Le 17 juin dernier, un meuble d’Hector Guimard, présenté comme une étagère, est passé en vente publique à Drouot parmi quelques autres pièces remarquables signées Cayette, Gaillard, Majorelle ou Gallé.
Il a rapidement attiré notre attention car, après quelques recherches, nous avons eu la quasi-certitude que ce meuble était proposé aux enchères pour la première fois.
Le catalogue édité par l’étude Aguttes, organisatrice de la vente, présente deux superbes photos en pleines pages, sur fond noir d’une grande qualité, l’une avec le meuble photographié de face, l’autre montrant la partie supérieure légèrement de profil.
La notice décrit le meuble en ces termes :
« Exceptionnelle et rare étagère en poirier massif et cerisier présentant un corps galbé à décor nervuré sculpté de motifs végétaux en relief.
Elle est agrémentée de trois étagères rectangulaires moulurées superposées donnant sur un fond ajouré.
Les deux montants à l’avant sont reliés à la traverse arrière par une entretoise végétale.
L’ensemble repose sur une base rectangulaire à bordure mouluré.
Trace de signature.
Vers 1900.
H. 128 cm L : 90 cm P : 30 cm
(restaurations anciennes). »
A la suite, quelques lignes en anglais reprennent de manière plus succincte ce descriptif.
Si un simple coup d’œil nous a permis d’attribuer la paternité de ce meuble à Guimard malgré son allure un peu étrange, un examen plus rapproché a rapidement révélé l’ampleur des transformations voire le saccage dont il a fait l’objet.
La façade (les montants finement sculptés typiques du Style Guimard, les traverses supérieure et inférieure avec entretoises et le demi-plateau circulaire) est bien d’époque. En revanche, tout le reste, soit les côtés, la traverse du fond haute et basse, les étagères, le plateau supérieur et le socle sont modernes.
Visiblement, les travaux de transformation et de restauration sont de facture grossière : bois différents, raccords brutaux, absence de liaison de ligne avec les éléments rajoutés.
Dans un premier temps et à défaut d’informations sur son origine, nous en avons déduit qu’il pouvait s’agir d’une partie d’un meuble de milieu, de forme rectangulaire, symétrique, ouvert sur les quatre faces.
Par chance, un observateur avisé l’a retrouvé sur une photo d’époque. Il apparaît dans le salon de l’Hôtel Guimard, à droite de la cheminée entre les deux chaises.
Photographie ancienne du salon de l’Hôtel Guimard, 122 avenue Mozart. Cooper-Hewity museum, New-York, don Adeline Oppenheim.
Les Guimard s’en servaient comme présentoir du magnifique plat en bronze doré mat signé et daté « Hector Guimard 1909 », aujourd’hui dans les collections du Musée des Arts Décoratifs à Paris, et qui reposait sur le plateau inférieur, appuyé contre le mur.
Un tissu tendu le long de la cloison, ainsi qu’un coussin glissé en dessous du meuble terminait de mettre en valeur cette précieuse mise en scène.
Sur le plateau supérieur sont posés divers objets : on reconnait notamment le modèle de vase flûte en bronze doré par Guimard et Philippon, posé à côté d’un buste (en bronze ?) et de deux autres vases. La trop faible résolution de la photo ne nous permet pas une description plus précise.
L’emplacement idéal pour ce meuble de présentation devait permettre d’en faire le tour, ce qui obligeait à disposer d’un espace adéquat que ne permettait pas le salon de l’avenue Mozart.
Sans surprise, le descriptif du catalogue ne mentionne à aucun moment ces transformations qui ont totalement dénaturé le meuble. Tout au plus la notice évoque des « restaurations anciennes »…
Nous savons maintenant que le meuble vendu le mois dernier n’était en fait qu’une moitié de meuble découpé en deux et transformé en étagère par quelque apprenti bricoleur.
