Nous avions remarqué depuis longtemps que les cours du Castel Béranger (1895-1898) et de l’hôtel Mezzara (1910-1912) avaient été couvertes avec des déclinaisons du même type de pavé en grès cémame1 coloré en pleine masse.
Pavés subdivisés en quatre et biseautés en grès cérame dans la cour du Castel Béranger. Dim. 14 x 14 cm. Photo auteur.
Dès l’origine, et les photographies du portfolio du Castel Béranger (publié fin 1898) en font foi, la cour de l’immeuble ouvrant sur la villa Béranger est revêtue par ces pavés de couleur beige. Il s’agit d’un modèle bien particulier aux bords biseautés qui a été très populaire des années 1890 jusqu’aux années 1930. La grande solidité de ce revêtement explique qu’il a bien survécu jusqu’à nos jours et qu’on le rencontre encore fréquemment dans les vestibules et les cours des immeubles parisiens. La disposition ordinairement adoptée est presque toujours la même : une bordure de plusieurs rangs de la version non subdivisée, puis un remplissage central avec la version subdivisée en quatre carrés (eux-mêmes biseautés) disposés à 45 °. Très souvent, des pavés de couleur brune ou noire sont utilisés pour former des dessins géométriques qui ponctuent la surface. Des demi-pavés (rectangulaires ou triangulaires) permettent de combler les espaces.
Pavage de l’entrée carrossable d’un immeuble parisien. Pavés noirs et ocres. Photo auteur.
Pavage de l’entrée carrossable d’un immeuble parisien. Pavés noirs, bruns et ocres. Photo auteur.
Pour le Castel Béranger, Guimard s’est conformé à l’usage en bordant la cour de deux ou trois rangs de pavés beiges non subdivisés puis en remplissant la surface centrale avec les pavés beiges à quatre carrés disposés à 45 °. Il a utilisé avec parcimonie les pavés bruns en les disposant à un demi-pavé (triangulaire) de la bordure et en les espaçant tous les trois pavés. La cour a une surface très irrégulière, encore compliquée par la présence de massifs de terre clos par des bordures en ciment moulé modulaires mais qui n’influent pas sur le schéma de carroyage que nous venons de donner2.
Cour du Castel Béranger pavée en grès cérame, vue depuis la villa Béranger. Portfolio du Castel Béranger, pl. 13 (détail).
Plan de la cour du Castel Béranger. D’après un plan établi par l’atelier Le Bris Vermeersch architectes du Patrimoine, Lefèvre architectes ACMH, mai 2014.
Cour du Castel Béranger pavée en grès cérame. Portfolio du Castel Béranger, pl. 18 (détail).
Dans son portfolio du Castel Béranger, Guimard a tenu à citer les entreprises étant intervenues dans la construction et le décor du bâtiment. Un certain G. Voillaume est ainsi cité pour les « Carrelages et céramiques ». Il ne semble pas être le fabricant susceptible d’avoir fourni le pavage de la cour mais est sans doute l’artisan qui l’a posé et qui a scellé les décors muraux en grès émaillé. Guimard a également cité les fabricants dans sa liste, dans la mesure où ces derniers lui ont fourni des produits conçus selon ses propres modèles. Ainsi, les entreprises Gilardoni et Brault et Bigot sont citées pour, respectivement, « Terre cuite et briques émaillées » et « Grès flammé ». Elles ont participé à des degrés divers au décor extérieur et intérieur du Castel Béranger mais ne peuvent être les fournisseurs de ce type de pavage industriel. Dans ce portfolio, Guimard a d’ailleurs sciemment omis de mentionner les noms d’autres fournisseurs pour lesquels il estimait qu’aucune transformation artistique n’avait résulté de l’utilisation de leur produit. C’est le cas de ce pavage de la cour, mais aussi de l’entreprise Falconnier dont les briques de verre, montées en cloisons lumineuses, séparent l’escalier principal et l’escalier de service du bâtiment sur rue. Si le choix et la disposition de ces briques Falconnier est certainement la plus originale qui en ait jamais été faite et qu’il en résulte un réel effet décoratif inédit, pour le pavage de la cour, l’intention artistique était effectivement minimale. Dans tous les cas, le nom du fabricant restait inconnu…
Presque quinze ans plus tard, de 1910 à 1912, Guimard édifiait au numéro 60 de la même rue un hôtel particulier pour Paul Mezzara, industriel d’art spécialisé dans la broderie et la dentelle et, comme lui, vice-président de la Société des Artistes Décorateurs.
Façade de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-la Fontaine, Paris. Photo auteur.
L’hôtel est construit en léger retrait de la rue, derrière une petite cour close par une grille et dont la surface triangulaire permet de rattraper l’obliquité de la parcelle.
Plan du rez-de-chaussée de l’hôtel Mezzara (détail), daté avril 1910. 2Fi 158. Archives de Paris.
Pour paver cette cour, Guimard a fait appel au même fabricant de grès cérame dont il a retenu cette fois le pavé non subdivisé (de mêmes dimensions que le pavé subdivisé en quatre : 14 x 14 cm). Le pavage ayant été partiellement modifié à une date indéterminée, nous ne formulons ci-après que des hypothèses. Un seul rang de bordure parallèle au mur de la grille et aux murs latéraux a été mis en place, le reste de la surface étant disposé à 45° par rapport à la rue.
Pavés en grès cérame dans la cour de l’hôtel Mezzara. Photo auteur.
Guimard a également employé le pavé de mêmes dimensions en version « rayée » dont il subsiste actuellement un exemplaire. En toute logique, ces pavés antidérapants étaient posés entre la porte principale et l’ouverture de la grille qui lui fait face.
Pavé strié d’origine en grès cérame dans la cour de l’hôtel Mezzara. Photo auteur.
Pour cette cour Guimard n’a employé que des pavés beiges dont la couleur s’accorde à celles de la pierre et de la brique silico-calcaire de la façade. Il n’a sans doute pas voulu attirer l’œil par un dessin géométrique au sol pour un immeuble dont le raffinement se veut discret.
Cour de l’hôtel Mezzara pavée de grès cérame, élévations en moellon en opus incertum, brique silico-calcaire et pierre de taille sculptée. Photo auteur.
Les informations concernant la construction de l’hôtel Mezzara étant très lacunaires, là non plus, nous n’avons pu pendant longtemps connaître le nom du fabricant de ce pavage.
Heureusement, il y a quelques mois, nous avons pu repérer qu’un pavé était entièrement descellé dans la cour. En le prélevant et en nettoyant son verso (avant de le replacer au même endroit) nous avons eu la réponse à cette petite énigme. Inscrites en relief dans plusieurs cercles concentriques, on peut lire de haut en bas les mentions suivantes : CARRELAGES/ET/ PAVAGES/CERAMIQUES/DE/PONT/Ste MAXENCE (OISE).
Verso d’un pavé de la cour de l’hôtel Mezzara. Dim. : 14 x 14 cm, épaisseur 30 mm. Photo auteur.
Une rapide recherche sur internet permet de voir qu’il s’agit des établissements A. Defrance & Cie. Peu connue mais très active, cette entreprise est fondée en 1882 à Pont-Sainte-Maxence, à une vingtaine de kilomètres de Compiègne, à la limite du Beauvaisis, région de production traditionnelle du grès. Les bâtiments de l’usine sont construits 1882 à 1899 3. Sans avoir les prétentions artistiques de maisons géographiquement proches comme Boulenger à Auneuil ou Colozier à Beauvais, l’entreprise Defrance & Cie s’est concentrée sur l’édition industrielle d’un nombre restreint de pavages de caractère utilitaire. Son dépôt parisien est au 12 cité de Trévise dans le IXe arrondissement.
Usine Defrance & Cie à Pont-Sainte-Maxence (Oise). Carte postale ancienne. Photo internet.
La couverture illustrée du catalogue de janvier 1898 (identique à celle de janvier 1893) montre une vue aérienne plus ancienne de l’usine dans un encadrement composé avec les produits commercialisés. Un panonceau y annonce une médaille d’argent à l’Exposition Universelle de Paris en 1889 ainsi que « 4 médailles d’or/2 diplômes d’honneur depuis 1884 4 ». À la partie inférieure, un cadre annonce « Produits brevetés en 1864-75 »5.
Catalogue de la société Defrance & Cie à Pont-Sainte-Maxence (Oise), 1898, couverture. Photo internet.
Dans les pages du catalogue, on reconnaît les pavés biseautés beiges et bruns que nous connaissons mais aussi d’autres types de pavés : rectangulaires, hexagonaux, octogonaux, « ciselés », formant caniveau, blancs, rouges, noirs, et encore quelques modèles de tuyaux, de mitres de cheminées et de lanternes.
Toujours sur les catalogues de 1893 et 1898, page 48, le pavé carré subdivisé en quatre carrés biseautés, celui qui est utilisé dans la cour du Castel Béranger, est nommé « pavé rayé triangulaire » et a une épaisseur de 30 mm. Le pavé du même genre à neuf subdivisions, un peu plus grand (16 x 16 cm), est qualifié de « pavé spécial d’écurie », dénomination justifiée par une illustration de stalle d’écurie entièrement revêtue de pavés et de carreaux de l’entreprise Defrance & Cie. On comprend que le biseautage permet une circulation plus aisée des chevaux dans les allées carrossables des immeubles.
Catalogue de la société Defrance & Cie à Pont-Sainte-Maxence (Oise), 1898, pl. 48. Photo internet.
