Le Cercle Guimard vous propose deux nouvelles dates de visites guidées cet automne :
Rendez-vous à l’entrée de la villa Seurat dans le 14ème arrondissement pour débuter le parcours…
Rendez-vous à la station Edgar Quient dans le 14ème arrondissement…
En vous souhaitant une belle journée , et à bientôt pour de nouvelles dates de visites guidées au Castel Béranger et à la Synagogue de la rue Pavée !
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 0 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |
En tout architecte n’y a-t-il pas un petit démiurge qui sommeille ? Rares sont les professions dans lesquelles, sous l’impulsion et les plans d’une seule personnalité s’élève ex nihilo une œuvre concrète qui généralement lui survivra. Si la plupart d’entre eux en sont conscients, peu nombreux sont ceux qui déclarent avoir pour ambition, non de révolutionner leur profession, mais de créer un style si personnel qu’il est digne de porter leur nom. Hector Guimard a osé le faire.
Tous les historiens d’art qui ont étudié l’œuvre de Guimard n’ont pas manqué de relever l’usage immodéré des divers qualificatifs qu’il a utilisés pour son œuvre. Secrètement navrés ou implicitement admiratifs devant son audace à employer le terme de « Style Guimard », ils ont constaté que cette démonstration d’orgueil n’avait pas manqué de lui attirer des moqueries, et supputé — sans doute à raison — qu’elle avait engendré des inimitiés, lesquelles avaient à coup sûr contribué à l’isoler du monde artistique contemporain. S’il est parfaitement exact que les grands médias français traitant d’art décoratif, après s’être brièvement intéressé à lui à l’époque du Castel Béranger, l’ont ensuite boudé, nous savons à présent que Guimard a de tout temps déployé une intense sociabilité qui a partiellement compensé cette absence de reconnaissance. Nous tenterons dans cet article de mieux cerner ces différents qualificatifs et les époques auxquelles Guimard a pu les employer. Nous verrons qu’ils ne se succèdent pas de façon linéaire dans le temps comme on avait pu le croire mais qu’ils sont plutôt usités en fonction de ses besoins ou de ses envies.
Acteur des débuts en France de ce que nous appelons actuellement le style Art nouveau, Guimard a sans doute très vite perçu l’intérêt qu’il avait à trouver par lui-même une dénomination à sa création avant que l’opinion ou plutôt les médias ne le fassent à sa place. Il était également opportun que cette dénomination le distingue des autres rénovateurs de l’architecture et de l’art décoratif. Le nom de « style Art nouveau » avait déjà précédemment été employé en Belgique. De plus, en 1895, date clé qui marque les débuts de la création du Castel Béranger, ce nom était également devenu une raison commerciale parisienne avec l’ouverture de la galerie L’Art Nouveau Bing par le marchand d’origine allemande Siegfried Bing[1] qui présentait et vendait un vaste choix de la production française, européenne et américaine dans ce style. On comprend qu’il était dès lors difficile pour Guimard d’accepter ce patronage pour son œuvre personnel. La conscience aigüe qu’il avait de la valeur et de l’originalité de ses créations l’ont certainement poussé à trouver un qualificatif qui ne les assimilait pas à ce qui a été très vite perçu par la presse comme un art d’importation étrangère — tour à tour vu comme belge ou anglais — et qui a fait l’objet d’un rejet xénophobe (et antisémite) dès l’ouverture de la galerie L’Art Nouveau Bing[2]. Ce dernier épisode est à replacer dans un contexte d’agitation nationaliste qui n’a fait que croître pendant une décennie avant l’acmé de l’affaire Dreyfus en 1898 et qui a ensuite vu la nette victoire de la droite nationaliste aux élections municipales de Paris en 1900. De façon logique, ce rejet xénophobe a entraîné dans les médias une exhortation à créer un style moderne qui soit véritablement français, un leitmotiv qui a semblé pour beaucoup de critiques trouver son accomplissement dans les constructions élégantes et calmes de l’architecte Charles Plumet. Son œuvre, unanimement salué, a été vu comme un ultime avatar de la Renaissance Française. Mais Guimard, dont la conversion au style moderne était intimement liée à sa découverte en 1895 des travaux des architectes belges Hankar et Horta, s’est trouvé dans une position plus ambigüe. Plusieurs indices nous prouvent qu’il a tenté d’échapper à l’anathème du cosmopolitisme qui pouvait lui être jeté à tout instant.
Dès le premier de ses trois articles consacrés au Castel Béranger[3]en 1896, l’architecte Louis-Charles Boileau avait allumé un contre-feu à cette accusation d’inspiration venue de l’étranger en signalant à son lectorat que les papiers peints de Guimard n’étaient « pas anglais »[4]. Cette précision, sans doute apportée à l’instigation de Guimard, est à deux niveaux de lecture. Elle peut tout d’abord, par antithèse, aider le lecteur à mieux situer le style de Guimard en l’opposant au style anglais en matière de papiers peints, style alors bien connu et bien reconnaissable. Mais elle veut aussi se placer sur un plan politique et nationaliste.
Peu après l’article de Boileau, en janvier 1897, Charles Genuys, ancien professeur de Guimard à l’École nationale des arts décoratifs, a publié dans La Revue des Arts Décoratifs un article vigoureusement intitulé « Soyons Français ! » dans lequel il mettait en garde contre la tentation que pourraient avoir les artistes décorateurs modernes de se mettre à la remorque des artistes étrangers et en particulier des belges. Genuys visait ici ce qu’on appelle « la ligne Belge », c’est-à-dire la tendance emmenée par Henry Van de Velde qui, contrairement à Horta, réfutait toute idée d’inspiration de la nature pour construire un décor et une structure purement linéaire et abstraite. Ce texte de Genuys qui venait en réalité soutenir les efforts de Guimard, a toutefois pu aussi résonner comme un avertissement à l’endroit de celui qui, s’il disait vouloir toujours se référer à l’inépuisable spectacle de la nature, n’en privilégiait pas moins les arrangements de lignes abstraites.
On comprend mieux ainsi le libellé de l’enseigne du stand conçu par Guimard pour l’entreprise Gilardoni & Brault à l’Exposition de la Céramique au Palais des Beaux-Arts en 1897[5]. On peut y lire que le porche d’une grande habitation parisienne qui y est exposé est en « Style Moderne National ». Quoique éphémère, l’utilisation de ce terme n’a alors pas échappé au décorateur Eugène Belville[6]. Dans la revue Notes d’art et d’archéologie de 1897, il ironisait sur son emploi par Guimard qui, écrivait-il, « épigraphie ses constructions madréporiques du titre de Style National Moderne ». Il le mettait alors en garde contre la prétention qu’ont certains de « faire un style » qui pourrait « soulever la méfiance du public » au contraire de ceux qui « se contenteraient de chercher du style ».
On va voir que le débat sur la question de savoir si le style de Guimard était bien un style français a ressurgi en 1898 et 1899, à chaque évènement organisé par l’architecte autour du Castel Béranger. Ainsi, en rendant compte avec enthousiasme de la publication du portfolio du Castel Béranger dans Le Moniteur des Arts du 28 janvier 1899, son directeur Maurice Méry, ne voulait pas admettre qu’il ait pu s’inspirer de l’exemple belge :
« Tout cela, pour une fois, j’ai la joie de le constater, est l’œuvre d’un Français, d’un des nôtres et qui n’a pas été chercher son inspiration à l’étranger […] »
Alors qu’un auteur à l’esprit plus large et plus perspicace, l’écrivain Octave Uzanne, admetait qu’une influence étrangère, belge en l’occurrence, puisse revivifier l’architecture moderne française. Ainsi, dans un texte daté du 29 novembre 1898, mais publié en 1899 dans son ouvrage Visions de Notre Heure. Choses et gens qui passent, il pensait avoir trouvé en la personne de Guimard l’architecte providentiel qui semblait faire cruellement défaut à Paris. Au hasard de ses balades dans la capitale, dénonçant « l’inquiétante torpeur imaginative de ses architectes », « la niaise ordonnance de ses bâtisses » ou encore son « architectonique imbécile », il s’émerveilleait au contraire devant l’originalité du Castel Béranger et son « architecture quelque peu révolutionnaire », fruit selon lui d’« une pensée murie […] tendant à la rénovation de l’art architectural ». Heureux, presque étonné d’avoir « déniché cette œuvre bâtie et réalisée à Paris », il s’appuyait sur l’exemple de la Belgique et sa révolution architecturale en cours pour émettre le vœu que Guimard s’impose de la même manière en France en tant que chef de file des architectes modernes :
« Puisse M. Hector Guimard devenir bientôt notre Horta de France ! ».
Mais d’autres auteurs, plus étroitement cocardiers, ont rejetté cette idée. C’est le cas d’Édouard Molinier dans son article paru dans Art et Décoration en mars 1899 et qui écrivait à propos du Castel Béranger :
« Sans nier le mérite de Horta, il y avait peut-être mieux à faire, pour un artiste français, que d’aller chercher ses inspirations en Belgique. Nous eussions préféré assister à une tentative, fût-elle incomplète de résurrection du vieux style français ».