A moins que ce ne soit son état qui ait nécessité une amputation des parties les plus dégradées…
Étonnamment, l’estimation, 18 000/20 000 € (adjugé 23 588 €), n’a pas subi le même sort…
En quel meuble sera transformée la deuxième moitié ? Nous guettons cela avec impatience.
Fabrice Kunegel et Olivier Pons
Cet été, une exposition est consacrée à l’ébéniste nancéien, puis parisien, Hector Michaut dans le très beau village de Noyers-sur-Serein.
Nous avons brièvement évoqué sa vie et sa carrière dans un article commentant la lettre de condoléances que Guimard à adressé à sa veuve en 1923.
Du 22 juin à fin juillet 2015
Hall de la mairie
Noyers-sur-Serein – Yonne
Entrée libre
Notre association renoue avec les visites guidées organisées dans le quartier d’Auteuil où la proximité géographique d’un certain nombre d’œuvres majeures de l’architecte permet de donner un bon aperçu de l’évolution de sa carrière.
D’une durée d’environ 1 h 30, ces visites seront organisées selon un rythme mensuel et assurées par Agathe Bigand-Marion, membre du Cercle Guimard et en cycle préparatoire du concours de Conservateur du Patrimoine.
Trois visites sont pour l’instant programmées, les samedis 11 avril, 9 mai et 13 juin à 15 h.
Réservation en ligne.
Le circuit commencera devant la façade du Castel Béranger, pour se poursuivre par le groupe d’immeuble des rues Gros, Agar et La Fontaine ; l’immeuble Trémois rue François Millet ; l’emplacement de l’ancien atelier Guimard, à coté d’un immeuble de Deneu de Montbun utilisant des fontes Guimard ; descente vers la station de métro Mirabeau (entourage à écussons) puis la station Eglise d’Auteuil (entourage à cartouches) ; remontée vers l’Hôtel Guimard qui fait face à l’immeuble Houyvet ; puis l’immeuble Guimard de la rue Henri Heine, dernière demeure parisienne d’Hector Guimard ; l’Immeuble standard du square Jasmin et pour finir l’Hôtel Mezzara rue La Fontaine. Toutes ces étapes seront commentées et pour la majorité d’entre elles des images anciennes et des plans seront montrés aux participants.
D’autres circuits plus au sud, incluant l’Hôtel Jassedé rue Chardon-Lagache, l’Hôtel Deron-Levent, l’immeuble Jassedé au 142 avenue de Versailles et l’Ecole du Sacré-Cœur, avenue de la Frillière, pourront être organisées ultérieurement.
Tarif de la visite : 20 euros.
Tarif réduit : 10 euros pour les adhérents (en précisant le numéro d’adhérent de l’année en cours dans le commentaire), les étudiants et les chômeurs (en le mentionnant dans le commentaire et sur présentation d’un justificatif le jour de la visite).
Vous pouvez réserver 4 places maximum. Le tarif adhérent est appliqué uniquement aux adhérents, pas aux personnes les accompagnant.
Pour des visites en groupe, merci de nous contacter.
Réserver en ligne :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
---|---|---|
sam 24/05/2025 / 10:00 | Visite guidée "Paris et l’architecture du commerce : des galeries aux grands magasins" | 12 |
Des contenus plus accessibles et un affichage adapté aux petits écrans !
Le site web du Cercle Guimard fait peau neuve. Cette nouvelle version permet de rendre plus lisibles les actions de notre association et plus accessibles des contenus « perdus » dans des rubriques qui, au fil des années, s’étaient étoffées : la boutique, la rubrique « Ceci n’est pas un Guimard », etc.
Ce site mérite cependant d’être complété, et nous travaillons à fournir des contenus plus pertinents, en particulier pour présenter l’œuvre complète d’Hector Guimard. La navigation au sein des pages, par l’utilisation de mots clés, de catégories et de renvois vers des pages annexes, sera petit à petit optimisée. Un espace spécifique pour les adhérents est également à l’étude et la version anglaise sera bientôt étoffée.
