dès le mois de juin 1901, Evelyn et son épouse rendent visite à Reynolds-Stevens dans sa maison dans le quartier de Saint John’s Wood à l’ouest de Londres, maison avec un studio dessiné par Voysey.
Intitulé « une réussite décorative notable par W. Reynolds-Stevens », l’article publié dans The Studio en février 1905 par Alfred Lys Baldry insiste sur le fait que, contrairement à l’habitude qui fait appel au décorateur après coup, une fois que l’architecte ait terminé son travail, à Great Warley cet ordre était inversé, la conception allait, en quelque sorte, de l’intérieur vers l’extérieur.
« Le donateur a placé entre les mains de Monsieur Reynolds-Stevens la responsabilité du projet, et en a fait le conseiller général avec des pouvoirs étendus de contrôle. À Monsieur Harrison Townsend, ensuite, a été confié la tâche de dessiner le bâtiment […] Celui-ci offre un cadre absolument approprié pour l’ornementation complexe qu’il enchâsse. »

The Studio, février 1905, vue générale de l’église.

Intérieur de l’église, vue vers l’est, le chœur et l’abside. Photo John Salmon, The Victorian Web.
L’article félicite le décorateur et l’architecte pour le respect que chacun montre pour le rôle de l’autre. Il est généreusement illustré mais ne retient que les contributions de Reynolds-Stevens, sans aucun plan de l’église ni image de son extérieur.
La conception décorative de l’intérieur de l’église, on l’a dit, est une œuvre d’art totale, une création cohérente libérée des confins du canevas ou de l’objet sculpté unique. Donnant d’abord une impression d’« élégance calme et reposant[25] », elle est riche en détails symboliques liés à l’espoir de la résurrection : fleurs de pavot, associées au sommeil et à la mort, mais encadrant un papillon, symbole, justement, de résurrection ; troncs ou branches d’arbres entremêlés par trois, la Trinité ; fleurs de lis, associées à la Vierge mais qui expriment également l’espoir qui renaît à Pâques au moment de la recrudescence florale ; vignes et raisins rouges symbolisant l’Eucharistie ; et six anges sur le jubé affichant les fruits de l’Esprit[26] : la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité… Le lych gate se revêt aussi, peut-être, d’un sens symbolique : le mot lych dérive du saxon pour cadavre et l’édicule, destiné à abriter celui-ci dans l’attente du prêtre, s’appelle parfois un « resurrection gate ».

Great Warley, Saint Mary the Virgin, le Lych Gate. Photo Paul Smith.
De nos jours, le message symbolique véhiculé par ces détails est sans doute moins immédiatement compréhensible, mais, à l’époque aussi, on ne pensait pas inutile de fournir quelques éléments d’interprétation. Lors de la consécration de l’église, en juin 1904, chaque paroissien reçoit ainsi un « mémorandum[27] » pour expliquer les intentions d’Evelyn Heseltine et de son décorateur : « l’objet principal est de conduire les pensées des fidèles à travers les décorations vers le Christ glorifié et ressuscité dont la forme, au centre du retable, sera la clef de voûte de l’ensemble. » Le Christ en question, cheveux longs et barbe à la Durer, est fabriqué en argent oxydé sur cuivre et porte un plastron décoré de nacre. Il foule au pied le serpent du Mal et lève la main droite en bénédiction, un peu comme s’il disait bonjour à un copain.
Conformément aux pratiques des Arts & Crafts, mais loin de toute idée de simplicité que ce mouvement pouvait incarner par ailleurs, la décoration de l’église n’hésite pas à juxtaposer des textures et des couleurs d’une palette très large de matériaux : la pierre calcaire claire qui entoure les baies et les arches qui séparent la nef de la chapelle, au sud, et du chœur, à l’est ; au sol, du granito ou, dans la chapelle, de la mosaïque noire et blanche ; le marbre blanc du font baptismal, les marbres ailleurs, noir, vert foncé et gris. Les bancs de l’église, (dessinés « moins excessivement[28] » par Townsend) sont en noyer américain, comme les lambris des murs de la nef, rehaussé de marqueterie en hêtre et ébène avec petites incrustations de nacre. Et, un peu partout, dans le décor, dans le bâti de l’orgue et dans le mobilier, des métaux ; fonte de fer, fer galvanisé, acier martelé, cuivre martelé, cuivre oxydé, laiton, bronze, bronze doré, étain, argent rhodié… et aluminium.

Vue vers la nef, à droite et la chapelle de la famille Heseltine, à gauche (sud), montrant les bandes en arc de la voûte. Photo Paul Smith.
Et l’aluminium dans tout cela ?
Le mouvement Art & Crafts, dans son rejet des produits industriels, accepte le fer forgé mais répudie la fonte et à l’acier, sortis d’usine. Quant à l’aluminium, il est difficile à imaginer des procédés de fabrication moins artisanaux que la production Hall-Héroult par électrolyse, mise en œuvre au Royaume-Uni, par la British Aluminium Company, dès 1896[29]. Mais Reynolds-Stevens ne semble pas avoir eu de préjugés à l’égard des origines industrielles des matériaux qu’il utilise. La fonte lui sert, comme on l’a vu, pour les cuvettes en haut des tuyaux de descente qui ornent les murs extérieurs de l’église au nord et au sud. Quant à l’aluminium, devenu alors, depuis une dizaine d’années seulement, un matériau relativement accessible, moins cher dorénavant que l’or ou l’argent, Reynolds-Stevens s’en sert déjà dans sa décoration du salon du 185 Queen’s Gate à Londres, que Heseltine visite en 1901. Au-dessus des tableaux, une frise en plâtre modelée en vignes et arbres fruitiers souligne le plafond qui est couvert en feuilles d’aluminium[30].
À Great Warley, l’aluminium est utilisé à deux endroits : sur six nervures ou bandes en arc qui ponctuent la voûte en berceau de la nef, et sur le plafond en demi-coupole de l’abside. Les nervures sont traitées en bas-relief avec des rosiers en fleurs (églantines) sortant de panneaux rectangulaires où émergent de leur bulbe trois lys en fleur.

Panneau avec trois lys en fleur, à la base d’une bande en arc. Photo Paul Smith.

Détail d’un panneau, traité en feuilles ou peinture d’aluminium. Photo Paul Smith.

Détail d’un panneau, signature de l’artiste-décorateur. Photo Paul Smith.

Le plafond de l’abside, derrière le Christ, déploie également un décor en bas-relief de vignes géométriquement stylisées et des grappes de raisins peintes en rouge vif.

Intérieur de l’église, le chœur avec le jubé. Photo John Salmon, The Victorian Web.

L’autel. Photo Paul Smith.

Couvrement de l’abside, traité en aluminium. Photo Paul Smith

Détail du décor en relief du plafond de l’abside. Photo Paul Smith.
L’article dans The Studio de 1905 précise que ces éléments sont revêtus d’aluminium argenté (« overlaid with silvery aluminium ») et suggère que la durabilité du matériau, l’assurance que ni le temps ni l’usure ne le rendront terne ou invisible, a conforté le choix de ce métal. L’information dans cet article n’empêche pas, par la suite, une confusion entre argent et aluminium : Pevsner, dans l’édition de 1954 de son guide, pense que les bandes et l’abside de l’église sont décorées en argent[31].
Il y a également une certaine confusion quant à la nature de l’aluminium appliqué aux surfaces en relief. Dans leur cadre de bois peint en vert, les panneaux des lis, qui portent la signature « W R-S 1903 », auraient été préfabriqués, en quelque sorte, dans le studio londonien du sculpteur, où, à cette époque, il est secondé par deux assistants et un apprenti[32]. Mais est-ce que la métallisation y est effectuée par l’application d’une poudre d’aluminium dissoute dans un solvant, c’est-à-dire une peinture d’aluminium, ou en feuilles très minces, par ce qu’on appelle parfois la dorure à l’aluminium ? Les deux techniques sont attestées[33], et peuvent même être associées. Le traitement de l’abside paraît plus clairement consister en feuilles d’aluminium. Noirci par la suie des cierges, ce plafond a été restauré en 1980 par Harold Lansdell.
Une recherche récente, financée par l’International Aluminium Institute et qui cherche à quantifier les avantages de l’usage du métal dans l’architecture, met l’église de Great Warley en valeur au début d’une sélection internationale de cinquante projets architecturaux, entre 1895 et 1986[34]. Les sites pionniers, d’après cette sélection, sont, dans l’ordre chronologique, l’église de Saint Edmund à Fenny Bentley, Derbyshire, où des panneaux peints en 1895 dans le plafond d’une chapelle familiale s’avèrent être en aluminium[35] ; ensuite l’église de San Gioaccino à Rome, où la structure en acier du dôme est revêtue en plaques d’aluminium d’environ 1,3 millimètres d’épaisseur, puis, en troisième place, notre église de Saint Mary à Great Warley où l’aluminium est le « matériau-clé » dans la décoration. Vient ensuite, en quatrième place, la célèbre caisse d’épargne de la poste à Vienne, achevée en 1906. Ce bâtiment, due au maître de l’Art Nouveau, Otto Wagner (1841-1918), est bien plus annonciateur de l’architecture moderne que l’œuvre décorative de Reynolds-Stevens. L’ancienne salle des caisses du bâtiment est transformée aujourd’hui en salle d’exposition et café, mais elle est encore en usage, comme la grande majorité des cinquante édifices sélectionnés par ce projet. La durabilité de l’aluminium, la première de ses nombreuses qualités, semble confirmée. Et, en effet, à Great Warley, l’aluminium continue à briller dans le sanctuaire, exprimant encore, cent vingt ans plus tard, l’hommage coûteux rendu par Evelyn Heseltine à son frère.
Paul Smith, historien
Notes
[1] Alec Hamilton, Arts & Crafts Churches, London, Lund Humphries, 2021, p. 202-204.
[2] Alfred Lys Baldry, “A notable decorative achievement by W. Reynolds-Stevens”, The Studio, February 1905, p. 3-15.
[3] Les listes pour l’Angleterre comprennent environ 9 000 bâtiments protégés à grade 1, soit 2,5% des bâtiments listés.
[4] Ce porche, avec des inscriptions taillées par Eric Gill (1882-1940), date de la construction de l’église et forme un ensemble avec elle. Mais, conformément au système anglais, il est listé séparément.
[5] Wendy Hitchmough, « Great Warley Church: architecture and sculpture, body and soul”, Peter Burman (dir.), Architecture 1900, Dorset, Donhead, 1998, p. 99-108.
[6] Margaret Mary Donovan, St. Mary the Virgin at Great Warley in Essex, the making of an Arts and Crafts church, mémoire soumis à l’Open University, 2009.
[7] https://stmarygreatwarley.weebly.com
[8] Mes remerciements ici à Stephen Brabner.
[9] H.R. Wilkins, Great Warley, A Digest of Church and Village History from 1247, Illustrated Guide by A. W. Wellings, Great Warley, Church Council, 1976, revised 2005 ; Lawrence Miller, Great Warley Church Guide, Great Warley, Church Council, 1999.
[10] Le nom vient de « burnt wood », bois brûlé. Sa population actuelle est de 55 000 habitants.
[11] Où l’auteur de ce texte a appris à nager.
[12] James Bettley, Nikolaus Pevsner, The Buildings of England: Essex, London, Yale University Press, 2007, p. 429-431 ; sur Woodyer, voir le blog d’Edmund Harris, Dandified Gothic: the architecture of Henry Woodyer (1816-1896) – Less Eminent Victorians
[13] PA 901/3 (1-8).
[14] Nikolaus Pevsner, Pioneers of Modern design, from William Morris to Walter Gropius, Bath, Palazzo Editions, 2011, p. 133 (édition augmentee et illustrée de l’ouvrage de 1936, Pioneers of the Modern Movement).
[15] Stephan Tschudi Madsen, The Art Nouveau Style, A Comprehensive Guide with 246 Illustrations, New York, Dover Publications Inc., 2002, p. 280.
[16] Stephen Escritt, “Charles Harrison Townsend, the Whitechapel Gallery and the Enigma of English Art Nouveau”, Katrina Schwarz, Hannah Vaughan (dir.), Rises in the East, A Gallery in Whitechapel, London, Whitechapel Gallery Venture, 2009, p. 20-32.
[17] Wendy Hitchmough, art. cit.
[18] Charles Harrison Townsend, “’Originality’ in Architectural Design”, The Builder, Vol. LXXXII, 8 February 1902, p. 133-134.
[19] « Sir William Ernest Reynolds-Stevens VPRBS”, Mapping the Practice and Profession of Sculpture in Britain and Ireland 1851-1951, University of Glasgow History of Art and HATII, online database, 2011, consulté en septembre 2023.
[20] Alfred Lys Baldry, “The work of W. Reynolds-Stevens”, The Studio, Vol. 17, 1899, p. 74-84.
[21] En 1889, il réalise pour Alma Tadema un bas-relief d’après son tableau The Women of Amphissa. Ibidem.
[22] Les quatre maisons de ville construites par Norman Shaw dans Queen’s Gate sont analysées par Andrew Saint dans Richard Norman Shaw (Revised Edition), New Haven and London, Yale University Press, 2010.
[23] Cette maison est détruite pendant le blitz.
[24] Maison listée grade II en 1958.
[25] Alfred Lys Baldry, “A notable decorative achievement by W. Reynolds-Stevens”, art. cit.
[26] Galates, 5, 22.
[27] Rev. J. F. Tarleton, The Church of St. Mary the Virgin, Great Warley, Essex, Explanatory memorandum, 1904.
[28] James Bettley, Nikolaus Pevsner, op. cit.
[29] Andrew Perchard, Aluminiumville, Government and Global Business in the Scottish Highlands, Lancaster, 2012.
[30] Wendy Hitchmough, art. cit.
[31] Nikolaus Pevsner, The Buildings of England, Essex, London, Penguin Books, 1954, p. 196.
[32] « Sir William Ernest Reynolds-Stevens VPRBS”, Mapping the Practice and Profession of Sculpture in Britain and Ireland 1851-1951, base citée.
[33] Voir J. Bally, « L’aluminium métal décoratif » et « L’aluminium en architecture et décoration », Revue de l’aluminium, n° 7, avril 1925 et n° 22, décembre 1927.
[34] Michael Stacey (dir.), Aluminium and Durability, Towards Sustainable Cities, Nottingham, Cwningen Press, 2014 (en ligne).
[35] À Bordeaux, dans la cathédrale Saint-André, une mise en œuvre plus ancienne de la feuille d’aluminium, exécutée entre 1860 et 1874, a été découverte récemment : voir les articles de Marie-Pierre Etcheverry et Thierry Renaux dans les Cahiers de l’histoire de l’aluminium, 2021/1/n° 66 (en ligne).
Nous avons appris par le site de La Tribune de l’Art le décès de notre ami Georges Vigne survenu le 15 septembre à son domicile.