Dès sa fondation en 1882, Defrance & Cie est en réalité une filiale de la société Utzschneider6 & Ed. Jaunez fondée en 1864 à Sarreguemines. Après la défaite de 1870, elle se retrouve en Lorraine occupée par l’Empire allemand et si elle se voit ouvrir le marché allemand, ses produits sont dorénavant frappés d’importants droits de douane à leur entrée en France. Comme pour d’autres entreprises d’Alsace-Lorraine, les dirigeants de Utzschneider & Ed. Jaunez vont ouvrir une succursale en France exploitant le brevet déposé par Édouard Jaunez en 1864. Ils choisissent le site de Pont-Sainte-Maxence qui peut être approvisionné en argile et qui communique facilement avec la capitale par voie ferrée et fluviale. Actionnaires majoritaires de l’entreprise mais craignant sans doute un rejet anti-allemand de la part de la clientèle française, ils préfèrent mettre en avant le nom bien français d’un actionnaire minoritaire, A. Defrance.
En-tête de la société Utzschneider & Ed. Jaunez à Sarreguemines en 1911 (sous domination allemande). L’usine de Pont-Sainte-Maxence figure dans la liste des sites de production. Photo internet tirée du site Sarreguemines-Passion.
La prospérité de l’entreprise est en grande partie due au succès de son carreau en grès cérame obtenu par un mélange d’argile de laitier de haut-fourneau puis moulé par compression sous haute pression. Outre le site de Pont-Sainte-Maxence, elle ouvre ou rachète d’autres sites de productions au Luxembourg7, en Belgique8, en Allemagne9, en Saône-et-Loire10 et en Alsace11. Cette concentration explique l’aspect unifié des verso des produits des différents sites de production. Au moins depuis les années 1890, le concessionnaire parisien de Sarreguemines est Corbassière et Fils, 16 rue de la Chapelle.
Verso d’un pavé en grès cérame de l’usine de Jurbise en Belgique appartenant au groupe Utzschneider & Ed. Jaunez de Sarreguemines, produit avant la Première Guerre mondiale. Photo internet tirée du site Sarreguemines-Passion.
Après la Première Guerre mondiale (et la reconquête de l’Alsace-Lorraine) les différentes sociétés fusionnent et deviennent en 1921 la puissante CGCB (Compagnie Générale de Céramique du Bâtiment, plus tard couramment appelée la Cérabati) absorbant au passage l’usine de grès Collesson à Écuisses en Saône-et-Loire. Le siège social est alors transféré à Paris. Les catalogues des années trente montrent que les pavés de l’usine de Pont-Sainte-Maxence destinés aux entrées d’immeubles sont toujours produits. L’usine de Jurbise en Belgique et sans doute d’autres usines du groupe en produisent de semblables. On y trouve aussi les pavés antidérapants striés en diagonale.
Planche d’un catalogue de la Compagnie Générale de Céramique du Bâtiment (Cérabati), vers 1930. Les pavés utilisés dans les cours du Castel Béranger et de l’hôtel Mezzara sont toujours produits à Pont-Saint-Maxence. Les marches sont revêtues de pavés antidérapants striés en diagonale.
Ce sont probablement des pavés striés d’une génération ultérieure que nous retrouvons actuellement sur la portion de surface de la cour de l’hôtel Mezzara menant à la porte d’entrée. Plus petits d’environ un centimètre, sans bordure et d’un aspect « chiné » plus moderne, ils y ont remplacé à une date indéterminée les pavés d’origine, eux-même probablement rayés (cf. plus haut).
Pavés striés dans la cour de l’hôtel Mezzara, entre la porte principale et la grille (probables produits Cérabati). Photo auteur.
La Cérabati ne fermera ses portes qu’en 2006, alors que le site de Pont-Sainte-Maxence ferme dès 1992.
F. D.
Bibliographie :
Maillard, Anne, La Céramique architecturale à travers les catalogues de fabricants 1840-1940, éditions Septima, 1999.
Baeck, Mario, Splendeurs domestiques, Les carrelages de sol et de mur en céramique et en ciment en Belgique, Institut du Patrimoine wallon, 2013.
Baeck, Mario ; Hamburg, Ulrich ; Rabenau, Thomas ; Verbrugge, Bart, Industrial tiles 1840-1940 Industrielle Fliessen 1840-1940 Industriële tegels 1840-1940 Carreaux industriels 1840-1940, Johan Kamermans, Hans van Lemmen (ed.). Otterlo : Nederlands tegelmuseum, 2004.
Sites internet de l’Inventaire Général de la Région Hauts-de-France, site Passerelles de la BnF, site Sarreguemines-Passion.
Merci à M. Mario Baeck, Docteur en sciences d’art, Université de Gand, qui a apporté de plusieurs précisions et nous a fait profiter de ses travaux.
1 Le procédé du grès est connu intuitivement depuis le Moyen-Âge, avec l’utilisation d’argiles grèsantes (à forte teneur en silice) cuites à haute température, et constamment amélioré au cours du XIXe siècle grâce à la compréhension progressive des processus chimiques et physiques mis en jeu.
2 Ce schéma initial a été perturbé par des remplacements de pavés effectués avec des matériaux de récupération lors de la rénovation du Castel Béranger.
3 Dates inscrites sur les bâtiments existants.
4 Il s’agit certainement de l’exposition rétrospective organisée par l’Union Centrale des Arts Décoratifs ayant pour thème la pierre, la terre, le bois.
5 Le brevet 1BB61459 de 1864 a été déposé par Jaunez, 23 boulevard de Strasbourg à Paris avec l’intitulé « procédé de fabrication de dallages et de carreaux céramiques ». Son contenu n’est pas accessible (précision fournie par M. Mario Baeck).
6 Les frères Charles Joseph et Maximilien Joseph sont les premier et troisième fils de Paul Utzschneider, directeur de la célèbre faïencerie de Sarreguemines, d’origine bavaroise. Édouard Jaunez est leur neveu.
7 À Wassezbillig en 1873.
8 À Jurbise en 1876.
9 À Zahna en 1891, puis à Birkenfeld-Neaubrücke en 1908.
10 À Paray-le-Monial en 1891 ou 1892 (reprise de l’entreprise Paul Charnoz fondée en 1877).
11 À Oberbetschdorf en 1901.
Après avoir débuté sa collaboration avec les entreprises de céramique architecturale Bigot (1) et Gilardoni & Brault (2) pour le décor du Castel Béranger (1895-1898), Guimard leur reste fidèle pendant plus d’une douzaine d’années. Cependant, ses commandes, encore très importantes pour la villa Berthe (1896) et le Porche d’une grande habitation à l’exposition de la Céramique en 1897, décroissent rapidement pour devenir épisodiques. Guimard s’intéresse alors à la lave émaillée, matériau plus onéreux mais qui répond sans doute mieux à ses désirs, avant de l’abandonner après 1903. Guimard ne se tourne pas non plus vers l’entreprise de céramique architecturale Gentil et Bourdet (3) qui prend son essor à partir de 1901.
De fait, très peu d’éléments en grès émaillé dont la création est postérieure à 1900 sont venus à notre connaissance. Cette plaque (d’une paire) est certainement l’une d’eux. Sans marque de fabricant, signature ni millésime, elle est munie de trois emplacements pour vis qui impliquent une utilisation en intérieur pour un aménagement que nous ne connaissons pas.
Plaque décorative en grès émaillé par Guimard (dune paire). Non signée, non datée, de fabricant inconnu. Coll. part. Photo auteur.
Guimard a persisté jusque dans les années dix à créer des modèles de vases et de jardinières, sans doute destinées à être éditées en céramique. Mais seule la jardinière sur pied qui figurait dans le vestibule de l’hôtel Guimard semble avoir franchi le cap de la réalisation.
Vestibule de l’hôtel Guimard, état originel. La jardinière sur pied en grès émaillé se trouve en bas et à droite.
Guimard l’expose en 1913 avec un ensemble de fontes ornementales au sein d’une roseraie (4).
Jardinière sur pied en grès émaillé, exposée au sein de la roseraie conçue par Guimard à l’exposition L’Art du jardin au domaine de Bagatelle en 1913.
Le dernier décor architectural en grès émaillé créé par Guimard pourrait donc être l’encadrement de la baie centrale du premier étage de l’hôtel Mezzara (1910-1912), au 60 rue Jean-de-La-Fontaine à Paris.
Façade de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-la Fontaine, Paris. Photo auteur.
La symétrie de la partie centrale de la façade conduit le regard au centre du groupement de fenêtres agencé au-dessus du portique. Guimard renforce encore l’intérêt de cette baie centrale en la plaçant en retrait, au fond d’une alcôve protégée par un grand balcon GA flanqué de ses deux retours cintrés. Il s’agit des fontes ornementales les plus élaborées de l’hôtel et, par contraste, Guimard a disposé de part et d’autre d’elles deux appuis de croisée GG très discrets. Ainsi mise en valeur, cette baie centrale semble désigner une pièce maîtresse du bâtiment. Mais en réalité, il ne s’agit que d’un boudoir, pièce de transition entre les chambres respectives du couple (5) Mezzara.
Façade de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-la Fontaine, Paris, détail de la baie centrale du premier étage. Photo auteur.
Le plan en élévation de la façade, signé en avril 1910, prévoit un décor entre la baie au fond de l’alcôve et le chambranle en façade, décor dont le relief semble s’amenuiser à mesure qu’il s’éloigne de la baie. Guimard suggère ainsi qu’il pourrait être sculpté sur la pierre. Mais il va choisir de modifier ce parti.
Élévation de la façade sur rue de l’hôtel Mezzara (détail). Daté avril 1910. 2Fi 161. Archives de Paris.