Nous souhaiterions également présenter notre association et l’œuvre d’Hector Guimard dans d’autres langues ; nous sommes donc ouverts à toute aide pour ce développement éditorial.
Nous avons fait le choix de mettre en ligne cette nouvelle version, bien qu’incomplète, afin de rendre accessible le nouvel outil de réservation pour les visites guidées. En effet, le Cercle Guimard reprend le chemin du « jardin » d’Hector Guimard avec des visites commentées dans le 16ème arrondissement.
D’un point de vue technique, ce nouveau site offre à présent un affichage adaptatif pour les tablettes et les téléphones mobiles.
Malheureusement, nous ne sommes pas à l’abri d’avoir laissé passer des erreurs fonctionnelles ou éditoriales et certains réglages sont encore en cours (en particulier des images ne s’affichant pas). N’hésitez pas à adresser un message à webmestre@lecercleguimard.fr pour nous signaler tout problème. Par avance merci pour votre compréhension et votre collaboration.
Où le Cercle Guimard présentait un ensemble d’archives inédites provenant du musée des Arts décoratifs, à Paris.
Il y a quelques mois, Guillemette Delaporte, conservatrice au musée des Arts décoratifs, à Paris, contactait le Cercle Guimard pour lui signaler une importante (re)découverte : le musée venait de mettre la main sur l’un des cartons contenant des pièces transmises par Adeline Oppenheim, en 1948. La veuve de l’architecte s’était alors rendue dans la capitale française pour clore la succession de son mari, décédé à New York en 1942. Dûment répertoriés et catalogués, ces documents étaient conservés dans un grand carton (environ 50 x 75 cm) dont l’établissement avait perdu la trace. Le hasard faisant parfois de belles choses, voilà que cette pépite renoue avec l’Histoire et porte à nouveau sous le regard de ses admirateurs un pan de l’œuvre de l’artiste-architecte. A cet égard, le contenu du carton est exceptionnel. Ce sont plusieurs centaines de photos, dessins, gouaches qui revoient le jour et dont bon nombre sont peu connus – voire totalement inconnus, et sont à ce jour inédits. Pêle-mêle, sont rassemblés des clichés pris lors des expositions – notamment celle de l’Habitation, au Grand Palais, en 1903, des photos du castel Henriette, sur l’une desquelles l’on peut reconnaître Hector Guimard soi-même assis au côté de Mme Hefty, la propriétaire, des reproductions des façades de l’hôtel Nozal, avec de précieux détails sur les balcons, des compositions à la gouache pour des tapis, des frises ou encore des projets de papiers peints, et d’innombrables photos – le plus souvent détourées et contrecollées sur du papier – de meubles, de cadres, de pièces de mobilier, de cheminées, de miroirs et des accessoires de décoration, tels des pommeaux de cannes, des poignées de porte – avec, cerise sur le gâteau ! les plâtres initiaux…, ou des vases et même des couverts. A cela s’ajoutent d’inédites images de la mairie du Village français érigée lors de l’Exposition de 1925 et de nombreuses reproductions de modèles de pierres tombales ou de monuments funéraires, formant une sorte de catalogue dont nul ne sait s’il a un jour vu le jour. La plupart de ces documents, hormis des précisions de dimension, ne portent aucune indication. Ni de date, ni de lieu. A fortiori, aucune mention de commande, de destination ou de l’endroit pour lesquels ils furent fabriqués. En collaboration avec le musée des Arts décoratifs, Le Cercle Guimard entend apporter son expertise pour authentifier et participer à l’« identification » de certains de ces documents inconnus et retrouvés.
Photographiés par Laurent Sully-Jaulmes, jadis attaché au musée des Arts décoratifs et membre du Cercle Guimard, les documents ont été réunis dans un diaporama.
La maquette de l’hôtel Mezzara (propriété du Cercle Guimard) était exposée dans le hall pendant toute la durée de l’évènement.