De gauche à droite : Nicolas Horiot, Jean-Pierre Lyonnet, M. le proviseur du lycée Michelet, Georges Vigne, Dominique Magdelaine, Haÿdée Martin, Frédéric Descouturelle. Photo prise devant le monument aux anciens élèves du lycée Michelet à Vanves morts pendant la Première Guerre mondiale, conçu par Hector Guimard et redécouvert en 2004 par le Cercle Guimard.
Georges, cofondateur de notre association en 2003, vice président et compagnon de route pendant plus de 15 années a participé activement à la vie de l’association. De nos AG à nos expositions dont celle entre autres — de 2006 et 2017 à l’hôtel Mezzara — il a toujours su nous apporter sa générosité, son érudition et ses pitreries en petit comité.

Debout de gauche à droite : Laurent Sully Jaulmes, Bruno Dupont, Dominique Magdelaine, Nicolas Horiot, Jean-Pierre Lyonnet, et à la fenêtre, Georges Vigne. Photo prise à l’été 2006 dans le jardin de l’hôtel Mezzara, à l’occasion de l’exposition « Le Style Guimard, Album d’un collectionneur » organisée par le Cercle Guimard.
À la suite de son dernier déménagement, Georges s’était un peu éloigné et avait souhaité prendre du recul vis-à-vis de l’agitation parisienne pour se recentrer sur ses désirs d’achèvement et de publication de travaux en cours consacrés à Jules Lavirotte, Xavier Schoellkopf ou Charles Plumet. Georges avait également profité de son départ en banlieue pour confier à notre association les archives de Ralph Culpeper que ce pionnier de la redécouverte de l’œuvre de Guimard lui avait transmises.

En 2005, sur le toit de la Villa Berthe de Guimard, au Vésinet.
Notre ami Georges nous a quittés, discrètement, il ne verra pas cet hôtel Mezzara transformé en musée Guimard dans lequel avait eu lieu en 1988 la présentation de l’ouvrage Hector Guimard Architecte, fruit de sa première collaboration avec le photographe Felipe Ferré. Outre ses notices, il y avait établi la première chronologie de l’architecte qui a servi de base pour nos recherches.

Une excursion à Nancy en septembre 2008
Chacun de nous gardera en mémoire ses qualités de travailleur méthodique et acharné, son intégrité, son sens du partage des découvertes ainsi que sa fantaisie.

De gauche à droite : Dominique Magdelaine, Frédéric Descouturelle, Georges Vigne, Marie-Claude Cherqui. Photo prise au musée Horta à Bruxelles en 2007, à l’occasion d’une exposition de cartes postales prêtées par Dominique Magdelaine.
Une page se tourne mais la mémoire de Georges ainsi que ses travaux resteront dans l’histoire de l’art et nous espérons que ses recherches en cours et ses archives ne seront pas perdues.
Pour ma part, cette nouvelle, après plus de trente années d’amitié personnelle et familiale et de complicité « guimardienne », me laissent abasourdi.
Georges, tu nous manques.
Dominique Magdelaine, vice président du Cercle Guimard

À Paris en 2009, prenant toujours des notes.
Tout au long de sa carrière d’architecte, Guimard a porté attention aux variétés de briques disponibles sur le marché. Dans cet article nous donnerons un aperçu de leur utilisation qui pourra être prolongé par des études plus complètes portant sur les matériaux de construction auxquels il a eu recours pour ses bâtiments.
De façon très approximative, rappelons qu’au Nord de la Loire, dans les régions favorisées en pierre calcaire, la brique d’argile cuite a été peu employée jusqu’à la Renaissance, période pendant laquelle, à l’imitation des constructions italiennes, elle est devenue, malgré son coût de production, un matériau recherché servant même à l’édification de châteaux du XVIe au XVIIe siècle. Elle a vu son coût de production baisser du XVIIIe au XIXe siècle à la faveur de son industrialisation progressive. Dès lors, son utilisation croissante pour des constructions économiques a eu pour corollaire sa chute dans l’échelle de valeur des matériaux et sa relégation au statut de matériau pauvre. C’est contre cette tendance qu’à partir de la seconde partie du XIXe siècle, la brique a été progressivement remise à l’honneur grâce à une production plus soignée. Une variété de tons a été obtenue par la composition des pâtes plus ou moins riches en oxyde fer, ou par colorisation ou encore par l’émaillage de ses faces. Cet élargissement de l’offre de production accompagnait naturellement le mouvement en faveur de la polychromie des façades urbaines initiée par Jacques-Ignace Hittorff (1792-1867) puis par Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879).
La brique de terre cuite
Guimard, influencé par Viollet-le-Duc et soucieux à la fois d’originalité et d’économie, s’est donc largement servi de la brique dès ses premières villas construites avant le Castel Béranger dans le XVIe arrondissement ou dans la banlieue de l’Ouest parisien. Il a essentiellement utilisé des briques de couleur rose-orangée et rouge, parfois ponctuées de briques émaillées.

Hôtel Roszé, 1891, 34 rue Boileau, Paris XVIe, Photo F. D.

Hôtel Jassedé, 1891, 41 rue Chardon-Lagache, Paris XVIe, Photo F. D.
Elles alternent avec de la meulière et de la pierre de taille, plus rare, choisie pour certains éléments clés des façades : chapiteaux, sommiers, corniches, etc. Le tout donnant un mélange de teintes qui, joint aux céramiques particulièrement colorées, renforce l’aspect pittoresque de ces demeures.
L’hôtel Delfau, d’allure plus aristocratique, se singularise par une façade presque monochrome employant majoritairement une brique de couleur jaune paille qui se confond avec celle de la pierre de taille utilisée pour l’avant-corps et sa grande lucarne. Guimard a volontairement limité la brique rouge à de simples assises qui soulignent les corniches, de même qu’il a restreint au seul bleu la couleur des céramiques architecturales.

Hôtel Delfau, 1894, 1 ter rue Molitor, Paris XVIe, Photo F. D.
L’arrivée de l’Art nouveau en 1895 a peu modifié ce choix de matériaux. Un bâtiment économique comme l’École du Sacré-Cœur comportait simplement une quantité moindre de pierre de taille moins sculptée que sur le Castel Béranger. Pour le Castel Henriette, les moellons en opus incertum ont remplacé la pierre meulière.

École du Sacré-Cœur, 1895, 9 avenue de la Frillière, Paris XVIe, Photo F. D.

Étages supérieurs de la façade sur rue du Castel Béranger, 1895-1898, 14 rue Jean-de-La- Fontaine, Paris XVIe. Photo F. D.

Détail de la façade sur cour du Castel Béranger, 1895-1898, 14 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe. Photo F. D.
Généralement, les briques reçoivent sur l’une de leur panneresses (les faces longues et étroites) la marque de la briqueterie, imprimée en creux. Pour l’instant, nous n’avons relevé que le logo « CB » sur les briques de l’hôtel Roszé et celui de la briqueterie de Chambly (dans l’Oise) sur celles du Castel Val. Il est possible que dans la plupart des cas, Guimard ait donné pour consigne à l’entrepreneur de cacher les marques en exposant la panneresse opposée.

Détail de la façade sur rue de l’hôtel Roszé, 1891, 34 rue Boileau, Paris XVIe. Photo F. D.