La façade utilise principalement la brique silico-calcaire en parement, mais aussi en quart de rond pour la plupart des verticales comme les jambages des ouvertures. Sa couleur beige est proche de celle de la pierre de taille. Celle ci, susceptible d’être sculptée, est réservée aux parties qui sont à la fois les plus en vue et celles qui nécessitent le plus de solidité comme les linteaux, les appuis de fenêtres, les chambranles de la porte d’entrée, des baies de l’oriel au rez-de-chaussée, mais aussi des trois baies centrales du premier étage. La paroi de l’alcôve est recouverte d’un simple enduit à faux jointoyage qui lui aussi est d’une couleur proche de celle de la pierre de taille. Cette paroi conduit à l’encadrement en céramique émaillée (il s’agit probablement de grès) qui nous intéresse ici, plus foncé et qui encadre lui-même un rang de briques silico-calcaires en quart de rond, lequel précède la menuiserie peinte en beige. Tous ces matériaux : bois peint, brique, grès émaillé, enduit et pierre constituent un camaïeu coloré discret (6), éloigné des harmonies colorées plus voyantes du Castel Béranger. Il est donc fréquent qu’au premier abord on ne remarque pas cet encadrement en grès, malgré le relief de sa frise.
Façade de l’hôtel Mezzara, 60 rue Jean-de-la Fontaine, Paris, détail de la baie centrale du premier étage. Photo auteur.
L’encadrement est constitué de 17 éléments qui se succèdent sur un seul rang et dessinent une frise. Les jambages gauche (éléments de 1 à 5) et droit (éléments de 13 à 17) sont identiques. À partir des angles supérieurs, les claveaux de la frise forment un arc en anse de panier culminant à 3 m 90 avec l’élément central 9 jouant le rôle de clé. La frise devient alors grossièrement symétrique.
Encadrement en grès émaillé de la baie centrale du premier étage de l’hôtel Mezzara. Reconstitution par infographie (auteur).
Cette frise en relief présente un décor de prime abord simplifié et facilement lisible. Sur les jambages, jusqu’aux deux tiers de la hauteur, des petits segments semblent se détacher des bords internes et externes et se terminer par un motif arrondi. D’autres éléments arrondis parsèment régulièrement la partie centrale et deviennent plus nombreux sur les éléments 5 et 13 qui précèdent les angles. Ces segments et motifs arrondis peuvent facilement être assimilés à des tiges végétales se terminant par des boutons floraux. À partir des éléments 5 et 13, le décor se complexifie. Les segments naissent aussi à partir du centre qui est bientôt marqué par une ligne qui se poursuit jusqu’à la clé de l’élément 9. De part et d’autre de cette tige d’autres segments en arc de cercle évoquent des pétales de fleurs à présent écloses. Même s’il est conçu pour être vu de loin, le dessin de cette frise, par son caractère volontairement naïf, surprend de la part de Guimard et ne ressemble pas à son style habituel. Sachant que d’autres artistes ont participé au décor de l’hôtel Mezzara, on est même en droit de se demander si ce travail peut lui être réellement attribué. Et pourtant, en accédant au balcon et en observant de près le modelage, on se rend compte qu’il s’agit indubitablement d’un modelage guimardien aux « bouillonnements » caractéristiques.
Encadrement en grès émaillé de la baie centrale du premier étage de l’hôtel Mezzara (détail). Photo auteur.
Ce type de segment se retrouvera sur les cheminées et sur la clef du linteau de la porte d’entrée de la mairie du Village français que Guimard édifiera pour l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs en 1925.
Linteau de la porte d’entrée de la mairie du Village français par Guimard à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs en 1925. Bibliothèque des Arts Décoratifs, don Adeline Oppenheim, 1948. Photo Laurent Sully-Jaulmes.
Il y a aussi une certaine analogie avec certains détails décoratifs d’une gamme de fontes de Guimard, celle des grands balcons GM/GN, des balcons de croisée GF et GG ainsi que des panneaux de porte et impostes GM, GO et GP qui ont été ajoutées au catalogue vers 1912. Elle détonnent un peu dans l’ensemble par leur sobriété, leurs nombreuses lignes orthogonales, la présence de motifs floraux inhabituels chez Guimard mais aussi par de petits motifs placés aux angles des croisements de lignes. Vus de loin, ces petits motifs s’apparentent à des rivetages, un peu à la manière des assemblages des barres de fer de Victor Horta.
Grand balcon GN. Catalogue des fontes ornementales éditées par Guimard à Saint-Dizier pour les Fonderies de Saint-Dizier, planche 10 F, vers 1912. Coll. part.
Mais vus de près, ces petits motifs sont bien des « bouillonnements » habituels de Guimard.
Balcon GF (détail). Réserves de la Fonderie de Saint-Dizier. photo auteur.
Jusqu’ici nous n’avons pu déterminer le nom du fabricant auquel Guimard s’est adressé pour l’exécution de ce décor architectural. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de Bigot car l’émaillage de ces éléments est inhabituel. Au lieu d’être appliqués au pinceau, les émaux ont été vaporisés à l’aérographe en plusieurs passes de couleurs différentes : beige, gris et violine, qui se mêlent pour mieux souligner les reliefs. L’aérographe a été réglé de façon à envoyer des gouttelettes de peinture assez importantes pour produire une sorte de mouchetage et non l’effet habituel, mais moins intéressant, de couleurs se fondant les unes dans les autres. Il est à noter que la plaque décorative que nous présentons plus haut a, elle aussi, reçu un émaillage selon la même technique.
Encadrement en grès émaillé de la baie centrale du premier étage de l’hôtel Mezzara (détail). Photo auteur.
Cette technique qui est utilisée par de nombreux céramistes est aussi celle qui est employée par Eugène Gillet, le fournisseur des laves émaillées de Guimard. Mais d’une part, en 1910, Guimard ne commande plus de laves émaillées à Gillet depuis plusieurs années. D’autre part, on ne relève pas la netteté des détails, propre à la sculpture sur lave. Et enfin, la présence d’un important fêle de cuisson présent au niveau de l’élément 14 atteste qu’il s’agit bien d’une pâte céramique et non d’une pierre de lave sculptée. Le grès émaillé est donc le matériau qui a le plus de probabilité d’avoir été employé pour cet ultime décor architectural (7). Par son dessin inhabituel, Guimard montre qu’en pleine possession de son style assagi, il n’hésite pas à innover et à se rapprocher des tendances qui sont alors en train de donner naissance à l’Art déco.
F. D.
1- Alexandre Bigot (1862-1927) est chimiste de formation. Il fonde en plusieurs étapes à partir de 1893 son entreprise qu’il établit à Mer (Loir-et-Cher) et qu’il concentre sur la production de grès émaillé, au contraire des entreprises Muller et Gilardoni qui produisent parallèlement des tuiles, des briques et de la terre cuite émaillée. Elle se développe rapidement, recevant des commandes de nombreux architectes et éditant les créations de nombreux artistes, pour atteindre une dimension industrielle à partir de 1897. Trois ans plus tard elle triomphe à l’Exposition Universelle de Paris et concurrence très sérieusement Muller en renommée auprès des tenants du courant moderne.
2- L’entreprise Gilardoni et Brault, à Choisy-le-Roy est issue de la maison Garnaud, active depuis le mitant du XIXe siècle et connue pour ses terres cuites architecturales imitant la pierre sculptée. Alphonse Brault reprend l’entreprise en 1871. Il a fait auparavant la connaissance en Alsace d’Émile Muller et de Xavier-Antoine Gilardoni avec qui il s’associera en 1880 sous le nom de Gilardoni et Brault. Deux ans plus tard, Alfred Brault, fils d’Alphonse, reprend les rênes de l’entreprise. Après le décès d’Alphonse Brault en 1895, la société devient Gilardoni fils A. Brault et Cie. Alfred Brault se retirant en 1902, la société devient alors Gilardoni fils et Cie et reste florissante jusqu’au début des années dix.
3- Fondée en 1901 à Boulogne (dans une ancienne villa construite par Guimard) par les architectes Alphonse Gentil et le nancéien Eugène Bourdet, l’entreprise propose des produits similaires à ceux de Bigot, dans une palette de couleurs plus restreinte. Elle industrialise davantage sa production et se spécialise bientôt dans la production de carreaux et de mosaïque architecturale qui lui permet une grande longévité jusque dans les années quarante et, au passage, de supplanter Bigot. Elle collabore avec des architectes de renom comme Jacques Hermant, Charles Plumet ou Henri Sauvage. Cependant Guimard ne figure pas dans ses catalogues connus.
4- Exposition l’Art du Jardin organisée par la Société Nationale des Beaux-Arts, l’Union Centrale des Arts Décoratifs et la Société des Amateurs de jardins dans les palais et le parc de Bagatelle du 20 mai au 15 juillet 1913.
5- La chambre de gauche est celle de la maîtresse de maison et celle de droite, communiquant par l’arrière avec l’atelier, est celle du maître de maison.
6- De plus, il est fort probable que les fontes n’étaient pas peintes en noir comme elles le sont actuellement. Les photographies les plus anciennes de la façade (datant des années quarante) montrent qu’elles étaient peintes dans une tonalité intermédiaire.
7- On ne peut toutefois exclure totalement la possibilité qu’il s’agisse de lave reconstituée, matériau qui s’estampe sur un moule avant cuisson.
Le Castel Béranger (1895-1898) est le premier immeuble de Guimard à intégrer des décors exécutés en grès émaillé. Guimard s’adresse alors à l’entreprise Bigot (1) pour les cheminées des salles à manger et le vestibule. Cette commande se fait parallèlement à la fourniture par l’entreprise Gilardoni et Brault (2) des rétrécissements de certaines des cheminées des salons et des décors céramiques extérieurs, au détriment de l’entreprise Muller et Cie (3) qui le fournissait jusque là pour les panneaux de céramique émaillée dont il ornait ses constructions. Certains motifs décoratifs en céramique sont soumis aux éléments architecturaux (allèges des fenêtres, linteaux, etc.) alors que d’autres sont des décors indépendants, comme le panneau du chat faisant le gros dos. Le plus grand décor, celui qui garnit les murs du vestibule, mérite d’être examiné.