Il a été projeté pour les membres et les sympathisants de l’association, à l’Hôtel Mezzara, le 21 février dernier. Ce fut alors l’occasion pour le Cercle de retrouver le chemin de l’hôtel de la rue Jean de la Fontaine, où avaient été présentées, en 2006 et 2007, deux importantes et très remarquées expositions estivales. A ce titre, le Cercle entend remercier chaleureusement Mme Franceline Parizot, proviseure de lycée d’Etat Jean Zay, Mme Ducazaux, son intendante, sans oublier la gardienne de cette annexe du lycée, qui, par son accueil et son aide, a participé au succès de cette manifestation.
Pour célébrer ses 350 ans d’existence, la société Saint-Gobain organise plusieurs événements dont une exposition virtuelle, mise en place sous la direction de Marie de Laubier, directeur des Relations générales et chef du service Archives ; la commissaire de l’exposition étant Anne Alonzo.
Cette exposition virtuelle comprend une section dédiée aux grandes réalisations auxquelles a participé la société, depuis la galerie des glaces de Versailles jusqu’au plancher en verre de la tour Eiffel mis en place en 2014. Parmi ces marchés prestigieux ou innovants, le vitrage des édicules du métro de Paris a été retenu en raison de la création à cette occasion d’un modèle spécial de verre imprimé, le n° 18 (dénommé Oriental).
On accède à la page en question par ce lien : http://www.saint-gobain350ans.com/#!/fr/les-grandes-realisations/metropolitain/detail
On sait que ce modèle de verre a été déposé par le vitrailliste parisien Charles Champigneulle. Aux archives de Saint-Gobain, sur le registre ancien listant les différents modèles de verres imprimés, on peut en effet lire : « Création Champigneulles (sic) (traité avec lui S.d./dépôt Champigneulles 4-10-1900). » Mais le style si particulier de ce verre nous incite à penser que, si Guimard n’en est pas techniquement l’auteur, il n’en a pas moins très nettement influencé le dessin.
Le verre Oriental sera ensuite inclus au sein du catalogue de Saint-Gobain. Guimard en fera un usage fréquent pour ses propres réalisations architecturales, mais il ne connaîtra qu’un faible succès commercial.
Vous pouvez retrouver des informations complémentaires à ce sujet en consultant le dossier « verre » dans la rubrique « dossiers » de ce site.
En cette fin d’année 2014, un nouveau livre en librairie met Guimard à l’honneur.
Les éditions Massin, dans leur collection « Les essentiels du patrimoine » ont confié à Sybil Canac, auteure et Bruno Cabanis, photographe, le soin de réaliser un ouvrage sur l’histoire du design du métro parisien depuis les origines jusqu’à aujourd’hui. Avant de remettre son manuscrit à son éditeur, l’auteure a eu la judicieuse idée de faire relire son texte par les spécialistes et par les historiens de la RATP. Le résultat final en fait un livre de référence sur le sujet.
Un très long chapitre, fort bien illustré, est consacré aux entrées de métro conçues par Hector Guimard. Il s’appuie essentiellement sur les livres Le Métropolitain d’Hector Guimard (Somogy, 2003 et 2004) et Guimard, L’Art Nouveau du métro (La Vie du Rail, 2012) qui ont été les premières études complètes menées à ce propos. Notons au passage que depuis Georges Bans en 1900, puis Roger-Henri Guerrand et bien d’autres encore, les journalistes et les auteurs ont employé à profusion les termes de « libellules », « pagodes » et autres « brins de muguet » pour décrire les créations de Guimard pour le métro. II faudrait s’interroger sur les raisons qui les ont conduits à utiliser ces formules toutes faites qui sont sans rapport ni avec l’histoire, ni avec la réalité descriptive. Fort heureusement, l’auteure les a ici reprises entre guillemets.
Ce nouveau livre, en retraçant donc l’histoire vraie des entrées de métro de Guimard ainsi qu’en relatant la relation tumultueuse de l’architecte avec la Compagnie du Métropolitain, contribuera à effacer certaines légendes tenaces écrites depuis la décennie 1960.
