Cette série de trois articles développe un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail. Nous y utilisons les termes d’entourages « anciens » ou « authentiques » du métro de Paris, de « copies » et de « faux » que nous devons tout d’abord expliciter. Nous considérons comme « authentiques » ou « anciens » les entourages et édicules du métro de Paris dont les éléments ont été édités d’après les modèles de Guimard depuis la création du métro en 1900 jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale en 1922. Cependant les accès de métro Guimard actuellement présents sur le réseau parisien ne sont qu’en partie authentiques car bon nombre d’entre eux ont subi à partir de 1976 des restaurations plus ou moins complètes où des éléments disparus ont été remplacés par des copies. Celles-ci ont été rééditées tout d’abord par surmoulage, puis avec de nouveaux moules aux dimensions exactes. C’est avec ces copies d’éléments qu’au cours de ces dernières années la RATP a fourni des entourages complets aux compagnies de métro de différentes villes étrangères (Lisbonne, Mexico, Chicago et Moscou). Il s’agit là de copies d’entourages, mais pas de « faux » au sens légal du terme puisqu’il n’a jamais été question de les faire passer pour des entourages anciens de Paris. En revanche, nous allons nous intéresser à une série de copies d’entourages qui sont des faux car ils ont été créés avec l’intention de les vendre comme authentiques.
En mars 2019 nous avons été contacté par la représentante en France de la filière américaine d’une maison de ventes aux enchères britannique bien connue : Bonhams. Elle nous proposait de nous prononcer sur un « exceptionnel ensemble de Guimard » et d’en rédiger la notice de présentation pour sa vente prévue en juin 2019 à New York. Pressentant de quoi il pouvait être question et contrairement à nos habitudes, nous avons répondu favorablement à cette demande. Nous avons alors eu confirmation qu’il s’agissait bien d’un nouvel entourage de métro parisien qui se vendait aux États-Unis…
Comme nous commençons à avoir une certaine expérience des « nouveaux-entourages-de-métro-parisien-se-vendant-aux-États-Unis » et sans encore dévoiler nos batteries, nous avons aussitôt demandé des précisions à Bonhams New York.
Le premier élément que nous avons voulu éclaircir était la nature du métal employé pour les pièces modelées de l’entourage. Comme nous nous y attendions, il nous a été répondu qu’elles étaient en bronze. Ce simple fait impliquait à lui seul que ces pièces avaient été surmoulées et coulées dans un matériau autre que les pièces originales [1] et que l’entourage était donc une copie.
Nous avons aussi demandé des photographies supplémentaires, ciblées sur des points où nous étions à peu près sûr de trouver matière à faire des commentaires. Les clichés qui nous ont été fournis confirmaient l’hypothèse d’une copie en montrant que certaines pièces modelées présentaient un aspect discordant avec celui qu’elles auraient dû avoir et que leur assemblage souffrait d’erreurs et d’approximations.
En plus des photos demandées, la maison Bonhams nous a fourni deux documents :
Afin de faciliter la description d’un entourage découvert, nous rappelons ci-dessous les noms que nous avons attribués à ses éléments constitutifs :
1- piliers (fonte).
2- arches (fonte).
3- porte-enseigne supérieur (fonte).
4- porte-enseigne inférieur (fonte).
5- étriers (fonte).
6- casques (fonte).
7- cimiers (fonte).
8- verrines de signalisation (originellement en verre soufflé-moulé) puis remplacées par des globes de signalisation (matériau de synthèse moulé).
9- écussons (fonte).
10- arceaux (fonte).
11- potelets de milieu (fonte).
12- potelets d’angle (fonte).
13- flammes (fers en U en acier laminé, découpés et pliés aux extrémités).
14- fers (fers en U en acier laminé).
15 & 16- lames (barres en acier laminé).
17- pierres de socle (Comblanchien).
18- enseigne (lave émaillée).