Détail de la façade du Castel Val, Auvers-sur-Oise (Val d’Oise), 1902-1903. Photo F. D.
Pour la salle de concert Humbert de Romans (1898-1901), grâce au plan d’attachement conservé dans le fonds Guimard au musée d’Orsay, nous connaissons avec précision les types de briques employés pour la maçonnerie. Une brique de Sannois (blanche) de première qualité a été utilisée pour la façade principale et le patronage. Elle a été doublée par une brique de Belleville, également de première qualité.
Pour le Castel Béranger, sur de plus petites surfaces en façade sur rue et dans la cour, Guimard a aussi utilisé des briques en terre cuite émaillées, d’une couleur passant insensiblement du bleu clair au beige.

Détail de la façade sur cour du Castel Béranger, 1895-1898, 14 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe, Photo F. D.
On peut penser qu’elles proviennent de la tuilerie Gilardoni & Brault car dans la liste des fournisseurs du Castel Béranger on trouve la mention de cette entreprise qui a par ailleurs fourni les céramiques émaillées artistiques posées en façade et certains rétrécissements de cheminées des appartements.

Hector Guimard, L’Art dans l’Habitation moderne/Le Castel Béranger (portfolio du Castel Béranger), liste des fournisseurs (détail), Librairie Rouam, 1898. Coll. Part.
On remarque que dans les tous cas où des briques de couleurs différentes ont été employées, Guimard n’a jamais créé de motifs alternant les couleurs comme on en voit sur quantités d’immeubles de cette époque, car ces dessins, nécessairement géométriques, auraient concurrencé ses propres décors. Pour créer des motifs courbes, il aurait fallu disposer de grandes surfaces planes et le résultat n’aurait pas forcément été heureux. Tout au plus s’est-il contenté de lits de couleurs différentes pour souligner des corniches ou pour simuler un sommier.

Détail de la façade sur la rue Lancret de l’immeuble Jassedé (1903-1905), Paris XVIe. Photo F. D.
Les appareillages employés sont peu nombreux. Il s’agit essentiellement de l’appareillage en panneresse et de l’appareillage à la flamande[1] qui fait alterner boutisses (la plus petite face) et panneresses sur chaque assise.
.

Appareils en panneresse et à la flamande. Dessins F. D.
Le petit calibre de la brique permet d’incurver aisément une paroi. Pourtant cette faculté n’a pas été tout de suite exploitée par Guimard qui, dans ses premiers bâtiments, s’en est tenu à des parois planes. Même quand il a cintré la travée centrale de la Villa Berthe au Vésinet (1895) ou l’oriel de La Bluette à Hermanville (1899), c’est à la pierre taillée — dont la mise en œuvre était plus coûteuse — qu’il a fait appel. Sans doute préférait-t-il alors que la surface plus douce de la pierre accompagne mieux le mouvement donné.

Façade principale de la Villa Berthe, Le Vésinet (Yvelines), 1896. Photo Nicolas Horiot.
Il faut attendre le Castel Henriette (1899) pour trouver quelques pans de briques cintrés. Pour la première fois, son plan a fait la part belle aux élévations courbes, mais ce sont alors essentiellement aux moellons en opus incertum qu’elles ont été confiées. Quelques années plus tard, le Castel Val à Auvers-sur-Oise (1902-1903) a été le plus bel exemple de façades cintrées utilisant la brique, un emploi que Guimard a réitéré peu après de façon plus discrète sur l’immeuble Jassedé, à l’angle de l’avenue de Versailles et de la rue Lancret (1903-1905).

Façade du premier étage du Castel Val, Auvers-sur-Oise (Val d’Oise), 1902-1903. Photo Nicolas Horiot.

Façade sur rue de l’immeuble Jassedé à l’angle de l’avenue de Versailles et de la rue Lancret, Paris XVIe, 1903-1905. Photo F. D.
La brique silico-calcaire
Vers 1904, Guimard a adopté la brique silico-calcaire. Ce matériau n’est pas obtenu par la cuisson d’une argile naturelle ou recomposée : il s’agit d’une pierre artificielle s’apparentant au ciment.

Briques silico-calcaires en appareillage à la flamande de la façade sur rue de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe, Photo F. D.
Même si son principe est plus ancien, elle n’a été fabriquée industriellement qu’à partir des dernières années du XIXe siècle[2]. Composé à 90% de sable siliceux, de chaux vive (calcaire calciné) et d’eau, le mélange est moulé en briques qui sont compressées puis durcies en chaudière à vapeur. En l’observant de près, on remarque la présence du sable grossier et de graviers la composant. De ce fait, alors que la brique de terre cuite est quasiment inaltérable, on constate, au bout d’un siècle, l’usure de ces briques dont les grains se détachent peu à peu.

Briques silico-calcaires sur une souche de cheminée de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe. Photo Nicolas Horiot.
D’autre part, sa densité importante la rend pondéreuse et son inertie thermique est médiocre. Cependant ce matériau a aussi de nombreuses qualités, notamment un coût peu élevé en raison d’une consommation énergétique faible lors de sa production, une résistance à la compression permettant de l’utiliser en murs porteurs, une résistance au feu et une bonne qualité acoustique.
Son utilisation par Guimard correspond au tournant stylistique qui l’a vu abandonner la polychromie un peu tapageuse de ses débuts au profit d’une recherche d’élégance qui passait aussi par une plus grande discrétion. La couleur gris-beige de la brique silico-calcaire se confond en effet suffisamment avec celle de la pierre de taille.
Comme il l’avait fait plus tôt avec la brique en terre cuite, Guimard a tout d’abord expérimenté ce nouveau matériau à côté des moellons pour des villas ou des maisons de banlieue comme le Castel d’Orgeval à Villemoisson-sur-Orge (1904) où elle met en valeur les baies et individualise des surfaces remarquables. Au contraire, elle apparait très discrètement sur la villa d’Eaubonne (c. 1907), puis un peu plus tard pour le Châlet Blanc à Sceau (1909) et enfin de façon importante pour la villa Hemsy à Saint-Cloud (1913).

Fenêtre au rez-de-chaussée de la façade sur rue de la villa au 16 rue Jean Doyen à Eaubonne (Val d’Oise), c. 1907. Photo F. D.
Mais ce sont à ses constructions urbaines, à partir de l’hôtel Deron-Levent (1905-1907), que la brique silico-calcaire semble le mieux convenir. Suivent l’immeuble Trémois de la rue François Millet (1909-1911), les immeubles « modernes » des rue Gros, La Fontaine et Agar, son hôtel particulier de l’avenue Mozart (1909-1912) et l’hôtel Mezzara de la rue La Fontaine (1909-1911), où la brique silico-calcaire est employée concurremment avec la pierre de taille dont la surface varie en fonction de l’effet de luxe recherché.

Façade sur rue de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe, soubassement en moellons, parement en brique silico-calcaire, appui et encadrement de fenêtre en pierre de taille. Photo F. D.
Avec la brique silico-calcaire, Guimard s’est également servi de différents appareillages. L’hôtel Guimard au 122 avenue Mozart (1909) dont la façade est particulièrement mouvementée est un bon exemple où se devine leur fonction structurelle permettant de réduire l’épaisseur des murs et d’alléger les maçonneries vers le sommet, de s’adapter aux plissements des façades et de renforcer ponctuellement certains murs.

Détail des deuxième et troisième étages de la façade de l’hôtel Guimard. Bibliothèque des arts décoratifs, don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Le corps principal de ses murs est constitué d’un appareil à la flamande, donnant des parois d’une épaisseur de 45 cm ou 22 cm. Pour réaliser les courbes et amorcer le plissement de la façade, un appareillage en boutisses a été utilisé, parfois complété par un appareillage alterné à multiples boutisses afin de renforcer la solidité des murs, notamment au niveau de certaines ouvertures. Dans les parties hautes, l’emploi d’un appareil à assises réglées en panneresses a permis d’alléger les maçonneries du dernier étage au niveau de la loggia, constituant des murs de seulement 11 cm d’épaisseur.

Détail des deuxième et troisième étages de la façade de l’hôtel Guimard. Bibliothèque des arts décoratifs, don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
C’est aussi à partir de 1909 (hôtel Guimard, cour de l’immeuble Trémois, hôtel Mezzara) qu l’on voit apparaitre un modèle de briques à angle arrondi, en particulier au niveau des jambages des baies où elles adoucissent le passage d’un plan à l’autre.

Détail de la travée de gauche du premier étage de la façade sur rue de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-La-Fontaine, Paris XVIe. Photo F. D.
Après-guerre, la brique silico-calcaire était toujours présente sur l’immeuble Franck, rue de Bretagne (1914-1919). Un peu plus tard, elle a cédé le pas à une brique en terre cuite de couleur jaune pour l’immeuble luxueux de la rue Henri-Heine (1926) où Guimard ne l’a employée qu’aux derniers étages, là où elle est moins visible.

Brique en terre cuite jaune et brique silico-calcaire au cinquième étage de la façade sur rue de l’immeuble Guimard du 18 rue Henri-Heine, Paris XVIe , 1926. Photo F. D.
Mais elle a fait son retour en force sur des immeubles économiques comme l’immeuble Houyvet, villa Flore (1926-1927), ou les immeubles de la rue Greuze (1927-1928) et sans doute sur sa villa La Guimardière à Vaucresson (1930).

Façades arrière et sur la villa Flore de l’immeuble Houyvet, Paris XVIe, 1926-1927. Photo F. D.

Allège et fenêtre du 5e étage de la façade sur la villa Flore de l’immeuble Houyvet, Paris XVIe, 1926-1927. Photo F. D.

Détail de la façade sur rue du premier étage du 38 rue Greuze, Paris XVIe, 1927-1928. Photo F. D.
Comme on peut le voir sur les photos précédentes, après la Première Guerre mondiale Guimard a introduit des effets de volume et donc de lumière en plaçant d’une manière différente certaines briques par rapport à la surface, par exemple en saillie, en retrait ou en oblique. Ces techniques sont bien connues depuis des siècles et employées pour souligner des lignes verticales ou horizontales, ou encore pour ponctuer une surface plane. Mais, de même qu’il s’était refusé à utiliser des motifs répétitifs d’alternances de couleurs de briques, il n’a pas non plus usé de la possibilité de jouer avec le relief des parois en briques pendant la première partie de sa carrière, considérant avec justesse que leur surface devait conserver une certaine neutralité et non venir lutter avec ses propres motifs décoratifs (sculptés dans la pierre ou modelés en céramique) qu’il réservait à des emplacements restreints. Cependant, rattrapé, emporté par l’évolution stylistique générale prônant, dans un premier temps, la géométrisation du décor avant son abandon progressif, Guimard s’est résolu à introduire ces effets de surface à mesure qu’il abandonnait ses motifs décoratifs personnels. Il n’est certes pas le seul à utiliser ce motif de la brique placée à 45° et dont l’angle vient affleurer la surface (ci-dessous).

Détail de la façade sur rue du deuxième étage de l’immeuble Guimard du 18 rue Henri-Heine, Paris XVIe, 1926. Photo F. D.
Mais peut-être est-il l’inventeur de ce motif original où une brique subit une rotation à 30° et la suivante lui est symétrique. Sur l’assise sus-jacente, la même séquence est décalée d’une longueur de panneresse.

Linteau d’une fenêtre du cinquième étage du 36 rue Greuze, Paris XVIe, 1927-1928. Photo F. D.
La brique amiantine
Aussi dénommée amiantolithe, la brique amiantine a été fabriquée en France à Choisy-le-Roy à partir de 1904 par la Société française de la brique amiantine avec de la fibre d’amiante importée du Canada.