André Mignard,
Ancien responsable de la mission historique Guimard à la RATP
PARIS METRO – histoire et design – Sybil Canac – Bruno Cabanis
Edition Massin
25,90 euros
Nous évoquions le mois dernier la bibliographie ancienne de Guimard à travers le mémoire réalisé par Agathe Bigand-Marion dont le travail s’est appuyé sur les recherches menées par Ralph Culpepper dans les années 60-70.
En présentant ce nouvel article, nous avons souhaité ajouter une pierre à l’édifice en inscrivant cette démarche dans la durée. Cette contribution en appelle d’autres et nous ne manquerons de vous faire découvrir d’autres articles dont le contenu nous permet d’approfondir nos recherches sur Hector Guimard.
Le calme dont fait preuve la presse à l’égard de Guimard dans les années 1920 participe à la méconnaissance par le grand public de cette période tardive de la carrière de l’architecte.
Excepté pour quelques rares exemples de constructions faisant l’objet d’une visibilité médiatique importante comme la Mairie-modèle du Village Français, édifiée pour l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925, Guimard est alors davantage considéré comme un architecte du passé. Pire, il est régulièrement cité comme un des principaux représentants de l’Art nouveau, cet affreux Modern’Style qui a sévi autour de 1900 et dont l’héritage agonisant est souvent contesté par des journalistes aux goûts prétendument modernes. Dans ce contexte peu favorable à l’Art nouveau, l’hommage que rend Gaston-Louis Vuitton à Guimard, un soir d’octobre 1932, est particulièrement inattendu et courageux. En effet, rapportant une réunion des Amis des Champs-Élysées, le bulletin mensuel édité par ce comité transcrit en détail une scène étonnante.
Ce bulletin mensuel, publié de 1930 à 1939, traduit les buts de l’association : l’embellissement et le développement du quartier. Comme le montre le chapeau de la revue, la famille Vuitton qui l’a vraisemblablement fondée y exerce une emprise certaine puisque Georges Vuitton (fils de Louis Vuitton, fondateur de cette dynastie de malletiers) en est le président et que son propre fils, Gaston-Louis Vuitton, en est tout à la fois le vice-président et le trésorier. L’intérêt de la famille Vuitton pour les Champs-Élysées est évidemment lié à la construction de l’immeuble siège de la marque par l’architecte Louis Bigaux au 70 de l’avenue en 1912 dans un style Art nouveau sobre et élégant. Ils concourent ainsi à la transformation des Champs-Élysées qui, d’avenue bourgeoise, devient dès 1898, un lieu d’implantation de grands hôtels et de banques, ainsi que de grandes marques françaises et internationales.
Nous apprenons ainsi que Guimard a été invité à cette soirée par son ami Louis Bigaux. Notons aussi la présence d’une autre vieille connaissance de l’architecte : Frantz Jourdain qui préside ce déjeuner du 21 octobre au restaurant Langer. Les débats passionnés portent essentiellement sur l’architecture des nouveaux immeubles construits le long de la célèbre avenue et en particulier sur le nouvel immeuble du 116 bis, récemment construit par Jean Desbouis. Soutenu par les uns, critiqué par d’autres, cet immeuble à vocation commerciale choque par sa façade rideau en accordéon et ses couleurs (granit bleu foncé des deux premiers niveaux, travertin jaune sous les bow-windows des étages, barres d’appui chromées) qui tranchent sur celles des immeubles en pierre du voisinage. Présent lors du déjeuner, Desbouis s’explique brièvement sur ses choix architecturaux.
La réunion est déjà bien entamée lorsque Gaston-Louis Vuitton prend à son tour la parole en s’adressant directement à Guimard en ces termes :
Je crois que nous avons à peu près épuisé le débat, parce que, quels que soient les arguments que chacun apporte, notre siège est un peu fait. Nous aimons ou nous n’aimons pas et nous nous laissons difficilement convaincre.