Peu après, le 15 avril 1899, dans son article consacré aux résultats du premier concours de façades de la ville de Paris pour lequel le Castel Béranger a été primé, un journaliste de L’Illustration était du même avis que Molinier :
« Il serait aisé de chicaner M. Guimard sur bien des détails ; on pourrait lui demander malicieusement s’il n’a pas trouvé en Belgique l’inspiration créatrice. »
Même si la seule occurrence d’utilisation de l’adjectif « national » par Guimard que nous connaissons est celle de l’enseigne du stand Gilardoni en 1897, nous soupçonnons qu’il a continué à l’utiliser au moins oralement jusqu’au début de l’année 1899. Nous en voulons pour preuve le texte d’un article paru dans Le Monde Illustré du 8 avril 1899, lui aussi consacré au concours de façades la ville de Paris, mais bien opposé au persiflage de l’article de L’Illustration qui paraîtra une semaine plus tard. Ce premier article est signé « G. B. ». Pourrait-il s’agir de Georges Bans, l’un des publicistes proches de Guimard, également rédacteur de la revue La Critique ? En tous cas, son auteur, subjugué par l’architecture du Castel Béranger, au vu des formules et de l’argumentaire employés, a sans doute rencontré Guimard sur place. Il terminait son article par une vibrante affirmation du caractère national de son œuvre :
« […] car le “Castel Béranger” est une œuvre bien française, et en dépit de son apparence spontanée et révolutionnaire, elle se rattache directement aux traditions de notre art et de notre vie nationale moderne. »
Cette phrase est étonnamment proche de la conclusion d’un des deux textes figurant dans l’opuscule titré Études sur le Castel Béranger, signé « PN », initiales sous lesquelles on s’accorde à reconnaître Paul Nozal, ami proche de Guimard et fils de son futur client et associé, Léon Nozal. Cette étude est parue au moment de l’exposition du Castel Béranger dans les salons du Figaro, du 5 avril au 5 mai, prolongée jusqu’au 20 mai, sans qu’on en connaisse la date précise de publication[7], si bien que nous ne savons pas si G. B. a réduit la phrase de PN ou si au contraire c’est PN qui a amplifié celle de G. B. :
« Pourtant il est une chose que je tiens à répéter en terminant : c’est que le Castel Béranger est une œuvre bien française, c’est qu’en dépit de son apparence spontanée elle se rattache directement et profondément aux traditions de notre art et de notre vie nationale, et que sous une expression nouvelle elle est bien un produit des générations lentement écloses et muries sous le même climat, un produit de notre sol et de notre race. »
Pour sa part, Guimard semble avoir dès lors abandonné sans retour cette rhétorique que l’on qualifierait aujourd’hui d’identitaire mais qui restera très répandue dans la presse encore pendant quelques décennies. En effet, sur les invitations à l’exposition consacrée au Castel Béranger dans les locaux du Figaro qui débute en avril 1899, il mentionnait qu’il s’agit de « compositions dans un style nouveau ».
Cette nouvelle expression, sans doute trop proche d’« Art nouveau », n’a ensuite plus été utilisée, à une exception. En 1911, la maison de quincaillerie Paquet à Grenoble s’est en effet engagée, à la demande de l’architecte, à utiliser la formule « Modèle Style Nouveau H.G. » [8] pour désigner le bouton de porte en porcelaine qu’elle fabriquait pour Guimard. Mais en réalité, la formulation retenue sur le catalogue publié a conservé les initiales de l’architecte tout en supprimant le « Style Nouveau ».
Sur les plans de la villa Canivet[9] datés des 13 et 20 avril 1899 apparaît, marquée au tampon, la mention « Architecte d’Art ». S’il est possible que le coup de tampon ait été ajouté ultérieurement sur ce plan, dès l’année suivante, au moment de l’Exposition Universelle, Guimard a utilisé ce terme. Il lui est resté fidèle pendant au moins une décennie puisqu’il figurait encore en 1909 sur son faire part-de mariage.
Guimard a voulu très simplement signifier par là qu’il désirait donner à toute sa production un caractère artistique qui la distinguerait de la production architecturale et décorative banale. Quelques années plus tard, en 1908, le titre « Fontes artistiques » de ses catalogues édités par la fonderie de Saint-Dizier participait de la même inflation qualitative en voulant signaler une production possédant un véritable caractère artistique, à la différence de la quasi-totalité des autres fontes d’ornement du commerce. Mais vouloir se distinguer des autres en signalant sa qualité éminemment artistique ne revenait-il pas aussi à rabaisser la leur ? On connaît le caractère artisanal et manuel de l’exercice usuel d’un ferronnier ou d’un menuisier. Et l’on admet alors volontiers qu’il se signale en tant que « ferronnier d’art » et « menuisier d’art » quand sa production le mérite. Mais on admet beaucoup moins bien qu’un architecte dont on suppose qu’il a suivi l’enseignement de l’École Nationale des Beaux-Arts, se pare du titre « d’Architecte d’Art » (surtout en y ajoutant des majuscules).
Le premier article de presse faisant référence à ce qualificatif a sans doute été celui de Pascal Forthuny[10] décrivant le mobilier à l’Exposition Universelle, paru dans la revue Le Mois littéraire et pittoresque de décembre 1900 :
« […] M. Guimard — par quel concept aveuglé ? — prétend être un architecte d’art (!) et avoir créé un style ! […] Et puis, qu’est-ce que cela signifie ? Et enfin un individu crée-t-il un style ? Et M. Guimard a-t-il le droit de renier ses origines ? »[11]
Ces derniers mots de l’article de Forthuny « et avoir créé un style » laissent d’ailleurs entendre que Guimard a également commencé à utiliser dès cette époque la mention « Style Guimard ». Ce qui est confirmé par la commande par Eugène Déjardin pour son stand de « l’Extrait de malt français Déjardin » à l’Exposition Universelle d’une série de « meubles vitrine en Vikado[12] style Guimard[13] ».
En 1901, à peine quelques mois après la parution du texte de Forthuny, la revue La Vie Moderne a publié un article anonyme mais passionnant, intitulé « Le Style Guimard ». Il s’agit probablement d’un des textes d’époque les plus aboutis sur le sujet. S’appuyant sur ses travaux les plus récents comme le Castel Béranger ou les accès du métropolitain — dont il fait une critique favorable — puis sur le parcours et la personnalité de l’architecte, l’auteur ne se montre à aucun moment choqué par l’emploi de cette expression. Il en propose au contraire une explication détaillée en justifiant son utilisation par la logique qui anime ses constructions, l’harmonie d’un style naturaliste habilement puisé dans les répertoires historiques tout en étant débarrassé de ses ornements superflus et la beauté d’une ligne dont il souligne la finesse et la simplicité :
« …les courbes, les inflexions de ces lignes obéissent à une idée générale ; à une théorie préconçue dont la réalisation confère à l’objet une marque distinctive, une originalité propre, un style personnel qui est, pourquoi ne pas le dire ? le Style Guimard.»[14]
À partir de l’Exposition universelle, un débat s’est donc engagé par articles interposés sur la légitimité de l’architecte à donner son nom à un style. Guimard n’a jamais autant dérangé, suscité de sentiments contraires, de positions irréconciliables qu’à cette époque considérée comme une des périodes clés de sa carrière. La controverse a atteint son paroxysme trois ans plus tard à l’occasion de l’Exposition de l’Habitation au Grand Palais en 1903, où la mention « Pavillon Style Guimard » était clairement affichée sur l’enseigne en lave émaillée du porche du pavillon de Guimard.
Elle accompagnait celle d’« Architecte d’art » sur la série de cartes postales vendue à cette occasion. Elle faisait également l’objet d’un texte explicatif intitulé « Le Style Guimard » qui figurait sur le dépliant servant d’emballage aux cartes ainsi qu’au verso du dépliant accompagnant la conférence qu’il a prononcé le 27 octobre au Grand Palais. Guimard y exposait ses principes architecturaux en s’appuyant sur la trilogie « Logique, Harmonie et Sentiment » qu’il avait développée depuis sa conférence de 1899 dans les salons du Figaro[15].
Vue par beaucoup comme un insupportable manque de modestie, cette mention « Style Guimard », a bien entendu été tout aussi mal reçue que le qualificatif d’« Architecte d’Art ». Outre la singularité de ce terme, singulier puisqu’aucun autre artiste, décorateur ou architecte contemporain ne s’est risqué à l’imiter, son emploi sous-entend aussi une rupture d’avec le passé et le processus d’enchaînement des styles les uns aux autres. C’est ce que voulait dénoncer Forthuny en 1900 en écrivant : « M. Guimard a-t-il le droit de renier ses origines ? » C’est à dire, Guimard ne veut-il pas nier ce qu’il doit à l’art médiéval, à l’art Baroque, à l’art oriental et plus récemment à Horta, Hankar ou Van de Velde ? Une partie des critiques n’a donc pas admis qu’un artiste contemporain puisse vouloir donner son nom à un style quand les grands décorateurs du passé n’avaient pas cette prétention. Cette opinion a prévalu dans les grandes revues d’art décoratif, comme Art et Décoration dans laquelle est paru en octobre 1903 un article anonyme commentant l’Exposition de l’Habitation au Grand Palais :
« M. Guimard dans son pavillon, nous offre un mélange peu équilibré de bonnes et de mauvaises choses. L’artiste a encore besoin de s’assagir un peu. Mais quelle étrange prétention le pousse à orner son œuvre d’écriteaux informant les visiteurs qu’ils sont admis à admirer le Style Guimard ! Je ne crois pas que nos grands décorateurs, Du Cerceau, Meissonnier, aient jamais ainsi baptisé leur manière, et pourtant… »
Au contraire, le journal La Fronde est venu à son secours. Ce premier quotidien féministe, engagé dans de nombreux combats progressistes, au premier plan desquels figurait la revendication de la place des femmes dans la société, n’était pas spécialisé dans l’art décoratif. Mais son article du 16 août 1903, intitulé « Le Style Guimard » et signé La Dame D. Voilée[16]…, juge excessives les critiques dont fait l’objet Guimard :
« [les méprisants du Style Guimard] ont-ils remarqué dans la nuit, tout là-bas à la Porte Dauphine, deux grandes lucioles qui brillent à travers arbres et arbustes, avec un charme mystérieux, ce sont là pourtant deux kiosques du Métropolitain. Quelle enseigne, quelle rampe de gaz ou réclame électrique serait à la fois plus significative et plus élégante que ces deux cages phosphorescentes qui indiquent si gentiment l’emplacement des stations du Métro ».