Ce corridor de 4 m 20 de long sur 3 m de large est destiné à l’entrée des piétons (4). Il est fermé du côté rue par la porte en ferronnerie partiellement garnie de plaques de cuivre et encadrée de deux petites ouvertures. Toutes trois sont à claire-voie. Du côté du hall, le vestibule est fermé par une porte vitrée garnie de vitraux, elle-même entourée de plaques de cuivre et surélevée de la hauteur de deux petites marches en Comblanchien. Cette dernière porte est décalée du côté droit par le mur en angle rentrant.
Vestibule du Castel Béranger, vue vers la rue. Portfolio du Castel Béranger, pl. 25. Coll. part.
Vestibule du Castel Béranger, vue vers la rue. Photo Appoline Jarroux.
Vestibule du Castel Béranger, vue vers le hall. Portfolio du Castel Béranger, pl. 26. Coll. part.
Plan du vestibule du Castel Béranger. Panneaux A, B, C ; pilastres D, E : linteaux F. Dessin auteur.
Au sol, la mosaïque en grès cérame (5) a été posée par l’entreprise Léon de Smet (6) de Lille. Le plafond, en léger berceau, comprend quatre caissons garnis de plaques de cuivre et séparés par trois linteaux dont les deux premiers sont recouverts de grès émaillé.
Vestibule du Castel Béranger, vue vers le hall. Photo extraite du site internet Paris le nez en l’air.
Des décors supplémentaires complètent le volume du vestibule. Dans leur grande majorité, ils sont linéaires : vitraux de la porte vers le hall, motifs de la mosaïque au sol, tôle découpées et vissées sur les plaques de cuivre du plafond et ferronneries en simples barres de fer savamment pliées rythmant chaque travée en encadrant les pilastres et les linteaux. Ces lignes en « coup de fouet » constituent l’emprunt le plus visible au style de Victor Horta, quoique Guimard utilise des courbes plus fermées que celles de l’architecte bruxellois et qui ne survivront guère à la période 1895-1898.
Le vestibule recèle aussi des décors tridimensionnels : la face interne des colonnes en pierre de l’entrée et deux ventouses en fonte au plafond, du même modèle que celles qui sont placées en façade.
Ventouse en fonte au plafond du vestibule (plaques de cuivre et tôles de fer peintes vissées). Les vides servant à l’aération sur la ventouse ont été bouchés avec du papier à une époque indéterminée. Photo auteur.
Mais ce sont surtout les panneaux muraux en grès émaillé qui occupent la majeure partie de la surface murale latérale. Ils mesurent 2 m 10 de hauteur, depuis une petite plinthe en Comblanchien jusqu’à un peu moins des deux tiers de la hauteur du vestibule (3 m 43 au centre). Le tiers supérieur des murs est occupé par de nouvelles plaques de cuivres encadrées de motifs linéaires de ferronnerie. Ces panneaux de grès assurent l’essentiel de l’effet par leur caractère enveloppant et par l’étrangeté de leur relief qui les range dans la catégorie des décors à motifs abstraits. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, parallèlement à des motifs figuratifs ou évoquant des formes naturelles, Guimard développe pour la première fois sur le Castel Béranger une série de motifs abstraits qui n’ont pas d’équivalent chez Horta. Ils marquent donc, dès le début de la conversion de Guimard à l’Art nouveau, une originalité formelle qui, tout en évoluant constamment, ne se démentira plus.
Cabochon au-dessus du linteau de la boutique en rez-de-chaussée du Castel Béranger. Grès (?) Gilardoni et Brault. Photo Nicholas Christodoulidis.
Les six premiers panneaux des trois premières travées (panneaux A) d’une largeur de 1 m 12 sont identiques entre eux et composés de 28 éléments chacun. Ils utilisent 18 motifs différents (de 1 à 18) ne comportant qu’un seul élément, à l’exception des motifs 2 et 3 qui comprennent chacun deux éléments. Les motifs étroits 6 et 15 sont répétés sur les bordures. La signature de Bigot est présente sur chacun de ces panneaux, en bas à gauche (motif 17).
Panneau A et pilastres E en grès émaillé de la deuxième travée droite du vestibule. Photo auteur.
La travée du fond contient trois autres panneaux plus étroits, deux à gauche (en raison de l’angle rentrant de ce côté gauche) et un à droite. Le panneau B en retour du côté gauche a une largeur de 78 cm et est composé de 17 éléments, utilisant 7 motifs différents. Seul le motif supérieur 19 comprend deux éléments. On retrouve le motif 6 en bordures latérales, ainsi que la succession verticale des motifs 8, 10, 12, 14, 17 au centre.
Panneau B en grès émaillé de la 3e travée face gauche du vestibule. Photo auteur.
Les deux panneaux C de la travée du fond se font face. Ils sont proches du panneau B mais d’une largeur moindre (71 cm). Après suppression des bordures latérales, ils ne comprennent plus que 7 éléments et 6 motifs (le motif supérieur 20 comprenant deux éléments).
Panneau C et pilastre D en grès émaillé de la 4e travée droite du vestibule. Photo auteur.
Sur chaque mur latéral, quatre pilastres séparent les travées et sont également garnis d’éléments de grès émaillé. Le premier et le dernier (pilastres D) sont très minces (6 cm) et montent à 3 m de hauteur. Ils comprennent 10 éléments identiques (motif 15).
Les deux pilastres centraux de chaque côté (pilastres E) sont plus larges (27 cm), d’une hauteur moindre et comprennent chacun 9 éléments, utilisant 3 motifs (21, 22, 23), le motif 21 étant répété 7 fois.
Ces quatre pilastres centraux semblent se poursuivre sur les deux linteaux séparant les caissons du plafond et qui sont eux aussi garnis d’éléments de grès émaillé. Les corbeaux (tous différents) qui font la liaison entre pilastres et linteaux sont en pierre sculptée (7).
Corbeau en pierre sculptée joignant les pilastres E et les linteaux F du vestibule. Photo auteur.
Ces linteaux se divisent au milieu en deux motifs identiques (le n° 24) mais renversés. Chaque motif comprend quatre éléments.
L’un des deux linteaux F au plafond du vestibule, joignant les pilastres E. Le motif 24 en 4 éléments occupe la moitié du linteau et est renversé sur l’autre moitié. Photo auteur.
Les joints entre les éléments des panneaux sont masqués par un type de ferronnerie différente de celles qui sont en « coup de fouet » et qui soulignent les travées. Elles sont peintes d’une couleur plus sombre et leurs fines barres, vissées par l’intermédiaire de petits disques, sont rectilignes ou en arc régulier, dessinant une sorte de treillage. Comme les reliefs des éléments en grès sont aplatis sur leurs pourtours, ces ferronneries strictes donnent l’impression de comprimer une masse mouvante et bouillonnante. La matière céramique semble en effet s’animer en tous sens, particulièrement au niveau de l’élément central supérieur arrondi.
Détail d’un panneau A en grès émaillé des trois premières travées du vestibule. Photo auteur.
Quelques années plus tôt, sur l’hôtel Jassedé, rue Chardon-Lagache, pour certains linteaux Guimard avait déjà encadré des séries de cabochons (8) par de simples barres de fer vissées.
Linteau d’une fenêtre du premier étage de la façade sur rue de l’hôtel Jassedé, 41 rue Chardon-Lagache, Paris, 1893. Photo Nicholas Christodoulidis.
Construite dans la même période que le Castel Béranger, la villa Berthe (1896) présente aussi des linteaux revêtus de céramique émaillée (probablement de grès) où des encadrements constitués de tôle de fer découpée et vissée semblent comprimer une matière exubérante.
Linteau d’une fenêtre du premier étage de la villa Berthe, Le Vésinet, 1896. Photo Le Cercle Guimard.
Sur les motifs 8, 10, 12, 14 et 17 des panneaux A, b et C ainsi que sur les motifs de bordures et de des pilastres, Guimard a créé de petites dépressions circulaires qui ont été imprimées dans la terre glaise à l’aide de l’extrémité d’un ou de plusieurs doigts lors de la conception des modèles. Il s’agit là aussi d’une innovation, ou au moins d’une singularité dans l’art décoratif du moment.
Motif 10 des panneaux A, B et C du vestibule. Photo auteur.
Motif 10 des panneaux A, B et C du vestibule, avec les doigts d’Hector. Photo auteur.
Un modèle de linteau de Guimard édité par Bigot (présent sur son catalogue de 1902) présente les mêmes empreintes de doigts.
Linteau en grès émaillé édité par Bigot, originellement inséré dans la balustrade de la terrasse du Castel Val à Auvers-sur Oise (1902-1903) construite en 1911.
Ces empreintes de doigts rappellent un autre exemple présent dans le décor du Castel Béranger : celui des boutons de porte en porcelaine des portes intérieures des appartements qui conservent la trace des doigts du modeleur imprimée dans la terre glaise qui a servi a élaborer le modèle (9). Guimard est alors le seul à introduire dans son œuvre modelée une part gestuelle qui prend ici un caractère presque primitif, différent du caractère volontairement naïf que tenteront de retrouver certains céramistes, en particulier belges, en s’inspirant de la poterie traditionnelle (10).
Bouton en porcelaine modelé par Guimard pour les appartements du Castel Béranger.
La couleur des grès du vestibule est assez différente de ceux qui sont placés à l’extérieur, plus ternes et plus pâles. Il s’agit essentiellement d’ocres assez soutenus placés sur les reliefs tandis que les creux sont occupés par des verts-bleus devenant intenses dans les petites dépressions digitales. Ils s’allient à la couleur rouge chaude des plaques de cuivre et contrastent avec les tons plus froids du sol en mosaïque bleu pâle et des ferronneries en « coup de fouet ».