En-tête de la Société Françaises de la Brique Amiantine, lettre datée du 10 décembre 1908, photographie tirée de l’article de Pierre Coftier, « La brique amiantine de Choisy-le-Roy », L’actualité du Patrimoine, n° 8, déc. 2010. Droits réservés.
Grâce à l’ajout de ce minéral[3] on comptait alors augmenter la tenue au feu (déjà bonne) de la brique silico-calcaire, améliorer son faible pouvoir d’isolation et même obtenir un effet antifongique. Le produit qui pouvait être colorisé, était vu comme innovant par rapport à la simple brique silico-calcaire et s’en trouvait donc valorisé. Pour bien les différencier, la marque « Amiantine » était imprimée en relief dans une alvéole ménagée sur l’une des deux grandes faces des briques.

Grande face d’une brique amiantine. Photographie tirée de l’article de Pierre Coftier, « La brique amiantine de Choisy-le-Roy », L’actualité du Patrimoine, n° 8, déc. 2010. Droits réservés
Le site de Choisy-le-Roy a été racheté en 1922 par la société Lambert frères & Cie.

Usine Lambert Frère & Cie à Choisy-le-Roy, carte postale ancienne. Coll. part.
Guimard semble s’être servi de ses produits pour la première fois en 1925 lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes pour sa participation au Village Français[4] dans le cadre du groupe des Architectes Modernes dont il était le vice-président.
Auteur de la mairie du village, il a employé la brique amiantine[5] de façon plus extensive sur sa façade principale que sur sa façade postérieure. On retrouve d’ailleurs la mention de cette brique ainsi que celle de la cimenterie Lambert, réparties sur des groupes de trois panneresses, bien mises en évidence à quatre emplacements : deux sur la façade principale et deux sur la façade arrière. La Maison du Tisserand[6] de l’architecte Émile Brunet, mitoyenne de la mairie à droite, et sans doute encore d’autres constructions du village ont également utilisé ce matériau. Les tuiles de la mairie étaient en fibro-ciment patiné et avaient, elles aussi, été fournies par la cimenterie Lambert[7]. On touche ici un des aspects du Village français qui, à l’instar d’autres manifestations du même genre, ne pouvait équilibrer leur budget que grâce à la fourniture de matériaux à tarif préférentiel en échange d’une discrète mais efficace publicité.

Façade principale de la mairie du Village français à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, portfolio L’Architecture à l’Exposition des arts décoratifs modernes de 1925/Le Village moderne/Les Constructions régionalistes et quelques autres pavillons/Rassemblés par Pierre Selmersheim, éditions Charles Moreau, 1926, pl. 2. Coll. part.

Façade postérieure de la mairie du Village français à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes (détail), 1925, portfolio L’Architecture à l’Exposition des arts décoratifs modernes de 1925/Le Village moderne/Les Constructions régionalistes et quelques autres pavillons/Rassemblés par Pierre Selmersheim, éditions Charles Moreau, 1926, pl. 3. Coll. part.
Preuve de l’intérêt constant de Guimard pour les nouveaux matériaux de construction et leur évolution, il a exposé dans la grande salle du rez-de-chaussée de la mairie « quelques-uns des matériaux ayant servi à son édification[8] ». On y trouvait par exemple deux types de briques dont nous ignorons l’emploi exact dans la mairie : « la brique double 6 x 2222, creuse, d’un emploi facile[9] » dont le fabriquant n’est pas connu, et aussi des briques produites par la « Société de Traitement des Résidus Urbains » dirigée par un certain Grangé. Dans un article consacré aux produits nouveaux de l’Exposition de 1925, la revue L’Architecture a donné quelques éclaircissements sur leur processus de fabrication :
« […]. Les briques et parpaings de la Société de Traitement industriel des résidus urbains, fabriqués par les procédés silico-calcaires avec les clinkers (mâchefer) provenant des incinérations des ordures ménagères de la ville de Paris, obtenus par la fusion et la vitrification à haute température (1.200°) des produits incombustibles contenus dans les ordures ménagères.[10] »
Pour inviter les acteurs du secteur du bâtiment à découvrir ses produits, Grangé a utilisé une carte publicitaire dont le verso est un dessin de la mairie du Village français par Alonzo C. Webb (1888-1975)[11], également paru dans La Construction Moderne.

A.C. Webb, dessin de la façade principale de la mairie du Village français, carte émise par la Société de Traitement des Résidus Urbains invitant à visiter la salle d’exposition de la Mairie du Village Français, recto. Coll. part.

Carte émise par la Société de Traitement des Résidus Urbains invitant à visiter la salle d’exposition de la mairie du Village Français, verso. Coll. part.
Un autre fournisseur de Guimard en matériaux, exploitant de carrière à Thorigny-sur-Marne et fabricant de plâtres spéciaux, nous était connu par ailleurs. La revue L’Architecture a également mentionné ses produits exposés dans la grande salle de la mairie :
« […] Notamment les produits Taté, tout préparés pour enduits et ravalements imitant la pierre, classés en trois catégories et dont les noms, n’ayant qu’un rapport bien problématique avec les désignations indiquées entre parenthèses, sont les suivants : lithogène (prise lente), pétra stuc (prise accélérée), alabastrine (plâtre aluné d’albâtre). »
Pour la construction de la mairie, nous sommes certains de l’utilisation du « pétra-stuc » dont on devine le nom inscrit sur le socle, au-dessus du soupirail[12]. On parvient aussi à lire sur la photographie le nom de Taté.

Façade principale de la mairie du Village français à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes (détail), 1925, portfolio L’Architecture à l’Exposition des arts décoratifs modernes de 1925/Le Village moderne/Les Constructions régionalistes et quelques autres pavillons/Rassemblés par Pierre Selmersheim, éditions Charles Moreau, 1926, pl. 2. Coll. part.
Ce « pétra-stuc » de couleur assez sombre utilisé en socle, est plus visible sur la photographie de la façade postérieure de la mairie.

Façade postérieure de la mairie du Village français à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes, 1925, portfolio L’Architecture à l’Exposition des arts décoratifs modernes de 1925/Le Village moderne/Les Constructions régionalistes et quelques autres pavillons/Rassemblés par Pierre Selmersheim, éditions Charles Moreau, 1926, pl. 3. Coll. part.
L’utilisation de ce produit serait anecdotique si ce Taté n’avait nourri un vif ressentiment vis-à-vis de Guimard, sans doute pour une question financière. Mais au lieu de régler ce différend par voie judiciaire, auprès d’un tribunal civil ou d’un tribunal de commerce, apprenant que le Commissariat Général de l’Exposition des arts décoratifs avait proposé le nom de Guimard pour la croix de chevalier de la Légion d’honneur, Taté a envoyé à la chancellerie de l’Ordre une lettre de dénonciation[13] qui a eu pour effet de retarder sa nomination de quatre années.
Après l’exposition de 1925, Guimard a à nouveau eu recours à des produits contenant de l’amiante. À l’instar de son confrère Henri Sauvage, il s’est en effet servi des tubes de fibrociment, produits par la société Éternit. On les retrouve notamment sur les deux immeubles de la rue Greuze où ils ont une fonction essentiellement décorative en soulignant par leur volume la verticalité des bow-windows et des baies. Les plans montrent d’ailleurs qu’il s’agit de demi-cylindres.

Immeuble du 38 rue Greuze, Paris XVIe. Photo F. D.
Ces tubes en fibro-ciment semblent avoir une fonction plus structurelle au niveau des terrasses des 6e et 7e étages, analogue à leur utilisation deux ans plus tard par Sauvage qui a expérimenté leur utilisation pour les murs porteurs d’habitations individuelles construites avec des éléments préfabriqués.

Terrasse du 7e étage de l’immeuble du 38 rue Greuze, Paris XVIe. Photo F. D.
Enfin, ils sont aussi présents sur La Guimardière, la villa que Guimard s’est construit en 1930 à Vaucresson en utilisant des matériaux disparates provenant sans aucun doute de ses chantiers passés. Sans surprise, la brique est encore très présente pour cette ultime construction.