À la fin de cette même année 1903, de la même façon que dans Art et Décoration, Guimard a sévèrement été attaqué par le critique d’art et spécialiste de l’histoire du mobilier français Roger De Félice dans son compte-rendu du Salon d’Automne paru dans la revue L’Art Décoratif. Son commentaire de l’envoi de Guimard (consistant en des dessins aquarellés) s’attache tout d’abord à ironiser sur les qualificatifs « Architecte d’Art » et « Style Guimard » avant de prétendre que ces mentions orgueilleuses ne sont finalement là que pour valoriser une œuvre inutilement compliquée :
« M. Hector Guimard nous présente, lui aussi, des projets d’ensembles décoratifs, mais à l’état de simples croquis aquarellés. M. Guimard plonge le public dans une grande perplexité. Sa carte est là, qui porte ces mots gravés en caractères singuliers : Hector Guimard, Architecte d’Art. Et le public se demande : Qu’est-ce que cela peut bien être, qu’un architecte d’Art ? Et surtout un architecte qui n’est pas un architecte d’Art ? On n’a jamais vu M. Plumet, par exemple, qui est bien un artiste authentique, et un grand artiste, se déclarer architecte d’Art. Le public approche et cherche. Il apprend d’abord, de M. Guimard lui-même, car il la proclame sur maintes étiquettes, l’existence d’un Style Guimard. […]. L’architecture d’Art consiste évidement dans l’horreur de la simplicité et de la ligne droite qui, incurvant, bossuant tout, va jusqu’à donner à de simples oreillers, une forme savamment contournée… Et aussi dans des raffinements comme ces plans inclinés remplaçant la marche vulgaire par où on accède ailleurs à une alcôve surélevée… Enfin dans l’air inutile, sinon inutilisable, que prend ici toute chose, ce qui est sans aucun doute le suprême degré du luxe… »[17]
Ne pouvant laisser passer un article aussi hostile, Guimard a fait publier une réponse dans le supplément de la revue en février 1904. Tout en reprochant à De Félice de ne pas faire son travail de critique d’art, il justifiait le terme « Architecte d’art » par son étymologie grecque (archos, chef et tecton, ouvrier), se réservant le droit d’y accoler la mention « d’Art » qu’il estimait justifiée au regard des constructions banales et dépourvues de caractère artistique qui sont produites par des professionnel s’intitulant « Architectes ». Toujours dans sa réponse à De Félice, pour définir le « Style Guimard », il réitèrait les formules qu’il avait déjà placées dans son petit manifeste imprimé sur l’emballage de ses cartes postales et au verso de l’invitation à sa conférence au Grand Palais : « satisfaire au programme de chacun, utiliser les ressources modernes, profiter des progrès de la science appliquée à toutes les branches de l’activité humaine, exprimer le caractère de la matière » et qu’il résume à nouveau par sa trilogie « logique, harmonie et sentiment ». Dans ce programme qui rend compte du versant rationaliste de sa création, manque pourtant le fait d’assumer cette inventivité décorative débridée qui rebute la majorité des critiques et du public à l’époque et qui nous séduit aussi fort à présent. En fait, il ne voudra jamais s’expliquer sur ce côté onirique et fantastique du « Style Guimard », considérant sans doute qu’il est à prendre ou à laisser.
Curieusement, une relation aussi mal partie entre les deux hommes a trouvé une issue plutôt heureuse dans l’article que De Félice a consacré à nouveau au Salon d’Automne de 1904. Avec une ironie beaucoup plus ténue, il commentait alors favorablement l’envoi de Guimard consistant en trois ensembles d’ameublement :
« […] car M. Guimard lui-même, l’architecte d’art, semble cette fois sacrifier timidement à la simplicité et à la raison. […] »[18]
Quelques années plus tard, en 1907, Guimard a présenté à l’exposition de la Société des Artistes Décorateurs un stand très fourni et comprenant un grand nombre de ses fontes d’ornement coulées à Saint-Dizier. Dans son compte-rendu paru dans la revue Art et Décoration, Paul Cornu a alors formulé les mêmes reproches qu’en 1903 sur l’expression « Style Guimard » qui accompagnait certainement le stand :
« M. Guimard pense avoir créé un style. Il lui donne même son nom. En réalité, il n’a créé qu’une formule, mais lui soumet toutes les matières. Fer, fonte, bronze, bois, staff, grès, vitraux, étoffes, traduisent tour à tour son inextinguible soif de décor. »[19]
Heureusement, au sein de revues plus confidentielles ou de type professionnel, certains auteurs ont été beaucoup plus indulgents quant à la légitimité de l’expression « Style Guimard ». C’est le cas de Royaumont[20] dans son compte-rendu du même salon de la Société des Artistes Décorateurs en 1907, paru dans la Revue Illustrée. Tout en notant que Guimard avait infléchi son style en revisitant ceux des siècles passés, il admettait que cette création bien reconnaissable, s’étendant à tous les domaines ne pouvait être qualifiée autrement :
« […] mais la partie la plus complète est le fragment de salle à manger dont l’ensemble prouve que l’art moderne a su profiter des œuvres du passé et qu’il peut, entre des mains savantes, en continuer la tradition. Et tout cela cependant avec une telle personnalité de toucher, qu’on n’a pu trouver pour définir ces formes d’autre dénomination que celle de style Guimard ! »[21]
Commentant encore la même exposition, le Journal de la Marbrerie et de l’Art décoratif, a donné sur trois livraisons l’un des rares articles[22] réellement enthousiastes sur l’œuvre de Guimard en général et sur son exposition en particulier ; si enthousiaste que l’on peut d’ailleurs se demander si l’architecte n’aurait pas tenu le porte-plume du journaliste anonyme. Il justifie au passage la légitimité de l’expression « Style Guimard » :
« Les qualités de cette œuvre, où la logique la plus exacte s’unit à la distinction la plus sensible, montre jusqu’à quel point est justifiée l’appellation Style Guimard donnée aux œuvres de cet artiste. »
Inflexible, Guimard a persisté à employer la mention « Style Guimard » au cours des années suivantes. Elle est apparue, comme il en a été question plus haut sur des panonceaux disposés sur les stands des expositions et salons auxquels il participait, mais aussi de façon plus concrète sur certaines œuvres elles-mêmes, comme les tirages commerciaux de certaines de ses fontes ornementales. Ainsi, vers 1912, de nouveaux modèles de pieds de bancs en fonte (GO et GN) ont été conçus avec la mention « Style Guimard » inscrite en creux de façon très visible. Quant à la poignée de cercueil Gb, elle aussi marquée « Style Guimard », elle pourrait avoir été conçue après la Première Guerre mondiale, tout comme ses projets de tombes à éditer en série dont l’un portait bien la mention « Tombeau d’Art/Style Guimard ».
L’édition en série d’objets du décor architectural a mobilisé énormément d’énergie créatrice de la part de Guimard. Réalisées en collaboration avec des industriels ou des ateliers, ces éditions ont été l’occasion de publier des catalogues spécifiques sur lesquels était, le plus possible, mentionnée l’existence du « Style Guimard ». Nous examinerons plus loin le cas particulier des catalogues de fontes ornementales, mais chaque planche du catalogue de ses Lustres Lumière, édité avant 1914, a reçu la mention « Style Guimard ». Il en est de même pour les dessins gouachés de lustres que nous connaissons.
Le projet de convention établi en novembre 1908 par le fabricant de moquette Aubert prévoyait aussi le dépôt des dessins fournis au Tribunal de Commerce sous la rubrique « Style Guimard ». Nous n’avons pas d’information sur les autres projets de catalogue dont Guimard semble avoir caressé l’idée (miroirs, vases, couverts et sans doute tombes) mais pour les meubles, le contrat qu’il a passé en 1913 avec les fabricants du Faubourg Saint-Antoine Olivier et Desbordes stipulait bien que les modèles seraient déposés sous le nom de « Style Guimard » et qu’un catalogue spécial portant la mention « Style Guimard » serait tiré à 3000 exemplaires aux frais de la maison Olivier-Desbordes.
La dernière occurrence que nous connaissons de la participation de l’architecte à un catalogue commercial est le « Lambris Guimard » qui figurait dans le catalogue Elo de 1926. Cette entreprise s’était spécialisée dans l’édition de décors muraux en fibrociment, un matériau auquel Guimard s’est intéressé tardivement, notamment pour la mairie du Village Français à l’Exposition des Arts décoratifs de 1925.
Il semble que cette persévérance de Guimard ait finit par avoir quelques résultats et à faire passer un peu, au moins à Paris, l’expression « Style Guimard » dans le langage de l’époque. Mais pour qu’il y ait vulgarisation d’une expression qui concerne le domaine artistique, il était nécessaire qu’elle soit reprise et propagée par la presse non spécialisée. Un tel exemple nous est offert par l’article d’un auteur anonyme s’exprimant sur les grands travaux à Paris dans La Politique Coloniale du 7 septembre 1903 et qui donne son avis sur l’un des débats récurrents de l’époque : le maintien ou non de la Tour Eiffel. Il se prononce contre sa destruction mais, poursuit-il, s’il devait se produire quelque chose à son sujet, il souhaiterait « qu’elle soit reconstruite ailleurs, en style Guimard, le seul architecte qui ait su jusqu’à ce moment tirer un réel parti de l’ornementation avec le fer » …
Dans cette quête de reconnaissance, Guimard a sans aucun doute été aidé par un cercle amical et littéraire où l’on peut compter des fidèles de la première heure comme Georges Bans, Fernand Hauser, Émile Straus ou Stanislas Ferrand. Autre fervent défenseur de l’architecte, le poète et critique d’art Alcanter de Brahm[23] a été un grand admirateur des idées de Guimard. Il a fréquemment utilisé l’expression « Style Guimard » lorsqu’il écrivait sur l’architecture et les arts décoratifs, notamment dans la revue La Critique dont il a été l’un des principaux rédacteurs, mais aussi dans des quotidiens à plus fort tirage comme le XIXe siècle ou Le Rappel, contribuant à sa manière à en populariser l’expression. Toujours en rapport avec ce cercle amical, La Critique a livré ainsi une anecdote qui prend place lors de la soirée offerte par Guimard début 1909 à l’occasion de ses fiançailles. Le journaliste et poète Fernand Hauser y prennait la parole en évoquant la « popularité grandissante » des « formes d’art innovées » défendues par Guimard et relatait une anecdote personnelle en ces mots :
« C’est la gloire prochaine qui s’annonce. J’en fus témoin l’autre jour dans un de nos grands magasins tandis qu’une cliente, à l’occasion des étrennes, marchandait un objet d’art, et que le commis en lui vendant cet article ajoutait : C’est ce que nous faisons de mieux maintenant, c’est du style Guimard. »[24]
Dans ce cas précis, l’article en question n’était sans doute pas un objet créé par Guimard et il s’agirait donc déjà d’un glissement de sens qui globalisait la production d’art décoratif de style Art nouveau sous le nom de Guimard.