Ce décor total, si inhabituel, ne manque pas de faire naître des analogies dans l’imagination des visiteurs qui le traversent. Outre le bouillonnement magmatique que nous avons évoqué plus haut, le thème de la grotte, naturelle ou artificielle, revient souvent. Celui de l’évocation sous-marine est sans doute le plus justifié par le souvenir des hippocampes en fonte servant d’ancres et des monstres marins en céramique émaillée vus sur la façade. Les ventouses en fonte peuvent faire penser à un nez et une bouche mais peuvent aussi être assimilées à des crabes. Les ondulations des lignes de la mosaïque du sol, les lignes sinueuses des tôles découpées du plafond et celles des ferronneries font immanquablement penser au balancement des algues dans la mer. Quant aux nombreuses plaques de cuivre, elles peuvent facilement évoquer la coque d’un sous-marin (11).
Enfin, le vestibule du Castel Béranger nous paraît annoncer deux autres réalisations de Guimard qui verront le jour autour de 1900 : le vestibule de la maison Coilliot à Lille, et les édicules du métro.
Vestibule de la maison Coilliot, 14 rue de Fleurus à Lille, 1898-1900. Panneaux en lave émaillée. Photo Inventaire Général, ADAGP.
Édicuel B de la station Porte Dauphine. Photo auteur.
Dans les deux cas et comme pour le vestibule du Castel Béranger, les parois sont rythmées par des panneaux qui s’élèvent jusqu’aux deux tiers de la hauteur et sont séparés par des pilastres métalliques. Mais les panneaux en grès animés de forts reliefs ont alors été remplacés par des pierres de lave, sculptées d’un mince relief avant d’être émaillées. En quelques années, Guimard a totalement abandonné son modelage sauvage, presque intuitif, où la main du modeleur semble intervenir de façon aléatoire, pour un autre style tout aussi abstrait, mais à présent policé, réfléchi, où l’arrangement harmonique des lignes est tourné vers la recherche d’élégance.
F. D.
1- Alexandre Bigot (1862-1927) est chimiste de formation. Il fonde en plusieurs étapes à partir de 1893 son entreprise qu’il établit à Mer (Loir-et-Cher) et qu’il concentre sur la production de grès émaillé, au contraire des entreprises Muller et Gilardoni qui produisent parallèlement des tuiles, des briques et de la terre cuite émaillée. Elle se développe rapidement, recevant des commandes de nombreux architectes et éditant les créations de nombreux artistes, pour atteindre une dimension industrielle à partir de 1897. Trois ans plus tard elle triomphe à l’Exposition Universelle de Paris et concurrence très sérieusement Muller en renommée auprès des tenants du courant moderne.
2- Fondée en 1854 à Ivry-sur-Seine par l’ingénieur centralien Émile Muller, la Grande Tuilerie se spécialise dans la céramique architecturale et remporte un grand succès à l’Exposition Universelle de 1889, l’année même du décès d’Émile Muller. Reprise par son fils Louis sous le nom d’Émile Muller et Cie, elle ajoute le grès émaillé à ses produits, édite les œuvres de nombreux sculpteurs contemporains ainsi que d’artistes et d’architectes travaillant dans le courant de l’Art nouveau. En 1904, elle compte toujours sur son catalogue 23 modèles de Guimard créés au début des années 1890.
3- L’entreprise Gilardoni et Brault, à Choisy-le-Roy est issue de la maison Garnaud, active depuis le mitant du XIXe siècle et connue pour ses terres cuites architecturales imitant la pierre sculptée. Alphonse Brault reprend l’entreprise en 1871. Il a fait auparavant la connaissance en Alsace d’Émile Muller, chez qui il sera chef de fabrication, et de Xavier-Antoine Gilardoni avec qui il s’associera en 1880 sous le nom de Gilardoni et Brault. Deux ans plus tard, Alfred Brault, fils d’Alphonse, reprend les rênes de l’entreprise. Après le décès d’Alphonse Brault en 1895, la société devient Gilardoni fils A. Brault et Cie. Alfred Brault se retirant en 1902, la société devient alors Gilardoni fils et Cie et reste florissante jusqu’au début des années dix. Pour plus de précisions on consultera le site céramiquearchitecturale.fr
4- Sans doute en raison de la catégorie sociale qu’il vise, le Castel Béranger n’a pas été conçu pour recevoir des attelages et encore moins des voitures automobiles. L’entrée par la villa Béranger donnant accès à la cour aurait pu convenir à cet usage, mais les plans du rez-de-chaussée ne prévoient ni écurie, ni remise pour les véhicules.
5- Le terme de « grès cérame » utilisé par la Manufacture de Sèvres est un synonyme du grès émaillé.
6- L’entreprise Léon de Smet et Cie à Canteleu-lèz-Lille est liée à la fois au lillois Louis Coilliot qui sera l’un des meilleurs clients de Guimard et à la faïencerie De Bruyn qui éditera des cache-pots, vases et jardinières d’après les créations de Guimard.
7- Ces corbeaux, originellement en pierre naturelle, ont été ultérieurement colorés pour les harmoniser avec les grès émaillés.
8- Il s’agit d’un modèle en faïence de Guimard, le n° 13 de la série des « métopes » dans le catalogue Muller.
9- D’après son ami et confrère Adolphe Dervaux, il s’agirait de la main même de Guimard : « Ainsi le bouton de porte, que devait-il être, sinon le levier facile qui remplit la main ? Il prenait alors un peu d’argile molle et imprimait ses doigts dans sa masse : Voici le bouton de porte ! » Dervaux, Paul, « Hector Guimard Animateur », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 1, mai-juin 1945, p. 28.
10- Pour la Belgique, on peut citer les noms de Willy Finch, Omer Coppens ou Arthur Craco.
11- Quoique Jules Verne dans Vingt Mille Lieues sous les mers (1870) précise que les parois du Nautilus sont en plaques de fer.
Le Castel Béranger (1895-1898) reçoit un abondant décor de céramique architecturale. Alors que le décor des parois du vestibule est confié à Bigot (1), c’est très probablement à la maison Gilardoni & Brault (2) que Guimard fait appel pour tous ceux que se trouvent en extérieur. Certains de ces décors en céramique sont soumis aux éléments architecturaux (allèges des fenêtres, linteaux, etc.) alors que d’autres sont des décors indépendants, comme le panneau du chat faisant le gros dos. Exécuté en un seul élément, ce panneau en haut-relief est placé bien en vue, comme une enseigne, sous l’oriel, à l’angle gauche de la façade. Il n’est ni signé par l’auteur de son modèle, ni par son exécutant.
Panneau au chat faisant le gros dos, c. 1897, grès émaillé par Gilardoni & Brault, placé sous l’oriel à l’angle gauche du second étage du bâtiment sur rue. Photo Nicholas Christodoulidis.
Fait remarquable, à l’Exposition de la Céramique en 1897 (3) ce panneau au chat faisant le gros sera intégré au stand de Gilardoni & Brault confié à Guimard, sans doute avant d’être mis en place définitivement au Castel Béranger. Ce stand qui présente de nombreux autres décors céramiques conçus dans le style de ceux du Castel Béranger — sans être identiques — met en valeur à la fois le tout nouveau style moderne de Guimard et les produits céramiques de Gilardoni & Brault.
Stand de Guimard à l’Exposition de la Céramique et des Arts du Feu en 1897 : Porche d’une grande habitation Parisienne. Carte Le Style Guimard n° 3, fautivement datée 1898. Le chat faisant le gros dos se trouve en haut à droite. Coll. part.
Dans son compte-rendu, la revue La Construction moderne (4) associe le nom du sculpteur Raphanel à celui de Guimard. Xavier Raphanel (5) est en effet l’un des deux sculpteurs avec Ringel d’Illzach (6) qui vont seconder Guimard dans l’exécution des modèles en reliefs du Castel Béranger (sculptures sur pierre, staffs, fontes et céramiques). Grâce à cette référence on est donc certain qu’il est bien le modeleur du panneau au chat faisant le gros dos.
D’un point de vue stylistique, ce panneau est le plus descriptif de tous les décors de l’immeuble : les autres sont plus stylisés, simplement évocateurs de formes naturelles, ou même totalement abstraits comme ceux qui sont placés au-dessus du linteau de l’ancienne boutique, au rez-de-chaussée.
Détail du décor en céramique émaillée par Gilardoni et Brault du linteau de la boutique sur rue. Photo Nicholas Christodoulidis.
On serait d’ailleurs tenté de les classer chronologiquement dans le laps de temps des trois années de création intensive du Castel Béranger en postulant que les décors plus naturalistes sont les plus anciens et que les plus abstraits sont les plus nouveaux. Mais il faut sans doute se garder d’une opinion trop tranchée à ce sujet car tout au long de sa carrière Guimard a continué à puiser ponctuellement dans les formes naturalistes ou inspirées de la nature. Si son chat faisant le gros dos est bien « au naturel », en revanche le cartouche dans lequel il s’inscrit et auquel il est relié par de multiples lignes est d’un style Art nouveau tout à fait maîtrisé, attestant d’une exécution contemporaine de celle des autres décors du Castel. Comme nous l’avons vu plus haut, sa réalisation date au plus tard de mai 1897.
Panneau au chat faisant le gros dos, c. 1897, céramique émaillée (probablement du grès) par Gilardoni et Brault, modelé par Raphanel, placé sous l’oriel à l’angle gauche du second étage du bâtiment sur rue. Photo Nicholas Christodoulidis.