Villa La Guimardière à Vaucresson (Yvelines), Bibliothèque des Arts décoratifs, don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Frédéric Descouturelle
Merci à Nicolas Horiot pour les précisions apportées pour la salle Humbert de Romans et l’hôtel Guimard.
Notes
[1] On trouve dans la littérature des variations dans l’appellation des différents appareillages pouvant entretenir une confusion, notamment entre les appareillages à l’anglaise et à la flamande.
[2] Granger, Albert, Pierre et Matériaux artificiels de construction, Octave Douin éditeur, Paris, s. d.
[3] Les premiers décès dus à des fibroses pulmonaires causées par l’amiante ont été constatés autour de 1900, mais ce n’est que 30 ans plus tard que des cas de mésothéliomes (cancer de la plèvre) lui ont été imputés. Le lien n’a été formellement établi qu’à partir des années 1950 mais les méfaits de l’amiante ont ensuite été longtemps niés par toute la filière de production et par une bonne part des responsables politiques, entraînant une pollution à présent extrêmement coûteuse à éradiquer.
[4] Le Village Français a été l’un des sites de l’exposition les plus appréciés par le public, à défaut d’avoir été le mieux compris par les critiques puis par la suite le plus étudié par les historiens de l’art. Rationaliste et moderne sans être révolutionnaire, rural sans être régionaliste, il présentait, rassemblés en un village fictif, différentes maisons, commerces, et services, traités dans un style moderne privilégiant les nouveaux matériaux mais sans négliger les matériaux traditionnels. Cf. Lefranc-Cervo, Léna, Le Village français : une proposition rationaliste du Groupe des Architectes Modernes pour l’Exposition Internationale des arts décoratifs de 1925, Mémoire de recherche (2e année de 2e cycle) sous la direction de Mme Alice Thomine Berrada, École du Louvre, septembre 2016.
[5] Goissaud, Antony, « La Mairie du Village », La Construction Moderne, 8 novembre 1925.
[6] Goissaud, Antony, « La Maison du Tisserand », La Construction Moderne, 11 octobre 1925.
[7] « Parmi les exposants [à l’intérieur de la grande salle] on remarque naturellement la Maison « Lambert Frères » qui a fourni les briques amiantines et les tuiles des maisons du Village […] ». Goissaud, Antony, « La Mairie du Village », La Construction Moderne, 8 novembre 1925.
[8] « Les produits nouveaux à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925 », L’Architecture n° 23, 10 décembre 1925.
[9] Ibid.
[10] Ibid. On désigne couramment ces résidus de combustion sous le terme de mâchefer.
[11] Cf. la note qui lui est consacrée dans l’article sur la participation de Guimard à l’Exposition de 1925.
[12] Le rédacteur de La Construction Moderne l’a confondu avec une « pierre grise, fortement teintée », Goissaud, Antony, « La Mairie du Village » La Construction Moderne, 8 novembre 1925.
[13] Nous réservons la reproduction de cette lettre à un prochain article relatant les péripéties de cette affaire.
Les liens ténus entre La Maison Moderne et Guimard
Après les deux articles de Bertrand Mothes qui ont retracé l’histoire et le fonctionnement de La Maison Moderne, nous souhaitons apporter un complément présentant les liens indirects qui ont existé entre cette galerie et Hector Guimard et tout d’abord quelques éléments de réflexion sur le mode de mise sur le marché de ses créations.
Seule une minorité des innombrables modèles créés par Guimard auraient été susceptibles d’être vendus par une galerie d’art. Il faut en effet exclure tout ce qui pouvait relever de la production industrielle comme les fontes et les céramiques architecturales ou les quincailleries. Cependant, tant les meubles que les objets d’art décoratif comme les vases, les lampes ou les cadres auraient pu intégrer ce type de circuit commercial. Il est pourtant aisé de constater qu’aucun objet d’art dessiné ou modelé par Guimard puis confié à un artisan pour être édité en pièce unique ou petite série, n’a été présenté à la vente à La Maison Moderne ni à la Galerie de l’Art Nouveau Bing. Comme nous l’a montré Bertrand Mothes dans son précédent article, à La Maison Moderne, c’est ordinairement Julius Meier-Graefe qui était à l’origine du choix d’un modèle présenté par un artiste puis de sa fabrication (et donc de son coût de revient). Mais, comme chez Bing, le dépôt en galerie des créations de certaines maisons ou artistes prestigieux était possible. La vente de ces objets, dont la fabrication avait déjà été payée, n’engendrait alors qu’un bénéfice plus faible partagé entre la galerie et le créateur. Or, contrairement à de nombreux artistes et décorateurs, Guimard a exclu de recourir au circuit de distribution des galeries d’art où son style, qu’il avait voulu si particulier au point de lui donner son nom, aurait subi une anonymisation, dilué au sein de multiples expressions d’art décoratif modernes.
Il a également pu penser que l’avantage que pouvait constituer la présentation permanente de ses œuvres au sein d’une galerie (plus efficace que celle réalisée de façon épisodique lors d’expositions) pouvait être compensée par une couverture médiatique bien menée. Mais ce type de publicité par voie de presse et de publications qui a fort bien fonctionné à l’époque du Castel Béranger s’est ensuite raréfiée et lui a même parfois été défavorable.
Ayant donc choisi d’isoler sa production de celle des autres, il aurait pu avoir recours à un concessionnaire qui l’aurait représenté ou même aller jusqu’à l’ouverture d’un magasin[1]. La première option aurait à nouveau représenté un important manque à gagner. Quant au coût de fonctionnement d’un magasin, il pouvait être dissuasif. Mais surtout, Guimard, qui était déjà dans les faits entrepreneur, tenait à ne pas apparaître comme un commerçant, en raison du code moral que les architectes s’imposaient mais aussi de la patente qu’il aurait fallu acquitter. Nous savons, par un procès qui lui a été intenté et qu’il a gagné en appel[2], que sa qualité d’architecte avait prévalu sur celle de commerçant. En conflit avec un fournisseur qui soutenait qu’il « joignait à l’exercice de sa profession l’exploitation d’une véritable industrie, qu’il avait des ateliers de fabrication, des magasins de vente où il livrait divers objets confectionnés sous sa direction » Guimard s’est défendu d’exercer une telle activité, mais de seulement pratiquer « [l]’application artistique et une mise en œuvre de ses connaissances d’architecte et de son goût personnel. »
Donc, Guimard a contourné la vente indirecte de deux manières. Tout d’abord, et de façon tout à fait traditionnelle, par la vente directe pour les petits volumes de production, soit par commande, soit lors d’expositions. Ensuite, lorsque de plus gros volumes de production étaient escomptés, il a multiplié les efforts non seulement pour faire produire en série ses créations mais aussi pour les faire éditer. Cela n’a pas toujours été le cas lors de ses premières années de créations artistiques, et ce n’est que progressivement que cette démarche s’est généralisée, conjointement avec la volonté de faire présenter ses modèles sur catalogues. Son objectif était double : s’assurer un revenu régulier tout en œuvrant avec cette diffusion élargie pour la victoire du style moderne, et du sien en particulier. Notons bien que dans la majorité de ces catalogues, les modèles de Guimard se trouvaient placés au même rang que les autres, tout comme ils l’auraient été sur l’étagère d’une galerie d’art. Et, que finalement, c’est bien le fabriquant qui engrangeait le plus gros du bénéfice de la vente. Ce n’est que dans de rares cas qu’il a pu obtenir la création d’un catalogue spécifique restreint à ses seuls modèles.
Pour mener à bien cette politique de mise sur le marché de ses créations, il était nécessaire à Guimard de disposer d’une unité de production capable de réaliser une fabrication de bout en bout (comme par exemple celles de meubles ou de cadres en bois et staff), ou de livrer à un fabricant, qu’il soit un artisan ou un industriel, des modèles exploitables. C’est ce qu’il a pu réaliser tout d’abord rue Wilhem puis, de 1904 à 1914 avenue Perrichont prolongée.
Étant donné sa grande sociabilité, Guimard n’a pas pour autant coupé toute relation avec le milieu des marchands d’art surtout lorsque leur engagement en faveur du style moderne était sincère et non vécu comme une simple carte à ajouter à une gamme de produits éclectiques.
Dans l’article que nous avons consacré au vase en verre de Guimard acquis récemment, nous avons montré que Guimard avait étroitement collaboré avec la Cristallerie de Pantin.

Vase Guimard de la Cristallerie de Pantin, haut. 40,2 cm. Coll. part. Photo F. D.
Cette cristallerie présentait une sélection de vases « aigue-marine » dans la galerie de La Maison Moderne, reproduit dans le catalogue publié en 1901.

« Crisallerie de Pantin/Vases en cristal aigue-marine », Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), Paris, Éditions de La Maison Moderne, 1901, p. 12.

Vase « aigue-marine » de la Cristallerie de Pantin, proche du vase 2014 de la sélection de vases vendue par La Maison moderne. Photo internet, droits réservés.
Pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, il est peu probable que des modèles de Guimard aient figuré dans cette sélection. Celle-ci ne comportait pourtant que des modèles aux décors abstraits et tournoyants, éloignés de ceux aux décors naturalistes copiant le style nancéien que la cristallerie produisait abondamment avec le même type de verre légèrement bleuté.
Mais dans le même catalogue, la présentation du chapitre consacré à la verrerie est signée par un ami de Guimard, le journaliste Georges Bans. En 1895, ce dernier a été le fondateur et le directeur d’une petite revue littéraire et artistique bimensuelle, La Critique. Bien que de diffusion restreinte, cette revue a reçu la collaboration de nombreux auteurs en vue comme Camille Mauclair, ainsi que celles d’excellents illustrateurs comme Gustave Jossot, ou Maurice Biais. Ce dernier a collaboré à La Maison Moderne, non seulement avec l’affiche que nous avons déjà reproduite, mais aussi par des dessins de meubles dont un fauteuil aux lignes particulièrement sobres et modernes.

Maurice Biais, imprimerie J. Minot, affiche pour La Maison Moderne, 1899-1900, lithographie en couleur sur papier, haut. 114 m, larg. 0,785 m, Paris, Bibliothèque nationale de France.

Fauteuil dessiné par Maurice Biais, Musée d’Orsay, acajou, maroquin noir et laiton, haut. 0,86 m, larg. 0,70 m, prof. 0,95 m. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Mathieu Rabeau, droits réservés. Ce fauteuil est reproduit dans Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), « Ameublement et décoration », fauteuil renversé n° 35, p. 16, 1901.
On retiendra aussi le beau frontispice dessiné pour la chronique de l’Exposition Universelle de 1900 dans La Critique par Maurice Dufrène, l’un des principaux collaborateurs de La Maison Moderne.

Frontispice dessiné par Maurice Dufrène pour la chronique de l’Exposition Universelle de 1900 dans La Critique. Source Gallica.
La Critique était principalement animée par Émile Strauss et par le poète et critique Alcanter de Brahm (nom de plume de Marcel Bernhardt). Hector Guimard a rapidement entretenu une complicité intellectuelle et sans doute des rapports amicaux avec ce dernier, ce qui lui a valu d’être fréquemment cité dans la revue[3]. Quant à Georges Bans, il a également suivi la carrière de Guimard et présenté dans La Critique plusieurs de ses œuvres, notamment les accès du métro parisien. Dans une « notule »[4] paru en août 1900 dans La Critique, visiblement informé par un Guimard dépité, il y contestait vigoureusement le combat mené par deux conseillers municipaux, Charles Fortin et Maurice Quentin-Beauchard, qui bataillaient pour faire remplacer les édicules par des entourages découverts. Pour les rétablir, il en appelait au préfet de la Seine Justin de Selves, lequel s’est bien gardé d’intervenir. Un second article de Georges Bans, paru deux mois plus tard en octobre 1900 et cette fois dans L’Art Décoratif, a commenté très favorablement la mise en place des premières entrées de métro en inventant au passage la célèbre formule de « la libellule déployant ses ailes légères » pour décrire la toiture inversée des édicules B. À cette occasion, on devine que Guimard lui a personnellement expliqué certains détails et ressorts de son travail que la plupart des critiques de l’époque ne percevaient pas.
On peut encore citer un article de Georges Bans dans la revue allemande L’Architecture du XXe siècle où se trouvent deux dessins d’élévations de façades de Guimard et qui fait allusion au dîner de La Critique du 31 décembre 1900 auquel Guimard a assisté, ainsi que la participation conjointe de Guimard et de Bans au bureau de la société Le Nouveau Paris fondée en 1903 par Frantz Jourdain.
Dans le catalogue de La Maison Moderne on remarque aussi la présence d’un porte-allumettes en argent dû au jeune architecte Henry Bans[5], frère de Georges Bans.

Henry Bans, porte-allumette, « L’Orfèvrerie », Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), Paris, Éditions de La Maison Moderne, 1901, p. 11. Coll. part.
Henri Bans était un ami intime de la famille du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux (1829-1875)[6]. Or Guimard a agrandi l’atelier Carpeaux en 1894-1895 sur le boulevard Exelmans avec la création d’une galerie d’exposition consacrée à l’œuvre du sculpteur. Et c’est probablement à cette occasion qu’il est entré en relation avec les frères Bans.
Enfin, signalons la présence dans le catalogue de La Maison Moderne, d’un fauteuil de Géza Kiss, le n° 45 en bois de Jarah, que l’on voit partiellement reproduit dans l’affiche de Maurice Biais (cf. plus haut).

Géza Kiss, fauteuil n° 45, bois de jarah, siège et dossier couverts en velours, « Ameublement et décoration », Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), Paris, Éditions de La Maison Moderne, p. 18, 1901. Coll. part.
Sans plus nous avancer (cf. note 3), nous pouvons assurer que Kiss, Guimard, les animateurs de La Critique et bien sûr Julius Meier Graefe, se connaissaient.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] On songe immédiatement que le ou les commerces prévus au rez-de-chaussée du Castel Béranger et dont nous ignorons pour l’instant s’ils ont réellement fonctionné, auraient constitué une vitrine idéale pour Guimard. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il ait eu cette intention à un moment donné.
[2] Procès Guimard contre Mutel, décision de justice du Tribunal de commerce de la Seine du 4 janvier 1901, invalidée par décision de la Cour d’appel de la Seine du 14 janvier 1904, « Jurisprudence » La Construction Lyonnaise, janvier 1912.
[3] Nous ferons bientôt le bilan de ces citations de Guimard dans La Critique.
[4] G. B. « Notule, Le monde à l’envers », La Critique 5 août 1900.
[5] François Gabriel Bans dit Henry ou Henri Bans (1877-1970).
[6] Henry Bans concevra bien plus tard la stèle du monument Carpeaux, Square Carpeaux à Paris, XVIIIe. Le monument est orné d’un buste sculpté par Léon Fagel en 1929.
Le 25 juillet en matinée, l’hôtel Mezzara rouvrait brièvement ses portes pour la signature de la promesse de bail emphytéotique de 50 ans, en présence de la ministre de la Culture Mme Rachida Dati et de nombreuses personnalités.