Nous avons donc envoyé à la maison de vente Bonhams l’argumentaire suivant :
Les pièces de l’ensemble présenté comprennent : deux piliers, deux arches, un porte-enseigne supérieur, un porte-enseigne inférieur ; deux « étriers » s’insérant sur les piliers et recevant les globes de signalisation, deux pièces fusionnant « casques » et « cimiers » s’insérant au-dessus des « étriers », deux globes de signalisation rouges en produit de synthèse, deux potelets d’angle postérieurs, dix potelets intermédiaires, douze écussons, douze arceaux, 24 fers en U découpés aux extrémités (« flammes »), plusieurs longueurs de fers en U destinés à maintenir la balustrade dans sa longueur. Ces pièces se prêtent à un seul type de combinaison : celle d’un entourage à fond orthogonal comprenant trois modules en largeur et cinq modules en longueur. Il manquerait alors un écusson, un arceau et deux « flammes » pour l’une des deux longueurs. Il est possible de réduire la longueur à quatre modules. Dans ce cas il subsisterait, non utilisés, un écusson, un arceau et deux « flammes ».
Par rapport à un entourage complet, il manque :
– les pierres de socle en pierre de Comblanchien,
– l’enseigne en lave émaillée,
– la lame en acier passant sous le porte-enseigne inférieur pour le solidariser au porte-enseigne supérieur,
– les deux lames en acier permettant la fixation des arches sur les piliers.
Les pièces de la vente Bonhams présentent les anomalies suivantes :
– Les découpes des extrémités supérieures et inférieures des « flammes » sont approximatives. Le calibre du fer en U est trop mince.
– Les points de fixations des écussons sur le rail supérieur sont trop excentrés.
– La partie centrale du porte-enseigne supérieur est trop arrondie.
– La fixation du porte-enseigne inférieur se fait par boulonnage dans un plan transversal (d’avant en arrière) et non au moyen d’une lame de fer passant sous le porte-enseigne inférieur puis boulonnée dans un plan frontal (de haut en bas) sur le porte-enseigne supérieur et l’arche.
– La fixation des arches sur les piliers se fait directement sur l’arche, d’avant en arrière, et non au moyen d’une lame de fer appliquée sur l’arche.
Les « casques » et les « cimiers » sont fusionnés en une seule pièce au lieu d’être des pièces indépendantes.
– Aucun des piliers, potelets d’angle et potelets intermédiaires ne possède de patte de fixation scellée dans sa masse. La base est creuse au lieu d’être pleine.
– Les éléments modelés sont tous en bronze. Cet élément est le plus important de tous car, de façon certaine, aucun accès de métro Guimard n’a été édité en bronze. Tous les accès de métro Guimard, de 1900 à 1922, ont été édités en fonte de fer.
Cet entourage en bronze est donc une copie, de qualité plutôt moyenne d’un entourage Guimard.
La maison de vente Bonhams a admis de bonne grâce nos arguments qui les ont, d’une certaine manière, soulagés car, malgré leurs efforts, leurs techniciens ne parvenaient pas à effectuer un montage satisfaisant de l’entourage. La vente a malgré tout été maintenue le 7 juillet 2019. Le catalogue précisait « Reproduction After The Original Paris Metropolitan Railings and Portal, Second Half of the Twentieth Century » et comportait un remerciement au Cercle Guimard.
Alors que l’entourage, d’après la maison Bonhams, aurait été payé 700 000 $ par le père de l’actuel vendeur, son estimation était bien inférieure à celle initialement escomptée : 100 000 à 200 000 $. Quant au prix d’adjudication, il fut encore plus bas : 37 575 $…
Mais ce faux entourage en bronze n’était pas le premier du genre. Nous examinerons ses « frères » dans un prochain article.
F. D.
Nous remercions Mme Catherine Yaiche de la maison de vente Bonhams France et M. Benjamin Walker, chef du département Art décoratif moderne et Design de la maison de vente Bonhams New York.
[1] Les pièces modelées des accès de métro de Paris conçues par Guimard sont plus modestement en fonte de fer et ont été fondues par Le Val d’Osne.
[2] M. Nicolaas Borsje est alors membre titulaire de la Compagnie en expertise en antiquités et objets d’art, 9 cité Trévise à Paris.
[3] « Without any reservations whatsoever, I am of the opinion that the entry station gate to Paris Metro Subway System acquired by Arnold P. Mikulay en 1991 is authentic and is the creation and work of HECTOR GUIMARD. »
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