Il y a trente-quatre ans, on a construit rue Lafontaine, un immeuble qualifié à l’époque d’épouvantable : Le Castel Béranger. J’avais 18 ans à cette époque, je me suis battu pour cet immeuble. J’avais un patron qui me donnait cent sous. J’ai économisé ce qui était nécessaire, j’ai été voir le libraire qui m’a demandé cent francs pour l’ouvrage qui s’appelait « Le Castel Béranger »[1]. Et c’est une de mes plus grandes joies de jeunesse d’avoir rapporté chez moi « Le Castel Béranger » contre lequel tout le monde hurlait à l’époque.
L’auteur du Castel Béranger qui est l’auteur des grilles du métro dont on parle quelquefois est le Maître Guimard ici présent, un de nos plus grands architectes, un précurseur, un de ceux qui a aidé au mouvement moderne et dont on a n’a pas su reconnaître tout l’effort et tout le travail. Je suis heureux de lui exprimer mes sentiments d’admiration et d’affection.
Dans quelques années sans doute, M. Desbouis aura la joie de réparations semblables.
Très touché par les paroles que M. Vuitton vient de lui adresser, M. Guimard tient à l’en remercier :
Si j’avais pensé qu’en acceptant l’aimable invitation de mon ami Bigaux, l’auteur du premier immeuble moderne de l’avenue des Champs-Élysées, que son client M. Vuitton a eu le mérite de lui faire construire, j’entendrais cet admirateur du Castel Béranger, j’aurais hésité.
En vous ramenant à l’époque déjà lointaine de cette construction, à ce moment jugée si révolutionnaire, et pour laquelle vous venez aujourd’hui me témoigner votre sympathie, j’ai cru que l’artiste moderne qu’est mon ami Vuitton voulait que les amis des Champs-Élysées reconnussent que l’évolution de l’Architecture doit suivre celle de la vie et de la prospérité de ce beau quartier. Ceux qui qualifiaient le Castel Béranger d’horreur avaient, je pense, aussi tort que ses plus sincères admirateurs. Je pensais, à ce moment déjà, être de son temps, et j’ai voulu simplement, mais très simplement, je vous l’assure, donner une expression d’art de ce que je croyais logique et nouveau de faire pour que la construction d’une maison de rapport ne soit pas une caserne à la vue de tout le monde. Je lui ai donné ce petit nom de Castel parce que c’était une demeure collective.
Aujourd’hui je viens d’entendre qualifier d’horreur la façade d’un immeuble qu’un ingénieur M. Desbouis vient d’édifier avenue des Champs-Elysées avec la pensée d’être logique et pratique (…). On vient de vous présenter cette œuvre de M. Desbouis, ingénieur, mais qui n’est pas architecte ; aussi cela explique-t-il la critique de ceux qui n’aiment pas cette façade à laquelle je reconnais qu’il aurait fallu donner un sentiment d’art pour désarmer ceux que choquent les matériaux de couleur employés.
Il y a aussi une question d’accoutumance. Qu’a-t-on dit de la Tour Eiffel en 1889 ? C’est tout de même un monument de trois cents mètres qui est moins laid que les premiers gratte-ciels américains.
Je plaide la cause de mon collègue ingénieur en vous demandant d’attendre un peu pour porter un jugement que le temps pourra ratifier (…). »
Rien n’oblige alors Gaston-Louis Vuitton à rendre un tel hommage à Guimard et nous avons le sentiment qu’il a attendu longtemps le moment propice pour dévoiler ce souvenir d’enfance qui semble lui tenir particulièrement à cœur.
Mais ce qui nous paraît peut-être le plus important est l’esprit visionnaire avec lequel Vuitton prononce son discours : il considère Guimard comme un des plus grands architectes de son temps et un précurseur du mouvement moderne, tout en exprimant un regret particulièrement lucide : que son travail n’ait pas été suffisamment reconnu. Il met en parallèle l’immeuble de Desbouis et le Castel Béranger pour suggérer à son auditoire que la postérité fera justice à l’un et l’autre qui ont su traduire la modernité de leur temps.