Il est néanmoins possible que le thème de ce panneau soit antérieur à la conversion de Guimard à l’Art nouveau. On sait que pour cet immeuble, primitivement placé dans la continuité de l’architecture néo-gothique de Viollet-le-Duc, Guimard avait choisi très tôt le nom de « Castel » pour évoquer le Moyen-âge. Sans doute avait-il aussi prévu un décor évocateur de cette période dont le thème de ce panneau serait alors la survivance. La figure du chat fait en effet partie du large bestiaire médiéval et néo-médiéval. Viollet-le-Duc en a fait par exemple sculpter toute une série sur les lucarnes de la cour néo-Renaissance du château de Pierrefonds.
Chat jouant avec une balle, sculpté sur une lucarne de la cour du château de Pierrefonds. Viollet-le-Duc. Photo internet, droits réservés.
Ces chats de Pierrefonds auront une large descendance dans l’architecture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, associés à l’image du « chat de gouttière ».
Chat guettant une souris, sculpté sur une souche de cheminée de l’immeuble Biet par Eugène Vallin et Georges Biet, 22 rue de la Commanderie à Nancy, 1901-1902. Monographies de bâtiments modernes. A. Raguenet. Paris, c. 1906.
Tuilerie Normande du Mesnil de Bavent (fondée 1842, spécialisée dans les faîtages en céramique, catalogue pl. 29, XIe édition, c. 1930. Reproduction extraite de La Céramique architecturale à travers les catalogues de fabricants 1840-1940. Anne Maillard.
Leurs occupations pacifiques (jouer avec une balle, tenir un chaton dans la gueule, etc.) ou utile (attraper une souris) les rendent sympathiques. Ils sont en cela proches de la perception de l’animal à l’époque moderne, mais sont éloignés de celle qui prévalait en réalité au Moyen-âge et à la Renaissance (7). Une trentaine d’années après Viollet-le-Duc, Guimard donne à ce chat médiéval ébouriffé, famélique et peu engageant, un aspect bien différent, plus conforme à sa réputation diabolique d’alors mais aussi certainement influencé par la littérature fantastique de la seconde partie du XIXe siècle. Allié aux masques énigmatiques des balcons, sa présence en surplomb de l’immeuble renforce l’impression d’étrangeté qui s’en dégage et contribue sans doute à perturber les esprits craintifs fréquentant le quartier (8).
Une autre référence possible pour ce panneau est bien sûr l’existence du cabaret du Chat Noir, lieu de ralliement de la bohème parisienne lors des deux dernières décennies du XIXe siècle. Fondé en 1881, il a connu deux adresses proches, au pied de la butte Montmartre (9). Son créateur, Rodolphe Salis, a imaginé un décor oscillant entre le néo-Renaissance et le néo-Louis XIII de comédie. Pour la façade de la première adresse, boulevard de Rochechouart, le peintre Adolphe Willette a donné le dessin d’une enseigne réalisée en tôle émaillée où le chat, accroché à un croissant de lune, fait le gros dos. Elle sera réutilisée sur la seconde adresse, rue de Laval.
Enseigne du cabaret du Chat Noir, première et seconde adresse. Adolphe Willette, avant 1885. Tôle émaillée. Musée Carnavalet, photo internet.
Sur cette seconde façade, Alexandre Charpentier exécute un grand blason en terre cuite posée sur un socle au second étage. Le chat est ici en majesté, entouré de rayons.
Dessin de la façade du Chat Noir, rue de Laval (act. rue Victor-Massé). Johan Kuehl Gotthardt, c. 1885-1890. Encre sur papier. Coll. part. Illustration tirée du catalogue de l’exposition Autour du Chat Noir, Arts et plaisirs à Montmartre 1880-1910, Musée de Montmartre, éditions Skira Flammarion, 2012.
Parmi les multiples représentations félines du cabaret on en trouve sans peine d’autres dans la posture du gros dos, par exemple sur le chapeau de la revue éponyme, éditée à partie de 1882.
Chapeau de la revue Le Chat Noir, 14 janvier 1882, photo internet, droits réservés.
Au moment de la construction du Castel Béranger (1895-1898), le cabaret du Chat Noir est passé de mode, concurrencé par d’autres lieux qui ont copié sa formule. Il cesse son activité en 1896, peu avant le décès de Salis qui intervient l’année suivante. Si une réminiscence des représentations du Chat noir est possible sur le panneau du Castel Béranger, il est quand même peu probable que Guimard ait voulu sciemment faire la publicité du cabaret déclinant. Il faut plutôt voir dans ces deux chats, deux clins d’œil historiques, non pas parallèles mais décalés d’une décennie dans le temps (10).
Ce panneau aura au moins une descendance sur une cheminée en grès émaillé, Dans la mesure où nous en connaissons un exemplaire ayant des carreaux de Muller et Cie comme seuil, la cheminée elle-même est très vraisemblablement du même fabricant . Nous avions signalé l’existence de la version large dans un article en 2012 quand l’Inventaire Général avait sollicité notre avis quant à une éventuelle attribution à Guimard, question à laquelle nous avions répondu par la négative.
La cheminée avait ensuite été acquise par une maison de vente de matériaux architecturaux anciens où elle se trouve toujours, à Richebourg (11).
Cheminée au chat faisant le gros dos (version large). Haut. 112 cm, larg. 182 cm, prof. 42 cm. Grès émaillé, auteur du modèle et fabricant inconnu. Photo extraite du site Origine.
La version étroite de cette cheminée est en vente à Saint-Ouen, chez un antiquaire qui en donne de bonnes photographies sur son site internet, ainsi que sa taille (haut. 108 cm, larg. 113 cm).
Cheminée au chat faisant le gros dos (version étroite). Dim. : hauteur 108 cm, largeur 113 cm. Grès émaillé, auteur du modèle et fabricant inconnu (Muller & Cie ?). Photo extraite du site marcmaison.fr.
D’une coloration vieux rose et vert amande, elle est en deux éléments principaux auxquels se rajoute le chat, appliqué au centre du linteau. Ce dernier, d’aspect mieux nourri que celui du Castel Béranger, regarde devant lui au lieu de tourner sa tête vers l’arrière et le haut. Mais comme lui, en signe d’agressivité, il fait le gros dos, sort ses griffes, abaisse ses oreilles, gonfle ses moustaches et retrousse ses babines ce qui, assez mal traduit au niveau du modelage, donne à sa gueule l’aspect d’un bec de canard.
Cheminée au chat faisant le gros dos (version étroite). Grès émaillé, auteur du modèle et fabricant inconnu (Muller & Cie ?). Photo extraite du site marcmaison.fr.
Les jambages, les pieds et le linteau de la cheminée sont parcourus de moulures informelles qui sont certes inspirées de celles de Guimard mais sont encore très attachées au style baroque. On retrouve aussi sur les pieds gauche et droit des gueules de lion qui sont rarement des motifs art nouveau.
F. D.
1- Alexandre Bigot (1862-1927) est chimiste de formation. Il fonde en plusieurs étapes à partir de 1893 son entreprise qu’il établit à Mer (Loir-et-Cher) et qu’il concentre sur la production de grès émaillé, au contraire des entreprises Muller et Gilardoni & Brault qui produisent parallèlement des tuiles, des briques et de la terre cuite émaillée. Elle se développe rapidement, recevant des commandes de nombreux architectes et éditant les créations de nombreux artistes, pour atteindre une dimension industrielle à partir de 1897. Trois ans plus tard elle triomphe à l’Exposition Universelle de Paris et concurrence très sérieusement Muller en renommée auprès des tenants du courant moderne.
2- L’entreprise Gilardoni & Brault, à Choisy-le-Roy est issue de la maison Garnaud, active depuis le mitant du XIXe siècle et connue pour ses terres cuites architecturales imitant la pierre sculptée. Alphonse Brault reprend l’entreprise en 1871. Il a fait auparavant la connaissance en Alsace d’Émile Muller et de Xavier-Antoine Gilardoni avec qui il s’associera en 1880 sous le nom de Gilardoni et Brault. Deux ans plus tard, Alfred Brault, fils d’Alphonse, reprend les rênes de l’entreprise. Après le décès d’Alphonse Brault en 1895, la société devient Gilardoni fils A. Brault et Cie. Alfred Brault se retirant en 1902, la société devient alors Gilardoni fils et Cie et reste florissante jusqu’au début des années dix.
3- Exposition Nationale de la Céramique et de tous les Arts du Feu au Palais des Beaux-Arts du 15 mai au 31 juillet 1897.
4- La Construction moderne, 28 août 1897, p. 569-570.
5- Xavier Raphanel (1876-1957), sculpteur peu connu, élève de Falguière, est l’auteur de nombreuses statuettes historicistes et de quelques objets d’art décoratif.
6-Jean-Désiré Ringel dit Ringel d’Illzach (1849-1916), sculpteur d’origine alsacienne, également élève de Falguière, a son atelier rue Chardon-Lagache, dans le XVIe arrondissement parisien, à proximité de la zone d’action de Guimard.
7- À partir du XIVe siècle, surtout s’il a le malheur d’être noir, l’animal est alors associé au Diable et à la pratique de la sorcellerie, ce qui lui vaut bien souvent d’être voué au bûcher.
8- » […] Il y a, du rez-de-chaussée à la toiture, une folle ascension de figures grimaçantes, de groupes fantastiques, où l’artiste voulut peut-être représenter des chimères, mais où le populaire voit surtout des démons, et qui font se signer à vingt pas toutes les vieilles femmes de l’arrondissement. […] Jean Rameau, Le Gaulois, 3 avril 1899. Ces craintes semblent avoir survécu jusqu’à nos jours car il nous a été donné, il y a quelques années, d’entendre une personne habitant à proximité immédiate du Castel nous confier qu’elle redoutait de passer devant l’immeuble « de peur d’être attaquée par des sorcières ».
9- 84 boulevard de Rochechouart de 1881 à 1885, puis au 12 rue de Laval (act. rue Victor Massé) jusqu’en 1896. La troisième adresse, 68 boulevard de Clichy, est une survivance créée en 1907 alors que Rodolphe Salis était décédé depuis 10 ans.