Un autre poète, lui largement passé à la postérité, a montré moins de discernement concernant Guimard que les précédents, restés plus obscurs. Guillaume Apollinaire, puisqu’il s’agit de lui, a eu une carrière assez fournie de critique d’art dans la presse. Côtoyant quotidiennement les artistes — peintres surtout — les plus modernes, il a été beaucoup moins sensible à l’art décoratif et à l’architecture. Il a pourtant habité à Auteuil, rue Gros, et donc à proximité immédiate de plusieurs immeubles de Guimard. Dans L’Intransigeant il a utilisé l’expression « style Guimard » pour commenter les envois de l’architecte aux salons de la Société des Artistes Décorateurs. Mais avec une écriture froide et un ton presque blasé, il a laissé entendre que ses œuvres le laissaient de marbre, même si la citation de ses travaux semblait être un passage obligé. En 1911 tout d’abord, faisant fi de l’évolution stylistique de l’architecte, il évoquait sans la nuancer la parenté stylistique avec le métro :
« M. Guimard expose des photographies de maison dont il est l’architecte, des meubles, des bijoux et d’autres menus objets. Rien à en dire. C’est le style Guimard et vous connaissez le Métro. »[25]
Puis à nouveau en 1913, avec la même ambiguïté mais cette fois-ci au passé :
« M. Guimard a tellement marqué de ce que l’on a appelé le style Guimard qu’on ne saurait passer sous silence ses plans et ses photographies d’immeubles. »[26]
L’apparition de la mention « Style Moderne » est plus difficile à repérer. Étant moins sujette à polémique, elle n’a pas fait l’objet de lignes acrimonieuses envers Guimard dans la presse. Ce mot « moderne » se retrouve aussi dans pratiquement tous les écrits théoriques de Guimard et ce dès le début de sa conversion à l’Art nouveau, puisque le portfolio qu’il a consacré au Castel Béranger s’intitulait : L’Art dans l’Habitation Moderne et que nous l’avons vu employé en 1897 accolé à « national ».
Au sein de l’Exposition universelle de 1900, Guimard a créé un stand remarqué pour le parfumeur Millot. Dans l’optique d’une présentation homogène, en plus du décor et du mobilier, il a également été chargé de la création de modèles de flacons et de boîtes destinés au lancement de plusieurs nouveaux parfums et de leurs dérivés. Ces modèles se sont retrouvés dans le catalogue commercial du parfumeur, sous forme de dessins colorisés avec les noms des parfums et celui de la raison sociale « F. Millot » calligraphiés par Guimard, sans que son nom apparaisse. L’en-tête de ces trois pages est « PARFUMERIES STYLE MODERNE », mention qui n’est pas reprise sur les autres pages du catalogue.
Le mot « moderne » fait immédiatement penser à « Modern Style »[27], l’une des expressions employées pour désigner le style Art nouveau. Autant que la nôtre, l’époque 1900 a raffolé des anglicismes. Cependant, ils pouvaient aussi être employés avec un sens un peu péjoratif. C’est parfois le cas de « Modern Style » qui n’était pas un terme d’importation anglaise, mais qui a pu être utilisé dans l’intention de dénoncer à nouveau les origines étrangères réelles ou supposées de l’Art nouveau. Ce vocable est pourtant rapidement passé dans le langage courant et on le retrouve, sous la forme francisée « Moderne Style », dans un autre catalogue commercial édité en 1902, où figure des modèles de Guimard. Il s’agit de celui du fondeur Bigot-Renaux, spécialisé dans les chéneaux auquel Guimard a fréquemment eu recours à partir du Castel Béranger. Cette société meusienne a édité plusieurs de ses modèles destinés à l’équipement de ses bâtiments, ainsi que des pavillons et édicules du métro. Notons tout de même que, pour ce catalogue, Guimard n’a sans doute pas eu la maîtrise des mentions employées en en-tête de la planche.
C’est vers 1906-1910 que l’adjectif « moderne » est revenu de façon plus insistante. Guimard projetait alors de construire une série d’immeubles de rapport financée par la « Société Générale de Constructions Modernes » (constituée en juillet 1910) dont il était partie prenante, ainsi que son beau-père et son client Léon Nozal. Ce projet comprenait une rue nouvelle à lotir qu’il comptait faire baptiser « rue Moderne »[28]. Effectivement ouverte sous ce nom en 1911, elle est devenue la rue Agar l’année suivante[29], ce qui n’a pas empêché Guimard de conserver la dénomination de « Rue Moderne » dans les plans reproduits dans l’article du supplément de la revue La Construction Moderne du 9 février 1913.
Après la Première Guerre mondiale, l’adjectif « moderne » a été partagé par de plus en plus de créateurs qui préparaient l’exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925. C’est aussi dans cette optique que s’est fondé le « Groupe des Architectes Modernes »[30] dont Guimard est devenu le vice-président en 1923.
Les catalogues de modèles de fontes créés par Guimard et édités à la fonderie de Saint-Dizier à partir de 1908 nous offrent un exemple éclairant des utilisations des mentions « Style Guimard » et « Style Moderne ». Avant nos recherches en 2015 sur ce sujet[31], il n’avait pas été remarqué qu’en réalité, deux types de catalogues avaient été édités.
L’un des deux types de catalogue porte sur sa couverture la mention en lettrages dessinés par Guimard « Fontes artistiques/pour/Constructions/Fumisterie/Articles de jardin/Sépultures » et dans un cartouche à la partie inférieure, la mention « Style Guimard ». Il n’y a donc pas sur la couverture de mention du nom de la fonderie qui édite ces fontes. À l’intérieur, sur chaque planche est apposée à la partie supérieure la mention « Style H. Guimard », placée en dessous du nom de la catégorie de modèles présentés. Ce n’est qu’à la partie inférieure des planches que l’on peut trouver la discrète mention « Modèle de la Société F. S. D » qui désigne, de façon peu claire pour le non-initié, la Fonderie de Saint-Dizier. En raison de la multiplicité de mentions du nom de Guimard, nous désignons ce type de catalogue sous le nom de « Style Guimard ».
L’autre type de catalogue porte sur sa couverture la mention en lettrages dessinés par Guimard : « Fontes artistiques pour/Constructions/Fumisterie/Jardins et/Sépultures/Style moderne ». Les inscriptions y ont été dessinées d’une manière entièrement différente de celles de la couverture du premier type de catalogue. Les lettres sont plus petites et plus fines car il a fallu faire place à un sur-titre « Fonderies de Saint-Dizier / — Haute-Marne — » séparé du titre principal par le dessin d’une fonte jouant le rôle d’un filet. Dans le cartouche à la partie inférieure figure cette fois la mention « Leclerc et Cie » du nom commercial que porte alors la fonderie.
Sur chaque planche est apposée à la partie supérieure la mention « Société des fonderies de St-Dizier (Haute-Marne) /Leclerc & Cie ».
Chaque planche reçoit également la mention « Style Moderne », placée en dessous du nom de la catégorie de modèles présentés, mais on y chercherait en vain le nom de l’architecte. Pour donner un pendant au catalogue « Style Guimard » nous désignons donc ce type de catalogue sous le nom de « Style Moderne ».
Mis à part les différences signalées, ces deux types de catalogues de fontes ont les mêmes contenus et auront les mêmes augmentations de pagination de 1908 à 1920 environ. Nous en concluons qu’il s’agit d’éditions parallèles et non successives. Le catalogue « Style Guimard » serait l’un des multiples catalogues « Style Guimard » envisagés et serait donc destiné à l’usage personnel de l’architecte. L’autre édition, le catalogue « Style Moderne », plus conforme aux impératifs commerciaux, serait destinée à l’usage de la fonderie.
Même s’il a plus souvent été utilisé dans la décennie qui précède la Première Guerre mondiale « Style Moderne » n’a donc pas supplanté « Style Guimard » comme on a pu le croire antérieurement. Il a simplement été utilisé lorsqu’une plus grande discrétion était recherchée. Il constituait sans doute aussi une tentative de rattraper un concept de modernité qui de plus en plus échappait à Guimard pour éclore ailleurs et avec d’autres.
Des deux expressions c’est pourtant bien « Style Guimard » qui a perduré après la Première Guerre mondiale. L’énumération des articles qui l’ont utilisée après cette césure serait ici trop fastidieuse mais nous avons constaté son emploi régulier jusqu’à la Seconde Guerre mondiale aux côtés d’autres expressions comme « Style 1900 » ou « Style Métro ».
En 1921, alors que la campagne des marbriers pour équiper les communes françaises en monuments aux morts de 14-18 ne faiblissait pas, les Marbreries générales dirigées par Urbain Gourdon, ont fait parvenir aux municipalités intéressées un échantillon de leur catalogue. À cet envoi étaient jointes deux recommandations d’architectes : une de Jean Boussard (1844-1923), l’autre de Guimard présenté comme « le célèbre architecte créateur du style qui porte son nom ».[32]
Au cours des années suivantes, en pleine éclosion du style bientôt appelé « Art Déco » (en référence à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925) le ton a souvent été moqueur pour évoquer l’art décoratif du début de siècle. Pourtant certains journalistes plus clairvoyants que d’autres constataient dès 1925 que le « Style Guimard » avait tant marqué les esprits que l’expression était sur le point de passer à la postérité. Ainsi le journal L’œuvre féminine du 8 juillet 1925 dans un article sur l’exposition des rénovateurs de l’art appliqué au Musée Galliera observait que certains de ces artistes « toujours vivants, plus heureux que tous les autres, assistent aujourd’hui au triomphe de leur cause commune : celle par exemple de l’architecte Hector Guimard, qui, fortune appréciable, laissera son nom à un style ».
L’utilisation de l’expression a évolué enfin dans les années 1930 lorsque certaines autorités ont pris conscience de la nécessité de protéger quelques échantillons représentatifs d’œuvres du début du siècle. « Style Guimard » est alors devenu une des formules « officielles » pour désigner cette période.
Quelques années plus tard, l’expression connaissait un début de reconnaissance outre atlantique. Alfred Barr lui-même, brillant premier directeur du MOMA de New-York, conscient de la spécificité du langage plastique de Guimard a échangé avec la veuve de l’architecte, décédé quelques temps auparavant, certainement en vue d’une donation. Dans une lettre adressée à Adeline Oppenheim Guimard, il écrit : « ces pièces devraient être particulièrement significatives du Style Guimard » puis, citant en exemple une poignée d’ombrelle, il la décrit comme : « an excellent example of the Guimard’s Style at his best and purest »[33] résumant en quelques mots toute la force du style inventé par Guimard.