Accueil de Mme Dati par Nicolas Horiot, président du Cercle Guimard. Photo F. D.
Après une courte visite, et les discours de Fabien Choné, dirigeant de la holding Fabelsi et de Mme Dati qui a souligné l’importance de la mise en valeur patrimoniale d’une façon dynamique et non lorsqu’il est en péril, soulignant la démarche atypique menée conjointement par un entrepreneur privé et une association d’historiens de l’art, la signature officielle a eu lieu dans la salle à manger.

Discours de Fabien Choné. Photo D. M.

Signature de la promesse de bail. Photo D. M.
Cette matinée a été pour le Cercle Guimard et pour Fabien Choné l’occasion de rediscuter avec de nombreux acteurs qui nous soutiennent et avec lesquels nous développons notre projet muséal. Car cette cérémonie n’était en fait qu’une étape dans un processus qui doit se poursuivre par une autorisation de travaux, laquelle conditionnera le vrai démarrage de la restauration et du réaménagement du bâtiment.
La signature de la promesse de bail de l’hôtel Mezzara a été largement relayée dans les médias, des réseaux sociaux jusqu’à icibeyrouth.com et la presse locale à Saint-Dizier, témoignant d’un enthousiasme dépassant largement les frontières et les cercles spécialisés.
Le Cercle Guimard
Organisation, offre et fonctionnement de La Maison Moderne
Parmi tous les artistes choisis, deux compatriotes belges reçoivent la mission la plus importante : Georges Lemmen tout d’abord. Meier-Graefe lui confie le soin d’élaborer l’élément le plus reconnaissable pour une enseigne : son logotype[1]. Ce symbole, censé être la « marque » de La Maison Moderne, se compose simplement des lettres initiales du nom de la galerie superposées, dessinées en courbes dans la lignée du style déjà employé par Lemmen dans les affiches pour Dekorative Kunst. De conception simple, ce logo se retrouvera sur la majeure partie de la production et des publications de La Maison Moderne dans sa forme originale ou plus élaborée.

Georges Lemmen, logotype de La Maison Moderne, 1899.
L’aménagement de La Maison Moderne est confié à l’artiste en qui Meier-Graefe à le plus confiance : Henry Van de Velde. Celui-ci conçoit alors une devanture avec des vitrines, permettant de voir une sélection d’objets vendus à l’intérieur.

Aménagement intérieur de La Maison Moderne par Van de Velde, 82 rue des Petits-Champs à Paris, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg. Sur l’étagère du meuble de présentation figurent deux vases de Dufrène et Dalpayrat.

Maurice Dufrène dessinateur, Dalpayrat et Lesbros céramiste, grès flammé, c. 1899, achat par l’Union Centrale des Arts Décoratifs à La Maison Moderne en 1899, monture en argent de Cardeilhac ajoutée en 1900, exposé au pavillon de l’UCAD à l’Exposition universelle de Paris en 1900, Musée des Arts Décoratifs. Droits réservés.
L’élaboration de la typographie des lettres qui lui sont destinées échoit à Georges Lemmen[2]. Ce choix témoigne de la confiance que Meier-Graefe place dans le talent des deux artistes belges, la devanture tenant alors un rôle aussi important que celui d’une affiche pour les boutiques de la fin du XIXe siècle. Dans la galerie, Van de Velde propose un décor complet, alternant vitrines, étagères et pièces aménagées.
Les autres artistes sélectionnés pour apparaitre dans le catalogue de la galerie sont légion : plus de soixante sont recensés. Malgré une volonté affichée de la part de Meier-Graefe de créer une galerie favorisant les réalisations françaises, les créateurs étrangers sont très nombreux dans ses murs.

Bernhard Hoetger (Hörde, Allemagne, 1874 – Beatenberg, Suisse, 1949), La Tempête, c. 1901, bronze, musée d’Orsay, RF 4189, haut. 0311 m, larg. 0,245 m, prof. 0,25 m. Droits réservés. Cette sculpture est reproduite dans les Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, bronze 3322-1, La Sculpture p. 5.
Il est significatif, pour fournir un aperçu de la diversité de l’offre proposée, de mentionner toutes les nationalités présentes parmi les collaborateurs de La Maison Moderne : français, belges, allemands, italiens, autrichiens, hongrois, roumains, serbes, danois, néerlandais, et finlandais. Il est intéressant de noter l’absence d’artistes britanniques et espagnols parmi eux. Le goût de Meier-Graefe est le seul vrai dénominateur commun entre tous ces artistes, et leur sélection est effectuée avec un souci de cohérence qui lui est cher (le manque de cohérence avait été reproché à Bing quatre ans plus tôt).

Aménagement intérieur de La Maison Moderne par Van de Velde, 82 rue des Petits-Champs à Paris, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg.
L’offre proposée par l’établissement est également très étendue : dans l’article annonçant l’ouverture en septembre 1899, il est dit que « Les galeries de la « Maison Moderne » renfermeront un peu de tout : meubles, étoffes de tenture, tapis, céramiques, verreries, appareils d’éclairage, broderies, dentelles, bijoux, éventails, objets de toilette et de fantaisie — depuis la brosse jusqu’au pommeau de canne — enfin, tout ce qui entre dans la demeure et sur la personne[3] ». Cette prédiction se voit bien confirmée : La Maison Moderne propose tout ce qui est nécessaire pour aménager un intérieur et tous les accessoires — mais pas les vêtements — dont peut avoir besoin une personne aisée du début du XXe siècle. Ce même article mentionne également une sélection de maitres de la peinture, dont des œuvres sont proposées à la vente : Édouard Manet, Claude Monet, Edgar Degas, Paul Cézanne, Auguste Renoir, Maurice Denis, Théo Van Rysselberghe, Édouard Vuillard et Pierre Bonnard. Cet article reste toutefois la seule évocation de l’exposition de peintures à La Maison Moderne. Les tableaux qui ont pu y être présentés nous sont inconnus, et d’éventuels autres artistes ne peuvent être identifiés.
En plus de proposer des objets seuls à la vente, la galerie se proposait de concevoir et d’aménager des pièces, des appartements ou tout autre type d’intérieur dans leur ensemble. La plupart de ces aménagements complets ont été réalisés sous la direction d’Abel Landry, de Pierre Selmershein ou de Maurice Dufrène. Aucun exemple n’est parvenu jusqu’à nous autrement que par des photographies anciennes comme celles de ce magasin de mode, à nouveau conçu par Van de Velde pour le Palast Hotel, Potsdamer Platz à Berlin, dirigé par P. H. C. Kons.

Henri Van de Velde, aménagement d’un magasin de modes « filiale de Madame Henriette » au sein du Palast Hotel à Berlin, réalisation par La Maison Moderne avec des meubles dessinés par Abel Landry, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg.
La commande la plus important et la plus documentée concerne l’aménagement du restaurant allemand Konss[4], situé cette fois à Paris, à l’angle de la rue Grammont et du boulevard des Italiens, au premier étage, pour le même P. H. C. Kons. L’architecte désigné par le propriétaire pour diriger les travaux est Bruno Möhring[5]. Celui-ci décide de l’agencement intégral de l’enseigne et Kons renouvelle sa confiance à La Maison Moderne pour la réalisation et la mise en place des décors. Les travaux se déroulent du 15 janvier au 17 avril 1901. Véritable réussite, la participation de La Maison Moderne à l’aménagement est signalée dans le hall d’entrée de son établissement. Quelques mois plus tard, Meier-Graefe en donne un compte-rendu dans L’Art Décoratif, sous l’un de ses pseudonymes : G. M. Jacques[6]. À la lecture de cet article on est frappé par le fait que, l’ayant signé d’un pseudonyme à consonance française dans sa revue française, Meier-Graefe adopte un point de vue qui pourrait être celui d’un journaliste parisien, critiquant l’aménagement de Möhring en alléguant que ses « instincts de Latin sont fermés à sa conception germanique. » alors que c’est pourtant sa propre entreprise qui a effectué l’aménagement. En collant ainsi à ce qu’il imagine être un état d’esprit « latin », sans doute désire-t-il ne pas prêter le flanc à une suspicion de conflits d’intérêt.

Bruno Möhring, palier sur l’escalier du restaurant Konss, au premier étage du 30 rue de Grammont à Paris, 1901, exécution par La Maison Moderne, céramiques Laüger, Architektonische Monatshefte, VII. Jahrgang 1901, pl. 88, Leipzig/Wien, Friedrich Wolfrum, 1901, bibliothèque en ligne de l’Université de Stuttgart.

Bruno Möhring, salon vert du restaurant Konss, au premier étage du 30 rue de Grammont à Paris, 1901, exécution par La Maison Moderne, panneaux par Georges de Feure, Architektonische Monatshefte, VII. Jahrgang 1901, pl. 87, Leipzig/Wien, Friedrich Wolfrum, 1901, bibliothèque en ligne de l’Université de Stuttgart.

Bruno Möhring, salon lilas du restaurant Konss, au premier étage du 30 rue de Grammont à Paris, 1901, exécution par La Maison Moderne, L’Art Décoratif, novembre 1901, article G. M. Jacques (Julius Meier-Graefe). Bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg.
Le mode de fonctionnement de La Maison Moderne est très réfléchi, il exprime la réflexion poussée de son directeur et ses capacités innovatrices. Conscient du comportement du collectionneur français, qui agit avec l’objet d’art de la même façon qu’avec une peinture ou une sculpture, Meier-Graefe propose une organisation inspirée des Vereinigten Werkstätten für Kunst im Handwerk (Ateliers réunis pour l’art et l’artisanat) de Munich. Alors que l’art décoratif français demeure surtout un art de commande, dans lequel les artistes ne répondent qu’à des demandes spécifiques en créant des modèles uniques inaptes à la reproduction, Meier-Graefe propose un système inverse : les objets ne relèvent plus de commandes de particuliers mais sont produits en série par des artistes et des artisans. La production reste cependant dans le domaine de l’artisanat et ne bascule pas vers l’industrie. En l’absence d’archives administratives provenant de la galerie, aucun chiffre précis ne peut être avancé : le nombre de pièces réalisées pour un même modèle devait être relativement restreint sans toutefois comporter d’œuvres uniques. Sans même parler de goût ou de style, c’est d’abord la manière de penser que veut changer le directeur de La Maison Moderne.
Des exceptions à ce système sont possibles. Des tapisseries de Paul-Élie Ranson, réalisées à la main par son épouse France Ranson-Rousseau en un seul exemplaire, étaient proposées à la vente à La Maison Moderne[7].