On imagine aisément la surprise, voire l’émotion, de Guimard en écoutant ces paroles. Mais l’intérêt de cet article réside surtout dans sa réponse : elle nous éclaire de façon inédite sur le regard qu’il porte sur le début de sa carrière. Ainsi, l’architecte ne regrette pas la construction du Castel Béranger mais avec l’assagissement des années, il est capable d’en accepter les limites. Il a d’ailleurs depuis quelque temps renoncé aux formes de l’Art nouveau, mais les mots employés dans son discours ne laissent aucun doute sur son état d’esprit, même au début des années 1930 : « expression d’art », « sentiment d’art », « logique », « pratique »… sont autant de principes fondateurs et éternels de l’œuvre de Guimard qui tient ferme sur sa trilogie Logique – Harmonie – Sentiment.
Sa phrase « Ceux qui qualifiaient le Castel Béranger d’horreur avaient, je pense, aussi tort que ses plus sincères admirateurs » peut désarçonner le lecteur contemporain. À notre avis, il exprime probablement là le sentiment de ne pas avoir été compris à l’époque ou bien d’avoir été admiré pour des raisons superficielles de virtuosité formelle (celles-là mêmes qui nous séduisent à nouveau aujourd’hui). Sans doute redoute-t-il que la postérité ne le prenne jamais au sérieux, alors que des architectes comme Sauvage qui ont rapidement laissé tombé le Sentiment, seront plus rapidement reconnus.
Guimard ne se contente pas d’évoquer son propre passé, mais apporte aussi son soutien à Desbouis. Lui qui a connu l’opposition aux implantations de certaines de ses entrées de métro et qui a argumenté contre l’obligation de construire en fonction du contexte architectural, ne peut que se sentir solidaire de Desbouis, face à ceux qui tolèreraient son architecture mais qui la cantonneraient volontiers ailleurs, en dehors de l’avenue des Champs-Elysées.
Ce faisant, il nuance tout de même son propos en lâchant qu’il eût sans doute fallu apporter à cette façade un « sentiment d’art », c’est-à-dire un décor plus poussé. Par ces mots, Guimard ravive discrètement l’opposition corporatiste entre architectes et ingénieurs-constructeurs qui dure depuis le 19e siècle. Héritier de Viollet-le-Duc, il a toujours pensé qu’il était du devoir des premiers de se servir des avancées techniques apportés par les seconds, mais qu’il revenait aux seuls architectes, par leur talent artistique, d’élever l’architecture au-dessus de la simple construction fonctionnelle. En rappelant à deux reprises dans sa réponse que Desbouis est ingénieur et ajoutant même qu’il « n’est pas architecte », Guimard lui accorde donc volontiers des brevets de Logique et d’Harmonie, mais lui dénie celui de Sentiment. Mi-poli, mi-perfide, il conclut en disant : « Je plaide la cause de mon collègue ingénieur (…). » Cependant, en rappelant le scandale provoqué par la tour Eiffel, Guimard reconnaît implicitement que les ingénieurs ont su, plus souvent que les architectes, faire preuve d’audace, au point de provoquer un rejet que le temps et l’accoutumance se sont chargé d’apaiser. Le fait qu’il associe dans la même phrase les premiers gratte-ciels américains, eux aussi dus à des ingénieurs-architectes, nous rappelle que Guimard a entretenu des rapports suivis avec les États-Unis et que quelques années plus tard il quittera la France pour s’y expatrier.
Olivier Pons,
avec la contribution de Frédéric Descouturelle
[1] Il s’agit de l’album promotionnel Le Castel Béranger – L’Art dans l’Habitation Moderne contenant 65 planches illustrées des intérieurs et extérieurs du Castel.
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