La période d’après la Seconde Guerre mondiale a été impitoyable pour l’Art nouveau. Dans un contexte de certitudes bien établies et de quasi-intolérance moutonnière, un pan entier du génie artistique humain a été englouti pendant deux à trois décennies. Même si l’histoire de sa redécouverte excède très largement le sujet de notre article, notons que l’expression « Style Guimard » ne s’est pas réimposée aussi facilement. Elle est entrée en concurrence avec les appellations que nous avons mentionnées plus haut (« Style 1900 » ou « Style Métro »), d’autres méprisantes comme « Style nouille » et même une appellation aussi saugrenue que « Style Jules Verne » qu’a proposée le commissaire-priseur Maurice Rheims, sans grand succès. On a aussi volontiers utilisé pour le caractériser les noms d’autres artistes emblématiques de ce style comme les nancéiens Gallé ou Majorelle dont les volumes de production les plaçaient aux premiers rangs du marché de l’art.
Cette étude consacrée aux qualificatifs appliqués par Guimard à son œuvre peut paraître d’emblée anecdotique, mais elle est révélatrice de plusieurs traits de caractères de Guimard et de la façon dont ils ont interagi avec son environnement et le développement de sa carrière. La souplesse avec laquelle il a adopté telle ou telle qualification montre qu’il a réfléchi en permanence sur la perception et l’acceptation que le public pouvait avoir de son œuvre. Mais l’élection réitérée du terme « Style Guimard » montre à quel point l’architecte a désiré « sortir du lot » et obtenir la reconnaissance et l’ascension sociale que ne lui avaient pas procurés les canaux habituels du cursus académique. En faisant fi des conventions de l’époque, il n’a pas hésité à être aussi dérangeant par le coté formel de sa création que par sa façon de la qualifier.
Ces expressions ont cependant offert un angle d’attaque commode à tous ceux qui ne voulaient voir que l’étrangeté formelle ou la virtuosité de cette création et qui, sans chercher à comprendre la démarche créatrice de Guimard, davantage basée sur les propriétés des matériaux et la traduction de forces concourant à la structure des objets et des architectures, ont voulu faire croire qu’un même aspect tourmenté pouvait revêtir toutes sortes de produits quelles que soit leurs tailles, leurs matières ou leurs fonctions.
Frédéric Descouturelle et Olivier Pons
Notes :
[1] Siegfried Bing (Hambourg, 1838 – Vaucresson 1905) est un marchand d’art initialement spécialisé dans les arts de l’Extrême-Orient, collectionneur, critique d’art et éditeur de la revue Le Japon artistique.
[2] « Tout cela sent l’anglais vicieux, la juive morphinomane ou le belge roublard, ou une agréable salade de ces trois poisons ! » Alexandre, Arsène, Le Figaro, 28 décembre 1895.
[3] Boileau, Louis-Charles, L’Architecture, 19 décembre 1896.
[4] Contrairement à ceux qu’Horta utilise fréquemment pour habiller certains de ses décors intérieurs.
[5] L’Exposition Nationale de la Céramique et de tous les Arts du Feu se tient au Palais des Beaux-Arts sur le Champ-de-Mars du 15 mai au 31 juillet 1897 et sera prolongée jusqu’au 5 septembre.
[6] Eugène-Auguste Chevassus (1863-1931) dit Eugène Belville, peintre, décorateur et critique d’art. Il devient directeur de la revue l’Art Décoratif en 1907.
[7] Son existence est signalée par un court paragraphe paru dans Le Moniteur des Arts du 12 mai 1899.
[8] Papiers Adeline Oppenheim, The Public Library of New-York.
[9] Dessin GP 552 et GP 559, fonds Guimard, Musée d’Orsay.
[10] Georges Léopold Cochet (1872-1962) dit Pascal Forthuny, écrivain, critique d’art et musicien.
[11] Forthuny, Pascal, « Le Meuble à l’Exposition », Le Mois littéraire et pittoresque, décembre 1900, p. 701-704.
[12] Le vikado est un bois sombre importé d’Amérique du Sud qui a été utilisé par de nombreux ébénistes français entre 1900 et 1914.
[13] Vigne, Georges, Hector Guimard, éditions Charles Moreau, 2003, p. 111.
[14] La Vie Moderne, 1er semestre 1901.
[15] Guimard, Hector, « La Renaissance de l’art dans l’architecture moderne », Le Moniteur des Arts, 7 juillet 1899.
[16] Même si La Fronde est connu pour être entièrement administré et rédigé par des femmes, La Dame D. Voilée est l’un des noms de plume de Charles-Antoine Fournier (1835-1909), écrivain, critique d’art et collectionneur qui signe plus habituellement Jean Dolent. Pour l’anecdote, ce pseudonyme est une allusion (à peine voilée) à un épisode de l’Affaire Dreyfus, fin 1897, au cours duquel une mystérieuse dame voilée aurait remis à Esterhazy (le véritable espion au service de l’Allemagne) un document accablant pour Alfred Dreyfus. Les caricaturistes dreyfusards s’en donnèrent alors à cœur joie en représentant la dame voilée en question avec un pantalon et des éperons d’officier de cavalerie.
[17] De Felice, Roger, L’Art appliqué au Salon d’Automne, L’Art Décoratif, décembre 1903, p. 234.
[18] De Felice, Roger, L’Art appliqué au Salon d’Automne, L’Art Décoratif, décembre 1904, p. 134.
[19] Cornu, Paul, « L’Exposition des Artistes Décorateurs », Art et Décoration, 1907, p. 200.
[20] Louis-Étienne Baudier dit Baudier de Royaumont (1854-1918) est journaliste, directeur de publication, romancier et historien. Il sera le premier conservateur de la Maison de Balzac.
[21] Royaumont, « Art et Décoration », Revue Illustrée, 1907, p. 775.
[22] « Le Salon des Artistes Décorateurs au Musée des arts décoratifs/L’Art moderne », Journal de la Marbrerie et de l’Art décoratif, supplément au n° 101 du 5 janvier 1908 de la Revue Générale de la Construction.
[23] Marcel Bernhardt dit Alcanter de Brahm (1868-1942) a été un écrivain, un poète, et un critique d’art et deviendra conservateur adjoint du musée Carnavalet. Il est notamment connu pour avoir remis au goût du jour le point d’ironie (il n’en a pas été l’inventeur, comme on a pu le lire ici et là, ce mérite revenant à Marcellin Jobard, propriétaire du Courrier Belge qui l’a utilisé pour la première fois au début des années 1840). Nous publierons prochainement un article sur La Critique et Guimard, sujet sur lequel on a pu lire de charmantes inepties à tonalité mystico-ésotérique.
[24] La Critique, février 1909.
[25] L’Intransigeant du 25/02/1911.
[26] L’Intransigeant du 28/02/1913.
[27] On écrit aussi dans la presse : « le style Modern ».
[28] Plans des projets conservés au Cooper-Hewity museum, New-York. Sur le plan du premier projet de 1906, la rue est simplement désignée sous le nom de « rue nouvelle ». En novembre 1909, le nom du promoteur est la « Société Immobilière de la rue Moderne » et, sur les plans, la rue à créer est effectivement dénommée « Rue Moderne ». En avril 1911, alors que les immeubles sont construits, les plans font toujours référence à une « Rue Moderne ». À noter qu’il existe alors déjà une « avenue Moderne » dans le XIXe arrondissement qui est en fait une petite rue privée d’une vingtaine de mètres de long, ouverte depuis 1903, ainsi qu’une « villa Moderne » dans le XIVe arrondissement.
[29] La Construction Moderne, 10 novembre 1912 ; Dictionnaire historique des rues de Paris, p. 68. La rue prend le nom de scène de la comédienne Léonide Charvin qui habitait la maison mitoyenne à droite de l’hôtel Mezzara.
[30] Composé pour une bonne part d’anciens élèves de Charles Genuys, professeur d’Hector Guimard à l’École nationale des arts décoratifs, le Groupe des Architectes Modernes avait pour projet la construction d’un grand hôtel de voyageurs pour l’exposition de 1925, avant de se voir confier la réalisation du Village Français. Guimard en a construit la mairie ainsi qu’une tombe et une petite chapelle dans le cimetière jouxtant le village.
[31] Descouturelle, Frédéric, Les Fontes ornementales de l’architecte Hector Guimard produites à la fonderie de Saint-Dizier, mémoire de Master II, EPHE, sous la direction de Jean-François Belhoste, 2015.
[32] Le marbrier était installé 33, rue Poussin, dans le quartier d’Auteuil à Paris, soit à proximité des deux architectes, eux-mêmes à un jet de pierre l’un de l’autre (41 rue Ribéra et 122 avenue Mozart).
[33] Papiers Adeline Oppenheim, The Public Library of New-York.
Après ces longs mois d’absence, Le Cercle Guimard vous propose de nouvelles dates de visites guidées et commentées. Pour la rentrée et les Journées du Patrimoine 2020 :
Rendez-vous devant le Castel Béranger, rue la Fontaine, pour parcourir le 16ème arrondissement sur les traces d’Hector Guimard… Avec port du masque obligatoire tout au long du parcours.
Cette visite sera également l’occasion inédite et exceptionnelle de visiter l’intérieur de l’agence et du bureau d’architecte d’Hector Guimard dans le Castel Béranger.
Et bientôt, de nouvelles dates, à l’automne, pour visiter la synagogue de la rue Pavée d’Hector Guimard et découvrir l’architecture moderne dans le 16ème arrondissement…
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 25/05/2024 / 10:00 | Visite guidée "Guimard et le métro" | 0 |
sam 15/06/2024 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 0 |
Assemblée Générale Ordinaire
1er juillet 2020 (18h – 19h)
En visio-conférence Zoom
Le Bureau étant réuni au Castel Béranger, Paris 16e
Procès-Verbal de l’A.G.O.
Ordre du jour
1- Approbation des comptes de l’exercice clos.
2- Détermination du montant de la cotisation annuelle.
3- Renouvellement des membres du Conseil d’administration.
4- Communication du rapport moral et d’activités du Président et communication sur les projets en cours.
5- Questions diverses.
La biographie d’Hector Guimard est lacunaire et, même en présence de documents, parfois non fiable. Les auteurs qui se sont intéressés à l’architecte ont tous souligné combien les relations entre le jeune Hector et ses parents étaient difficiles. Grâce à Mme Grivellé, le jeune Guimard a trouvé non seulement une famille d’accueil, mais aussi plus tard des clients : ce sera tout d’abord Mme Grivellé elle-même, puis Prosper, son fils et les amis et/ou voisins de ceux-ci.