Paul-Élie Ranson, Printemps, tapisserie en laine sur toile à canevas exécutée par France Ranson-Rousseau, 1895, haut. 1,67 m, larg. 1,32 m, Musée d’Orsay, OAO 1788, droits réservés.

Aménagement intérieur de La Maison Moderne par Van de Velde, 82 rue des Petits-Champs à Paris. Au mur, deux tapisseries de Paul-Élie Ranson : Printemps et Femme en rouge, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg.

Exposition Femmes chez les nabis. De fil en aiguille au Musée de Pont-Aven (22 juin au 3 novembre 2024), évocation de la salle de La Maison Moderne où se trouvaient les tapisseries de Ranson. Photo Bertrand Mothes.
Cependant il s’agit là d’objets confectionnés avant l’ouverture de la galerie, et ne relevant donc pas de la méthode de fabrication élaborée par Meier-Graefe. Le principe de fonctionnement est simple : les artistes créent des modèles et en donnent les droits de production à la galerie qui se charge de les exécuter. L’artiste reçoit une portion du prix de vente — portion définie avec son accord — pour chaque objet vendu[8]. La possibilité de fabriquer en plusieurs exemplaires permet également à Meier-Graefe de vendre ses objets à « prix raisonnable », selon ses propres termes. Le « prix raisonnable » favoriserait l’achat et permettrait à l’artiste une rémunération confortable. Il ne faut ici pas confondre « raisonnable » et « bas ». Si les prix des objets vendus à La Maison moderne n’atteignent pas ceux constatés chez Bing, ils n’en restent pas moins accessibles qu’à des personnes assez aisées, et non à des ouvriers ou à des petits employés.
Pour la production des objets, la galerie possédait ses propres ateliers. Le seul attesté avec certitude est l’atelier de maroquinerie[9], mais il est possible que des ateliers d’ébénisterie, de tabletterie, de tapisserie, de dinanderie, de joaillerie et d’horlogerie aient été présents. Les arts du feu, difficiles à mettre en place à grande échelle au cœur de la capitale parisienne, proviennent eux de fabricants associés à La Maison Moderne. Le vase Exposition 1900 Paris provenant d’Allemagne en est un bon exemple. Fabriqué par la manufacture Tonwerke à Kandern, dirigée par Max Laüger, il ne relève pas de la production habituelle de cette manufacture mais bien d’une fabrication exclusivement destinée à LMM, comme le prouve la marque de la galerie incisée sous sa base au côté du monogramme de Laüger et de la marque de la manufacture.

Max Laüger, atelier de la manufacture Tonwerke, Vase Exposition 1900 Paris, vers 1900, faïence peinte sous couverte, édité par La Maison Moderne, haut. 0212 m, Londres, Victoria & Albert Museum. Droits réservés.

Max Laüger, atelier de la manufacture Tonwerke, Vase Exposition 1900 Paris, vers 1900, faïence peinte sous couverte, haut. 0,212 m, Paris, musée d’Orsay. Droits réservés.
À cette conception de la production et de la vente s’ajoute un choix décisif pour l’emplacement de la galerie. Le 82, rue des Petit-Champs est situé à quelques mètres de la rue de la Paix, qui reste encore aujourd’hui l’un des quartiers les plus fournis en boutiques de luxe à Paris. En plus d’être central, cet emplacement constitue le lieu de passage d’une clientèle fortunée et réceptive aux innovations artistiques. La rue a depuis changé de nom et est devenue la rue Danielle-Casanova. L’ancien numéro 82 correspond aujourd’hui à l’actuel 26, emplacement aujourd’hui occupé par un café.
Directeur d’un établissement commercial, Meier-Graefe a bien entendu utilisé tous les moyens disponibles à son époque pour faire connaitre sa galerie. Deux affiches constituent le pivot de sa démarche publicitaire. La première est l’œuvre de Maurice Biais. Elle représente une dame élégante, regardant des objets disposés dans une des vitrines conçues par Van de Velde, fidèlement reproduite

Aménagement intérieur de La Maison Moderne par Van de Velde, 82 rue des Petits-Champs à Paris, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg.

Maurice Biais, imprimerie J. Minot, affiche pour La Maison Moderne, 1899-1900, lithographie en couleur sur papier, haut. 114 m, larg. 0,785 m, Paris, Bibliothèque nationale de France.
Les objets dessinés sur l’affiche sont d’autant plus facilement reconnaissables que Maurice Biais s’est servi de photographies qui seront ultérieurement utilisées pour le catalogue de La Maison Moderne. Un encrier en émail flammé de Jakob Rapoport dessiné par Maurice Dufrène, des petites sculptures en bronze de Georges Minne, un chat en porcelaine de la manufacture danoise Bing et Groendahl et une lampe de Dufrène y sont, entre autres, visibles.

Maurice Dufrène, lampe électrique, bronze patiné, n° 1580-1, haut. 0,55 m, Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), 1901, Appareils d’éclairage, p. 9. Coll. part.

Aménagement intérieur de La Maison Moderne par Van de Velde, 82 rue des Petits-Champs à Paris, Deutsche Kunst und Dekoration, octobre 1900, bibliothèque en ligne de l’Université de Heidelberg. À gauche de la vitrine, Le Petit Blessé de Georges Minne.

Georges Minne, Le Petit Blessé, bronze, haut. 0,25 m, Nationalgalerie, Berlin. Droits réservés. Cette sculpture est reproduite dans les Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), 1901, La Sculpture, bronze n° 308-1, p. 21.
La seconde affiche est l’œuvre de Manuel Orazi (fig. 5). D’une composition et d’une atmosphère totalement différente de celle de Biais, elle présente elle aussi des objets qui y étaient vendus. L’on reconnait ainsi un encrier portant une figure en bronze d’Alexandre Charpentier sur un socle dessiné par Dufrène et réalisé en grès flammé par Adrien Dalpayrat, un fauteuil de Van de Velde, une lampe en bronze de Gustave Gurschner, un vase de Dufrène et Dalpayrat et une figurine de singe par Joseph Mendes da Costa. La particularité de cette affiche tient évidemment à la grande et hiératique figure féminine qui l’orne. Il s’agit en fait de la célèbre danseuse Cléo de Mérode, qui prête, comme une égérie, son image à la galerie[10].

Manuel Orazi, imprimerie J. Minot, affiche pour La Maison Moderne, 1901, lithographie en couleur sur papier, haut. 0,83 m, larg. 1,175 m, Paris, Bibliothèque nationale de France.

Gustav Gurschner, lampe électrique, bronze, n° 718-1, haut. 0,48 m lampes comprises, Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle (catalogue de La Maison Moderne), 1901, La Sculpture, p. 13. Coll. part.
Outre ces affiches, Meier-Graefe édite également des petits prospectus destinés à véhiculer l’image de sa galerie. Le carton d’invitation à l’inauguration est l’œuvre de Georges Lemmen.

Georges Lemmen, carton d’invitation à l’inauguration de La Maison Moderne, 1899, impression en couleur sur papier, haut. 0,19 m, larg. 0,13 m. Coll. part.
La composition sera également utilisée comme encart publicitaire dans les pages de L’Art Décoratif. Les deux femmes représentées ne sont pas anonymes puisqu’en réalité, il s’agit de Mme Meier-Graefe et de Jenny, une jeune servante[11].
Le second imprimé est réalisé par Manuel Orazi, qui s’inspire de sa propre affiche pour le dessin.

Manuel Orazi, prospectus pour La Maison Moderne, vers 1903, lithographie sur papier, haut. 0,117 m, larg. 0,277 m, Paris, bibliothèque des Arts décoratifs.
De la même affiche, Meier-Graefe imprime encore des bons de réduction, soit pour ses meilleurs clients, soit pour attirer une nouvelle clientèle. L’un des éléments de publicité les plus importants reste l’ouvrage Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, publié en 1901.

Paul Follot, Couverture des Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, Paris, Édition de La Maison Moderne, 1901, haut. 0,30 m, larg. 0,208 m. Coll. part.
Présenté sous la forme d’un florilège des plus belles réalisations d’art de l’époque, il s’agit en réalité du catalogue commercial de la galerie, comportant un très grand nombre de références d’objets de La Maison Moderne.

Félix Aubert, Maison Georges Robert, éventail Iris n° 54-V et sa boîte, c. 1900, dentelle polychrome en soie, corne, émeraude, perle, haut. 0, 28 m, diam. 0,48 m, Caen, Musée de Normandie. Droits réservés. Cet éventail est reproduit dans les Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, 1901, La Dentelle, p. 4.
En plus de ces publicités indépendantes, Meier-Graefe garnit les revues qu’il dirige de références constantes à sa galerie et à ses artistes collaborateurs. Il participe également à des manifestations comme l’Exposition Internationale d’Arts Décoratifs Modernes de Turin en 1902, pour laquelle il édite une carte postale comportant là encore des objets réels provenant de son enseigne.

Maurice Biais, Société Éditrice Cartoline, Salle principale de “La Maison Moderne” à l’Exposition de Turin, 1902, carte postale ancienne, Miami, The Wolfsonian-Florida International University. Droits réservés.
Cependant, malgré toutes ses idées novatrices et son rôle précurseur au début du XXe siècle, la galerie sera un échec. Son directeur la vend en 1904 à Delrue et Cie, qui se chargera de liquider le stock[12]. Le climat de xénophobie ambiant à Paris porte tort tant à Meier-Graefe qu’à Bing, les collectionneurs français voyant d’un mauvais œil un Allemand venir leur faire la leçon de ce que doit être leur goût[13]. De plus, bien que sa structure soit ingénieuse, les coûts de production sont restés trop élevés pour permettre à la galerie de rester viable.