10- Rappelons aussi au passage que le cabaret du Chat noir, dédié à la fête, aux arts et à l’humour fin de siècle des zutistes, fumistes et autres hydropathes, ne fut en rien le repaire d’un essaim de mystiques comme le voudrait une légende forgée par un prétendu alchimiste opérant sous le pseudonyme de Fulcanelli. On retrouve sur internet les scories de cette théorie fumeuse parue en 1930, bien longtemps après la fin de l’activité du cabaret. De la même façon, le panneau au chat du Castel Béranger ne nous paraît pas non plus être un indice probant de prétendues tendances mystiques qui auraient animé Guimard, ainsi que voudraient le faire accroire les divagations ésotériques de certain néo-guimardien confondant allègrement esprit fumiste montmartrois et fumisterie historique.
11- Cette société n’hésite pas à écrire dans sa notice : « Considérant la collaboration de Rapahanel à l’œuvre de Guimard, il est possible de penser que le modèle de cette cheminée a été modelé par cet artiste pour une réalisation de Guimard aujourd’hui disparue (c. 1897-1898). » Cette pure spéculation est aussitôt suivie de références bibliographiques sur Guimard dans lesquelles il n’a jamais été question de ladite cheminée… L’exactitude historique ne semble d’ailleurs pas être le principal souci de cette société qui attribue aussi à Guimard une fonte ornementale tout à fait quelconque et au menuisier nancéien Eugène Vallin une épouvantable cheminée en pierre qui n’a pas même à voir avec l’École de Nancy.
Cet article développe un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail.
Dans un précédent article, nous avons vu que Guimard avait dû modifier la fixation du porte-enseigne des portiques des entourages découverts du métro. Cette notion repose sur l’observation d’un dessin ancien provenant de l’agence de Guimard et sur la comparaison entre ce dessin et l’état existant. Le dessin montrait clairement que Guimard avait primitivement eu l’idée de fixer les deux fontes du porte-enseigne aux arches par des rivetages transversaux.
Détail d’un dessin pour le porte-enseigne des entourages. Crayons, fusain, craie et sanguine. haut. 0.75 m, larg. 1.32 m. Non signé, non daté. GP 523, fonds Guimard. Musée d’Orsay. On remarquera qu’autour des points de fixation prévus, Guimard a donné à son modelage l’aspect d’une matière molle, écrasée et refoulée par les rivets.
Mais il a rapidement dû se rendre à l’évidence que ce mode de fixation était trop fragile et devait être sérieusement renforcé par une lame de fer passant sous le porte-enseigne et de fixations placées, cette fois, dans le plan frontal.
Schéma de l’assemblage du porte-enseigne avec une lame de fer placée sous le porte enseigne inférieur et boulonnée au porte-enseigne supérieur.
Montage par une équipe de la RATP du porte-enseigne de l’entourage pour l’exposition Art nouveau revival au musée d’Orsay en 2009. L’entourage est celui de la station Montparnasse, donné en 1961. Cliché Jean-François Mauboussin/RATP.
Fort de cette certitude, si on descend le regard le long des arches et que l’on observe leur mode de fixation sur les piliers, on peut légitimement se demander si, là aussi, Guimard n’aurait pas eu à renforcer le système de fixation qu’il aurait primitivement imaginé. Mais faute d’un dessin ancien rendant compte de sa première idée qui aurait pu être similaire à celle envisagée pour la fixation du porte-enseigne, nous en sommes cette fois réduit à émettre une hypothèse.
Grâce à la RATP, nous avions eu la possibilité de photographier séparément en atelier un pilier et une arche. La partie inférieure de cette dernière est creuse afin de venir coiffer une encoche qui fait protrusion sur le coté intérieur du pilier.
Il est fort probable que Guimard avait l’intention de fixer l’arche à ce niveau en deux points. La première fixation était prévue avec un boulon traversant l’arche et le pilier. Ce boulon, qui sera conservé dans le montage final, prend place sur l’arche au niveau d’un gros renflement où la matière semble refoulée par la pression qu’il exerce.
Station Richard Lenoir, fixation de l’arche sur le pilier, coté intérieur.
Station Richard Lenoir, fixation de l’arche sur le pilier, coté extérieur.
Un second point de fixation était sans doute prévu plus bas, à l’extrémité inférieure de l’arche. Il nous semble que le modelage de cette extrémité présente elle aussi un renflement autour d’un creux qui aurait pu être l’emplacement du point de fixation. S’il a effectivement été envisagé, ce point de fixation ne sera pas conservé dans le montage final.
Station Richard Lenoir, extrémité inférieure de l’arche gauche reposant devant le pilier. Le creux pointé par la flèche était probablement destiné à recevoir une fixation horizontale traversant l’extrémité inférieure de l’arche et s’ancrant dans le pilier.
Guimard va en effet renforcer la fixation de l’arche sur le pilier en se servant — comme pour celle du porte-enseigne inférieur sur l’arche — d’une lame de fer. Celle-ci vient se placer verticalement, dans un creux ménagé du côté intérieur de l’arche. Cette dernière a été complètement évidée face à l’encoche du pilier, de façon à ce que la lame puisse être vissée par taraudage à cette encoche. Plus haut, le vissage de la lame se poursuit en plusieurs points sur l’arche. Il n’assure alors plus le maintien de l’arche sur le pilier mais lui procure un soutien efficace. Sans elle, le risque de casse de cette pièce en fonte n’est pas négligeable en raison de sa position en porte-à-faux. La lame se termine sous la fixation de l’extrémité latérale du porte-enseigne. Sa présence passe le plus souvent inaperçue grâce à un masquage des joints par du mastic, le tout étant unifié par la peinture.
L’observation attentive du montage du montage du porte-enseigne sur les arches puis des arches sur les piliers a donc révélé une particularité : le fait qu’en adaptant son modelage aux impératifs techniques, Guimard en profite pour suggérer une déformation de la matière par l’application de forces de pression par les points de fixation. En raison du changement de mode de fixation qu’il a dû adopter en s’aidant de lames de fer et en abandonnant certains points de fixation, cette suggestion visuelle est devenue moins évidente.
Mais cette idée de déformation de la matière est également présente sur d’autres éléments du métro comme les pattes de fixation des potelets.
Pattes de fixation d’un potelet. Entourage secondaire, station Nation. La matière semble étirée vers le dehors.
Elle est plus visible encore sur les pattes de fixations inférieures des écussons qui semblent étirées et pressées autour du point de fixation.
Patte de fixation gauche de l’écusson (face avant).
On peut aussi retrouver de semblables idées de déformation de la matière dans certaines des fontes artistiques de Guimard éditées à Saint-Dizier.
Poignée GA gauche, éditée en fonte à Saint-Dizier. La matière semble avoir été tordue à trois reprises.
Détail d’un intérieur de cheminée GB, éditée en fonte à Saint-Dizier. Coll. part. Au niveau des coins supérieurs, la matière semble étirée vers le haut et l’extérieur.
Catalogue des fontes Guimard éditées à Saint-Dizier, pl. 31, détail. Palmette GN. Les extrémités de la palmette semblent étirées vers le haut et l’extérieur.
En dehors de toute intervention humaine, Guimard se plait aussi à représenter l’action d’une force naturelle, celle de la pesanteur.
Catalogue des fontes Guimard éditées à Saint-Dizier, pl. 10B, détail. Élément de balcon de croisée GI. La fonte semble s’écouler vers le bas en suivant la force de gravité.
Pour le métro, les bases des poteaux antérieurs des entourages secondaires, en débordant de leur socle en pierre illustrent également cette action de la pesanteur.
Poteau antérieur gauche d’un entourage secondaire, station République. Photo André Mignard. La matière semble s’écouler vers le bas comme le ferait une lave encore pâteuse.
Cette suggestion de l’application de forces se conçoit aisément lors de la phase de modelage qui est effectuée avec de la terre glaise. Elle paraît sans doute moins légitime sur le tirage final en fonte, un matériau qui n’est pas particulièrement déformable. Cependant, il n’est pas impossible que Guimard ait voulu rappeler qu’avant de se figer, la fonte est passée par un état liquide qui a permis de la couler.
F. D.
Cette courte actualité rend compte d’une vente qui s’est tenue à Doullens (Somme) le 12 mai 2019.
Paire de copies modernes d’écussons vendus pour des écussons anciens, le 16 mai 2019 à Doullens, lot n° 352, estimation 2000-3000 €. Présentés tête-bêche sur le catalogue en ligne de la vente, les écussons ont été retournés dans le bon sens.
Ces écussons portent au revers un chiffre « 6 » imprimé en creux qui est l’une des marques utilisé par la fonderie GHM (fournisseur de la RATP pour les pièces de remplacement des entourages de métro de Guimard).
Copie moderne d’un écusson, d’une paire vendue pour des écussons anciens, le 16 mai 2019 à Doullens, lot n° 352, estimation 2000-3000 €. Présenté tête-bêche sur le catalogue en ligne de la vente, l’écusson a été retourné dans le bon sens.
On remarquera que le revers des pattes de fixation inférieures a été comblé. Il se présente normalement (y compris sur les autres copies d’écussons) avec un relief en creux. Cette anomalie, que nous n’expliquons pas vraiment, est un autre signe indubitable de la nature de copie de cette paire d’écussons.
Malgré deux courriels et un appel téléphonique à l’étude, nos observations n’ont pas reçu de réponse et n’ont pas été prises en compte sur le catalogue en ligne de la vente. Ce n’est que pendant la vente elle-même que les corrections nécessaires ont été apportée oralement par le commissaire-priseur qui a situé ces copies dans les années 1950. Cette dernière datation est inexacte dans la mesure où les premières copies demandées à la GHM par la RATP ont été effectuées à partir de 1976. Les deux écussons ont été adjugés pour 2500 €, plus les frais.