Je souhaiterais apporter ici deux types d’informations factuelles qui, à ma connaissance, n’ont pas encore été mentionnées dans les travaux sur Hector Guimard. Tout d’abord, quelques données biographiques sur Mme Grivellé et ses proches et, ensuite, sur une possible parenté d’Hector Guimard avec Jules F. Guimard. Je proposerai aussi de reconsidérer la relation entre Hector et son frère René et apporterai quelques informations à propos de la sœur aînée d’Hector.
Lorsqu’en 1882 Hector Guimard est admis à quinze ans à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs, c’est Mme Grivellé qui lui sert de garant. Ceci est confirmé par une lettre d’Hector Guimard à Auguste Louvrier de Lajolais, Directeur de l’ENAD — École nationale des Arts Décoratifs — où il écrit : « J’étais entré dans votre école abandonné par mes parents, condamné à accepter la protection d’une parente avec celle d’amis».[1]
La relation de parenté précise entre Mme Grivellé et Hector reste floue. Si, pour certains auteurs d’articles ou de sites internet, Mme Grivellé est une parente proche (la tante)[2] d’Hector Guimard, elle est, pour d’autres, une simple amie de la mère d’Hector, c’est-à-dire Marie-Françoise Bailly, épouse de René Germain Guimard. Il vaut mieux faire confiance à l’épouse d’Hector, Adeline Guimard et considérer que Mme Grivellé était la marraine d’Hector.[3]
Des fauteuils de spectacle en fonte et à assise abattante, similaires à ceux créés par Guimard pour la Salle de Humbert de Romans, sont apparus à plusieurs reprises sur le marché de l’art au cours des trois dernières années. Dans cet article, grâce à notre correspondant allemand Michael Schrader, nous les présentons et les comparons aux fauteuils originaux. Dans un prochain article, nous décrirons plus précisément ces derniers avant de retracer l’histoire de leur redécouverte dans les années soixante-dix.
En 2018, la maison de vente aux enchères allemande Mehlis à Plauen a proposé deux de ces fauteuils de concert en fonte. Ils ont alors été décrits comme des reproductions de la fin du XXe siècle, basés sur un dessin de Guimard vers 1901. Invendus avec un prix de réserve de 900 € chacun, ils n’ont pas non plus trouvé de nouvel acquéreur lors d’une vente aux enchères ultérieure avec un prix de réserve de 500 € chacune.
Un fauteuil identique est actuellement mis en vente sur eBay pour 1239 €, par l’antiquaire allemand Denes Szy de Düsseldorf qui le propose aussi à la vente directe via sa boutique pour 1350 €. Cette boutique avait initialement deux exemplaires en vente sous la description « Cinéma Art Nouveau pliant fonte France, variante ou d’après un dessin d’Hector Guimards [1867-1942] pour la salle Humbert de Romans à Paris 1901. »
Tous ces fauteuils proviennent d’un lot acheté à titre privé par le magasin Furthof Antikmöbel qui, en 2017, en proposait à la vente douze exemplaires sous la description suivante : « Ensemble de 12 chaises de concert Art Nouveau, France vers 1900. Les joues en fonte sont attribuées à Hector Guimard (1867 Lyon – 1942 New York City). L’assise abattante, le dossier et les accoudoirs rembourrés ont été ajoutés dans le passé. » Selon la page d’accueil, de cet ensemble de douze fauteuils, cinq ont déjà été vendus, deux ont été convertis en bancs et cinq autres exemplaires peuvent encore être achetés pour 850 € chacun. Selon le vendeur, ces sièges proviennent d’une famille d’artistes de cirque qui avaient l’habitude de faire des tournées en Europe et avait acheté cet ensemble de douze fauteuils à l’époque. Aucune information supplémentaire n’est disponible.
Chacun de ces fauteuils mesure 98 cm de hauteur, 75 cm de profondeur, 65 cm de largeur et pèse environ 24 kg. Il se compose de deux pieds latéraux en fonte, d’un dossier en bois et d’une assise abattante. Les fontes latérales mesurent 53,5 cm en largeur et 98 cm en hauteur, alors que celles des fauteuils de Guimard n’ont que 90 cm de hauteur. Elles sont aussi plus minces que celles des fauteuils originaux de Guimard. Leur modelage est étroitement basé sur celui des fontes de Guimard mais il est moins détaillé et présente même des écarts notables, notamment à l’extrémité supérieure et dans la zone du pied qui est moins complexe et également beaucoup plus long que ceux des fauteuils originaux. Cette dernière disposition a sans doute été adoptée en pensant donner ainsi plus de stabilité aux sièges mais s’avère en réalité inutile. Et contrairement aux fauteuils originaux, il n’y a pas de perçage vertical de la fonte permettant de les fixer au sol. Tous ces fauteuils sont présentés de façon individuelle avec deux fontes latérales pour chacun et non en rangée avec n+1 fontes pour n fauteuils. En revanche, comme dans la disposition originale, une barre relie les deux fontes latérales dans leur zone inférieure pour augmenter la stabilité. Les fontes, peintes dans une couleur brun argile, présentent des traces d’usure frappantes partout, même dans des endroits qui ne peuvent pas être atteints par l’usure naturelle, ce qui suggère que ces traces ont été créées artificiellement.
Les formes de l’assise, des accoudoirs et du dossier suivent d’assez près celles des fauteuils originaux. Leur rembourrage est en mousse (alors que celui d’époque était en crin) et leur recouvrement en cuir synthétique rouge-brun (en place d’une moleskine verte d’époque) fixé aux pièces en bois par des rivets. Contrairement aux fontes latérales, le bois du dossier qui semble être du hêtre ou un bois fruitier, ne présente presque pas de signes d’usure. Le sens dans lequel est fixé ce dossier (à l’aide de vis en laiton modernes) est d’ailleurs à géométrie variable. On voit sur les photographies anciennes de la Salle Humbert de Romans que la traverse horizontale bombée est orientée vers le bas. Mais sur l’illustration du catalogue Guimard de la fonderie de Saint-Dizier, le dossier est orienté dans l’autre sens, comme sur les photographies de la série de douze fauteuils du magasin Furthof Antikmöbel (voir plus haut). Il est donc fort possible que ce soit cette illustration qui ait servi de modèle aux fauteuils que nous présentons ici.
Dans l’ensemble, ces fauteuils donnent donc l’impression d’une reproduction moderne inspirée par la conception originale des fauteuils de concert Guimard. La référence au design de Guimard est reconnaissable et pourtant la qualité de l’exécution n’est que modeste par rapport à l’original. Mais en l’état actuel de nos informations, il n’est pas avéré que ces chaises ont été réellement produites pour être vendues en tant que fauteuils de spectacle Guimard d’époque. Au contraire, si l’on se réfère à la description du revendeur Furthof Antikmöbel, une utilisation commerciale dans le cadre d’un cirque semble tout à fait envisageable et cette petite série de ces chaises aurait donc pu être fabriquée dans cette optique à la fin du XXe siècle. Leurs reventes successives risquent néanmoins de les voir se parer d’une attribution pleine et entière à Guimard.
Michael Schrader
La vie de l’association continue pendant cette période particulière. Nos publications et nos travaux de recherche se poursuivent, nos démarches et notre travail sur le musée Guimard redoublent avec le déconfinement.
Chaque année, l’assemblée générale est un moment important de notre association. Si elle répond aux obligations légales, elle a toujours été organisée comme un moment de rencontre et de partage autour de notre passion commune pour l’Art nouveau et en particulier pour Hector Guimard. Bien évidemment depuis quelques années, elle est également devenue un temps pour vous rendre compte des avancées sur le projet de musée Guimard.
Cette année, les dispositions des ordonnances prises en application de la loi d’urgence COVID-19 nous le permettant, nous organisons cette assemblée générale en direct, par internet, le mercredi 1er juillet à 18h. Le lien de la réunion sera envoyé quelques jours auparavant aux adhérents 2020.
Si vous n’êtes pas à jour de cotisation, il est encore de temps de ré-adhérer pour l’année en cours et de participer à l’assemblée (voir plus bas).
Pour des raisons d’organisation, nos adhérents pourront voter en ligne avant l’assemblée, au plus tard le 30 juin, au moyen du formulaire accessible depuis leur espace adhérent. Les résultats du vote seront annoncés en séance.
À très bientôt, sur Internet !
Le bureau du Cercle Guimard
Votre numéro d’adhérent est mentionné sur la carte qui vous a été adressée lors de votre renouvellement de cotisation, envoyée par h.madoui@lecercleguimard.fr, le Trésorier en charge des adhésions.
Le formulaire d’adhésion 2020 est disponible ici. Si vous souhaitez régler par virement bancaire, merci de nous l’indiquer et nous vous enverrons le RIB de l’association.
Vous pouvez à tout moment demander la réinitialisation de votre mot de passe d’accès à l’espace adhérent en cliquant sur :
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En architecture, comme dans de nombreux domaines, il est difficile de citer des noms de femmes, en France et dans la première moitié du 20ème siècle. Écrire une histoire sur ces femmes est d’autant plus complexe que les sources ne les mentionnent que très peu, l’histoire omettant bien souvent leur existence. Pourtant, les femmes commencent à intégrer les formations d’architectes dès la fin du 19ème siècle et participent donc à la construction d’édifices depuis plus de cent ans. Leurs histoires sont nombreuses mais mises de côté au sein de la grande histoire. Nous essaierons, dans ce texte, de rendre leur place à celles qui ont lutté contre les normes d’une société niant leurs capacités et leur indépendance. En tentant d’intégrer des professions pourtant réservées aux hommes, elles ont bâti les fondations d’une lutte toujours d’actualité.
L’histoire des femmes en architecture en France est profondément liée aux formations qui existent alors entre 1900 et l’entre-deux-guerres. La principale formation publique d’architecture est alors la section Architecture de l’École Nationale des Beaux-Arts (ENSBA) à Paris. Existe déjà l’École spéciale d’architecture, reconnue d’utilité publique en 1870, prônant une formation nouvelle et une réforme des enseignements en architecture.
Ce n’est qu’à partir de 1896 que les femmes peuvent entrer à l’ENSBA. On leur accorde, dans un premier temps, l’accès à la bibliothèque et à certains cours magistraux ; par la suite des cours spéciaux seront conçus pour elles. En ce qui concerne la section Architecture, la première femme admise en 1898 est Julia Morgan, d’origine américaine et déjà diplômée de la prestigieuse université de Berkeley.