Abel Landry, fauteuil flâneuse n° 43, édité par La Maison Moderne, acajou, garniture moderne, haut 1,04 m, larg. 0,75 m, prof. 0,90 m, galerie Zéhil, Monaco. Photo galerie Zéhil. Ce fauteuil est reproduit dans les Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, 1901, Ameublement et décoration, p. 16.
Cette galerie, portée par un directeur innovant et sûr de son goût, n’a jamais su trouver son public, mais reste l’unique réelle tentative en 1900 de créer une alliance entre art, industrie et commerce.
Bertrand Mothes
Notes
[1] Roger CARDON, Georges Lemmen (1865-1916), Anvers, Petraco-Pandora, 1990, p. 449.
[2] Cat. Exp Georges Lemmen 1865-1916, Bruxelles, Crédit Communal, Gand, Snoeck-Ducaju & Zoon, Anvers, Pandora, 1997, p. 58.
[3] R. [pseud. Julius MEIER-GRAEFE], « Chronique de l’art décoratif, La « Maison Moderne » », L’Art Décoratif, septembre 1899, n° 12, p. 277.
[4] On peut penser que le redoublement du « s » final du nom du propriétaire du restaurant, correspond à la volonté de le faire prononcer à l’allemande et d’éviter une facile confusion avec un mot français un peu trop proche.
[5] En 1900, Möhring avait déjà construit le Restaurant allemand à l’Exposition universelle de Paris qui avait eu un grand succès.
[6] G. M. JACQUES, « Un restaurant allemand à Paris », L’Art décoratif, novembre 1901, n° 38, p. 54-60.
[7] Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle. Reproductions photographiques des principales œuvres des collaborateurs de la Maison Moderne. Commentées par R. [Raoul] AUBRY, H. [Henri] FRANTZ, G.-M. JACQUES [pseud. Julius MEIER-GRAEFE], G. [Gustave] KAHN, J. [Julius] MEIER-GRAEFE, Gabriel MOUREY, Y. [Yvanhoé] RAMBOSSON, E. [Émile] SEDEYN, Gustave SOULIER, G. [Georges] BANS, avec neuf hors textes par Félix VALLOTTON Les Métiers d’Art. Paris, Édition de La Maison Moderne, 1901, L’Ameublement, p. 36.
[8] R., op. cit. à la note 3, p. 277.
[9] Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle, op. cit. à la note 7, La Maroquinerie, p. II.
[10] Alexandre Charpentier (1856-1909). Naturalisme et Art Nouveau, cat. exp., Paris, Musée d’Orsay, N. Chaudun, 2007, p. 126.
[11] Roger CARDON, Georges Lemmen (1865-1916), Anvers, Petraco-Pandora, 1990, p. 449.
[12] Publicité pour La Maison Moderne, Delrue et Cie, Fermes et Châteaux, novembre 1905, n° 3, p. IX.
[13] Nancy J. TROY, Modernism and the Decorative Arts in France : Art Nouveau to Le Corbusier, New Haven et Londres, Yale University Press, 1991, p. 47.
Liste des artistes mentionnés dans les Documents sur l’Art Industriel au vingtième siècle
Félix AUBERT
Henri BANS
Gyula BETLEN
Maurice BIAIS
Alexandre BIGOT
[manufacture] BING & GROENDAHLSofie BURGER HARTMANN
Alexandre CHARPENTIER
Cristallerie de Pantin
Jens DAHL-JENSEN
Pierre Adrien DALPAYRAT
Eugène DELATRE
Maurice DUFRÈNE
Paul FOLLOT
Édouard FORTINY
Maurin GAUTHIER
Gustave GURSCHNER
Bernhard HOETGER
Henry JOLLY
Emil KIEMLEN
G. KISS
Abel LANDRY
Georges LEMMEN
Hans Stoltenberg LERCHE
Clément MÈRE
Charles MILÈS
Georges MINNE
Koloman MOSER
Gabriel OLIVIER
Manuel ORAZI
Blanche ORY-ROBIN
Paul-Élie RANSON
Jakab RAPOPORT
Auguste RODIN
SAINT-YVES SCHLESINGER
Elisabeth SCHMIDT-PECHT
Tony SELMERSHEIM
Louis Comfort TIFFANY
Henry VAN DE VELDE
Heinrich VOGLER
Félix VOULOT
François WALDRAFF
Pour citer cet article :
Bertrand MOTHES, « La Maison Moderne de Julius Meier-Graefe » dans Catherine Méneux, Emmanuel Pernoud et Pierre Wat (ed.), Actes de la Journée d’études Actualité de la recherche en XIXe siècle, Master 1, Années 2012 et 2013, Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en janvier 2014.
Après plus de vingt ans d’engagement, Le Cercle Guimard voit son projet devenir réalité : l’hôtel Mezzara accueillera bientôt le musée Guimard, dédié à l’un des maîtres de l’Art nouveau. Vingt-deux ans après la création du Cercle Guimard, et dix-neuf ans après notre première exposition à l’hôtel Mezzara (Guimard, album d’un collectionneur), notre association franchit aujourd’hui une étape déterminante vers la création du musée Guimard. Nous sommes fiers de vous annoncer que notre équipe — Le Cercle Guimard, Hector Guimard Diffusion, avec les co-financeurs FABELSI et la Banque des Territoires (Groupe Caisse des Dépôts) — a remporté l’appel à candidatures pour un bail emphytéotique de cinquante ans de l’hôtel Mezzara, chef-d’œuvre d’Hector Guimard classé monument historique. Le courrier officiel nous a été adressé le 23 juin 2025.

Hall de l’hôtel Mezzara, état actuel. Photo F. D.
Depuis que cette propriété de l’État a été déclarée « d’inutilité au service public », il y a dix ans, notre association a déployé toute son énergie et mobilisé toutes ses ressources pour faire de l’hôtel Mezzara le futur musée Guimard. Le tournant stratégique de notre action a eu lieu en 2017 avec l’organisation de l’exposition Hector Guimard, précurseur du design, conçue pour démontrer le potentiel de l’hôtel Mezzara en tant qu’écrin muséal. Son retentissement médiatique a permis de faire connaître notre projet au public.
Grâce à l’architecte et historien belge Maurice Culot, nous avons rencontré en 2018 l’entrepreneur passionné de patrimoine Fabien Choné, qui a offert un nouveau souffle à notre démarche. Avec sa structure Hector Guimard Diffusion, nous sommes devenus co-porteurs du projet muséal privé, que nous avons depuis structuré et développé ensemble. Deux appels d’offres lancés par l’État ont été déclarés infructueux, avant que notre candidature ne soit enfin retenue lors du troisième.
Toutes ces années ont permis de professionnaliser Le Cercle Guimard, de constituer une collection, de créer un centre d’archives et une maison d’édition — Les Éditions du Cercle Guimard, dont le premier ouvrage a été consacré à l’hôtel Mezzara — de poursuivre les projets de rééditions et de numérisation, de développer la recherche sur Hector Guimard et ses créations, et d’installer le siège de l’association dans l’ancienne agence de l’architecte, au Castel Béranger.
Une période exaltante s’ouvre désormais : aux côtés de spécialistes de l’Art nouveau, d’artisans d’art, de restaurateurs, d’architectes et de partenaires culturels et institutionnels, nous allons concevoir un musée à la hauteur de l’un des plus grands architectes du tournant du XXe siècle.

Loggia de l’hôtel Mezzara, au second étage de la façade sur rue, vue extérieure. Photo F. D.
Nous remercions chaleureusement, en tout premier lieu, nos adhérents et les membres du conseil d’administration pour leur fidélité, leur engagement et leur patience tout au long de ces années de mobilisation.
Nous pensons avec reconnaissance à Jean-Pierre Lyonnet, premier président du Cercle Guimard, qui nous a quittés il y a plusieurs années, ainsi qu’à tous les anciens membres du bureau qui ont contribué activement au développement de l’association. Merci Arnaud, merci Bruno.
Nous avons également une pensée émue pour les premiers “hectorologues”, dont certains sont encore membres du Cercle : Henri Poupée, Roger-Henri Guerrand, Alain Blondel, Michèle Blondel, Yves Plantin, Laurent Sully Jaulmes et Ralph Culpepper.
Nous sommes bien sûr aussi très reconnaissants envers Philippe Thiébaut, conservateur général honoraire du patrimoine et Georges Vigne, conservateur du patrimoine, qui ont fait très notablement progresser les connaissances sur Hector Guimard par leurs recherches, leurs expositions et leurs publications.
Mais nous remercions aussi :
La DRFIP, la Direction de l’immobilier de l’État, le service local du Domaine de Paris, le ministère de la Culture, la DRAC Île-de-France, ainsi que les membres de la commission d’analyse des candidatures, pour la confiance qu’ils nous ont accordée.
La RATP pour son soutien actif à la valorisation de l’héritage de Guimard.
Les musées et institutions qui nous soutiennent et annoncent de belles collaborations :
Le musée d’Orsay
Le Musée des Arts décoratifs (MAD Paris)
La Cité de l’architecture et du patrimoine
La fondation Le Corbusier
Les Archives de Paris
Le musée de l’École de Nancy.
La Ville de Paris, et en particulier Karen Taïeb, adjointe à la Maire de Paris, dont le soutien constant et décisif fut essentiel, notamment en initiant en 2023 l’Année Guimard qui a largement contribué à faire connaître notre projet.
La mairie du 16e arrondissement pour son engagement en faveur du musée, et tout particulièrement :
Jérémie Redler, maire du 16e
Samia Badat-Karam, première adjointe
Bérengère Gréé, conseillère de Paris.
Le département de la Haute-Marne et la ville de Saint-Dizier pour leur mobilisation en faveur des fontes artistiques de Guimard, avec le concours de :
La fonderie GHM
Le musée municipal de Saint-Dizier et son conservateur Clément Michon
Élisabeth Robert-Dehault et tous les acteurs locaux engagés.
La Normandie et la ville de Cabourg, où Guimard construisit trois villas emblématiques (La Sapinière, La Bluette, La Surprise), avec le soutien de :
La Villa du Temps Retrouvé
Tristan Duval, Emmanuel Porcq, Roma Lambert.
Nos partenaires américains, qui ont largement contribué à la reconnaissance internationale de Guimard :
Le Driehaus Museum
L’Art Institute of Chicago
L’Alliance Française de Chicago
Le Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum de New York
Le Virginia Museum of Fine Arts
Delta Air Lines.
Et nous adressons également des remerciements appuyés à Barry Bergdoll, David Hanks, Sarah Coffin, Ingrid Gournay, David Dozier, Elisabeth Cummings.
En Catalogne, nous remercions Teresa Sala, Professeur d’Histoire de l’Art à l’Université de Barcelone et spécialiste du Modernisme catalan.
En Belgique, nous remercions le Horta Museum et son conservateur Benjamin Zurstrassen, ainsi que Françoise Aubry. Notre projet vise également à renforcer les liens entre Bruxelles et Paris autour de l’Art nouveau.

Loggia de l’hôtel Mezzara, au second étage de la façade sur rue, vue intérieure. Photo O. P.
Nous remercions également les professionnels qui ont contribué à la qualité et à la solidité de notre dossier de candidature :
Rydge Avocats, pour leur accompagnement juridique
KPMG, pour leur expertise financière et fiscale
Beaux-Arts Consulting, pour leur expertise stratégique et culturel
Thibierge Notaires, pour le volet notarial
REVA (Bruno Donzet et Maurice Masri), pour l’économie du projet
Picard Expertise, pour l’évaluation immobilière
Dozier Stratégie, conseils en partenariat et financement culturel.
Enfin, nous exprimons notre profonde gratitude à toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont soutenu ce projet : élus, chercheurs, musées, institutions, associations, journalistes, collectionneurs et passionnés — en France comme à l’étranger. À toutes les personnes qui, même brièvement, ont croisé notre chemin et apporté leur aide ou leurs conseils au bon moment, nous disons également merci. Ces dix années d’efforts nous ont permis de nouer de nombreux liens solides, souvent amicaux, que nous n’oublierons pas.
Le bureau du Cercle Guimard
Nicolas Buisson, Frédéric Descouturelle, Nicolas Horiot, Peggy Laden, Dominique Magdelaine, Olivier Pons
Vous pouvez recevoir les objets par colis ou vous déplacer au domicile de Frédéric Descouturelle, secrétaire de l'association.
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Actuellement, seul le règlement par chèque est possible. Les chèques seront à libeller au nom de : « Le Cercle Guimard ».
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Se déplacer au domicile de notre trésorier, à Montreuil (métro Robespierre).
Vous pouvez prendre rendez-vous par courriel pour venir un vendredi après-midi ou un samedi matin. Dans ce cas, le règlement en espèces est possible.
Vous pouvez réaliser un règlement unique comprenant l’achat et la cotisation.