Nous inclurons bientôt cet exemple dans notre article consacré aux copies d’éléments du métro publié le 3 octobre 2018 :
Nous serons d’ailleurs bientôt en mesure de compléter cet article par un second, consacré à l’étrange épidémie américaine de faux entourages de métro Guimard coulés en bronze.
F. D.
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Le bureau du Cercle Guimard
Cet article reprend et développe un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail.
La rapidité avec laquelle Hector Guimard a mis au point, pour les entourages découverts du métro, un système à la fois techniquement et stylistiquement novateur est assez étonnante. Cependant, comme toute œuvre humaine, le travail de Guimard recèle quelques défauts qu’il n’est pas cruel de mettre en lumière car leur existence même nous renseigne sur l’état de fébrilité dans lequel a dû se dérouler la conception des accès du métro de Paris.
Ces défauts repérés sont essentiellement au nombre de trois : le problème de l’accrochage des écussons sur la balustrade, l’erreur d’orientation d’une console de pilier arrière couplée à une modification du circuit d’écoulement des eaux pluviales de l’édicule A, et la trop grande fragilité de la fixation du porte-enseigne que nous développerons ici.
Le portique des entourages découverts, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est pas mis en place dès l’ouverture du métro en juillet 1900. Son dessin et son modelage ont rencontré de nombreuses corrections avant d’atteindre un état définitif qui en a fait une icône de l’Art nouveau et un emblème de Paris.
Nous connaissons quelques dessins de recherches de Guimard qui montrent que la solution d’un portique encadrant l’accès à la trémie est privilégié.
Cependant l’existence du beau dessin GP 364 montrant un candélabre muni d’une sorte de cimier surmontant sa lampe, offre une parenté avec les piliers du dessin GP 140. Sa facture est beaucoup plus aboutie que les précédents croquis. Sa taille en grandeur d’exécution et l’indication par un crayonné du modelage le rendent proche des dessins qui préludent à la traduction en trois dimensions. Guimard a donc peut-être adopté cette forme pendant quelques temps. Sur ce dessin, le candélabre n’est pas relié à une enseigne, ce qui pourrait en faire un dessin pour poteau d’angle postérieur ou un plutôt un dessin pour la partie supérieure et peut-être unilatérale d’un portique.
Le premier projet d’entourage, présenté successivement à la Commission du métropolitain et à l’administration préfectorale en février 1900, ne nous est pas connu. Les autorités en acceptent la balustrade mais, dans son compte-rendu du 16 février 1900, l’administration préfectorale rejette « le portique proposé qui devra être remplacé par deux candélabres ornés ». Cette phrase peut suggérer qu’un effet de symétrie est recherché.
Le plus ancien projet complet connu date de mars 1900 et porte le n° 2. On y retrouve la ligne générale du futur entourage à fond arrondi s’ouvrant par un grand portique servant à la fois de porte-enseigne et de candélabres doubles. On note dans ce projet une certaine maigreur et une sécheresse dans le traitement de la terminaison des candélabres où les verrines semblent maintenues dans une mâchoire.
Dans le courant de l’année 1900, Guimard reprend le dessin et le modelage du portique avant d’arriver au modèle que nous connaissons et qui sera probablement approuvé vers le début de l’année 1901. En l’absence du dessin de l’entourage finalement accepté, nous reproduisons la copie moderne d’un dessin plus tardif, daté du 10 janvier 1902, correspondant en fait au contrat concernant les entourages de la ligne 2, mais qui est conforme aux entourages à fond arrondi de la ligne 1.
Par la nouveauté et l’élégance de son dessin, ce portique assure l’essentiel de l’effet produit par l’entourage. Ses tiges ramifiées ont un mouvement tridimensionnel complexe et fluide. A leurs sommets, tout en se courbant vers l’avant et le dedans, les piliers se dédoublent légèrement en deux lignes qui se rejoignent bientôt et se terminent par une coque de protection des verrines de signalisation lumineuse. À mi-hauteur des piliers une tige secondaire (une « arche ») se détache et se dirige vers le centre pour venir soutenir le porte-enseigne. Celui-ci est constitué de deux pièces de fonte, l’une supérieure et l’autre inférieure, qui enserrent l’enseigne en lave émaillée.
En attendant sa mise en production, de juillet 1900 (date des premières mises en place d’entourages) à l’été 1901, le portique de fonte est remplacé par un portique provisoire en bois implanté sur la chaussée, un peu en avant du socle et dont les lignes sinueuses ne semblent pas être dues à Guimard. Son enseigne comporte alors le nom de la station, ce qui ne sera plus le cas sur les plaques en lave émaillée « METROPOLITAIN », elles-mêmes mises en place plusieurs mois après les portiques.
Afin de mettre en fabrication les pièces de fonte nécessaires, Guimard effectue tout d’abord des dessins qui serviront au modeleur à élaborer les modèles en plâtre ou en bois qui seront livrés à la fonderie[1]. Ces dessins peuvent avoir divers degrés de finition. L’un de ces rares dessins conservés est précisément celui qui concerne l’articulation entre l’arche droite[2] et le porte-enseigne. Rehaussé à la craie et à la sanguine, il indique parfaitement le modelé qui est recherché.
Le principe de montage originel se devine sur ce dessin. Il consiste à riveter (ou à boulonner) transversalement (d’avant en arrière) les fontes supérieures. Le crayonné du dessin traduit d’ailleurs la pression exercée par les rivets comme si la fonte était encore malléable. De chaque côté, le porte-enseigne supérieur est riveté en deux points sur l’arche. Quant au porte-enseigne inférieur, il est riveté par un point sur le porte-enseigne supérieur et par un autre sur l’arche.
Si l’on s’intéresse à ce dernier point de fixation, on voit qu’il est rendu possible par l’existence d’un fin segment vertical qui s’échappe de la palmette du porte-enseigne inférieur pour venir s’accrocher sur l’arche. Il paraît évident que Guimard présume ici beaucoup de la résistance de la fonte à la casse et que le moindre mouvement de bascule d’avant en arrière de l’enseigne entraînera immanquablement la rupture de ce petit segment.
Sans doute avant même la commande définitive des pièces à la fonderie et leur mise en place sur les entourages, Guimard modifie son système de montage dont il se rend compte qu’il est trop fragile. Pour le solidifier, au lieu des rivetages transversaux primitivement prévus, il opte pour des boulonnages dans le plan frontal. Une première fixation est effectuée près de l’extrémité de l’arche. Puis il fait placer une lame de fer sous le porte-enseigne inférieur et la boulonne en deux points à travers le porte-enseigne supérieur et l’arche. Pour que cette lame de fer soit moins visible et qu’elle maintienne efficacement le porte-enseigne inférieur, il le fait creuser sur toute sa largeur à sa face inférieure.
L’extrémité latérale du porte-enseigne supérieur n’est pas visible sur le dessin GP 523. Mais il est certain que Guimard avait prévu de la fixer à l’arche par un boulon, cette fois placé dans un plan frontal. Ici aussi, par son caractère évasé, le modelage de l’extrémité veut traduire la force de pression exercée par le boulon. Contrairement aux autres points prévus, cette dernière fixation sera effectivement mise en place.
Assemblage du côté gauche d’un porte-enseigne, vu du côté de la trémie. L’extrémité du porte-enseigne supérieur est boulonnée à l’arche dans le plan frontal. Photo F. D.
L’ensemble, à présent bien sécurisé, a un peu perdu de son homogénéité stylistique et aussi de sa logique puisque le modelage ne rend plus compte du système de montage.
Dans un premier temps, Guimard laisse subsister sur les entourages de la ligne 1 le petit segment vertical partant du porte-enseigne inférieur et rejoignant l’arche, comme prévu sur le dessin d’origine. On le retrouve en effet sur les photographies anciennes de plusieurs portiques de la ligne 1, et même sur une photo moderne de l’entourage de la station Châtelet prise en 1982, avant son démontage[3]. On peut voir que ce segment n’est plus solidaire du porte-enseigne inférieur mais que, devenu indépendant, il est riveté aux deux pièces de fonte et n’a donc plus d’autre rôle que décoratif. Nous supposons qu’il en a été de même sur d’autres entourages de la ligne 1 qui n’avaient pas été démontés depuis leur origine et qui ont pu conserver ce petit segment pendant plusieurs décennies. Il a néanmoins complètement disparu de nos jours.
Dès la construction des ouvrages de la ligne 2, en 1903, ce petit segment n’existe plus. Son absence laisse vacante une petite encoche ménagée sur la palmette du porte-enseigne inférieur, à l’emplacement qu’il occupait à l’origine.
Cette révision du système d’accrochage des enseignes des entourages témoigne de l’impétuosité de notre architecte, emporté par la créativité de son dessin et parfois oublieux du poids et du caractère cassant de la fonte. Cette fragilité, due à un modelage trop fin, se retrouve également au col de la patte de fixation placée à l’extrémité supérieure de l’arche et se traduit par de fréquentes casses à ce niveau.
Frédéric Descouturelle
[1] Il s’agit de la fonderie du Val d’Osne en Haute-Marne.
[2] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, les termes « gauche » et « droit » font référence au côté qui est perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro. Nous utilisons le terme « largeur » pour quantifier une distance face à l’observateur qui est situé en face de l’accès de métro (largeur de trémie, largeur de l’enseigne, etc).
[3] L’entourage, initialement implanté sur un îlot dans la rue des Lavandières-Sainte-Opportune à l’angle de la rue de Rivoli, est déplacé de quelques mètres du côté des numéros impairs de la rue en 1998 pour la création de la ligne 14.
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