L’histoire des pionnières en architecture montre un réel retard de la France en comparaison avec les pays scandinaves en Europe, les États-Unis ou encore l’Angleterre. On note la présence majoritaire de femmes d’origine étrangère parmi les premières admises aux Beaux-Arts en France (toutes sections confondues). Un autre fait remarquable est l’origine sociale des premières étudiantes en architecture, lorsqu’elles sont françaises. Pour la plupart, elles proviennent de milieux cultivés et bourgeois et sont souvent issues de familles d’architectes (pères, frères, époux…). Ce principe rendra difficile leur émancipation à la suite de leurs études car elles resteront souvent associées aux noms des hommes leur ayant permis d’entrer dans cette profession aux portes bien gardées.
Nous connaissons les noms des premières femmes admises au sein des formations d’architecture au début du 20ème siècle, mais il reste très difficile de trouver des informations concernant leurs travaux ou leur évolution à la sortie de l’Ecole. Nous tenterons ici de mettre en avant les caractéristiques de ces architectes pionnières en France.
La toute première femme admise au sein d’une formation d’architecture en France est Laura White, d’origine américaine. Elle est formée au MIT puis intègre en 1883 l’École Spéciale d’Architecture (ESA), première formation d’architecture à ouvrir ses portes aux femmes.
Avant 1900 et l’ouverture officielle de la section Architecture des Beaux-Arts aux étudiantes, l’administration centrale de l’École nationale des Beaux-Arts craint que la présence de femmes en son sein ne dévalorise la formation. Julia Morgan, est la première femme admise dans cette section, en 1898, de manière tout à fait exceptionnelle. Elle passe l’examen d’entrée deux fois avant d’être admise et relate plus tard la difficulté pour une femme, qui plus est étrangère, d’entrer au sein de cette prestigieuse école.
Au tournant du 20ème siècle, malgré les réticences encore nombreuses de l’administration, l’École des Beaux-Arts ouvre ses portes d’abord à des femmes d’origine étrangère, diplômées dans leur pays d’origine. Ces pionnières arrivent en France de pays souvent en avance en termes d’ouverture des formations professionnelles aux femmes. Elles ont persisté et ont ainsi permis d’initier l’ouverture de la formation d’architecte aux étudiantes.
Julia Morgan (1872-1957) :
Après avoir étudié le génie civil à l’université de Berkeley, aux Etats-Unis, Julia Morgan se rend en France afin de poursuivre sa formation au sein de la section Architecture de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris. Elle est donc, en 1898, la première femme à intégrer cette formation en France et est diplômée en 1902. Elle retourne à la suite de ses études, en Californie où elle ouvre sa propre agence d’architecture en 1904 et devient ainsi la première femme à recevoir la licence d’architecte dans cet état.
Suite au tremblement de terre de San Francisco en 1906, Julia Morgan va commencer à réaliser des plans pour grand nombre de villas, églises, immeubles…
Tout au long de sa carrière elle se caractérise par des constructions au style éclectique, influencées notamment par le mouvement anglais Arts and Crafts, le néoclassicisme européen et le style architectural régional de la baie de San Francisco, the « Bay region style ». Ce style se définit par une abondance des ouvertures en façade et une communication entre intérieur et extérieur grâce à l’ajout de loggias et de terrasses. Il fut introduit par l’architecte Bernard Maybeck, professeur de Julia Morgan à Berkeley.
L’une de ses premières réalisations, en 1904 est la tour horloge de Mills College, qu’elle réalise en béton armé. Par la suite, Julia Morgan s’est entourée de commanditaires privés, principalement des femmes et s’est spécialisée dans les villas et résidences ainsi que dans la construction de « women’s clubs » (Young Women’s Christian Association YWCA), sur la baie de San Francisco. Un exemple remarquable de son architecture influencée de néoclassicisme est le YWCA d’Oakland, commandité en 1915, par la philanthrope et féministe Phoebe Hearst. Ce bâtiment imposant évoque le style Renaissant. On y retrouve la division de la façade en trois parties horizontales : un soubassement en pierre, un étage noble et la balustrade en partie haute. L’ensemble est orné de motifs antiquisants : colonnes et arcs.
L’une des réalisations majeures de Julia Morgan reste le célèbre Hearst Castle à San Simeon (Californie), qu’elle réalise à la suite du premier conflit mondial pour le magnat de la presse William Randolph Hearst. Il lui confiera de nombreux autres projets et résidences.
Hearst Castle est un vaste ensemble de bâtiments luxueux : villas, piscines, jardins… appelé par son propriétaire la Colline enchantée. A la mort de sa mère Phoebe Hearst, en 1919, William se tourne vers Julia Morgan pour la construction de ce vaste ensemble sur plus de 100 000 hectares hérités de sa famille. Le terme d’Hearst Castle correspond au bâtiment principal, ou Casa grande, lui-même entouré de trois autres villas.
L’architecte a rassemblé au sein de ce projet exubérant un mélange de divers styles architecturaux européens. La Casa grande, bâtiment central, est fortement inspirée de l’architecture hispano-mauresque et les deux tours en façade évoquent celles de la mosquée de Cordoue. Les piscines, le Bain romain et le Bain de Neptune, ont, elles, été conçues dans un style antique, avec d’abondants frontons et colonnades, ainsi que des décors de mosaïques.
La Colline enchantée de William Hearst a servi de modèle au palais de Xanadu du personnage Charles Foster Kane dans le célèbre Citizen Kane d’Orson Welles.
Julia Morgan fut l’une des architectes les plus prolifiques du 20ème siècle avec plus de 700 plans connus et signés de son nom. Entre 1904, son installation en Californie et 1951, la fermeture de son agence, elle concevait jusqu’à 15 projets par an. Elle ne fut jamais mariée et connu une carrière riche, dynamique et extrêmement productive en travaillant pour une clientèle restreinte à la baie de San Francisco.
Ce n’est qu’après 1918 et dans l’entre-deux-guerres que les formations s’ouvrent plus largement aux femmes. Entre 1918 et 1945, 82 femmes intègrent la seconde classe d’architecture à l’Ecole Nationale des Beaux-arts. Néanmoins, leurs histoires professionnelles sont très peu connues une fois leur diplôme obtenu.
La première femme diplômée en tant qu’architecte et d’origine française est Jeanne Besson-Surugue (1896-1990). Elle est diplômée en 1923 de l’ENSBA. Elle travaille d’abord à Cuba, notamment dans le domaine des jardins publics puis part à Phnom Penh où elle est architecte pour l’administration coloniale, à la rénovation de bâtiments khmèrs. Après son retour en France, nous n’avons pas d’informations sur son œuvre. Son parcours témoigne de la nécessité pour les femmes de se tourner vers l’étranger pour pouvoir exercer leur profession, une fois leur diplôme obtenu.
La suivante est Jeanne Marie Bessirard-Fratacci (1898-1937) diplômée de l’Ecole en 1925, après avoir étudié les arts décoratifs à Nice. Elle est issue d’une famille d’architectes (son père et son frère sont architectes) et elle se marie rapidement avec Edmond Bessirard également architecte. Elle ne travailla jamais à son nom mais toujours dans le sillage des hommes de son entourage avec qui elle collabora dans le cadre de concours.
Enfin, Agnès Braunwald-Chaussemiche (1900-1934) est diplômée en 1929 et est la fille de l’architecte François-Benjamin Chaussemiche. Elle épouse Jean Braunwald, architecte également, qu’elle rencontre lors de ses études à la Casa Velazquez en Espagne.
Elles sont toutes les trois membres de la SADG (Société des architectes diplômés du gouvernement, aujourd’hui Société française des architectes), qui accorde alors une place aux femmes dans ce qui constitue pour l’époque le principal lieu de sociabilité et de rencontres entre architectes diplômés. Malgré leur appartenance à cette société, leurs travaux et carrières sont très peu connus et documentés. On remarque qu’elles travaillent principalement en collaboration avec leurs maris ou leurs pères, eux-mêmes architectes. De plus, les archives concernant ces pionnières sont parfois contradictoires car ces femmes prirent rapidement le nom de leur époux tout en gardant leur nom de jeune fille, mais il arrive que celui-ci se substitue complètement au premier.
Un autre cas, différent, est celui de Juliette Billard (1889-1975). Originaire de Rouen, il semblerait qu’elle soit la première française admise dans une Ecole nationale des Beaux-arts en France, celle de Rouen en 1914. Elle est diplômée en 1920. Elle travaille ensuite en première classe chez d’autres architectes notamment Pierre Chirol. On ne connaît pas de travaux d’architecture signés de son nom et elle semble n’avoir conçu que des projets pour d’autres architectes. Elle travaille notamment pour la ville de Rouen pour laquelle elle illustre des bâtiments historiques de la ville. Juliette Billard enseigna également à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen et fut décoratrice pour des studios de cinéma où elle créa par exemple le décor de l’Argent de Zola.
Juliette Billard est la première femme diplômée d’architecture française dont on connaisse plusieurs éléments et étapes de sa carrière et dont il reste des œuvres d’illustration ou de décor. Néanmoins, on remarque qu’elle a rapidement dû mettre de côté la construction et la maîtrise d’ouvrage pour s’adonner à des activités annexes que sont la décoration et l’illustration d’architecture. Ce sera le cas d’autres femmes architectes du début du 20ème siècle comme Geneviève Dreyfus-Sée (1904-1977). Fille de l’architecte Lucien Bechmann, elle n’exerça jamais le métier d’architecte et se tourna vers l’illustration ou le journalisme.
Ainsi malgré leur nouvel accès aux formations d’architecture, les femmes diplômées ont encore rarement la possibilité, en France, de pouvoir signer d’ouvrages et de constructions de leur nom, dans cette première moitié du 20ème siècle. Elles ne demeurent qu’associées à des commandes grâce à leurs relations familiales. Mais cette rude compétition au sein de la profession est également le fait des hommes. Il est alors difficile pour quiconque de devenir architecte, sans un réseau de connaissances solide et sans la recommandation d’une personne appartenant déjà à ce milieu privilégié et fermé.
