Cette série d’articles consacrée à l’entreprise du céramiste Émile Muller à Ivry et à ses rapports avec le mouvement Art nouveau se conclut par une étude centrée sur sa production de cheminées de style moderne. Nous nous offrons ainsi une escapade en dehors des créations de Guimard puisqu’à notre connaissance celui-ci n’a pas sollicité Muller pour créer et encore moins éditer des objets du décor fixe. Mais nous saisissons l’occasion de cet article pour y révéler l’existence de fausses cheminées d’un modèle bien connu de Muller et dont l’une se trouve au Metropolitan Museum de New York.
Depuis toujours, la cheminée — le foyer — symbolise à la foi le lieu de la vie domestique et la cellule familiale qui se réunit autour d’elle quand elle apporte un peu de confort pendant les mois froids de l’année. Au XIXe siècle, alors que la salle à manger devient la pièce de réception bourgeoise par excellence, sa cheminée est un élément essentiel du décor, même si son rôle fonctionnel diminue à mesure de la progression des innovations que sont le poêle puis la salamandre qui s’adapte devant son foyer et surtout le chauffage central par radiateurs ou par conduits d’air chaud. La cheminée est alors réduite à un rôle de chauffage d’appoint ou de demi-saison. Cependant, ni les propriétaires, ni les décorateurs, ne sont prêts à abdiquer quant à sa présence dans la maison et à son rôle dans la représentation sociale[1].
Les cheminées de style Art nouveau
L’Art nouveau sera le style dans lequel l’aspect formel de la cheminée va littéralement exploser. De 1895 à 1900, les modèles modernes sont peu nombreux et surtout peu visibles car destinés à des intérieurs privés, sans commercialisation en série, à l’exception de quelques rares modèles présentés dans les revues spécialisées ou des salons officiels.
Dans les sections françaises de l’Exposition universelle de 1900, on peut tout d’abord croiser des cheminées dont la structure est encore clairement néogothique ou néo-Renaissance mais dont le décor est simplement modernisé comme celles de William Haensler, de Georges Turck ou du stand des Écoles professionnelles de la Ville de Paris. D’autres cheminées sont clairement de style Art nouveau comme celles des salles à manger de la maison Épeaux et de la maison Dumas, toutes deux du faubourg Saint-Antoine, qui réinterprètent avec surabondance le style naturaliste des nancéiens.
Cheminée de la salle à manger de la maison Dumas, présentée à l’Exposition universelle de Paris de 1900. Actuellement exposée au sein de la villa Cochet (Champagnes Pommery) à Reims. Nous ignorons le nom du céramiste qui a fourni le rétrécissement. Photo auteur.
La cheminée présentée par Louis Bigaux est plus personnelle, tout comme celle d’Henri Bellery-Desfontaine qui fait la part belle à la peinture sur sa grande hotte.
Mais de véritables innovations stylistiques sont aussi présentes à cette exposition, au sein de la classe 66 (décoration fixe des édifices publics et des habitations) avec la cheminée en bois du stand de Pierre Selmersheim et celle de Guimard en fonte bronzée et lave émaillée où structure et décor fusionnent en des formes organiques.
Cheminée du stand de Pierre Selmersheim, présentée à l’Exposition universelle de 1900. Portfolio Exposition de 1900 La Décoration et l’Ameublement, 2e série. Bibliothèque Forney.
Pendant quelques années, des pièces uniques aussi exceptionnelles que la cheminée de la salle à manger Masson à Nancy vont être produites pour des commanditaires fortunés. Elles sont évidemment hors de portée pour l’immense majorité des budgets bourgeois.
Cheminée de la salle à manger de Charles Masson à Nancy par Eugène Vallin et Victor Prouvé, 1903, présentée au musée de l’École de Nancy. Facturée 4683,45 F-or par Vallin, cette cheminée n’a probablement jamais connu de flambée car dès l’origine une résistance électrique est disposée devant son foyer. Photo Philippe Husson.
L’achat d’une cheminée, partie du décor fixe d’une demeure, ne concerne que des propriétaires dans le cas d’une construction neuve ou de la modernisation d’un logement ancien, et non les locataires. C’est pourquoi les ensembles mobiliers vendus sur catalogue par les maisons d’ébénisterie n’en comprennent habituellement pas. Elles en proposent cependant, à des prix très variables. La maison Épeaux, par exemple, qui à la veille de la Première Guerre mondiale n’a toujours pas réussi à vendre sa cheminée d’exposition de 1900, l’affiche sur son catalogue au prix de 4 800 F-or.
Cheminée de la salle à manger de la maison Épeaux au motif de fleurs de pommier en acajou de Cuba et bois d’or, présentée à l’Exposition universelle de Paris de 1900. Coll. part.
Les cheminées Art nouveau en grès émaillé
Même si des ateliers de marbrerie produisent à la chaîne des manteaux de cheminée sculptés de quelques modèles inlassablement répétés, toute fantaisie ou tout simplement toute nouveauté se paie d’autant plus cher qu’un matériau coûteux doit être travaillé par un ouvrier spécialisé. Les fabricants en produits de tuilerie, les fabricants en carreaux de grès émaillé, tout comme les industriels poêliers ont donc vite compris que grâce à la céramique émaillée et tout particulièrement au grès émaillé, ils pouvaient dépasser la simple fourniture de carreaux destinés à garnir les manteaux de cheminée pour fabriquer en série les manteaux eux-mêmes, constitués de quelques éléments facilement assemblés et offrant d’excellentes qualités thermiques. Sur un simple schéma en fer à cheval autour du foyer et avec seulement l’obligation de le surmonter d’une ou de plusieurs tablettes et éventuellement de ménager des emplacements pour les accessoires (pelles et tisonniers), ils peuvent laisser libre cours à l’imagination des créateurs. Ce type d’article est alors d’un rapport suffisamment intéressant pour que la plupart des fabricants lancent sur le marché des modèles de cheminées en grès émaillé de style moderne. Nous en donnons ci-après quelques exemples.
La faïencerie de Sarreguemines, en territoire lorrain occupé par l’Allemagne et qui, pour des raisons commerciales, se cache derrière les noms de ses implantations françaises de Digoin et Vitry-le-François, présente à l’Exposition universelle de 1900 une cheminée en grès émaillé de style Art nouveau due à l’architecte Victor Bury. Le beau motif en corolle de sa partie centrale est malheureusement affaibli par le modelage du reste du manteau, des consoles et des tablettes que la chaleur du foyer semble avoir fait fondre.
Cheminée de Sarreguemines en grès émaillé, présentée à l’Exposition universelle de 1900. Photo internet.
Cheminée identique au musée de la faïence de Sarreguemines. Photo tirée de insming.centerblog.net
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