Malgré tout, pour les femmes, il reste presque impossible d’exercer librement et indépendamment en tant qu’architecte à cette époque, dans une société et un domaine encore très misogynes. De même, les commanditaires montrent bien des réticences à confier la conception et la réalisation de leurs travaux à une femme, d’où la nécessité pour ces dernières de s’associer aux hommes pour exercer la profession qu’elles ont choisie. En 1928, Thérèse Urbain rédige un article dans la revue Le Maître d’œuvre. Elle y constate la difficulté pour une femme de se constituer une clientèle privée, les potentiels clients n’ayant que très peu confiance alors dans les capacités d’une femme à diriger une maîtrise d’ouvrage.
Une deuxième génération d’architectes femmes apparaît dans les années 1930, correspondant alors à la période fastueuse de l’Art Déco peu après la célèbre exposition des Arts décoratifs à Paris. Elles sont issues des formations classiques d’architecture et vont collaborer principalement avec leurs maris également architectes. En effet, l’un des meilleurs moyens pour une femme de pouvoir exercer le métier d’architecte est encore l’association avec un homme dont la reconnaissance lui permettra de participer à de véritables projets.
Le nombre d’étudiantes en architecture reste encore infime durant l’entre-deux-guerres et les années 1930. En 1919, Juliette Mathé intègre la formation de L’Ecole Nationale des Beaux-arts et elle sera la seule femme admise dans la section Architecture cette année. On constate que c’est principalement dans cette section que le nombre de femmes étudiantes et diplômées est restreint, car en 1933, l’atelier de Peinture accueille déjà 95 étudiantes. En 1940, une loi institue l’Ordre des architectes. Un conseil supérieur et des conseils régionaux sont créés. Trois ans plus tard, l’Ordre publie son premier tableau répertoriant les architectes inscrits : sur plus de 2000 professionnels, on compte alors en tout 17 femmes dont Juliette Tréant-Mathé, Adrienne Gorska, Renée Bodecher et d’autres figures telles que Germaine Tirlet ou Monique Vago, dont presque aucunes traces ne subsistent aujourd’hui. Cet Ordre permet de créer un réseau de contacts entre professionnels et pour les femmes nouvellement diplômées, cette inscription est un moyen de créer des collaborations et avoir accès à la commande.
L’association entre plusieurs architectes est également due au contexte économique et social difficile de l’entre-deux-guerres puis des années 30. La nécessité de reconstruction après le premier conflit mondial et la crise économique internationale à partir de 1929 vont limiter l’accès des architectes aux commandes et restreindre celles-ci. Ils se voient dans l’obligation de signer des projets à plusieurs et donc de s’associer, d’où l’augmentation de couples d’architectes à cette période.
Adrienne Gorska (1899-1969)
Originaire de Pologne et émigrée à Paris en 1919, elle est la sœur de la peintre Art Déco, Tamara de Lempicka. Adrienne Gorska est l’une des premières femmes diplômées de l’École spéciale d’architecture (ESA), en 1924. Elle rejoint l’Union des artistes modernes (UAM) en 1932 et sera l’une des disciples de Mallet-Stevens. Elle collabore avec lui rapidement après sa sortie de l’école, pour la décoration et la conception de l’appartement de sa sœur, rue Méchain, à Paris (14ème arrondissement). Dans la lignée des découvertes de l’époque dans le domaine du design moderne, Gorska utilise ici de l’acier tubulaire, des formes confortables, simples et épurées, proches de ce que conçoit à la même période Charlotte Perriand, en collaboration avec Le Corbusier.
Après son mariage avec l’architecte Pierre de Montaut en 1939, elle s’associe à celui-ci dans la réalisation de nombreux projets et au sein de leur agence parisienne.
Tout comme de nombreuses femmes architectes du milieu du 20ème siècle, Adrienne Gorska reçoit des commandes et va connaître une carrière riche, grâce notamment à sa collaboration avec un homme, son mari. Elle constate que dans le milieu de la commande architecturale, les femmes ne sont pas prises au sérieux. Dans le Maître d’œuvre, enquête publiée par l’architecte Thérèse Urbain, elle déclare : « Il faut absolument que nous gagnions la confiance du public, même dans les milieux favorables à la femme ». A cette époque, le design est l’un des rares domaines dans lequel les femmes ont plus de chances de réussir seules.
Le couple Gorska-De Montaut sera particulièrement connu pour leur travail de construction de salles de cinéma, principalement pour la société Cinéac, spécialisée en cinémas d’actualités, projetant de courts films d’une heure. Gorska et de Montaut conçoivent tous les Cinéac de France et d’Europe. L’un des plus connus est celui de la Madeleine, construit en 1935 : le Cinintran. Leurs réalisations vont devenir un modèle pour la devanture de cinéma des années 1930. Elles se caractérisent par un important éclairage aux tubes de néon qui permet de voir le bâtiment de loin, de jour comme de nuit. Le décor y est minimaliste et s’inscrit dans la lignée des théories de l’architecture moderne et de l’Union des Artistes Modernes (UAM) dont font partie les deux architectes.
Gorska et De Montaut reconstruisent également, à Toulon, un important immeuble à destinée commerciale et abritant des logement de bureaux, détruit durant la guerre : le Paris-France. L’édifice forme un angle sur deux rues. Il reprend le principe du mur rideau caractéristique du style moderne en architecture. L’ensemble accentue l’effet d’horizontalité. Dans la cour, la circulation verticale est traitée sous forme de tours d’angles, qui rappellent les œuvres de Mallet-Stevens des années 1930.
Renée Bocsanyi-Bodecher (1904 – vers 1973)
Elle entre à l’École des Beaux-arts en 1923 et est diplômée dans les années 1930. Elle travaille principalement par la suite avec son époux Henri Bodecher.
On connaît l’une de leurs réalisations de la fin des années 1930 dans le 8ème arrondissement, à l’angle de l’Avenue Montaigne. C’est un ensemble d’immeubles privatifs sur cour. Cette construction est marquée par l’influence du Style Art Déco.
Ils construisent jusque dans les années 1960 à Paris. On connaît une construction de cette période, mêlant la brique et l’immeuble à gradins dans le 5ème arrondissement, à l’angle des rues Henri Barbusse et du Val de grâce.
Ce couple d’architectes opéra également rue De Courcelles dans la construction d’un immeuble de bureaux détruit aujourd’hui. On sait qu’il était constitué principalement d’une armature métallique remplie d’ouvertures en verre, exprimant ainsi une certaine modernité propre à la période des années 1950. Cette époque voit l’intensification de la construction à Paris, à la suite du second conflit mondial, et notamment dans les périphéries de la ville avec la nécessité de créer des logements nouveaux et nombreux, sains et salubres. De nombreuses lois sur les loyers et sur la construction vont favoriser cette dernière en offrant par exemple des primes aux entrepreneurs participant à la reconstruction. A côté de l’OPHLM, service des logements sociaux de la ville, se développe la figure du promoteur immobilier, acteur privé, avec lequel le logement devient un véritable bien de consommation. Période de transition, les années 1950 hésitent entre deux voies. L’apparition d’immeubles à très grande échelle et aux formes originales, associés aux HLM et à la préfabrication de masse ; et l’immeuble privé cherchant encore à s’insérer dans le paysage urbain traditionnel en restreignant les hauteurs et reprenant notamment la forme des gradins introduite par Henri Sauvage.
Ainsi, le couple Bocsanyi-Bodecher s’inscrit tout à fait dans cette période complexe, entre nécessité de reconstruction et d’innovation.
Juliette Tréant-Mathé (1900 – ?)
Diplômée en 1933 de l’École des beaux-arts, Juliette Mathé réussit à réaliser son parcours en cinq ans. Elle rencontre lors de sa formation Gaston Tréant, qu’elle épouse et adoptera le nom de Tréant-Mathé. Ensemble, ils se spécialisent dans la conception de logements sociaux principalement en région parisienne.
Ils réalisent, à partir des années 1920 jusqu’à 1935, un ensemble d’HBM dans la commune de Colombes mêlant la brique traditionnelle au Style international à la mode dans les années 1930 et dans la lignée des théories de Le Corbusier. Ils construisent également un ensemble de 210 logements à Saint Denis, nommé la Cité du Gai logis, élaboré sur trois cours-jardins.
Leur construction la plus remarquable est l’immeuble de rapport de la rue des Entrepreneurs, dans le 15ème arrondissement réalisé à la fin des années 1930. Inscrit dans une parcelle restreinte, les architectes ont réussi à apporter dynamisme et vie à cette façade grâce à l’accumulation de bow-windows semi-circulaires aux extrémités du bâtiment et à la division tripartite de la façade. On retrouve ici la géométrisation propre à la période Art Déco, l’emploi du bow-window caractéristique de la période et des formes qui apportent élégance et classicisme à l’ensemble de la façade.
Le couple Tréant Mathé est également connu pour avoir publié un ouvrage spécialisé dans la théorisation du logement social en 1930 : Nouvelles habitations à bon marché. Ils y prônent une innovation de l’habitat social en préconisant des habitats agréables à vivre et un recours aux matériaux traditionnels tels que la brique, qu’ils ont particulièrement utilisée dans leurs diverses constructions.
Conclusion
La tentative de retracer l’histoire des premières femmes architectes en France nous permet de constater, tout d’abord, que celles-ci sont peu présentes dans la première moitié du 20ème siècle car souvent difficilement admises dans les formations d’architecture. Une fois diplômées, ces femmes vont également dans certains cas, devoir partir à l’étranger afin d’exercer le métier d’architecte. En France, elles pourront approcher la maîtrise d’œuvre majoritairement grâce à des collaborations mixtes, en s’associant à leurs relations masculines dans ce domaine.
Néanmoins, les sources semblent témoigner d’une meilleure connaissance des architectes femmes d’origine étrangère. Bien qu’elles effectuent une partie de leur formation en France, aux Beaux-Arts ou à l’ESA, elles rejoignent rapidement leur pays d’origine où elles pourront connaître une grande notoriété, à l’instar de Julia Morgan. L’entrée des femmes dans les domaines de l’architecture et de la maîtrise d’œuvre reste donc extrêmement liée, en France, à un contexte social particulier. Encore peu de crédit leur est alors accordé, dans la première moitié du 20ème siècle, au sein de professions considérées comme majoritairement masculines.
Dans un second temps, nous étudierons l’entrée des femmes dans les domaines de l’architecture et du design ailleurs en Europe, présentant une avance par rapport à la France au début du 20ème siècle. Ce sont des pays où s’est développé plus rapidement le design, domaine de création favorable à l’émergence des femmes aux côtés des architectes.
Émilie Dominey
Bibliographie :
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